Deux diables sous la pluie

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Aedelrik


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(vide)

Jamais malheur ne passe le vieux saule, disait on au village de Leshi-Alka.
Et pourtant, pour protéger cette petite bourgade comptant plus de têtes de bétail que d'enfants de Farore, pas de mur ni de haute statue des déesses barrant la route au mal. Les villageois s'imaginaient plutôt comme oubliés des démons et des maux frappant ordinairement les humbles, suffisamment discrets pour n'attirer le regard d'aucun mauvais oeil. De fait, la guerre pouvait bien embraser le royaume depuis de long mois, ils pouvaient se vanter de n'avoir pas vu dépasser la moindre tête de pique de la colline qui les dominait. De l'amont de la rivière qui bordait leur village et lui avait donné une partie de son nom, ils n'avaient jamais repêché un cadavre sanguinolent, charrié par le courant, comme tant d'autres ailleurs en Hyrule. Et le seul feu qu'on y avait allumé était celui des fêtes de Din, autour duquel on dansait dans l'insouciance d'une vie simple et écartée des tourments du monde extérieur.


« Le malheur ne passe jamais le vieux saule » avait encore répété le vieux Helmrik à ses petits enfants le soir même, en fixant de ses yeux fatigués la silhouette tordu de cet arbre qui l'avait vu naître et grandir. Pourtant, cette fois ci, le paysan aux dos courbé par les années ne semblait pas serein en prononçant cette formule qui lui venait du père de son propre père. Pour qui le connaissait assez, le léger rictus qui déformait ses lèvres signifiait beaucoup. De la crainte, ancrée, enracinée dans ses tripes comme sa famille dans cette terre aussi ancienne que le monde. Cependant, sa femme était morte durant le dernier hiver et personne d'autre ne remarqua cet indice subtile d'un événement rare, presque trop rare pour la mémoire d'un homme. Alors que la nuit tombait, et que la pluie s'abattait sans relâche sur les masures de bois, Helmrik sortit en laissant sa famille au coin du feu, alluma une torche et partit faire le tour du village. Nulle garde n'était organisée d'ordinaire, puisque les villageois s'étaient habitués à ne rien craindre. Mais ce soir là, le vieux savait qu'il ne pourrait fermer l'oeil sans avoir vérifié par lui même. Après avoir vérifié autour du moulin à aubes et dépassé la maison de Fretd, le forgeron, il s'arrêta un instant et observa silencieusement la forêt Kokiri, qui s'étendait sur l'horizon, à moins d'une lieue. D'aucuns voyageurs la trouvaient fort sinistre... Ceux là n'effleuraient qu'à peine la pleine vérité. Ces bois n'étaient simplement pas faits pour l'Homme. Mais il s'avère que la nature n'est pas forcément cruelle envers ceux qui savent s'arranger avec elle. Baissant la tête, Helmrik continua sa ronde, jusqu'à finalement arriver au vieux saule.
L'arbre lui ressemblait, penché, comme si chaque saison passée avait fini par peser physiquement sur son bois si ancien qu'on en avait perdu toute trace de sa jeunesse. Le vieillard posa une main sur l'écorce pleine de plis, et sourit en pensant que sa peau devait ressembler à cela. Il ignorait combien de temps encore ce monument de la nature les protégerait, de sa silhouette bienveillante, à l'entrée de leur village. Mais il restait certain, là, sous ses branches et son feuillages tombant, d'être en sûreté. Jamais malheur ne passe le vieux saule, pensa t'il, ignorant la petite voix qui lui susurrait le contraire.


