Eau trouble et vin de vie

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(vide)

Le tissu avait ce goût fade qu'avait parfois le mauvais pain. Serrant un peu plus les dents, il décida de ne pas y prêter attention. C'était bien la dixième fois qu'il mordait la bande de lin aussi fort qu'il le pouvait, et pourtant, il ne parvenait toujours pas à ignorer tout à fait le fumet si profondément absent de l'étoffe. Sans un mot – après tout, il est difficile de parler et de grincer des dents en même temps –, l'Hylien tira sur la deuxième extrémité de la bandelette, pour serrer le bandage qu'il tentait tant bien que mal d'appliquer sur son bras. S'il avait réussi à capturer la première des Lionnes de Ganondorf, il en avait néanmoins payé le prix. Son poignet droit avait été brisé lors de la chute d'une des masures, tandis que son genou avait été sévèrement malmené au long du combat. Bien qu'il n'était plus rouge de sang comme auparavant il continuait à lui tirer quelques grimaces, en dépit du fait que le combat avait pris fin depuis ce qui lui semblait être une éternité. Les Dragmires, défaits, avaient sonné la retraite bien plus tôt. La fuite s'était avérée aussi complexe que désordonnée, et pour la première fois, la victoire semblait sourire aux Gens-Libres.

Grognant doucement, l'Enfant-des-Bois acheva de changer les pansements qu'il avait posé plus tôt dans la soirée. Après les premiers points de pression et l'arrêt du saignement, il avait pris le temps de nettoyer les plaies que Swann et son animal avaient su lui laisser. Il poussa un profond soupir, tandis que ses doigts courraient le long des trois plaies qui marquaient sa joue, dorénavant. Son regard gagna le pavois de Belle, sans qui l'affrontement aurait été plus compliqué encore. Sans rien ajouter, il la remercia. Le silence qui pesait sur l'auberge trahissait l'humeur des villageois et des natifs de Cocorico. S'ils avaient su l'emporter ce soir, leur consécration avait été couteuse et nul ne l'ignorait. Des cadavres jonchaient les rues, et près d'un tiers de la cité d'Impa s'était effondré sous le poids des flammes. Un second soupir sépara ses lèvres, cailloutées de sang durci, çà et là. D'un pas mal-assuré, le blond s'avança vers le baquet de bois, au centre de la chambre que l'aubergiste avait tenu à lui offrir pour la nuit. Sans aller jusqu'à verrouiller la porte (le tenancier avait annoncé qu'il lui ferait monter un pichet de vin, un peu d'eau fraiche et quelques tranches de viande séchée), il s'était assuré qu'elle était fermée avant de changer ses compresses.

Le Héros se glissa dans le bain, un certain sentiment de culpabilité chevillé au corps. L'eau chaude ne tarda guère à l'enlacer d'une douce caresse ; apaisante et agréable, tandis que bien des gens continuaient de mener bataille sur un front qu'il avait déserté après sa victoire sur le Cygne Noir. Malgré la température, il frissonna, à la fois incapable de se résoudre à sortir et conscient que tant d'autres ne jouissaient pas du plaisir simple qu'était le sien. Il ferma les yeux, comme pour chasser les images des blessés et des mourants qui envahissaient son esprit dès lors qu'il s'accordait le moindre repos. « Tu ne pourra pas tous les sauver. Tu n'a jamais su le faire et personne ne le pourra jamais. C'est bien trop lourde responsabilité pour les épaules d'un seul homme. » Il leva la main vers la voute, cherchant naïvement à attraper ce ciel qui l'avait toujours attiré, prenant doucement conscience du silence qui l'entourait. Un peu auparavant les bruits lui parvenaient encore de la salle au rez-de-chaussée. Désormais, il réalisait à quel point un peu d'eau chaude dans une cuvette parvenait à l'arracher à bien des problèmes, l'espace d'un instant. Détendant un peu ses jambes, il recala son dos contre le bois. La jale était rustique, sans doute trop dur pour pouvoir véritablement se détendre, mais il s'en contentait plus que de raison. Sa dague sommeillait à portée de main, bien évidemment, mais l'Hylien se laissait peu à peu emporter par ce qu'il croyait presque être le courant.

Le tenancier finit par monter, apportant un large plateau de bois, sur lequel s'entassaient quelques charcuteries, les deux pichets promis et un canif. « V'la pour vous, m'ssire. », lança humblement l'aubergiste en déposant l'assiette près de l'unique tabouret qui meublait la pièce. « J'y sais bien que c'est pas tant, mais eul'village est un peu faible en ressources ces jours-ci... », grommela-t-il, l'air gêné, en caressant nerveusement son crâne dégarni et luisant de sueur. De toute évidence, les événements marquaient l'homme au moins aussi bien qu'un tison de fer chauffé à blanc et sa propre présence l'intimidait. « Merci, » souffla Link, avant de reprendre, cherchant distraitement le regard du tavernier, « en parlant du village... — » La question demeura en suspens, mais le tenancier savait de quoi il parlait. Les énormes mains du mastroquet partirent chercher son tablier, tâché de gras, de sang et de suie, avant de le tordre et de le molester sans ménagement. « Pas beaucoup plus à dire qu'avant m'seigneur..., le blond le corrigea d'un mouvement de la tête, m'sieur, alors. La situation a pas tant changé. Eul'Dragon est mort. C'est-y pas vous qui l'auriez tué, des fois ? » Le vagabond lui signifia que non en silence, hochant simplement de la tête. La lueur d'espoir qui illuminait le visage de l'aubergiste sembla s'atténuer un peu. « Ah... », siffla-t-il simplement, avant de reprendre. « Les gens continuent à déblayer ce qu'ils peuvent et on a, comme qui dirait, terminé de retrouver les blessés. Enfin on dirait bien. J'y vous dirais si on apprend quelque chose de neuf... Ma fille m'attend en bas. » Une nouvelle fois, l'Hylien remercia son hôte, qui quitta la chambre sans demander son reste. La porte de bois se referma de nouveau, laissant le bretteur seul avec lui même.

Bougeant à nouveau dans son bain, Link pesta en silence contre cette solitude qu'il ne souhaitait pas endurer ce soir-là. Contre cette solitude, mais également contre lui-même : jadis, il pouvait passer des semaines entières sans s'en plaindre, sans s'en soucier. Et pourtant ce soir... « Est-ce que tu... — », se surprit-il à penser, tandis que son regard se perdait entre les fétus de chaume qui formaient le toit de la bicoque. « N'y pense même pas ! », se corrigea-t-il mentalement avec une véhémence presque physique. « La pauvre ne tient pas debout... » Secouant la tête comme un chien mouillé, l'Oublié de Farore tenta de chasser les images de Flora qui venaient l'assaillir. En cherchant après les blessés, il l'avait retrouvée fiévreuse, sur l'un des nombreux lit de morts réquisitionnés pour installer les plus mal en point. Mu par l'inquiétude et par la compassion, il avait finalement offert à l'enfant ce qu'elle avait toujours réclamé et espérant lui porter chance autant que l'encourager, c'est un baiser timide (mais un baiser tout de même) qu'il avait déposé sur les lèvres de l'aveugle. A présent qu'il se retrouvait seul dans un bain presque trop chaud, il ne pouvait pas s'empêcher de repenser aux avances de la Prêtresse. « Peste ! — » Siffla-t-il, agacé de ne pas parvenir à s'ôter les images de la tête. Il soupira, avant de laisser sa nuque reposer contre le bois, à la recherche d'un réconfort qu'il peinait à trouver.

Ses pensées ne tardèrent pas à vagabonder vers Belle. Après tout, c'est elle qu'il cherchait, parmi les blessés et les combattants, une boule au ventre comme il en n'en avait eu que deux fois auparavant. Il savait Malon en sécurité, mais il n'avait su s'abstenir de craindre pour l'Édile de Nayru. Fermant le poing sans même s'en rendre compte, Link se laissa aller à un dernier soupir. Ne pas retrouver Zelda à Cocorico avait été un véritable soulagement : elle était très certainement prisonnière d'une des tours de pierre du Castel, protégée par une myriade de gardes disposés par Llanistar. De quoi le rassurer, certainement, mais pourtant il n'avait pas pu s'empêcher de nourrir quelques espoirs. Tout aussi stupide que s'était révélé l'héroïsme de la Princesse à la Forteresse, il aurait voulu la revoir. La serrer contre lui, dans ses bras. Les quelques remous du bain ramenèrent de l'eau jusqu'à ses clavicules. « Pauvre idiot... » Murmura-t-il, peinant à ne pas rougir devant les images qu'il imaginait. Dieu, que la nuit lui semblait longue. Déjà.


