Posté le 23/08/2010 23:40
Une légère brise, accompagnant cette fin de nuit, s'était levée . Mirage peinait à la percevoir, mais pouvait encore sentir sa fraicheur sur ses joues devenues froides, espérant qu'elle le sorte de ce cauchemar .
Un cauchemar qui n'en était pas un, car on aurait plutôt pu qualifier cela ''d'habitude''.
Après tout, ce n'était pas comme s'il perdait son humanité et devenait inerte pour la première fois .
Un mauvais passage, à endurer, tous les trente ans.
Elle lui avait patiemment expliqué, trois cent ans auparavant, que c'était une punition . Mais une punition n'était que très rarement agréable, à moins d'être totalement masochiste .
Il l'était probablement un peu dans le fond, car il aimait souffrir . Il ne détestait pas ressentir de la peur et de la crainte pour Elle. Il aurait pu avouer sans rougir, que son être entier tremblait de plaisir et d'excitation, lorsque sa voix angélique et dévastatrice s'immisçait dans son esprit, pourtant quasiment toujours porteuse de lourdes menaces ou d'ordres n'excusant aucune réplique.
Oui, il aimait souffrir, lorsque c'était Elle qui lui infligeait cela .
* Comme maintenant … *
Non, ce n'était pas sa faute . Au contraire, Elle ne faisait que l'aider, impassiblement, trente années après trente années . Pour un humain normal, trois décennies pouvaient paraître longues... Mais pour des anomalies comme Mirage, ou des déesses oubliées dans la course du temps et de la popularité, comme Elle, ne connaissaient pas cette notion de vie si courte, ou chaque minute, chaque seconde, est précieuse .
Malgré tout, il savait qu'il aurait du, lui aussi, mourir depuis longtemps . Son pouvoir , et surtout sa punition, celle administrée par ce dieu étrange, consistant à le rendre éternel, aurait déjà du anéantir sa vraie personne .
Mais Elle daignait rester à ses côtés, et lui permettait de persister face à ce poison, ce cul de sac sans fin . Mais ce moyen de se raccrocher à la vie, ne l'entrainait qu'un peu plus dans ce même cercle vicieux .
Il n'avait que deux choix . Une mort pitoyable, ou une vie pitoyable .
Il avait choisi la vie . Une vie d'imposture, de mensonges, de vices, et d'adoration, pour cette sulfureuse déesse, qui l'aidait toujours plus, tout en l'enfonçant irréversiblement, dans les méandres de la torture.
Mais il aimait cela .. Pourvu que Elle, son encrage, sa raison de subsister, d'avancer …ainsi que de souffrir, ne l'oubliait pas, comme elle même l'était , effacée de la mémoire de ces humains ingrats et lunatiques.
* Je t'en prie … je n'en peux plus , aide moi , ou je serai sali, je serai gris, je ne serais plus rien ...*
Il espérait qu'Elle l'entende, qu'elle vienne enfin à lui . Qu'elle ranime le charme qui lui permettait de bouger, de respirer, de s'articuler, comme s'anime une marionnette .
Mais cette fois ci, elle semblait vouloir faire durer leur ''jeu'' bien plus longtemps qu' habituellement. Il avait pourtant espéré qu'elle ne tarde pas trop à apparaître, après qu'il eut enfin quitté Calypso et Cie .
Non, en vérité, il ne s' attendait pas à ce que son état se dégrade si rapidement . Normalement, il aurait du avoir encore plusieurs jours devant lui, même s'il perdait déjà certaines fonctions propres au corps humain depuis une semaine .
Pourtant, tout s'était écroulé soudainement, après son combat mental, écrasé par le poids de ces deux forces si possessives, se dressant l'une contre l'autre , le pressant entre elles dans un vacarme mental infernal...
En y réfléchissant, il était certain que cet ébranlement soudain avait du l'épuiser, au point de gaspiller le peu de recharges cellulaires qu'il lui restait .
Il n'existait pas de moment plus pitoyable dans le cycle de vie de Mirage, que cette période ci, ou il ne pouvait être apparenté à rien d'autre qu'un déchet . Un être instable, dont la lueur interne baisse, de secondes en secondes.
Il s'était donc trainé, comme une loque, un mort vivant puant et répugnant, à la recherche d'un endroit, ou on le laisserait en paix. Un écart, ou on l'oublierait, dans ses remords, payant à prix fort sa vie artificielle et malhonnête .
Il désirait qu'on le laisse agoniser pour la onzième ou douzième fois dans la solitude . Une solitude qu'il ne partageait volontiers qu'avec Elle .