« Excusez moi, l'ancêtre. » La voix, rauque, le fit sursauter et il se retourna en brandissant son torche devant lui. Malgré le trop fort éclat de la flamme dans l'obscurité, qui lui embrasait le regard, Helmrik distingua une forme assez indistincte d'homme, qui se tenait à quelques pas de lui. L'inconnu portait un manteau et menait un cheval derrière lui, le tenant par la bride. En bon paysan, le vieux ne répondit pas, se contentant de renifler bruyamment pour exprimer son déplaisir d'avoir été ainsi surprit, et plus globalement, de voir un étranger débarquer au milieu de la nuit. Mais alors qu'il espérait ne pas avoir à converser, l'homme s'approcha, pénétrant dans le cercle de lumière provenant de la torche. Un rouquin assez jeune, quoique déjà gâté de quelques cheveux blancs, assez grand et visiblement à même de cogner. Mais pas une allure de soldat ou de mercenaire, ce qui contribua à apaiser Helmrik, malgré sa défiance persistante. L'étranger reprit alors la parole, avec une pointe d'accent bizarre, « Je suis bien à Leshy-je-sais-plus-quoi ? » Peu à cheval sur le respect du nom si long de sa bourgade, le paysan se contenta d'opiner du chef, gardant toujours sa bouche fermée. Sans perdre de temps, le rouquin leva alors une main en signe de paix, et déclara, « Je ne veux pas m'arrêter dans ton trou, le vieux. Il me faut juste quelqu'un pour veiller sur cette carne pendant un jour ou deux. » A ces mots, Helmrik se sentit soulagé et concéda alors à lui répondre, d'une voix où perçait toute son antipathie pour ce qu'il n'était pas né au même endroit que lui, « On s'en occupera volontiers, tant que tu paye son fourrage. »

L'étranger haussa alors les épaules, comme pour signifier l'évidence de la chose, et sortit d'une bourse quelques pièces d'argent. Largement assez pour ce qu'il demandait mais, hey ! A coeur généreux, main bonne receveuse. « Montre moi où je peux la laisser, que je reprenne la route au plus vite. » Tout dans son attitude respirait le dégoût de ce qui l'entourait, mais sans doute la pluie, la boue et le tonnerre qui commençait à gronder ne seraient au goût de personne devant dormir sans toit. Un autre que Helmrik aurait sans doute montré son hospitalité mais le vieux paysan n'appréciait pas ce principe d'ouvrir sa porte à qui il ne connaissait pas. Marek la riv tenait certainement en partie sa sécurité de cette précaution élémentaire. Désireux de voir l'intrus repartir au plus vite, il força le pas jusqu'à sa maison et signala au rouquin une étable où il pourrait abriter sa monture. Celui ci y entra et en sortit presque aussitôt. Un instant, le vieillard eut l'impression que ses vieux yeux lui jouaient des tours, car dans un mouvement du manteau de l'homme, il crut y voir autre chose qu'une main plongée dans ses profondes poches. Mais comme l'inconnu le dépassait pour reprendre le chemin, Helmrik lui demanda, poussé en cela par la curiosité, « Où vas tu donc comme ça ? »

Il devait se souvenir toute sa vie du sourire de l'autre, se tournant vers lui avec des yeux jaunes et brillants comme ceux d'un loup - des yeux de démon ! - et lui répondant d'une voix mauvaise, « Là où vont toutes les bêtes ». Ce soir là, le mal avait passé le vieux saule.
* * *

Aedelrik détestait la forêt. Il y régnait une constante impression de danger. Il s'y pensait épié par des créatures et des animaux que son imagination lui faisait apercevoir ou soupçonner dans chaque buisson remuant, ou perché dans un arbre aux branches épaisses. Lui était maître de la ville, de n'importe laquelle : les cités ne changent qu'en surface mais au fond, elles sont toutes semblables. Et pour qui les côtoie de prés, elles deviennent aisément prévisibles et manipulables. Les forêts, elles, changent en permanence, et d'une à l'autre, on doit tout réapprendre... A chaque fois, le Renard se sentait comme son animal totem dans un chenil de limiers affamés. Et c'était peu dire qu'il détestait cela.

Seulement, parfois, ces bois se trouvaient être son seul refuge. Lorsque la lune dépassait son troisième quart et approchait de la nuit du bal où elle sortirait pleine de ses plus beaux atours, le voleur ne pouvait faire autrement que de remiser ses activités au placard, et de se préparer à passer un mauvais moment. Généralement, il s'enfermait lui même au fond de son repaire de la citadelle, avec fortes chaînes et portes de fer triplement verrouillées. Cependant... Cette solution avait ses limites, il avait fini par s'en rendre compte : le loup n'était pas un étranger à l'intérieur de lui même qu'il pouvait museler à l'envie, l'humain ne représentait en fait qu'une des deux faces de la même pièce, et en enfermant la bête, il provoquait une frustration et un manque que la ville ne pouvait combler. Et un peu comme pour le manque de sexe, Aedelrik finissait toujours par céder à ce besoin lorsqu'il se rendait compte que cela empiétait sur ses talents, et donc ses affaires... Quand bien même cela revenait à un voyage de plusieurs jours dans l'endroit qu'il haïssait le plus dans tout ce foutu pays.