Llanistar van Rusadir


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(vide)

« C'est fini, ser. Il est mort. »

Llanistar relâcha brusquement la poutre qu'il s'efforçait de maintenir au dessus du sol, laquelle retomba sur le corps sans vie, et le sol couvert de décombres. Le nuage de poussière soulevé alors fut tel que le général et le médecin durent s'écarter d'un bon mètre pour ne pas étouffer. Le regard las, ils observaient autour d'eux à la recherche d'un indice, d'une trace d'un rescapé miraculeux. Cependant d'heure en heure les chances de sauver des vies flétrissaient, et leur recherche devenait désespérée, presque mécanique.
En vérité, cela faisait deux heures que Llanistar n'avait tiré personne d'une maison effondrée ou d'un glissement de terrain provoqué par le roi dodongo. Le début de l'opération lui avait donné des attentes trop optimistes. Il se remémora le visage terrifié de cette petite fille dont il avait entendu les cris, dans la cave d'une demeure à la toiture écroulée jusqu'au rez de chaussée. L'enfant avait fini par retrouver un oncle, mais pas ses parents.
La voix du médecin effaça de son esprit les lamentations de la gamine,


« Ser, là. »

Llanistar s'approcha de son acolyte pour constater qu'il avait peut être vu juste. Au premier étage d'une maison, la charpente d'un toit, en s'effondrant, avait réussi à arrêter une grande partie des pans de murs qui causaient la plupart des morts. Impossible de voir clairement du sol mais il y avait des chances. Le général monta alors sur un tas de gravats et se hissa au niveau supérieur de la demeure. Là, il replaça le foulard sur sa bouche et son nez, afin de ne pas trop respirer de poussière et de cendres, et progressa en écartant les obstacles avec précaution pour ne pas provoquer de nouvel effondrement.
Il vit alors une jeune femme prostrée sur le sol, qui semblait tenir quelque chose contre son ventre. En se penchant sur elle, il vit qu'elle avait reçu un coup violent au crâne, sa chevelure étant tâché de sang. C'était fini pour elle.


« Sang dieux. La fosse ne saura pas les contenir. »

Mais au moment où il allait prendre le cadavre dans ses bras afin de la faire mener à sa dernière demeure, le général entendit un son étrange, une sorte de gémissement. En retournant le corps, il vit que la jeune femme tenait en fait un enfant contre sa poitrine, un bébé à peine, mais qui vivait. Doucement, Llanistar le pris dans ses bras et constata qu'il était bien sain et sauf. Il ferma alors les yeux et fit ce qu'il n'avait pratiquement jamais fait dans sa vie : une prière aux dieux, quels qu'ils soient, où qu'ils soient, afin que ce sacrifice soit récompensé. Le nordique avait beau ne pas croire la veille, cette nuit là, il eut besoin de penser que tout ceci n'était pas vain. Que la bonté d'âme n'avait rien d'inutile ou d'imbécile. Qu'une mère pouvait espérer un monde meilleur après avoir soufflé la flamme de sa propre vie pour l'étincelle d'une autre.

Lorsque enfin Llanistar s'avoua vaincu par la fatigue, il laissa le médecin poursuivre leur oeuvre avec un autre officier. Ce fut d'ailleurs le dit médecin qui le força à se reposer, de la même manière qu'après la bataille de la vallée d'ailleurs.
Le nordique pris alors le chemin de l'auberge où on avait installé les quartiers des officiers. Sur son chemin, il croisa des soldats, des civils, des soigneurs et des réparateurs... Tout le village s'activait frénétiquement, avec une énergie qu'on ne lui aurait pas prévu, comme une soif de vivre après tant de mort. Comme si ces hommes et ces femmes se mouvaient pour ne pas voir la réalité atroce de la mort et de la destruction. Il y avait quelque chose de brave là dedans, mais aussi de vain.
Dés qu'il passa la porte de l'auberge, chancelant d'épuisement et l'esprit chargé d'idées noires, un homme fort au crâne presque chauve vint à lui, le retenant presque de tomber une fois parvenu devant lui. Il demanda, visiblement inquiet, ou du moins tenant à bien faire,


« De quoi avez vous besoin messire... ? » commença il, lui demandant implicitement son nom. Llanistar pris un instant avant de répondre, mollement,

« Van Rusadir. »

« Ah, le général. » Celui ci fit exprès de ne pas relever le changement de ton. Il pouvait bien se douter qu'on lui reprocherait cette nuit macabre, au moins en partie. Mais alors, il eut la surprise de voir l'homme lui serrer la main, chaleureusement, avant d'ajouter, Vous avez sorti ma nièce des décombres. Merci. »

Llanistar resta interdit quelques instants, puis baissa la tête pour éviter de montrer l'émotion qui lui montait aux yeux. Cependant, la tension subite dans sa poigne devait déjà en dire beaucoup. Finalement, il déclara,

« J'aurais besoin d'un lit, et de quoi manger. »

« Très bien. Montez à l'étage, troisième porte à gauche, je vous apporte tout ça... Vous arriverez à monter ? S'enquit il, décidément perspicace.

Llanistar approuva d'un faible hochement de tête, et entreprit de graver l'escalier. Chaque marche lui parut plus dure que la précédente mais il y parvint sans chuter et entra dans la pièce qu'il crut être la bonne. Sans réfléchir, il referma la porte derrière lui et avança en se frottant les yeux de fatigue, jusqu'à entendre de l'eau éclabousser.
Sa surprise fut alors grande de constater que non seulement il n'était pas seul, mais qu'en plus, c'était son frère de sang lui même qu'il dérangeait dans son bain. Sous le coup de l'étonnement, il glissa sur le sol mouillé et tomba en arrière, s'affalant contre la porte. Il partit alors d'un rire nerveux, dicté par toutes les horreurs qu'il avait vu, senti, touché cette nuit là, par la peur qu'il avait ressenti en affrontant l'Ennemi, par la fatigue qui s'était accumulée durant de longues heures de fouilles dans un tiers de village en ruine. Quand il fut capable de reparaître sérieux, il finit par dire,


« Navré, frère. Je... Je suis fatigué. »

Llanistar avait dit cela le plus sincèrement du monde, la voix engorgée d'émotion. Ca n'était pas une excuse, ni même une justification. C'était un fait, un mot qui résumait tout, qui s'appliquait aussi bien à son corps, qu'à son esprit et son âme. A cet instant là, le Rusadir se sentait fatigué comme jamais. Il se leva lentement, retomba une fois et finit par retrouver un semblant d'équilibre. Il hésita alors à sortir, à laisser Link seul dans son bain avec ses propres soucis à gérer. Mais quelque chose dans le regard de son frère en l'empêcha. Llanistar sentit que le héros avait besoin de compagnie, sans même avoir à user de son don : cela se lisait aisément sur son visage. Il laissa donc la porte ouverte afin que l'aubergiste comprenne qu'il ne prendrait pas la troisième chambre à gauche, et alla s'asseoir sur le lit. Là, il resta planté, immobile, le dos voûté et son regard argent croisant celui, bleu azur, de son frère de sang. Puis, finalement, il lui déclara, sentencieux mais avec un sourire légèrement complice,

« Une sacrée folie, dehors, hein ? Tu permets ? demanda t'il pour la forme avant de s'emparer d'un peu de charcuterie, prévoyant de toute façon de partager avec Link ce que l'aubergiste lui apporterait. Son regard se porta un instant sur la baignoire remplie d'une eau dont il sentait la chaleur, « Je devrais en demander un aussi. Mais je pense que je l'ai moins mérité que toi. »

Personne ne savait encore pour Ganondorf, le cratère, le rituel... Llanistar comptait ne révéler l'information qu'au compte goutte, à Zelda et au vieux quand il rentrerait, à Darunia si il rencontrait le goron, et à Link puisque le nordique ne voulait pas avoir de secret pour lui.
Mais au moment où il allait en parler, l'aubergiste passa devant la porte et, jetant un coup d'oeil, se stoppa net et entra avec un sourire. Il apportait du fromage, un potiron en tranche et un jambon débité fin, le tout agrémenté d'une grande chope de bière. Le général le remercia d'un sourire et attendit qu'il soit ressorti avant de poursuivre,


« Ce que tu as fait cette nuit... Vaincre la lionne noire... J'aurais voulu le faire à ta place ! » Llanistar leva sa chope et commença à boire. L'alcool lui ferait du bien. Peut être pourrait il oublier un peu sa fatigue. Bien joué, frère. Même si ce combat te laisse quelques traces, ça en valait bien le coup ! »

Le nordique laissa un instant son regard traîner sur le corps immergé du héros. En effet, Link ne manquait pas de marques, à commencer par cette trace de griffe qui lui avait entaillé le visage, ainsi qu'une longue estafilade sur le torse, un genou ouvert... Llanistar remarqua également qu'il gardait constamment son poignet immobile, cassé peut être.
Ses blessures à lui se voyaient moins, mais il en garderait la souillure plus longtemps, sans aucun doute. A chacun de ses gestes, le nordique avait l'impression que la foudre de Ganondorf le parcourait encore à l'intérieur. Il réajusta le foulard sur son cou afin de masquer à Link la marque de la poigne du gérudo, celle qui avait failli l'envoyer fondre littéralement dans un lac de lave. Et puis il y avait son dos qui avait encaissé la chute brutale d'Orpheos sur le sol rocheux du cratère. Il aurait dû mourir. Il ne devait sa survie qu'à une chance insolente. Et pendant ce temps là, son frère de sang avait su vaincre sa pire ennemie.


