Posté le 18/12/2015 16:28
Comme toujours, la même impression. Celle d'être le même, et pourtant différent. La même conscience, mais altérée. Un reflet dans un mauvais miroir, capable de mordre plus fort que du verre brisé. Aedelrik se dénoua la nuque. Son cou faible et fragile était désormais derrière lui. A chaque mouvement, il sentait ses muscles jouer sous sa fourrure. Revêtir une peau de loup fait réaliser l'imperfection du corps humain ; l'Homme ne court ni vite ni longtemps, ses deux jambes se gênent l'une l'autre, le vent se prend dans la hauteur de sa stature. En comparaison, le loup possédait les atours du roi de la forêt, malgré la rivalité que lui opposait l'ours ou le sanglier. Aedelrik l'humain est hanté par ses peurs. Lui ne craint rien. Rien du tout, pas ici.
« Krr Krr... »
Le prédateur lève le museau, les sens en alerte, ses oreilles dressées. Il n'aime pas ce qu'il vient d'entendre, car il ne parvient à poser une odeur ou une image dessus. Ce son, Aedelrik ne l'a jamais entendu, et pourtant, la forêt ne devrait plus avoir de secret pour lui. Sa respiration se fait plus profonde, plus lente. Certains, ignares, s'imaginent qu'une bête aux abois laisse la colère l'envahir ; c'est en réalité tout le contraire. Jamais le loup n'est plus calme que lorsqu'il sent un danger.
Et puis soudain, une rafale de vent changeante lui confirme son intuition ; en le giflant, elle lui apporte une odeur. Une charogne, la mort, du sang de... Il l'ignore. Et cela l'inquiète d'autant plus. Alors il se place en face de la source de l'odeur et se tend. Rien devant lui, dans l'obscurité quasi complète, ne trahit ce qui s'y tapit. Pourtant, Aedelrik n'a plus de doutes ; il sait qu'un péril s'y tient et il est trop malin pour céder à sa curiosité.
Le ciel vient d'hurler, et le feu est tombé subitement sur la terre, chassant les ombres. Le Loup n'a pas bougé, mais il se tend au maximum. Il ignore ce qu'il a aperçu, mais il sait que d'autres en auraient peur. Lui, non. Un roi ne craint rien en son royaume, se rappelle t'il en une motivation dérisoire pour ne pas fuir. Instinctivement, la bête sait que tourner le dos au monstre reviendrait à lui présenter sa gorge ; une invitation à vite en finir. Alors, il grogne, fait sentir le danger que lui même incarne. Aedelrik ignore ce que la forêt dit de lui, si sa dernière chasse lui a fait naître une réputation. Tuer un ours relevait de l'exploit, mais c'était l'humain qui connaissait la valeur de l'acte. L'animal, lui, s'était simplement satisfait de son festin. A quel monde appartenait donc cette horreur ?
« Que t'es-t-il arrivé, malheureux ? As-tu perdu ton nonoss ? »
Nouveau feu tombé du ciel, qui illumine un sourire atroce, effrayant. Le Loup ne répond pas, déjà étonné de parvenir à comprendre le monstre. La forêt ne possédait elle donc qu'une seule langue, que parlaient à la fois les animaux et les monstruosités ? Le doute s'insinue en lui, mais il le repousse. Aedelrik sait qu'il doit prendre une décision, qu'il attend depuis trop longtemps déjà. Alors, il relâche la tension dans ses muscles puissants et bondit en avant.
Le saut est rapide, et précis mais ses crocs manquent sa cible. Ses griffes ne rencontrent que le vide là où il avait pensé rencontrer l'autre. Sans attendre, il bondit à nouveau, manque à nouveau. Malgré sa vision nocturne, dur pour le loup d'y voir clair dans cette tempête et ces buissons épais. Alors la frustration de l'humain émerge, lui fait grogner,
« Viens là, sale erreur ! »
C'était le mot qui lui semblait le plus juste pour le décrire. Ce qu'un animal n'a jamais vu est vite considéré comme non naturel, et donc potentiellement un danger dont il faut se débarrasser. Aedelrik était décidé à se charger de cette tâche, si tant qu'il ne sentit pas tout de suite l'odeur de torches qui commençait à venir à son museau. Il jaillit à nouveau.