« J'espère que tu vas prendre ton pied parce que pour moi, c'est mort. » Pesta t'il contre lui même, en observant la boue qui lui montait jusqu'aux chevilles. Cela faisait depuis le matin que le Renard subissait le harcèlement incessant de la pluie battante et à présent qu'il se trouvait sous les frondaisons, il se rendait compte que ça n'irait pas en s'arrangeant. Tout semblait mouillé devant lui du sol à la cime des arbres, et pas le moindre signe d'un abri. Soucieux de ne pas retrouver une tenue trempée le lendemain, il poursuivit sa route en quête d'un recoin de sec. Tout du long, il fut pris de l'irrésistible mais stupide envie de jurer contre Tengri, qui devait bien s'amuser à le regarder patauger depuis les nuages d'où ce dieu de misère était perché. La crainte l'en empêcha. Après tout, rien n'empêcherait le maître du ciel de le foudroyer sur place si il prenait la mouche.
Après une bonne heure de marche vers le coeur de la forêt, Aedelrik poussa son premier soupire de soulagement depuis longtemps. Il venait de trouver un abri formé par un rocher dressé en diagonale par rapport au sol. Pas de quoi dormir allongé, mais largement suffisant pour y laisser des vêtements. Son soulagement fut double car en plus de sa fatigue, cela faisait un certain temps que l'impression d'être épié voire qu'une menace rôdait tout prés le taraudait. De temps à autre, il se retournait brusquement en espérant surprendre l'indésirable quel qu'il soit mais à chaque fois, seule l'obscurité lui rendait son regard. Rendu presque paranoïaque, le Renard foudroya une dernière fois les alentours avec ses yeux humains, avant de finalement se préparer à ce pourquoi il était venu.


« Allez, à toi. Profite bien. » se souhaita t'il tout en se déshabillant. Une fois nu, ses affaires au sec et son corps trempé par la pluie, Aedelrik sentit la bête s'éveiller. Il pouvait sentir son envie de liberté, de sauvagerie ; c'était plus fort qu'un sentiment humain, car parfaitement primitif, sans nuance. Il fut tenté un instant de résister, puis décida de lâcher prise. Il leva la tête en direction de la lune au dessus de lui et...

« Ahouuuuuuuuuuuuuuuuuuuu ! » Fit le loup, avant de sentir une odeur étrange, qui lui hérissa le poil et le fit grogner en direction d'un buisson.


Gris


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(vide)

La boue. Sournoise et dégueulasse.
Floc floc font mes pieds dans sa mélasse.

La pluie. Ciel nocturne et triste.
Ses larmes implorent, trop pessimistes.

Les nuages. Obscurcissant les étoiles,
Et les masquent tel un gris voile.

La nuit. Domaine des prédateurs,
Rôdant dans les bois, maîtres de la peur.

Le vent. Mordant les vieux os...


« La chanson peut bien s'arrêter là. »

Plusieurs jours sans jouer. Pas d'enfants depuis, quoi ? Trois nuits ? Ssss... vilains garnements.
Ils ont peur maintenant, oui ? Pourquoi ? On ne fait que de la belle musique.
Venez jouer. VENEZ JOUER.
On est tout seul.
Tout le temps.

« Ce n'est pas gentil de me laisser jouer tout seul.
On doit sortir des bois.
Mais c'est notre maison. Pourquoi partir ?
Je veux jouer.
Jouer ? Krr krr... mais c'est ici que nous sommes les meilleurs !
Pourquoi ? Pourquoi ici ?
Parce que les bois sont à nous. À nouuuuuuus...
Oui ? Oh. Bien alors. Bien.
La magie de la forêt nous rend plus forts ! Nous sommes nés ici !
Mais s'il n'y a personne on ne peut pas s'amuser. C'est nul.
Ferme-la ! Ferme-la ! Clos ta vilaine bouche caquetante ! »


Claquements de dents répétés. Saccades de mâchoire.