« Je l'ai moins mérité que toi. » Répéta t'il, les yeux baissés, la fin de sa phrase à peine murmurée.


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(vide)

Le cuir froid lui démangea la paume, une seconde. Son poing se referma plus fermement sur la fine hampe du coutelas, tandis que son regard demeurait fixé sur le rond d'étain qui faisait office de poignée de porte. Darunia lui avait déjà expliqué que l'étain étaient de ces métaux qui pleurent et qui crient... — Il n'en avait pas fallut plus au Fils-de-Personne pour s'armer autant que faire se pouvait. Il fronça les sourcil, cherchant instinctivement les stries que ses doigts avaient fini par laisser sur le manche de la petite lame d'acier. Non sans une vilaine grimace, l'Enfant-des-Bois se redressa dans le baquet qui l'accueillait. L'eau courrait, nonchalante, sur ses épaules et sa nuque ; glissait le long de son torse et de ses bras. Sans un mot, il grogna de douleur, ramenant sa main droite sur le rebord de bois. La gauche maintenait toujours la lame avec vigueur et s'employait à la cacher. S'il avait remarqué que le tenancier ne se dérangeait pas et entrait sans s'annoncer, il savait également que c'était cette constante défiance (autant que le sentiment d'alerte permanente qu'elle impliquait) qui lui avait sauvé la vie plus d'une fois. Quiconque pousserait la porte, il serait prêt. Javelot, étoile de fer, hache ou même poudre noir, qu'importe : à ne jamais dormir sur ses deux oreilles, il avait fini par toujours demeurer sur le qui-vive.

La porte finit par s'ouvrir, dévoilant une silhouette qu'il connaissait assez pour pouvoir la reconnaitre, en dépit de la lumière qui inondait son dos. La lueur des lanternes qui brillaient derrière Llanistar avait assombri son visage au moins autant que la fatigue n'avait marqué ses traits. De toute évidence, le Général n'avait pas eu sa chance : il ignorait ce que le nordique avait traversé, précisément. Et même en ayant une petite idée de ce qui pouvait tarauder son ami, l'Hylien savait également qu'une bataille comportait autant de vérités que de soldats. Dans la victoire, comme dans la défaite, le Rusadir saurait conter une toute autre histoire que la sienne. Sans un mot et fermant les yeux, Link laissa le couteau lui filer entre les doigts. Le fer se ficha dans le plancher dans un bruit mat, presque étouffé, sans véritablement endommager le travail du bois. À l'instant même ou la petite lame quitta sa main, le blond se laissa aller dans un soupir, laissant l'eau chaude ronger son poitrail de nouveau. Quand bien même tout un pan de son être persistait à le refuser, voire à le nier, il avait besoin de repos. Sa nuque, calée contre le pourtour de la jale, le Faux-Kokiri décida de ne pas prêter attention au rosé qui teintait doucement le bain. Il ne perdrait plus tant de sang, et les quelques feuilles qu'il avait lâché avant d'entrer dans l'eau contribuaient à assainir ses plaies mieux qu'aucun sort. Saria les utilisait à chaque occasion, quand ils étaient enfants. Du moins... Quand il était enfant.

Llanistar van Rusadir s'excusa, bégayant presque. Un demi-sourire amusé étira brièvement ses lèvres, tandis que le Nordique cherchait à regagner une certaine consistance et une certaine autorité. Celle qu'il devait toujours appliquer, pour conserver le respect de ses hommes. Somme toute, l'étranger et la princesse n'étaient pas si différents : à des échelles différentes, tous deux étaient contraints de respecter et de suivre un modèle strictement codifié. Zelda parlait de protocole, Llanistar évoquerait sans doute le charisme, la capacité de commandement, peut être. « Ce n'est rien », souffla-t-il le regard toujours perdu sous un suaire de chair. Un instant, il s'interrogea, tandis que ses pensées le menaient jusqu'au Ranch et Malon. Elle n'avait pas les responsabilités de Llanistar, ni celles de Belle. Pourtant (et en dépit du caractère qui était le sien), elle avait du supporter plusieurs années aux ordres d'un Ingo pervertit par l'avarice et motivé par la colère. Et quand bien même ce passé n'avait pas été, elle devait parfois se plier aux exigences des gens de passage. « Et si, pour le coup, j'étais celui fondamentalement différent des autres ? » S'enquit-il en silence. Les contraintes, il s'en était toujours défait avant même qu'elles ne soient posés. « Ce ne serait pas si surprenant », s'accusa-t-il, cynique. « Différent tu l'as toujours été. Pourquoi cela changeait-il ? Après tout... Tu n'as toujours pas de fée. »

La voix de son frère de sang s'éleva, couverte par le chahut des chevaux qui renâclaient dehors. « Fais comme bon te semble. » Lâcha-t-il, en s'asseyant dans sa baignoire improvisée. L'eau lui ceinturait tendrement l'abdomen et laissait tout juste sortir un genou, encore douloureux. « J'ai du mal à croire que tu sois moins méritant que moi.. — », ajouta-t-il en plongeant son regard de givre dans celui d'acier de l'officier. « Et je suis persuadé que le tenancier te l'offrira bien volontiers. C'est un brave homme. » Il ne releva pas la remarque de son camarade, quand celui-ci évoqua la bataille. Certains aimaient narrer leurs histoires quand lui préférait de loin les laisser sombrer dans l'oubli. Pourtant, plus d'un exploit auraient pu lui être attribué ; du massacre d'un Dragon à la victoire sur un Esprit ancestral, en passant par l'arrêt d'une lune... et le refus d'un destin imposé par les Déesses. Il ignorait si d'autres auraient fait chanter leurs louanges et ne voulait de toute façon pas le savoir. « Raconte-moi... — », commença-t-il, avant d'être coupé par l'entrée de l'aubergiste, portant un second plat de victuailles. Les deux hommes le remercièrent sans un mot, tandis qu'il songeait au festin qu'il aurait pu faire ; si seulement il avait eu faim. L'estomac noué, il jeta un bref regard au pichet de vin avec lequel était arrivé le tavernier, avant que ne survienne Llanistar. L'homme déposa son plateau, les salua et quitta les lieux.

"Ça n'était pas vraiment une victoire. —" Siffla-t-il, laissant sa langue claquer contre son palais. Il garda sous silence ce qui le motivait à tenir de tel propos. Sans nul doute, il avait défait Swann. Pour autant, Ganondorf avait pu quitter le Mont, certains braséros persistaient et d'ici trois jours et trois nuits tous les morts n'auraient pas été enterrés. Décidément, il peinait à qualifier de victoire la bataille qu'ils venaient pourtant de remporter. Peut-être le Fléau de Markand raisonnait-il différemment, mais lui n'avait rien d'un soldat. Et – au fond – bien peu d'un guerrier. « Il me semble d'ailleurs que tu as déjà fait mieux ! », souffla-t-il à son camarade, sur un ton enjoué. Sans tenir du moine, Link était persuadé que son ami souffrait : aucun d'eux ne tenait à parler de l'affrontement visiblement et si l'Hylien ignorait ce qui travaillait tant Llanistar, il avait à coeur de respecter son silence. « J'ignore ce que tu te reproches, frère. Je ne tiens pas à le savoir si tu ne souhaites pas en parler. » Une nouvelle fois, le blond chercha les yeux du maître des joueurs d'épée de Zelda. « Mais sois sûr d'une chose : d'une façon ou d'une autre tu as sauvé des vies aujourd'hui. » Il marqua une pause, tant parce qu'il partait en quête des mots pour apaiser le brun que parce qu'il repensait à leur échange, à l'issue des combats de la Porte du Désert. « Tu as peut-être vaincu, ou été défait. Qu'importe ? Tu vis. Et grâce à toi, d'autres également. Ne l'oublie pas. »

Un instant durant, leurs regards se croisèrent. L'Hylien soutint celui de l'étranger sans sourciller, avant que celui-ci ne finisse par fuir ses yeux, réajustant tant bien que mal un foulard qui cachait sa gorge. Le Fils-de-Personne arqua le sourcil, passablement surprit par l'accessoire du Général. Il ignorait son goût pour les vêtements, l'esthétique ou l'apparat, mais ne fit pas de commentaire. D'aucuns le jugeait suffisamment sur ses propres tenues et il se gardait bien d'en faire de même. Sans insister, il s'allongea de nouveau et profita de la chaleur du bain, par trop conscient du froid qui sévissait au dehors. Un froid de mort. « Mange à ta faim, Llanistar. » Glissa-t-il, fermant à nouveau les yeux. « Je n'ai pas faim. »


