Vlad était perturbé. Il n'arrêtait pas de se retourner dans son lit malgré la fatigue accumulée au cours de cette journée assez extraordinaire. Il n'arrivait pas à trouver le sommeil. Il décida de se lever d'un bond et de redescendre, bien lui en a pris ! Vlad découvrit avec stupéfaction que Lana était en pleine discussion avec la bande aux habits sombres, vêtus de capes à capuche. Ces quatre individus étaient les seuls à ne pas s'être levés dans l’assistance au moment du triomphe de Lana et de Vlad sur scène au son des hourras de la foule déchaînée.
Vlad voyait cette situation d'un mauvais œil. Il n'appréciait pas trop que Lana soit laissée seule avec des personnes qui n'inspiraient pas confiance. Même si le personnel de l'auberge était toujours présent à s'affairer en cuisine et à astiquer des verres derrière le comptoir, Vlad remarquait avec une vive inquiétude qu'il n'y avait plus de clients vu l'heure avancée dans la nuit dans la grande salle...
Vlad s'approcha de la table. Il était sur la défensive et restait très méfiant vis-à-vis de ces quatre individus qui ne lui inspiraient aucune confiance. Il guettait le moindre de leurs faits et gestes. Vlad se tenait prêt à réagir et à bondir s'il le fallait pour défendre la vie de Lana et la sienne. La sensation qu'il éprouvait alors était pire que le trac qu'il avait expérimenté si violemment lors de ses plus importantes représentations. Vlad était presque ailleurs. Il n'eut pas de difficultés à se mêler à la discussion. Il répondait presque mécaniquement. Vlad tâchait de ne pas froisser ces interlocuteurs nocturnes. Même si la lueur des bougies faiblissait, Vlad parvint à mieux cerner les traits de ces quatre aventuriers de la nuit. Un colosse rouquin aux muscles saillants n'avait d'yeux que pour Lana. Il la dévorait du regard ce qui mettait Vlad très mal à l'aise et fit naître chez le saltimbanque un grand sentiment de dégoût et de rage vis-à-vis de cette troupe iconoclaste. A leur contact depuis plusieurs instants, ses craintes semblaient justifiées.
Ce géant qui avait tout l'air d'une brute passait ses mains de temps à autres sous les effets de l'alcool dans sa crinière de tresses épaisses et rousses. Sa capuche sur ses épaules, son armure légère dévoilait des bras impressionnants et des gantelets de cuir préservaient d'énormes pognes qui manquaient de briser la chope de breuvage alcoolisé que s'enfilait ce soudard patibulaire.
Un être un peu plus chétif se tenait à côté de l'ivrogne rouquin, une cape marron avec un motif jaune et rouge sur le plastron, recouvrait les épaules et la tête de ce deuxième individu de la troupe. Vlad avait du mal à distinguer le visage de la personne en question. Vlad n'avait pas bu beaucoup ce soir mais il lui semblait telle une hallucination que les yeux, de couleur jaune, de la personne en question scintillaient, à travers la pénombre de l'auberge au beau milieu de l'ombre portée de la capuche. Cette vision glaça le sang de Vlad. Il s'empressa de détourner le regard vers le troisième membre de la troupe qui s’empiffrait de viande en mangeant bruyamment. Cet être dodu à la barbe bien fournie semblait passer un bon moment au sein de l'auberge et prendre un malin plaisir à se sustenter de la sorte à une heure aussi avancée de la nuit. Il riait fort et ne se privait pas d'éructer. Les bracelets de force de l'homme semblaient dénoter une forte propension chez cet individu à se battre. En buvant le jus de son écuelle, il retira sa capuche et c'est alors que Vlad découvrit avec stupeur que l'homme portait un cache-œil sur la partie gauche de son visage ! Encore une preuve flagrante pour Vlad du danger que court Lana auprès de ces individus louches !
C'est alors que Vlad sentit un parfum enivrant. Le quatrième membre de cette assemblée de mercenaires aux yeux de Vlad s'était rapproché de lui. La personne en question s'était positionnée derrière Vlad et commença, à son plus grand étonnement, à lui masser les épaules et le cou. Une voix féminine et charmeuse conseilla au saltimbanque de se détendre. Vlad fit volte-face et fut alors très déstabilisé. Derrière la capuche sombre similaire à celle du rouquin et du gros mangeur, Vlad découvrit des yeux de braise, perçants. La jeune femme avait la peau sombre. Une sublime bande de tissu mauve brodée d'or masquait le visage de cette créature de rêve, véritable diablesse pour Vlad. Une gerudo ici, c'était définitivement le signe que Lana et lui couraient un grand danger pour le saltimbanque averti.