Mirage avait donc erré, dans la plaine, jusqu'à ce que ses forces s'amoindrissent, et lorsque sa vue avait elle même commencé à baisser dangereusement, c'était à tâtons et à genoux, qu'il était rentré dans le village cocorico, tandis que la nuit, victorieuse, arrivait à son apogée. L'air lui même lui manquait cruellement, et sa respiration s'en était vite changée en un râle rauque à peine audible .
Épuisé, ses membres s'engourdissant à une vitesse hallucinante , il s'était alors tiré, par le seul biais de sa volonté, là ou le néant et le hasard avaient bien voulu l'emmener. Il lui sembla s'être heurté plusieurs fois la tête et les jambes contre des pierres lisses et droites, mais il n'en avait quasiment rien ressenti, mis à part un grondement sourd, au fond de son crane.
Il se savait si lamentable, si faible. … Non il ne savait plus rien . Qui était-il déjà ? Il lui semblait n'être rien d'autre qu'une chose immonde, repoussante, lamentablement écroulée contre ce qui semblait être une tombe. Mais sa vue n'était de nouveau qu'un souvenir, et il ne pouvait se fier qu'aux peu de sensations qu'il lui restait, animant son corps, et à son ouïe, désormais très faible, pour se faire une idée de l'endroit ou il s'était échoué, comme échoue un vieux rafiot, pourri et rongé par la mer .
Lui, c'était le temps qui le rongeait, qui jouait avec lui, et voulait sa perte . C'était aussi le genre humain, si différent de lui et de sa vraie nature, c'était les dieux, c'était un peu tout .
Mais personne ne comprenait, qu'un jour, il les surplomberait tous . Un jour, il deviendrait un dieu . Non, plus que cela . Il savait survivre et se remettre d'un pareil supplice, tel qu'il endurait en ce moment même alors, c'était évident , qu'il deviendrait ce que l'entendement universel lui même ignorait encore .
Mais trêve de rancœur, ou de mégalomanie . Là, il n'était rien, mis à part un corps tout juste d'apparence humaine, mais dépourvu de la moindre réaction.
* Si Elle n'arrive pas, je vais te quitter pour de bon .
Elle arrive toujours .
Pas cette fois on dirait …
Elle joue simplement avec moi. Mais toi tu es mon esprit, tu ne peux pas me quitter .
Je retourne à ses côtés, tu sais que c'est à Elle que j'appartiens avant tout. Nous verrons bien si elle veut encore me léguer à toi encore une fois .
J'ai peur .
Je ne peux m'attarder plus longtemps en toi . La dedans .
J'ai froid .
Elle viendra, et je serai là aussi, pourvu qu'elle daigne jouer encore avec toi.
J'aimerai jouer, mais là je meurs, et pourtant, je ne meurs pas .
Au revoir . Tu devrais savoir depuis tout ce temps, qu'une illusion finit par s'éteindre inévitablement, mais d'abord, elle doit aussi se taire de l'intérieur .
Je vais dormir, mais j'ai si peur de me réveiller en poussière.
Tais toi .
Je me tais ...*
Il s'écoula bien deux heures encore, avant que cet endroit sombre , froid, baigné de silence, ne s'anime enfin un petit peu .
Deux hommes firent leurs apparitions, l'un avec de fermes convictions, à la recherche d'un disparu, l'autre, aussi tranquille et agile que les esprits de ces lieux saints, filant le premier.
Puis, ils approchèrent .
''...Mirage ? ''
Le corps de Mirage fit un mouvement brusque, et, dans un hoquet de surprise, cracha du sang et de la bave . Une faible lueur semblait provenir de la direction d'où provenait le faible son de la voix, bien que celle ci restait non identifiable .
Le corps, non sans difficulté, ordonna à ses pauvres yeux désormais d'un blanc laiteux, de s'ouvrir. Malgré tout, la lueur ne s'intensifia pas plus, et le noir demeura toujours aussi harmonieux, comme indestructible .
Il fallait qu'il demande à ses lèvres de s'écarter un tout petit peu, sans que le dernier litre de sang ne s'écoule encore plus vite.
- Qui ? ...Est ...Qui ? … là ?
C'était miraculeux, mais il était encore doté d'une fonction comme la prise de parole . Mais ce n'était qu'une question de temps, encore une fois . Un corps dépourvu d'esprit , ne pouvait perdurer bien longtemps dans un domaine aussi immense et compliqué que celui des mots et de la parole .
D'ailleurs, il n'était même pas sûr de savoir encore ce que voulait signifier une simple phrase comme ''Qui est là ?'' ….