Llanistar van Rusadir


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(vide)

« Ça n'était pas vraiment une victoire. »

Llanistar s'arrêta de boire lorsque son frère de sang siffla ces mots, ses émotions peu masquées dans sa voix. Lentement, le général reposa la chope sur le sol, prenant le temps de comprendre le sens des paroles de son ami. Une victoire... qui pouvait se vanter d'en avoir déjà arraché ? La victoire, était ce simplement de vaincre ? Devait t'on glorifier l'homme qui avait tué son ennemi mais avait perdu une main ? De même, un général ayant perdu la moitié de son armée dans une bataille, avait il vaincu ? Et est-ce que toutes les victoires se ressemblaient ?
Un général victorieux mais ayant perdu 200 hommes était il plus glorieux qu'un capitaine n'en ayant perdu que deux ? Depuis sa première bataille ces questions taraudaient Llanistar, dans ses moments de doutes comme dans ses nuits hantées de cauchemars. Celle ci ne ferait pas exception. Link se trouvait prés de la vérité à laquelle le général était lui même parvenu après toutes ces années de guerre : la meilleure victoire, la plus juste, la plus belle, est celle où la mort frappe le moins possible. En ce sens, cette nuit là, Ganondorf avait perdu mais Hyrule n'avait pas vraiment gagné. Le nordique découpa un morceau de fromage et l'englouti aussitôt, accueillant avec plaisir sa saveur en bouche.
Le privilège des vivants.


« Il me semble d'ailleurs que tu as déjà fait mieux ! »

Link semblait plus enjoué, au contraire de son frère. Amusant, pensa Llanistar, comme chacun pouvait considérer l'oeuvre de l'autre sous un meilleur oeil que la leur. Tous deux se ressemblaient sur ce point : dur, sévères, exigeant envers eux mêmes, plus qu'envers les autres. L'idée de cette ressemblance réchauffa un peu le général, à moins que ce ne fut l'alcool qui ne commençait à faire son effet ; la comparaison avec le héros lui paraissait flatteuse. « A tous points de vue, d'ailleurs », pensa t'il alors qu'il ne pouvait empêcher son regard de s'attarder sur le corps nu de son ami. Mais aussitôt après l'avoir réalisé, il détourna ses yeux, honteux vis à vis de Link, dont il pensait connaître les goûts, et envers Orpheos. Ce geste fut sans doute mal interprété par l'hylien qui lui déclara, cherchant son regard,

« J'ignore ce que tu te reproches, frère. Je ne tiens pas à le savoir si tu ne souhaites pas en parler. Mais sois sûr d'une chose : d'une façon ou d'une autre tu as sauvé des vies aujourd'hui. Tu as peut-être vaincu, ou été défait. Qu'importe ? Tu vis. Et grâce à toi, d'autres également. Ne l'oublie pas. »

Le nourrisson survivant lui revint en mémoire et Llanistar sentit son coeur se serrer. Face à la mort, à la désolation, que valait l'idée que certains avaient survécu ? Bien sur, ils avaient pu éviter la destruction totale du village, mais il restait tant de vies gâchées, tant de peines et de chagrins. Quelle guerre valait cela ? Quel trône ? Et si lui et Orpheos avaient vaincu ? Tout aurait pu s'arrêter là. Seulement, Ganondorf avait réduit cet espoir à néant. Tant d'efforts réduits au bilan tristement positif que certaines vies avaient pu être épargnées...
Néanmoins il se refusait à se laisser aller, même devant Link... Surtout devant lui. Le poids de leur fardeau n'avaient rien de commun. Le général n'avait été choisi par aucune déesse, ne possédait pas une épée unique au monde... Malgré tous les revers du destin, il ne devait pas se plaindre devant pareil héros, devant un frère de sang. Il ne pourrait décemment se relâcher qu'aux côtés d'Orpheos. Lui savait écouter, recueillir ses larmes et le réchauffer comme personne d'autre n'en était capable. Non, Llanistar se devait d'être fort. Pourtant, sa voix semblait prêt à le lâcher lorsqu'il répondit,


« Je n'ai pas été à la hauteur... » Les mots se brisèrent dans sa gorge et il se précipita sur la chope de bière pour tenter au mieux de le dissimuler. Lorsqu'il cessa de boire, celle ci retomba lourdement sur le sol, vide. Il resta quelques instants les yeux dans le vide, puis prenant son visage entre ses mains, acheva, « Chaque corps enterré, demain et ensuite, sera un échec de plus. Si seulement... »

Le général se leva brusquement, manqua de retomber à cause d'un vertige dû autant à la fatigue qu'à la bière, et se rendit maladroitement à la fenêtre de la chambre. Le verre épais et de mauvaise facture l'empêchait de voir ce qui se passait dehors, dans ce village presque à moitié en ruine qu'il avait juré de protéger. En revanche, la vitre reflétait très bien l'intérieur, et lui renvoyait une image de lui même peu avantageuse. Celle d'un homme fatigué, aux traits tirés et au regard éteint. Mais surtout, en dessous du foulard qui ne couvrait plus son cou, il voyait la marque. Celle ci ne le faisait plus tant souffrir mais l'impression persistait d'un garrot enlaçant sa gorge, prêt à se resserrer jusqu'à l'étouffer complètement. Sa main de chair vint caresser sa peau noircie. Llanistar jeta alors un regard vers Link, ses blessures dont certaines avaient sans doute saignées dans le bain car l'eau était légèrement teintée de rose. Puis, son attention revint à la fenêtre, et aux quelques lueurs du village, qu'il apercevait à travers le verre sale. Au moins ça n'était plus des incendies.

« Nous avons de la chance, au fond, toi et moi. Nous avons des épées, nous savons nous en servir, nous pouvons combattre l'ennemi. Ces gens... » Il posa sa main contre la vitre, glacée, « Ils ne peuvent que s'en remettre à nous, pour les protéger des gérudos, des monstres ou des individus comme la Lionne noire. Ils croient en nous. » Sans doute plus en leur héros qu'en cet étranger devenu général, autoritaire et sorti de nul part, mais Llanistar ne voulait pas que Link puisse le croire jaloux. « C'est tout ce qu'ils peuvent faire, croire en nous et prier. Moi je ne le supporterais pas. J'ai besoin d'agir sur le cours des événements. C'est pour ça que je combat, bien que je haïsse la guerre... » Le général palpa sa main de métal avec ses doigts de chair. Les blessures, les pertes, c'était ainsi qu'il les percevait : comme des sacrifices faits pour posséder ce pouvoir de changer les choses. Le nordique n'avait sans doute pas grand chose d'un héros, mais si il pouvait laisser derrière lui le souvenir d'un homme de courage et de volonté, ça le comblerait largement.
Et pourtant, depuis quelques heures, Llanistar le Fléau de Markand n'était plus si sur de sa bravoure. Devait il l'avouer ? Il n'en était pas sur. A Zelda, oui, sans nul doute. Elle seule pourrait quelque chose pour lui, pour cette marque autour de son cou. De plus, il se devait de ne rien lui cacher. Mais déballer ses doutes devant son frère ? Et puis l'évidence le frappa : à quoi bon se dire son frère de sang si il ne lui faisait pas confiance pour comprendre, pour lui pardonner sa faiblesse, son échec ? Alors, lentement, il déclara à Link,


« Si tu mérite plus ce bain que moi, c'est parce que tu as vaincu quand je l'ai été. »

A présent que ces mots étaient lâchés, il ne pouvait plus retourner en arrière, Llanistar le savait mais il s'autorisa un profond et long soupire avant de poursuivre. Il s'accouda à la fenêtre, la tête basse, en proie à la honte, alors que son récit commençait à jaillir de ses lèvres fatiguées,