Il fallait trouver un moyen de s'extirper de cette situation sans encombre. Vlad prétexta une entrevue matinale avec l'homme qui avait eu la gentillesse de les accueillir avec bienveillance au sein de la troupe, le faux bourreau, suite aux résultats du concours sur la place publique du village. Il entraîna avec lui Lana. Vlad souhaita une bonne nuit à Lana et lui conseilla d'être très vigilante à l'avenir avec ces quatre sinistres aventuriers. Il confia une dague à la magicienne pour la nuit - question de sécurité - , c'était l'un des couteaux de lancer de Vlad le plus aiguisé ! Vlad retourna dans sa chambre et put dormir apaisé, heureux d'avoir pu extraire Lana des griffes de ces personnages peu recommandables sans avoir eu à verser la moindre goutte de sang.
Lana et Vlad le lendemain eurent le temps de s'évader de l'auberge sans croiser la troupe d'étranges voyageurs. Vlad n'en démordait pas. L'intrusion de ces personnes dans le cocon qu'il avait réussi à établir et à regagner grâce à Lana et aux faux bourreau qui aidait de nombreux saltimbanques itinérants à se produire dans cette échoppe de Cocorico qui sert une grande variété de mets savoureux et de breuvages traditionnels était un très mauvais présage.
Durant toute cette nouvelle journée et en prévision d'une deuxième soirée pour la représentation de Lana, Vlad fit un tour chez le forgeron et l'apothicaire. Il fit aiguiser ses lames et ses armes de lancer et fit le plein de potions. Vlad ayant un très mauvais pressentiment, qu'il avait lu dans les pupilles sombres de la gerudo la veille en pleine nuit, rendit le forgeron fou de bonheur qui s'en caressait la moustache de contentement. Le saltimbanque utilisa la quasi totalité de ses économies glanées lors de multiples représentations ces dernières années pour acquérir un fléau d'armes. Lui qui n'était pas très grégaire sentait le besoin de se défendre face à cette menace indicible qui l'avait tétanisée au contact des quatre mercenaires menaçants. Vlad empaqueta les nombreuses fioles et l'arme impressionnante dans un baluchon qu'il traînait à bout de bras.
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Le soir, Vlad avec son paquetage à ses pieds était confortablement accoudé au bar et se commandait de la nourriture. Vlad dos à la scène s'adressait au tenancier. Il ne put découvrir l'odieux ménage qui se tramait sur les planches. Lana qui saluait la foule, toute excitée pour sa deuxième représentation, ne vit pas les quatre silhouettes s'approcher d'elle dans son dos. La foule toujours en transe croyait à un effet de mise en scène. La gerudo perfide se saisit alors de Lana par derrière. Elle sortit un coutelas dentelé très aiguisé. La pauvre Lana était paralysée par la terreur. Ses pouvoirs magiques risquaient de ne pas pouvoir la sauver des tenailles de ces perfides mercenaires.
La tentatrice Gerudo rapprochait dangereusement sa lame du visage de la pauvre Lana. La magicienne pleurait et perdait tous ses moyens. Son seul recours, faire appel à son compagnon d'infortune. D'un cri strident elle prononça le nom du saltimbanque. Vlad lâcha à cet instant la chope qu'il tenait dans la main.
"
Trop tard ma jeune enfant ! Ton protecteur est bien trop loin ! Tu vas souffrir ! Hihihihi Ah-ah-ah-ah-ah",
s'écria la gerudo d'un rire macabre.
Vlad se retourna et ne put retenir ses larmes face au spectacle insoutenable qui se tenait devant ses yeux. Lana était à la merci de ces quatre odieux personnages qui avaient croisés leur route.
"
Tiens bon Lana, j'arrive ! Je vais transformer nos larmes communes en rivière de sang pour eux, je te le promets petite magicienne ! Tremblez infâmes vagabonds ! Vous allez mordre la poussière ! Ce sont d'ignobles individus comme vous qui ont enlevé la vie de mon maître Borum."
Vlad retira sa cape, sa crinière de cheveux m-long flottait au vent, il se tint prêt à se saisir de ses couteaux de lancer, positionna le fléau d'armes à sa taille et se rua sur la scène en poussant un cri de rage, les larmes perlaient sur ses joues.