Bon. Errer dans le vide n'a rien d'intéressant. Partons à la recherche de quelqu'un.
Ça fait des lunes qu'on s’ennuie. Des lunes. Des...
Oh...

« Lune ? Mais nous n'en avons pas parlé dans notre chanson ! Raaaaaaah !
Ce n'est pas bien ! Pas bien ! Vite, vite ! Réfléchissons...

La lune brille, malfaisante le soir...
Sur ma tête, elle vient de choir ! »


Krr krr... que c'est amusant !


« Ahouuuuuuuuuuuuuuuuuuuu ! »

Meh ?
Il y a un chien dans la forêt ?
Un chien galeux viré de chez ses maîtres par de vilains coups de pieds au coccyx ? Vilain chien.

Mes yeux vides scintillent hors du buisson. Je croise ceux du loup.
Il regarde dans ma direction.
L'obscurité nous empêche de nous voir.

Un éclair nous révèle brièvement l'un à l'autre. Il grogne.
Ce n'est pas un loup ordinaire. Il ne fuit pas, lui, en me voyant.

« Que t'es-t-il arrivé, malheureux ? As-tu perdu ton nonoss ? »
Dis-je, me trémoussant dans le noir.

Large sourire sarcastique.

Qu'est-ce qu'on est drôle !


Aedelrik


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(vide)

Comme toujours, la même impression. Celle d'être le même, et pourtant différent. La même conscience, mais altérée. Un reflet dans un mauvais miroir, capable de mordre plus fort que du verre brisé. Aedelrik se dénoua la nuque. Son cou faible et fragile était désormais derrière lui. A chaque mouvement, il sentait ses muscles jouer sous sa fourrure. Revêtir une peau de loup fait réaliser l'imperfection du corps humain ; l'Homme ne court ni vite ni longtemps, ses deux jambes se gênent l'une l'autre, le vent se prend dans la hauteur de sa stature. En comparaison, le loup possédait les atours du roi de la forêt, malgré la rivalité que lui opposait l'ours ou le sanglier. Aedelrik l'humain est hanté par ses peurs. Lui ne craint rien. Rien du tout, pas ici.

« Krr Krr... »

Le prédateur lève le museau, les sens en alerte, ses oreilles dressées. Il n'aime pas ce qu'il vient d'entendre, car il ne parvient à poser une odeur ou une image dessus. Ce son, Aedelrik ne l'a jamais entendu, et pourtant, la forêt ne devrait plus avoir de secret pour lui. Sa respiration se fait plus profonde, plus lente. Certains, ignares, s'imaginent qu'une bête aux abois laisse la colère l'envahir ; c'est en réalité tout le contraire. Jamais le loup n'est plus calme que lorsqu'il sent un danger.
Et puis soudain, une rafale de vent changeante lui confirme son intuition ; en le giflant, elle lui apporte une odeur. Une charogne, la mort, du sang de... Il l'ignore. Et cela l'inquiète d'autant plus. Alors il se place en face de la source de l'odeur et se tend. Rien devant lui, dans l'obscurité quasi complète, ne trahit ce qui s'y tapit. Pourtant, Aedelrik n'a plus de doutes ; il sait qu'un péril s'y tient et il est trop malin pour céder à sa curiosité.


Le ciel vient d'hurler, et le feu est tombé subitement sur la terre, chassant les ombres. Le Loup n'a pas bougé, mais il se tend au maximum. Il ignore ce qu'il a aperçu, mais il sait que d'autres en auraient peur. Lui, non. Un roi ne craint rien en son royaume, se rappelle t'il en une motivation dérisoire pour ne pas fuir. Instinctivement, la bête sait que tourner le dos au monstre reviendrait à lui présenter sa gorge ; une invitation à vite en finir. Alors, il grogne, fait sentir le danger que lui même incarne. Aedelrik ignore ce que la forêt dit de lui, si sa dernière chasse lui a fait naître une réputation. Tuer un ours relevait de l'exploit, mais c'était l'humain qui connaissait la valeur de l'acte. L'animal, lui, s'était simplement satisfait de son festin. A quel monde appartenait donc cette horreur ?