« Moi et Orpheos... Nous avons affronté l'Ennemi cette nuit. Seuls. Au sommet du volcan, dans le cratère. Il y tramait un sale coup, frère, je peux te l'assurer. La magie en général m'est inconnue et trompeuse mais celle là... Je pouvais presque la sentir dans l'air que je respirais. Quoi que ce fut, nous l'avons interrompu avant qu'il ne puisse en user, apparemment. Mais après... Il a fallu l'affronter. » Tout en parlant, Llanistar commença à ôter son armure légère, pièce après pièce, puis son haubert aux couleurs d'Hyrule, et enfin sa chemise. Quand il eut terminé, le nordique laissa le temps à son ami de constater les dégâts. Dans son dos et sur son torse, de longues traînées brunes couraient comme des racines dans sa chair. La trace des éclairs du sorcier. Puis, finalement, il dénoua son foulard et se retourna, la marque clairement apparente, « Je serais mort si Orpheos ne m'avait pas sauvé. Et réciproquement. L'un après l'autre, il nous a maîtrisé en usant d'une force et de pouvoirs comme je n'en avais jamais rencontré. J'ai failli finir fondu dans un lac de lave, Orpheos écrasé sur le sol après une chute de plusieurs dizaines de pas. Nous ne devons notre survie qu'à la chance. » Laissant ses effets à même le sol, il s'approcha de Link et tomba sur le sol pour s'adosser à la baignoire, la tête renversé en arrière, « Je ne t'ai pas fait honneur frère. Je me suis fait écrasé. A un moment, Ganondorf a libéré quelque chose de vraiment... maléfique, en lui. A ce moement là, un seul de ses regards a suffit pour que je sois à deux doigts de vider ma vessie. » Il ricana nerveusement, un sourire moqueur dirigé contre lui même, « Tu te rends compte ? Six campagnes gagnées, deux dizaines de batailles derrière moi et il m'a presque tué d'un seul putain de regard ! » Sa main de chair alla chercher celle de Link tandis qu'il murmurait, contrit, « Tout aurait pu s'arrêter ce soir. Mais j'ai échoué. Et toi tu as réussi. »

Brusquement, comme écoeuré de lui même, Llanistar se releva et alla jusqu'à la fenêtre. Le verre sale lui parut insupportable. Le manque d'air l'agaçait. Il voulait sentir du vent sur son visage, malgré cette saloperie de marque ! Se sentir en vie ! D'un coup violent de sa main de métal, il enfonça la vitre, qui se brisa en de nombreux morceaux. Et tout aussi brusquement, il demanda, sa colère se mêlant à son émotion

« Comment te relève tu à chaque fois Link, à chaque fois que tu chute ? Qu'est-ce qui te fait avancer ? »


Link

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(vide)

Le silence, souvent plus éloquent que bien des mots aux yeux de l'Hylien, fut révélateur. Avant d'ajouter quoique ce soit, Llanistar se saisit d'une des deux chopes d'ale, s'en envoyant presque un plein verre, comme pour masquer cette voix faiblarde qui le trahissait. Le va-nu-pied ne dit rien et son regard quitta le Seigneur du Nord, pour mieux disparaître sous les voiles de chair qu'il jetait par dessus. En moins de huit mots et une intonation presque plaintive, le Général avait résumé une bonne partie de ce qui harassait le vagabond depuis des semaines et des mois. Après l'effondrement du Château de Ganondorf, l'emprisonnement du Roi des Voleurs et la défaite de sa rage incarnée – un mastodonte chimérique dont le faciès sombre et mesquin harcelait encore le jeune homme, dans certains de ses songes les plus noirs –, il avait cru pouvoir prétendre au repos. Quand tout son être réclamait le droit à un avenir aux côtés de Belle (sans demander une place particulière, il n'aurait osé), on l'avait renvoyé vers un autre destin. Sa première quête s'était révélée longue, éreintante, difficile. Il ignorait tout de ce que lui réservait la suivante.

À la croisée des chemins. Entre les côtes de la Grande Baie, les Pics enneigés des montagnes du Nord, les marais boisés du Sud et le canyon de la non-mort à l'Est... De toutes les fois ou l'espoir l'avait abandonné et ou le courage lui avait manqué, c'était la plus violente. Une chute aussi cuisante que douloureuse. Sous ses paupières fermées, le groin amusé de Ganon s'effaçait lentement pour laisser place à une simple horloge, d'apparence plus inoffensive qu'une brebis. Il poussa un profond soupir, avant de rouvrir les yeux, effrayé par sa propre impuissance. « Ne dis pas ça. » Murmura-t-il simplement, pour répondre au Général. Bien plus qu'aucun allié, plus qu'aucun ami, Llanistar avait contribué à protéger Hyrule de sa propre chute. Mais le vétéran reprit sans l'écouter. L'eau glissa dans un bruissement léger tandis que le Héros se hissait contre le dossier de la jale. Son regard de givre cherchait celui d'acier de son ami. « Si chaque mort est un échec, Llanistar, qu'en est-il de toutes ces vies que tu as pu défendre ? » S'enquit-il, coupant le soldat dans sa tirade. Les mots du nordique étaient criants d'une vérité qu'il n'avait pas envie de voir dans l'immédiat. Pas ce soir. « À tes yeux nous n'avons peut-être pas remporté une victoire totale. Je partage ton constat. » Lança-t-il, laissant son regard glisser au reflet tâché de rouge qui le fixait dans le blanc des yeux. De la tranche de la main, il balaya nonchalamment l'image que lui renvoyait l'eau. « Demande leur ce qu'eux en pensent. Si voir le Cygne les ailes brisées par des fers, les Gérudos du Lion repoussées et les Dragmire fuyant la queue basse leur paraît être une défaite, alors nous n'avons rien gagné. Dans le cas inverse... » La phrase resta en suspens alors que le brun chancelait. « Tout va bien ? » Sa main, jusqu'à présent plongée dans l'eau tiède, était remontée jusqu'au bord du baquet. Llanistar avait récupéré son équilibre, mais s'il présentait d'autres signes de faiblesse, le blond saurait l'aider.

L'officier s'éloigna, jusqu'aux vitres épaisses de l'auberge. Il y contempla son reflet, un moment, avant de se relancer. Sitôt qu'il évoqua la chance dont ils jouissaient prétendument tous les deux, Link renifla de dédain. Il ne jugeait pas Llanistar, loin de là, mais entrait en profond désaccord avec lui. « Certains choisissent leurs vies. Ceux-là sont chanceux. Je n'ai pas la moindre prise sur mon existence. » Bien que sa langue le brûlait, il n'en dit rien : il comprenait pertinemment ce que voulait dire le Rusadir. Tous deux ne dépendaient de personne pour survivre quand d'autres ne pouvaient qu'attendre un secours. Pour autant, si Llanistar avait décidé de prendre les armes pour influencer les choses, ça n'était pas son cas. Quand beaucoup semblaient l'oublier, Zelda comprise, lui ne parvenait plus à le mettre de côté. « Et que ferais-tu si tu n'étais pas un homme de guerre ? » S'interrogea-t-il en son fort intérieur, sans qu'aucune évidence ne le frappe. Plusieurs fois, il s'était imaginé voyageur itinérant ; barde ou ménestrel, sans jamais en être véritablement sûr. Ce soir, sur les ruines et les cendres d'un pan du Village, aucune de ces idées ne trouvait grâce à ses yeux. « Les chanceux sont ceux qui peuvent vivre comme bon leur semble, dans l'insouciance, frère. Je doute que l'on puisse dire cela de nous. » Lâcha-t-il enfin, sans regarder Llanistar. « Mais n'oublie pas qu'il n'existe pas que ton épée ou la longueur de ton bras pour agir et protéger ces gens. Tu as formé bien des hommes déjà. Tu pourrais recommencer. » Le bain caressait son torse à mesure qu'il ne se laissait glisser à nouveau. L'eau semblait dévorer son buste, avidement, sans jamais triompher et pouvoir l'avaler réellement.

Le Sans-Lignage s'apprêtait à fermer une fois de plus les yeux quand Llanistar lâcha enfin le poids qu'il tentait de cacher. Conscient qu'il était autrement plus doué dans l'écoute que dans la réponse, Link s'abstient de tout commentaire. En vérité, s'il préférait voir le Général victorieux, il était avant tout heureux de le savoir en vie. Sans mot dire, il laissa son ami se défaire de son armure et entamer son récit. L'idée d'un Ganondorf aux prises avec le Général et le Chancelier lui laissait une étrange saveur en bouche. Un parfum amer, désagréable, teinté tantôt d'un peu d'appréhension mais aussi d'une touche de rancoeur et de dépit. L'espace d'un instant, il remarqua à peine que son ami était presque nu, tourmenté par cette étrange sensation. Plus que de l'inquiétude pour Llanistar – il avait survécu, après tout –, il avait eu le sentiment qu'on cherchait à le voler d'un fardeau qui était le sien. Un fardeau qu'il n'avait pas choisi, dont il ne voulait pas et qui, pourtant, demeurait celui qu'il devait porter. Ses doigts se saisirent plus fermement du rebord de bois de la jale, alors qu'il cherchait tant bien que mal à comprendre cette contradiction. Travaillé par la honte d'une espèce de jalousie illégitime, le Héros détourna le regard, sans réaliser qu'il pourrait vexer son ami. « Exc... — Excuse-moi, Llanistar... Je.. — » Siffla-t-il, toujours en proie à la honte, de cette nouvelle réaction autant que de la première. Sans sembler s'en soucier, le nordique continua, imperturbable. Cette fois-ci, l'Hylien prit le temps d'observer les stigmates du Seigneur des neiges. Violacées, fines mais nombreuses, oscillant sur sa chair comme l'éclair qui brise nuages et cieux. Il ne mit pas longtemps à comprendre ce qui avait frappé son ami : il l'avait vécu également. Plus d'une fois. « Il n'y a rien de honteux là dedans, Llanistar », commença l'Hylien, cherchant ses mots. Le Général venait de s'adosser au bac. « Ganondorf est... — », reprit-il, hésitant. Il ignorait comment dire ce qui le travaillait au corps et qu'il refusait cependant d'accepter. Le Gérudo était son ennemi avant d'être celui de qui que ce soit. Bien sûr, c'était contre Zelda et sa couronne qu'il était en guerre, mais il existait une espèce de fatalité entre les deux hommes. « C'est un adversaire redoutable. » Trancha-t-il alors, sans poser les mots sur son propre poids. « Bon aux armes, doué de magie, brutal et sans merci. Tu n'as rien à regretter, ami. » Insistant sur le mot pour mieux réconforter son frère de sang, Link le regarda se lever et retourner vers la fenêtre. Pendant que celui-ci lui tournait le dos, il se hissa hors du bain à son tour.

