Posté le 02/12/2010 22:48
S’il y avait de vrais oiseaux en hiver – autres que d’avides pies ou de stupides pigeons - ils auraient chanté en ce jour. Il avait fait beau. Le soleil n’est jamais plus beau qu’en hiver. Mais jamais plus rare également. Sur ces ciels d’un bleu éclatant dénué de nuages, il brille de toute sa force, sans aucun nuage pour arrêter ses rayons. Il est froid, et ne dispense pas d’épais manteaux, mais au moins est-il présent dans toute sa majesté. Et même si on était alors en automne, quelques jours ne changent pas le monde.
Maintenant, il décroissait lentement dans le ciel. Les ombres s’allongeaient et il ferait bientôt nuit. La fin d’un jour comme un autre, encore un. Le vent soufflait entre les frondaisons de la forêt Kokiri où tout achevait ses préparatifs à l’hibernation tant attendue.
Edgar, lui, marchait. Enveloppé dans une redingote bleue nuit dont il avait remonté le col sur son cou, il avançait légèrement penché, tenant contre son ventre un plat. De la crème de marron, préparée dans l’occasion spéciale d’une visite chez Wakusei. Il avait passé la matinée à la préparer chez lui, dans sa demeure reculée dans la forêt. Cet homme ne comptait pas venir les mains vides, tout de même. Et il avait le mérite de savoir cuisiner quelques petites délicatesses.
Ses oreilles rougissaient lentement, ainsi que son nez au bout duquel perlait une goutte. Maudit froid ! Autour de lui, les arbres morts ne se posaient plus la question. Eux avaient la bonne idée de se laisser mourir pendant les longs mois d’hiver, et renaissaient aux premières lueurs du printemps.
Il était assez heureux. D’aller voir la jeune fille, d’une part, bien sûr. Elle était si douce, si fragile, d’une beauté encore si juvénile qu’il ne pouvait s’empêcher de la chérir en son cœur comme un enfant à protéger. Trop bonne avec les autres, elle s’en oubliait, de son propre aveu. C’était donc pour lui un devoir de la rappeler à elle-même. Et quoi de mieux pour cela que la douceur et l’onctuosité d’une crème de marrons et un peu de compagnie au coin du feu ?
Il marchait donc, du pas rapide de celui qui ne veut pas se transformer en stalagmite, coupant en travers des sentiers pour ne pas perdre de temps. Quand soudain, alors qu’il traversait une petite clairière qu’il devinait non loin de sa destination, il entendit des voix. Baigné dans le silence imperturbable du soleil couchant automnal en forêt, il s’arrêta net à ce son surprenant. Il ne comprenait de quoi il s’agissait, mais, par peur ou prudent, préféra se cacher sous le couvet des buissons. Deux jeunes femmes apparurent. Une à la noire chevelure aux reflets violets, sombrement vêtue, et une autre rayonnante d’une lumière pâle. Il reconnut sans peine ces physiques atypiques. Withered et Wakusei.
La première emmenait l’autre sous la menace d’une paire de dagues. La femme crépusculaire poussa la jeune fille et lui parla. L’autre lui répondit, sans qu’Edgar, toujours caché, ne pu comprendre de quoi il s’agissait. Les lèvres se mouvaient dans un ravissant mais incompréhensible ballet. Le pauvre homme ne pouvait qu’être charmé par ces deux belles femmes que tout opposait. Mais bien vite, les choses changèrent. Sans que ça ne l’étonne trop, Withered attaqua la jeune femme. Le ballet des lèvres devint une danse mortelle où très vite le sang coula, jurant sur la planche peau de la victime. Car elle ne pouvait qu’être victime, trop belle, trop insouciante, trop naïve pour être coupable de quoi que ce fut.
Wakusei tomba, et pour Edgar, le temps sembla se figer. Il regarda autour de lui, et se releva avec ce qu’il avait pu trouver de mieux dans la seconde. Une lourde branche sèche à la main, il s’avança prudemment, dans le dos de Withered qui savourait sa victoire.
Alors, dans le silence des instants de tension retentit une voix qu’il ne connaissait pas. Grave, et forte, elle ne pouvait venir de personne ici. A sa grande surprise, Edgar dû malgré tout conclure que c’était la jeune fille à terre qui s’exprimait ainsi dans une langue inconnue qui faisait étrangement se mouvoir ses lèvres. Quand la mystérieuse phrase se termina, une explosion de lumière aveugla un instant Edgar. Encore assez loin, celui-ci se remit quelques courtes secondes après sa surprise. La sombre assassin, en revanche avait été repoussée au sol. Saisissant sa chance sans plus réfléchir, Edgar s’avança en courant à toutes jambes, brandissant haut son arme de bois. D’un geste fort, déterminé et violent, il abattit la branche sur Withered sans regarder où rendu aveugle par la panique et la précipitation et surtout par ses yeux fermés, visant grossièrement le haut de son corps.