Posté le 30/06/2012 19:07
Du coin de l’œil, Orpheos regarda la main droite de Llanistar se porter sur sa maigre épaule. Le chancelier n’était pas très tactile, et de ce fait, appréciait peu lorsque les gens le touchaient. Surtout si familièrement. Mais pour une raison qui lui échappait, car trop enivré, il ne songea pas à demander au nordique de retirer cette main complice. Il écouta même avec attention -ou bien le plus possible- ce qu’il avait à lui dire.
-Je suis venu parce que personne dans ce château et à cette cour ne peut rien pour vous aider. Vous n'avez pas besoin d'un morceau de musique, qu'on apporte un thé ou qu'on vous récite ce que vous aurez à faire demain. Vous avez besoin de quelqu'un avec qui partager ces heures difficiles. Je suis là pour ça.
Orpheos tiqua par un léger froncement de sourcil. Il doutait que quelqu’un puisse lui venir en aide dans sa présente dépression, actuellement. Et il était, de toute façon, solitaire dans l’âme. Mais d’un autre côté, se sentir aidé lui faisait chaud au cœur. Aidé, il l’avait été plusieurs fois, par plusieurs personnes… En repensant à Zelda, il baissa le regard.
-Orpheos, ne baissez pas les yeux. Je n'ai aucune raison de vous mépriser. Après ce que j'ai vécu, j'ai fui lâchement, j'ai trouvé comme vous refuge dans l'alcool et il m'a fallu entendre l'appel d'une jeune souveraine désespérée pour en sortir complétement. Le mépris est l'arme des imbéciles et des égoïstes. L'arme de ceux qui sont incapables d'aider les autres. Moi, j'ai envie de vous aider. Vous m'avez sauvé de la mort à la citadelle. Vous avez été capable d'un grand exploit là bas contre ce spectre. Ne soyez pas trop rude envers vous, Orpheos. A mes yeux, vous êtes un héros.
Orpheos tiqua une seconde fois, mais par une expression de mépris cette fois. Le mépris était justement une arme pour lui. Pas le mépris pour autrui… mais celui qu’il avait pour lui-même. Avec cette arme-là, il se complaisait presque dans une auto-torture perpétuelle.
A l’heure actuelle, il se méprisait pour ne rien avoir vu venir. Il se méprisait pour avoir foncé si aveuglément dans le combat, alors qu’il y’avait trahison en couvée. Tout ce qu’il avait fait dans la citadelle noire ne servirait à rien, à part l’emmener dans les ténèbres…
Il contempla Llanistar déguster son verre avec difficulté ; apparemment, NuttyK planquait quelques trésors d’ivresse sous son comptoir, au vu du teint un peu plus coloré du nordique, qui venait de se dévêtir un peu. Les yeux verts du musicien s’attardèrent, malgré eux, sur la parcelle de peau qu’ils voyaient entre les plis de sa chemise en lin noir…
-Je ne suis certainement pas un héros… murmura Orpheos d’une voix dure, son attention recentrée sur son verre. Si j’en étais un, j’aurais ramené le prince au château. Je vous ai sauvé des Ombres sans savoir ce que je faisais, et je n’ai même pas combattu le spectre du roi Gérudo. Je n’ai strictement rien fait qui puisse me faire qualifier de héros.
Orpheos ne parlait volontairement pas des Ombres. Ce qui s’était passé dans les ténèbres, ce jour-là, devait rester secret…
-Vous disiez qu’à Hyrule, la Culture peut se permettre de dire ce qu’elle veut à la Couronne… Mais il y’a trois jours, devant la princesse Zelda, je n’ai pas parlé en tant que dignitaire, mais en tant qu’ami fidèle. Ne pas dire ce que je pense à Zelda revient à trahir mon devoir d’amitié envers elle, et je ne l’accepte pas. D’ailleurs, je suis venu à la citadelle Gérudo par ce devoir, mais aussi en tant que Sheikah, et en tant que soldat de l’ombre totalement dévoué à la cause royale… Aux yeux de la Couronne, je suis un serviteur armé, un troubadour, un vagabond, un ami ; tout, sauf un bête dignitaire de la Culture qui doit s’écraser dans le silence.
A dire vrai, Orpheos ne se sentait pas plus digne du titre de chancelier, donné par Zelda, que du titre de héros donné par Llanistar… Le Sheikah porta son verre au bout de ses lèvres, mais l’odeur du liquide semblable au magma le révulsa, et lui donna envie de vomir. Cette boisson lui retirerait, certainement, toute sobriété dès qu’il l’accepterait.
-Je me souviens de votre histoire, Rusadir… évoqua le musicien en dévisageant l’étranger. C’est sans doute pour cela que je vous laisse aborder le sujet de la trahison du prince, que je prends à titre personnel, avec moi…
Un client voisin lança un regard appuyé au musicien.
-Sachez que je ne vous jugerai toujours pas pour vos actes passés… Quand on a connaissance des miens, on peut encore moins me qualifier de héros… et surtout pas se sentir redevable envers moi. Si c’est cela qui vous amène ici, parce que je vous ai "accidentellement" sauvé, vous pouvez m’oublier et repartir la conscience en paix. Sinon, je vous autorise à rester avec moi.
Cette petite pique sans méchanceté envoyée, Orpheos se décida enfin à prendre une gorgée de son verre… pour manquer de la recracher. C’était infâme ! Mais c’était offert. Alors le Sheikah fit mine de bien accuser le coup, en se concentrant sur le regard gris de Llanistar. Puis sur son visage. Celui que pouvait avoir un général fier et autoritaire ; anguleux, sévère, mais qu’Orpheos trouvait plaisir à explorer. En fait, il s’apercevait qu’il se sentait bien avec cet homme, et c’était une chose qui n’était pas arrivée depuis bien longtemps. L’alcool devait beaucoup l’aider, car il aurait même presque voulu que Llanistar le touche de nouveau.