Sans prendre le temps d'essuyer l'eau qui ruisselait tout du long de son être, il laissa l'air le rafraichir l'espace d'une seconde. Le temps d'un rapide coup d'oeil, il repéra une paire de chausse en toile de jute et la passa brièvement sans trop se soucier de la tremper ou non. Son regard se porta ensuite vers une chemise ouverte jusqu'à la ceinture. « Plus qu'aucun autre, tu as fait honneur, frère. » Glissa-t-il, enfilant le tissu de lin, un brin collant à cause de l'eau. « Face à Ganondorf, les gens fuient ou meurent. Tu n'as fait ni l'un, ni l'autre. » Saisissant une large ceinture de toile, il la noua autour de sa taille, contre sa hanche, avant de resserrer un peu plus l'attelle qui maintenait son poignet droit. Si beaucoup parmi les guerriers préféraient les armures lourdes, il avait toujours été plus à l'aise dans des tenues légères, au combat comme au quotidien. « Surtout quand... — » Subitement stoppé par le bruit du verre qui se brise, l'Enfant-des-Bois releva les yeux vers le Général. Son poing de fer venait de défoncer l'un des carreaux et sa voix tonna brusquement, emplie d'une colère qui frappa l'Hylien comme un reproche. « Je...  C'est que... — », bredouilla-t-il maladroitement, pris au dépourvu par le blâme de son camarade.

"Llanistar..." Souffla-t-il en s'approchant de l'officier. Sa main gauche s'appuyant sur l'épaule de son ami, il le poussa doucement sur le lit. « Assis-toi. Et mange un morceau. » Lui intima-t-il alors, sans pour autant le forcer. Il percevait la colère de son ami, sans comprendre ce qu'il avait fait pour la mériter. Tournant le dos au chef de guerre, il attrapa le pichet d'ale et remplit une chope, espérant trouver quelques mots à répondre dans la boisson. Son estomac était toujours trop noué pour qu'il avale quelque chose. « C'est une question difficile... », avoua-t-il avant de porter le bock à ses lèvres. La bière envahit sa gorge sans l'aider à avoir les idées plus claires. « Une question que j'essaie d'éviter de me poser. » Reprit-il, le regard perdu dans le liquide sombre qui sommeillait au fond de sa pinte. « Il serait facile de te dire que je le dois, mais ça ne serait pas complètement vrai. » Réfléchissant à sa réponse en même temps qu'il ne la formulait, l'Hylien paraîtrait peut-être flou au Nordique. Pour autant, il était lui même confus quant aux raisons qui le poussaient à se battre encore et toujours. Incapable d'expliquer précisément quelle était cette force qui le menait sans cesse, l'épée au poing, face au danger en dépit des doutes et des craintes. « Soit sur d'une chose, frère. Je suis fait comme toi. Je mange comme toi, je dors comme toi, je pisse comme toi. Et c'est pour ça que j'ai peur comme toi. Que j'ai honte, comme toi. Que je doute, tout comme toi. » Laissant le silence ponctuer sa phrase, il repensa une seconde à Ganon, son groin, ses défenses, ses crocs, ses cheveux de feu et son regard perçant. Indéniablement, il craignait la bête qui se terrait dans la rage de son ennemi. Comme il craignait la victoire de celui-ci. « Face à lui, j'éprouve la même peur que toi. Il est mortel et il aurait déjà pu me tuer. Il le fera peut-être. C'est un risque à courir. » Souffla-t-il, avant de s'envoyer une nouvelle lampée d'ale. S'il n'en avait jamais parlé auparavant, l'Hylien n'ignorait pas la mort et comme tout être il la redoutait. À sa façon, du moins. « Mais ce n'est pas ce qui m'effraie le plus, d'autant plus que la réciproque est vraie. Tu l'as senti toi même... Il est mauvais. » Sans préciser sans pensée, il ramena le pichet près de sa chopine, avant de la remplir de nouveau. Sans parler de bien ou de mal, Link savait pertinemment ce dont Ganondorf était capable. Corrompu par l'avidité, la colère, l'orgueil où il ne savait quoi, l'homme – peut être bon, jadis – n'avait plus grand chose d'humain depuis. « Je sais l'objectif qu'il poursuit et j'ai vu ce que notre monde deviendrait s'il y parvient. Je refuse de le lui abandonner. Et si je dois mourir pour ne pas laisser Bel.. — pour ne pas laisser Hyrule seule face à lui, alors ainsi soit-il. » Parler de sa propre mort avait quelque chose d'assez pénible et les images d'une Hyrule envahie par les effrois attisaient doucement sa colère, nourrie par les conflits et, sans doute, une profonde rivalité avec le Roi des Parias. D'une gorgée d'ale, le Faux-Kokiri tenta de faire passer la saveur saumâtre qui lui restait sur la langue. Sans succès. Attrapant le saucisson et récupérant sa dague, il entreprit (après s'être assis sur une chaise qui faisait face au lit) de couper quelques tranches pour lui, comme pour Llanistar. « Tu parlais tout à l'heure de notre chance. De cette capacité à pouvoir influer sur le cours des événements... », reprit-il, non sans tendre la planche de bois au Rusadir, de façon à ce qu'il puisse se servir. « J'ai appris, douloureusement, que ces héros des contes qui sauvent le monde sans laisser personne sur le côté n'existent pas. Pourtant, c'est l'objectif vers lequel je tend... » Il picora quelques tranches à son tour, sans avoir vraiment faim. « Je ne suis pas un héros, pas plus que je ne suis un chevalier blanc. Je ne tiens pas à l'être. Mais j'essaye de faire de mon mieux... Et j'espère que cela répond un tant soit peu à ta question. » Souffla-t-il ensuite, incertain de sa propre réponse, cherchant le regard de Llanistar van Rusadir.


Llanistar van Rusadir


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(vide)

L'attitude de Link était pleine d'une attention que le nordique ne lui connaissait pas. Habillé au minimum exigé par la pudeur, il s'était approché si doucement que Llanistar n'avait ni entendu ni senti ses pas sur le plancher de bois au sol. Plongé dans sa morosité, trop occupé à apprécier enfin le souffle d'air frais qui passait aux travers des débris de la fenêtre brisée, il ne put se retenir de tressaillir quand il entendit son nom et sentit la main du héros se poser sur son épaule. Le général apprécia ce contact.  En vérité, il en avait grandement ressenti le besoin, depuis plusieurs heures, tant l'absence de son chancelier le laissait désemparé face à ses pensées noires. L'étranger n'avait pu réellement se résoudre à affronter ce grand vide seul. La présence de Link, ce geste, lui firent du bien. D'autant qu'il n'aurait jamais osé l'imposer de lui même à son frère de sang.
Fermant les yeux, Llanistar se laissa guider jusqu'au lit ou il tomba un peu brusquement, sous l'effet de la fatigue. Il ne revint à la lumière douce de la chambre qu'en entendant la voix de son ami, qui lui intimait sans violence de manger un peu. Le nordique attarda alors un instant son regard sur le Hylien, lequel se retournait pour attraper de quoi boire... Il observa sa chemise humide et largement ouverte sur un torse superbement sculpté, les muscles saillants qui se dessinaient sur le tissu, les chausses mouillées et serrées, les cheveux d'où perlaient quelques gouttes... Sa colère contre lui même laissa aussitôt place à un trouble assez prononcé. Le général tenta de se rassembler, de contrôler ses pensées mais malgré lui, son imagination travaillait déjà. Au moment où le Héros se retournait avec une chope de bière pleine, il peinait grandement à camoufler son émotion mais, et ce fut fort heureux, Link semblait n'y accorder aucune attention.