« Que t'es-t-il arrivé, malheureux ? As-tu perdu ton nonoss ? »

Nouveau feu tombé du ciel, qui illumine un sourire atroce, effrayant. Le Loup ne répond pas, déjà étonné de parvenir à comprendre le monstre. La forêt ne possédait elle donc qu'une seule langue, que parlaient à la fois les animaux et les monstruosités ? Le doute s'insinue en lui, mais il le repousse. Aedelrik sait qu'il doit prendre une décision, qu'il attend depuis trop longtemps déjà. Alors, il relâche la tension dans ses muscles puissants et bondit en avant.

Le saut est rapide, et précis mais ses crocs manquent sa cible. Ses griffes ne rencontrent que le vide là où il avait pensé rencontrer l'autre. Sans attendre, il bondit à nouveau, manque à nouveau. Malgré sa vision nocturne, dur pour le loup d'y voir clair dans cette tempête et ces buissons épais. Alors la frustration de l'humain émerge, lui fait grogner,


« Viens là, sale erreur ! »

C'était le mot qui lui semblait le plus juste pour le décrire. Ce qu'un animal n'a jamais vu est vite considéré comme non naturel, et donc potentiellement un danger dont il faut se débarrasser. Aedelrik était décidé à se charger de cette tâche, si tant qu'il ne sentit pas tout de suite l'odeur de torches qui commençait à venir à son museau. Il jaillit à nouveau.


Gris


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(vide)

Le loup bondit. Rapide. Muscles saillants. Fourrure hérissée. Bavant sur ses babines retroussées.
Krok krok font ses dents. La mâchoire claque çà et là. Ici. Là-bas.
Nous bondissons. Il s'en fallut de peu qu'il nous croqua le fémur.

« Ohoh ! Eh ! Il est tout foufou le toutou ! »

Nous dansons. Nous et l'animal. Nous évitons sa mâchoire garnie de dents acérées en dansant. D'un pied... sur l'autre.
Marionnette désarticulée.
Notre sourire ne nous quitte pas. Nous l'imitons, lui et ses dents. Les nôtres sont plus belles. Nous lui sourions et ça l'agace.
Guignol effrayant.

« Eh ! Du calme, oui ? Couché ! Vilain ! »

Ses claquements de gueule. Nos craquements d'os.
La terre se retourne sous les dérapages du loup. Il fait sombre. Mais nous voyons, ça clignote. La foudre illumine les alentours.

Seuls ses yeux ne disparaissent jamais. Brillants. Méfiants. Colériques. Perçants. Magnifiques.
Nos yeux aussi, brillent. Vides. En avons-nous ? Non. Krr krr...

Mon nez absent le renifle. Je l'imite.

Snif snif.

Mh ?
Des odeurs. Assortiment étrange.

Il sent que nous le sentons. Méfiance.
Il sent le loup. La fourrure et la sueur. Le sang... ?
Il sent la solitude. Où est ta meute, toutou ?
Il sent une drôle d'odeur. De la peur ? Non ! Plus compliqué. Curiosité ?
Il sent la forêt et la pluie et les feuilles mortes. Comme nous.

Snif snif.

... il sent l'humain.

Krr krr...

« Tu pues sacrément ! Pouah ! »

Nous continuons de danser. Nous faisons mine de boucher notre nez imaginaire.

« Pourquoi tu sens comme ça ? T'as bouffé de l'humain, mh ? Et moi alors ? Pas le droit à ta bectance ?
C'est toi qui sent le feu, aussi ? T'es bizarre comme chien. »


Oh ? Non. Des humains arrivent ? Ça sent le suif. La fumée.
Nous disparaissons.
Les feuilles mortes nous suivent. La pluie bat l'écorce des arbres crochus, le sol boueux.
Nous nous juchons sur une branche d'un aulne. Accrochés par les jambes, tête à l'envers.
Nous nous balançons, hors de sa portée.
Puis, vite, accroupi sur la branche craquante. On craque aussi, mais plus joliment. Les genoux, ça. Krr krr.

« Des gens veulent jouer avec nous. Petit loup. J'en mets ma main à couper. »

Nous nous arrachons une main et la jetons en direction des lueurs au loin, derrière les buissons épais.

« Ha ha ! Va chercher ! »