Posté le 18/04/2013 15:03
Le bateau tanguait au rythme des vagues toutes plus violentes les unes que les autres. Chacune semblait effilée comme un rasoir et entaillait la coque de part en part. Ce n'étaient plus des trous ou des fissures qui se formèrent mais bien des ouvertures béantes dans le bois paraissant pourtant si solide. Les craquements incessants, les échardes venant se greffer dans les épidermes de chaque passager, le bruit de l'eau qui s'écoulait dans la cale... Tout était insupportable. Des cris retentissaient dans toute la mer, déchaînée comme jamais cette nuit-là. Qu'avaient-ils fait pour que les dieux déversent ainsi leur colère ? Était-ce le prix de la curiosité des explorateurs ? Plus une voile n'était en état décent. Même l'un des trois mâts semblait avoir complètement disparu. La foudre s'abattit, les vents hurlèrent, les vagues dansèrent et le bateau dériva. Chaque marin chantait sa propre miséricorde avant de passer par-dessus bord, volontairement ou non, s'il n'était pas assomé par les tangages intempestifs.
L'enfant voyait ses parents dans l'eau. Ses petites jambes frêles tremblaient, mais il osa s'avancer jusqu'à l'ouverture de la cale causée par la tempête. Sa mère lui avait pourtant fait jurer de ne pas bouger de ce tonneau, mais il ne suivit finalement pas ce conseil. Les deux parents se noyaient, bousculés par les vagues qui ne laissaient pas le moindre instant de répit, pas le moindre souffle. Et quand enfin ils purent ouvrir la bouche pour inspirer, déjà leurs corps sombraient dans l'océan. Le gamin pleurait, au bord du gouffre entre le bateau et la mer, entre la vie et la mort. Agrippé à cette épaisse corde pour ne point chuter lui aussi, il crispa ses yeux d'où coulaient d'abondantes larmes, ajoutant encore plus d'eau à ce désastre naturel. Son coeur se serra dans sa poitrine.
Il lâcha le cordage et sauta dans le vide.
Le saut semblait durer une infinité de secondes. Le temps lui-même aurait ralenti sa course effrenée pour faire sadiquement profiter au garçon de sa chute mortelle. Ses frusques trempées l'alourdissant d'autant plus, il fut bercé d'une incompréhension indicible. Sa chemise de lin trop grande pour lui s'évapora comme par magie. Des mèches blondes vinrent rencontrer le haut de ses yeux, et il vit également son corps grandir subitement. Des vêtements inconnus alors firent leur apparition sur lui : ceux de la cavalerie royale de Londëyanta. Puis l'eau. Uniquement l'eau. Sombre et étouffante. Ses parents s'éloignaient à vue d'oeil vers les abysses, mais il nageait, les suivant du mieux qu'il le put.
Hélas, ses géniteurs semblaient plus rapides que lui, alors même qu'ils étaient inconscients. Le blondinet avait même l'impression de reculer, usant pourtant de toutes ses forces pour parvenir à son objectif. Il tendait les bras pour les attraper, en vain.
Sa famille disparut sous ses yeux, tandis qu'il s'enfonçait encore et encore... Jusqu'à ce que ses yeux ne se ferment également.
Du noir omniprésent découlait une fine lumière immaculée. Celle-ci augmenta en intensité jusqu'à masquer toute forme d'obscurité. Le garçon, du haut de ses vingt-deux printemps, voyait une fois encore son arme de prédilection apparaître devant ses yeux meurtris, rougis. L'aiguille vint se ficher sur le septième chiffre du cadran figurant en guise de garde pour l'épée. La moitié de son chemin venait d'être dépassée pour le tour complet. Un grand fracas survint ensuite, comme une immense cloche que quelqu'un aurait sonnée. Puis tout redevint noir à nouveau. Deux silhouettes s'avançaient faiblement vers le blond. Les bruits de pas lents, saccadés, irréguliers, laissait deviner que ces personnes devaient boîter. On pouvait aussi entendre comme des clapotis d'eau à chaque pas qu'ils effectuaient, comme s'ils marchaient dans des flaques. Une fois arrivés à hauteur du garçon, les deux voix appelèrent.
[spoiler]Petit fond sonore.
[/spoiler]
"Endë... En... dë."
Tout était encore trop noir pour qu'il puisse distinguer clairement les deux visages à présent bien proches de lui. Mais le "paysage" se métamorphosa une fois encore. De nouveau, le garçon se retrouvait sur le bateau, ou du moins, ce qu'il en restait avant qu'il ne dérive complètement pour finir en épave dans le sable. La carcasse du navire de son père, le Tirmo Arta, encore secoué par la tempête et la colère des dieux de l'océan. À présent qu'il faisait plus clair, les deux silhouettes auparavant indiscernables dévoilèrent enfin leurs faces.
Alors, le visage de l'orphelin fut tiré par des traits horrifiants. La terreur se lisait sur son visage, comme jamais l'on ne puis la lire. Ses deux parents lui faisaient face, décharnés, littéralement pourris et décomposés. Leurs visages étaient indescriptiblement immondes, des visages morts, pétrifiés.
"Pourquoi... pourquoi nous as-tu abandonnés... Endë... ?
Il se réveilla.
Son coeur palpitait affreusement et il était en sueurs. Sa respiration avait brutalement accéléré et ses vêtements semblaient coller sa peau. Jamais de sa vie il ne fut mal à l'aise à ce point. Ce n'était qu'un cauchemar, mais il semblait si réel pour le Londëyantien.
Comment avait-il fait pour s'endormir au pied d'un arbre dans le cimetière ? Et pourquoi s'était-il rendu ici, déjà ?
Endë se releva, non sans difficultés en se tenant au vieil arbre. Une fois sur ses jambes qui le soutenaient miraculeusement, il épousseta ses frusques. L'air ambiant ne le rassura guère, et peut-être le fait de s'être assoupi ici-même était la cause de ce rêve des plus glauques. Des morts partout... il fallait quitter cet endroit au plus vite ou bien le pauvre bougre finirait dans un état pire encore. Effectuant quelques pas dans ces feuilles rousses qui l'entouraient, il s'arrêta un instant pour prendre une grande inspiration. L'heure était déjà bien tardive au vu du coucher de soleil sur le Mont du Péril. Que faisait-il ici déjà ? Une réponse que son amnésie n'allait certainement pas trouver pour lui.