« C'est une question difficile... » concéda t'il avant de prendre une lampée de bière. Llanistar ne pouvait que le lui accorder, et il en était conscient au moment de la poser, mais la réponse de son frère de sang lui importait. Plus encore même que de l'admirer dans cet appareil, et le fait de se concentrer sur ses mots lui permis de moins faire attention au reste. Le Hylien évacua rapidement le problème du devoir, ce en quoi le nordique le suivi. Le devoir ne tient que si il est soutenu, si il possède des fondations solides : chez certains, il se trouve soutenu par l'attachement aux traditions, ou par une foi religieuse. Mais chez les deux servants de Zelda, rien de cela, du moins Llanistar le pensait t'il à propos de son compagnon.
Ostensiblement, Link ne parvenait pas à mettre aisément en mots ses pensées. Cela s'observait aisément, à travers son regard vague, ou au tic sans doute inconscient qui le faisait se mordiller légèrement une lèvre tandis qu'il se plongeait dans une intense réflexion. Le dernier des Rusadirs se refusait à le brusquer, ou à lui suggérer des mots qui ne seraient pas les siens. Ce silence là, partagé, ne le dérangeait pas. Il le laissait monter, entre chaque phrase prononcée par son ami. Il en appréciait d'autant plus la musique que leur mutisme commun n'empêchait pas le bois de grincer légèrement sous le vent, les sauveteurs à l'extérieur de parler ou l'eau de sonner en débordant légèrement du bain. Ce concerto donnait à la voix de Link l'aura du chanteur soliste qui surpasse tout le reste.

Devant l'aveux de faiblesse que lui fit ce dernier, Llanistar eut son premier véritable sourire sincère de la soirée. Il eut envie de lui répondre que jamais il n'en avait fait un surhomme, que c'était justement son humilité qui en faisait un homme hors du commun, mais n'ayant pas le coeur aux mots, le général se contenta de faire glisser une main vers l'épaule de son ami, en un signe muet de reconnaissance et d'affection.
L'atmosphère se tendit un peu plus quand Link aborda un sujet bien plus sombre, leur ennemi commun. Le bouclier d'Hyrule tiqua sur un mot
« Mauvais », tant il lui parut juste. Durant plusieurs années, il s'était battu sous la bannière d'un salaud, contre des adversaires aux motivations justes ou malfaisantes. Mais toujours, il s'agissait d'hommes et leur portrait teinté de noir et de blanc ressortaient en nuances de gris. Ganondorf Dragmire... Ce que Llanistar avait vu cette nuit là, sur le Mont du Péril, était d'une toute autre dimension. Une aura aussi sombre que les abysses de l'océan, et un regard où on lisait toute la haine du monde.
Le général ne put s'empêcher de réagir lorsque Link évoqua sa mort possible, et l'utilité de son sacrifice. Il resserra d'instinct sa poigne - de chair, dieux merci ! - sur l'épaule de son frère de sang, comme pour le garder de l'ombre de la faucheuse brusquement invoquée dans la pièce. Mais au fond de lui, Llanistar vibrait de cette même conviction, qui donnait à leur quête un caractère absolu. Jamais ni lui ni le Hylien ne sauraient se rendre, et mettre un genou en terre devant l'injustice. L'issue de leur combat était simple. Définitive, dans un sens ou dans l'autre.


Au moment où le général tendait le bras pour attraper la carafe de bière et s'en remplir une chope, Link quittait le lit pour s'asseoir sur une chaise face à lui. Il fut donc forcé de rompre le contact plaisant, pour se retrouver dans une situation inconfortable où quitter du regard les yeux du héros revenait à être la proie d'un trouble renouvelé. Il faut dire que leur proximité et l'ambiance de la pièce n'aidait pas Llanistar à s'apaiser. Il tenta néanmoins de faire bonne figure au mieux, tandis qu'il se saisissait d'une pièce de charcuterie offerte par son ami.
Son attention fut néanmoins captée à nouveau par la voix du héros, car il semblait bien au nordique que son camarade approchait de la réponse attendue. Son timbre s'était assombri alors qu'il évoquait des illusions d'enfant rudement perdues. Et finalement, la vérité de Link jaillit, avec une candeur désarçonnante,
« Je ne suis pas un héros, pas plus que je ne suis un chevalier blanc. Je ne tiens pas à l'être. J'essaye de faire de mon mieux... Et j'espère que cela répond un tant soit peu à ta question. »

Une seconde fois, Llanistar lui sourit. A dire vrai, il se retenait de se jeter sur son ami, de l'enserrer dans ses bras et de lui répéter qu'il était l'une des plus belles âmes qu'il ait rencontré. Mais il ne le pouvait pas. Impossible pour lui de savoir ce qu'il serait tenté de faire ensuite. Le nordique savait quand il lui fallait se contrôler sur ce plan là. Il se contenta donc de boire une longue gorgée pour faire passer sa pulsion et, après s'être essuyé d'un revers de manche sa barbe mouillée, il répondit, « Nous essayons tous. Le fermier, l'artisan, le soldat et... » Il leva sa chope avec un sourire au coin des lèvres, sans malice, « ... Les sauveurs de royaumes. Quoique j'admet que ces derniers ont fort à faire en ce moment ! »
Llanistar espérait avant tout donner un peu à son ami envie de rire, quand bien même son trait d'humour pouvait sembler forcé. Au moins était il transcendé par la complicité qu'ils pouvaient partager. Le général but alors une seconde fois, et enfin il apprécia sa bière. Sa douceur lui resta un instant sur la langue avant que l'amertume ne la chasse et lui reste longuement en bouche. Amer, il l'était déjà beaucoup moins. Sa voix avait retrouvé un peu de sa chaleur lorsqu'il répondit finalement à son ami, « En tout cas, ce cher Ganondorf, je te le laisse ! Une viande trop coriace pour moi ! » Nouvelle gorgée, comme pour n'avoir l'air de rien. En réalité, derrière la plaisanterie, Llanistar venait de faire au Héros un aveux de taille : il ne se sentait pas à la hauteur contre leur ennemi. A ses yeux, Link était seul à pouvoir surpasser le gérudo. Mais sans lui laisser le temps de réagir, il enchaîna, « Et pour ce qui est de ma question... Tu y as répondu... à ta manière. Et c'est ce que je voulais. Si j'avais voulu une réponse parfaite... » Il fit mine de compter sur ses doigts, surjouant comme un acteur amateur, « ... J'avais au moins quinze savants, philosophes et maîtres de morale au château pour m'éclairer. Mais je ne voulais pas une réponse parfaite, je voulais du vrai. » Il s'empara avec une moue complice du dernier morceau de saucisson. « Et j'en ai eu. »

Il leva sa chope comme en l'honneur de son ami et une longue gorgée de bière plus tard, Llanistar constata qu'elle était désormais vide, tout comme la carafe. Enfin, il commençait à se sentir légèrement détendu, mais sans que le sommeil ne pesât trop lourdement sur ses paupières. Pourtant, le lit qui le portait semblait propre à lui offrir une nuit agréable, mais le général avait une autre cible en ligne de mire. « Je t'emprunterais bien ta cuve, si ça ne te dérange pas ? » Demanda t'il d'un ton léger à Link. Et devant son absence de réaction négative, il entreprit d'ôter les quelques couches de vêtements qui lui restaient. Heureusement pour lui, le nordique ne portait pas l'armure ce soir là. Il aurait dû en appeler à de l'aide d'un page, car outre le fait que le héros n'avait pas à ce charger de ce genre de corvées, désassembler un tel attirail demandait une certaine pratique.
Llanistar ne put retenir un ronronnement lorsqu'il entra dans l'eau chaude, uniquement vêtu d'un dessous de chausse. Il fut agréablement surpris de constater que l'eau apaisait considérablement les brûlures provoquées par la foudre maléfique de Ganondorf. Ses autres traces du combat lui arrachèrent un instant une grimace mais là aussi, la cuve fit des miracles. Après toutes ces épreuves, le bain lui faisait un bien fou et il échangea un nouveau sourire avec le Héros.
« Tu as eu l'idée du siècle, ami. »

Cette insouciance lui faisait du bien. Elle l'aidait à oublier un instant le village, les décombres ou tous ceux que les efforts de ses soldats n'avaient pu sauvé. Le repos du guerrier, comme les poètes se plaisaient à l'appeler. Oh bien sur, d'ordinaire, Llanistar préférait se "reposer" avec un soldat bien bâti, dans l'intimité. Mais la compagnie de Link était tout aussi plaisante. Cependant le nordique ressentait de plus en plus, à mesure que les mots de son frère résonnaient dans son esprit, le besoin de se confier. De lui avouer ce qui deviendrait indicible dés lors qu'il quitterait cette pièce, « Moi je me suis longtemps battu parce que je cherchais la gloire. Et puis j'ai compris douloureusement que ça n'était que vanité. Alors j'ai cherché pourquoi me tenir debout. C'est Orpheos qui m'a apporté la réponse. » Le regard du général se déporta vers la fenêtre, et la nuit noire où son amant avait disparu, comme il en avait l'habitude. « Il se bats par amour, pour Zelda... » Llanistar savait que cet amour n'était qu'une amitié très profonde et forte, mais il avait prononcé ces mots pour observer une éventuelle réaction chez Link. Après un instant, il poursuivit, « ... Et moi, je me bats par amour pour lui. »

Llanistar laissa le silence retomber, conscient du poids de ses mots. Dieux ! Ce bain lui faisait un bien fou. Il suffisait d'observer l'amas de poussière autour de ces vêtements en tas pour comprendre le besoin qu'il avait de baigner dans cette cuve. Finalement, il tendit sa main de chair pour saisir celle de son frère, et lui demanda, « Et maintenant ? Que compte tu faire ? » Le général n'ignorait pas que le héros détestait rester en place. Plutôt tôt que tard, Link finirait par quitter le village. Se poserait alors la question de sa destination. C'était cela qui aiguisait la curiosité de Llanistar.
Il attendait la réponse lorsque la porte grinça et que la tête visiblement gênée de l'aubergiste apparue dans l'entrebâillement. Ce dernier toussa assez bruyamment pour attirer leur attention et leur demanda, en observant longuement Link en chemise et le nordique dans le bain, les joues rouges d'embarras,
« Excuse messires mais... prendrez vous la même chambre cette nuit ? » Indécis, Llanistar se tourna vers son ami, s'en remettant ostensiblement à son avis. L'idée ne lui déplaisait pas trop, en vérité.


