Posté le 26/04/2014 15:55
Il n'avait pas manqué de remarquer que cette petite perle aux joues désormais aussi rougies que ne pouvaient l'être ses cheveux avait tâché de se faire plus présentable quand son propre regard s'était aventuré sur l'univers qui les entouraient. La main de Malon était aller chercher le corset pour tenter maladroitement de cacher la vulgarité qu'il lui donnait. Un caractère de tout évidence recherché par les lieux. Et après que son amie se soit éloignée, il s'accorda un instant de plus pour observer tout ce qui pouvait se dérouler, dans les moindres recoins de cette taverne aux relents plus croupis que ne l'étaient les marais du Bois-Cascade.
Sa main gauche - encore propre de toute trace de sang - gagna la droite, tandis que son dos venait se reposer contre le bar. Ça et là, d'autres filles vêtues de la même façon que ne l'était la rouquine dansaient sur les tables et laissaient des vieillards comme des plus jeunes se rincer l’œil. Parfois, un doyen plus confiant que les autres se laissait aller à une tape sur la croupe, qui manifestement faisait plus de mal qu'elle ne faisait de bien. Parfois ? Souvent. Et toujours dans l'indifférence la plus totale, tant et si bien qu'en prêtant un peu plus d'attention qu'il n'avait pu le faire en entrant ; mu par la fatigue, et après avoir retrouvé Malon, il réalisa que certaines gardaient des marques violacées de leurs dernières prestations. Son poing se serra, alors même qu'il tâchait de faire pression sur la plaie qui laissait s'écouler une à une d'intenses goutte vermeil.
Son regard balaya encore les sombres alcôves de cette maison de joie déguisée en auberge. Le dégoût le saisit aux tripes. Il n'avait, certes, rien à voir avec celui qui l'avait jeté à genoux dans la Grand-Salle de la Citadelle Noire, pour autant il le sentait à nouveau sur sa langue. Sur son visage se brossait une discrète fresque qui témoignait autant de ce sentiment d'injustice qui le gagnait que de la colère qu'il générait. Et s'il n'acceptait pas que Malon ait à affronter de pareilles conditions, son cœur lui dictait de tout mettre en oeuvre pour tirer l'intégralité des âmes perdues de ce taudis. Sans doute était-il encore bien trop naïf, mais l'Hylien n'avait toujours pas saisi que jamais il ne pourrait sauver l'ensemble du monde — ou refusait de le comprendre. Fut-il seul ou accompagné comme la situation semblait se dessiner au fur et à mesure de ses pérégrinations, cela resterait toujours un objectif aussi fantasmé qu’inatteignable. Et vraisemblablement le premier et le plus primordial des piliers de la culpabilité et de la honte qui pesait sur son l'ensemble de son être. Il avait beau le savoir et en avoir conscience, en son for intérieur, il désespérait de ne pouvoir pas les sauver.
Aussi se contenta-t-il, plutôt que de tirer l'acier et de faire chanter l'épée, d'attendre. Simplement patienter jusqu'à ce que Flamboyante lui revienne à nouveau, comme elle l'avait annoncé. Il ferma les yeux, l'espace d'un instant, se rappelant doucement l'odeur de ses cheveux ou le contact apaisant de son doigt sur ses lèvres, alors qu'elle lui intimait délicatement le silence. Et se faisant, il tendait d'autant plus l'oreille, comme pour ne pas en manquer une miette de ce qu'il pouvait se dire. Dérisoire, indéniablement, et davantage encore puisque l'ensemble des sons lui parvenaient à peine amplifiés, mais autrement plus confus, de telle sorte qu'il aurait été incapable de dire d'où venait quoique ce soit. Sans doute aurait-il pu être le client parfait pour un larcin, si jamais il avait possédé quelque chose de plus qu'une lame céleste, une tunique de maille, une autre d’étoffe, un bonnet et une paire de botte de cuir bouilli. Là dessus, le tenancier avait vu juste : il était sans le sou, et avait toujours (ou presque) vécu de la sorte.
Malon finit par repasser le battant qui menait à l'étage vers lequel elle s'était engouffrée précédemment. Dès lors, et en relevant les voiles qu'il avait jeté sur ses pupilles, le vagabond s'arracha au bois contre lequel il avait calé son dos. Le visage de la jeune femme parvint à lui tirer un sourire, chassant au loin la mauvaise humeur qui semblait s'être ancrée sur son visage, comme le courant et les vagues parviennent à charrier jusqu'aux plus grosses épaves. Mais à peine sa main avait-elle rejoint la sienne que la lourde voix qui les avait séparer plus tôt s'élevait à nouveau. Ses yeux plus froids que le givre lui même dardèrent l'aubergiste, qui se contenta d'un regard en biais à un autre homme. Et tandis que Flamboyante s'éloignait de nouveau, une brute venait prendre sa place, une choppe à moitié pleine en main, et une hache à la ceinture. De fer plus que d'acier, sans doute, mais assez large pour lui séparer le crane en deux, après avoir creusé une faille de son front à son menton.
"T'as-tu dont pas entendu ?" Cracha l'homme. Le Sans-Lignage garda le silence, comme cela lui arrivait régulièrement, non sans lever les yeux pour venir soutenir la lueur de folie qui courait dans ceux du petit colosse. Il avait déjà croisé le fer avec des mastodontes bien plus impressionnants. Un hache-viande devait faire près de deux têtes de plus, et il n'avait aucun doute sur le fait que les Gorons maîtrisaient plus redoutablement le crochet du droit que ne le faisait cet homme de main. « T'es-tu sourd ?! J'vais te laver les oreilles ! »
La pinte de terre cuite vola en éclat, alors que l'Hylien se courbait, la tempe dévastée par la cervoise chaude, les éclats et la douleur. Qu'importait, de toute façon ? Il n'avait jamais eu l'occasion d'attendre l'aube avant d'aller retrouver son amie. Son premier réflexe, malgré la confusion dans laquelle il était, consista à se saisir d'une lame posée sur une table pour déchirer le fil de la ceinture qui tenait la hachette. Et quand la main de son adversaire tâcha de gagner cette dernière, elle s'était déjà écrasé sur le sol avec fracas. Il arma alors son poing, tandis que l'Enfant-des-Bois peinait à se hisser de nouveau sur ses deux jambes, l'équilibre troublé par le sang et l'alcool qui poissaient tout un pan de son faciès. Quand le coup arriva, il lui semblait qu'on lui emboutissait l'épaule.
Et sitôt que cette nouvelle peine le ramenait sur terre, ses deux mains vinrent se saisir du poignet ennemi. Profitant de la force de celui qui s'était rué sur lui, Link monta son pied jusqu'au foie. Et quand l'homme fut courbé en deux, son talon frappa au genou, de manière à le jeter au sol.
Contrairement à d'autres, il ne prit pas le temps d'épousseter. Son regard se posa sur Malon, et il tendit la main vers elle, pour l'inviter à le rejoindre. « Viens... — » Souffla-t-il, un peu haletant. «On y va. Pas ce soir, pas demain matin. Maintenant. » Sa main restait tendue, exhortant Flamboyante à venir l'attraper. Et si le silence s'était fait soudainement, son regard à l'exception de tous les autres, restait fixé sur la douce.