Link

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L'acier trancha dans le vif à nouveau, sectionnant la charcuterie. L'Hylien coupa quelques tranches de plus, réalisant finalement que son estomac quémandait pitance. Il n'avait rien avalé depuis bien longtemps. Son dernier repas remontait à son arrivée à Cocorico, la veille de l'attaque. Le silence retomba, un instant, après qu'il se soit tût. Son regard glissa sur le saucisson, sans remonter jusqu'à celui de Llanistar. Tandis que d'en bas montaient les voix et les notes de quelques bardes, l'Enfant-des-Bois demeurait pensif. La réponse qu'il avait donné à son ami avait le mérite d'être franche, spontanée, mais il la savait incomplète. Et s'il ne voyait rien de plus à ajouter, il percevait très clairement cette espèce d'instinct qui le ramenait toujours sur les champs de bataille. Au devant du danger, l'épée en main et la rage au coeur. Au fond, il s'était toujours posé la question sans véritablement se la poser : ce n'était pas une question de devoir, loin de là, mais peut-être bien une question de choix. Quelques soient les chemins qu'il avait pu emprunter, les décisions qu'il avait pu prendre, elles l'avaient toujours éloigné d'une vie de paix. Saisissant une tranche qu'il glissa entre ses dents, il releva les yeux vers le Général, non sans prêter une oreille distraite aux chants qui parvenaient timidement jusqu'à eux. Les percussions, sourdes, montaient péniblement jusque l'étage, mais le luth (quoiqu'il ai pu s'agir d'une lyre, il n'en était pas certain) et les voix se détachaient sans trop de mal du vacarme extérieur. L'air lui était familier : il l'avait sûrement déjà interprété lui même. Les paroles différaient un peu de celles qu'il connaissaient, mais cela n'avait rien d'étonnant : ça et là, les mythes changeaient toujours. L'histoire et les légendes avaient toujours fait parti des sciences inexactes. Cette version-là parlait de dragons, de coeur guerrier et d'héroïsme.

Après une longue gorgée d'ale, l'officier entreprit de répondre à son tour. Il semblait s'amuser, sans moquerie, de sa franchise. « Ceux-là réussissent mieux que nous, m'est avis. » Lança-t-il, en parlant des fermiers et des petits artisans qu'évoquait Llanistar. « Eux, au moins, ne volent la vie de personne. » Ne put-il s'empêcher de penser, non sans piquer une deuxième tranche au bout de la dague qu'il s'était retrouvé. Son ancien coutelas pendait encore à la ceinture du Bouclier d'Hyrule. Fondamentalement, il voyait en eux de plus grands héros qu'il ne serait jamais. « C'est à ceux qui permettent la vie, la protègent et la préservent qu'il faut rendre les honneurs. Pas aux bouchers. » Se murmura-t-il, en récupérant sa propre pinte qu'il n'avait pas encore vidée. Bientôt la bière irrigua son palais, sans apaiser son sentiment. Souriant à la pointe d'humour de l'officier, plus pour ne pas l'inquiéter que par véritable envie de rire, il leva également sa chope quand celui-ci le fit. Il ignorait que dire, concernant Ganondorf. S'il sentait tant bien que mal l'aveu que lui faisait son ami, il le renvoyait également à ce qu'il avait cherché à incarner, par le passé. Le portrait d'un être infaillible, inépuisable. Une cape capable de recouvrir tout le Royaume et de dévier chacun des carreaux qui l'avait pris pour cible. Ce qu'il ne pouvait être et ne serait jamais. La tête ne lui tournait pas, mais le bain, le jeune (même si brisé par quelques rondelles de saucisse de porc séchée) et la fatigue de la bataille commençait à le travailler. Sans vraiment s'en cacher, le blond ramena sa main devant sa bouche et bailla un instant. « Fais donc. » Glissa-t-il sobrement à son ami, cherchant après le fromage qu'avait amené l'aubergiste un peu plus tôt. Il n'avait pas de quoi payer ce qu'il consommait, mais puisqu'il songeait rester quelques jours au Village encore, il trouverait certainement un moyen de s'arranger avec le tenancier. Le vieil homme lui avait semblé particulièrement bienveillant et s'il y avait bien une seule chose de bon qui pouvait sortir des catastrophes provoquées par la guerre, c'était bien cette profonde compassion et ce désir d'entraide qui liaient les malheureux. Le plus souvent terni par la défiance dont ils faisaient montre à l'égard des étrangers, certes, mais il ne parvenait pas à les blâmer. Lui même ne tenait-il pas sa dague en main, quand Llanistar était entré ?

Sans ménagement, le vagabond essuya la lame du canif contre son vêtement. Veillant bien à nettoyer les deux côtés il s'attaqua ensuite au chèvre frais, non sans se rappeler l'excitation des Enfants-à-Fées quand un Kokiri parvenait à chaparder un petit peu du chargement des rares caravanes marchandes qui osaient s'aventurer dans les bois, jadis. Le fromage de chèvre avait toujours été la perle rare, qui illuminait le visage des enfants de l'Arbre Mojo. Quand l'un d'entre eux en ramenait, ne serait-ce qu'une once, le village tout entier se laissait aller à la fête. Les souvenirs insouciants de la Forêt lui tirèrent un petit sourire, sans même qu'il ne le réalise. Brisant un peu de la miche de pain gris apportée avec le plateau, il étala la part de fromage (il avait du se retenir de ne pas tout prendre d'un coup), avant de croquer dedans à pleine dents. Non seulement, il était affamé, mais la douceur du fromage lui avait manqué.« À l'épreuve tous seront soumis, aussi bien les rois lâches que les trahis », chantait la barde tandis que Llanistar se glissait doucement dans l'eau. Ces quelques mots suffirent à lui rappeler l'air tout entier. Sans chanter à son tour, il fredonna la mélodie, surpris de l'entendre. Loin de compter parmi les titres comme les plus connus, celui-ci se chantait habituellement bien plus au Sud-Ouest d'Hyrule. « Dis-moi, Llanistar... », commença-t-il songeur, en attrapant la carafe d'eau claire, désireux d'épancher sa soif sans trop s'approcher du vin. « Tu l'as vu, ce dragon ? » Lança-t-il, rendu curieux par le thème de la chanson. Il les connaissait assez pour en avoir affronté deux, déjà. Et si le Roi Dodongo n'avait rien à voir avec Volcania, les deux l'avaient laissé blessé, meurtri. Sans un mot, il resserra le bandage autour de son poignet brisé, comme si le souvenir des créatures réveillait de vieilles douleurs. Le givre de ses yeux glissa sur la paume de sa main comme l'eau des rivières, les flammes d'un saurien ou le sang d'une Gérudo.

Avec une certaine difficulté, à l'évidence, Llanistar revient sur ses propres raisons. Après avoir rapidement profité de l'eau chaude, quoique légèrement rougie çà et là, le Nordique commença à se confier. En écho à la réponse du va-nu-pied, il exprima les raisons qui l'avaient poussé au combat, par le passé. Des raisons qu'il ne jugea pas : la recherche de la gloire, du succès et de l'admiration menaient bien des hommes sur le chemin de la guerre. Sans rien en dire, il s'estimait juste heureux que, contrairement à beaucoup d'autres, cette voie n'ai pas mené son frère de sang jusqu'à la mort. Il n'avait pas beaucoup d'estime pour les soldats ou ce qu'ils étaient capables d'accomplir (en vérité, il nourrissait même le rêve d'un monde délivré des affres de la guerre), mais il demeurait conscient qu'on ne pouvait se passer d'eux. Il s'était toujours tenu éloigné des armées, quand il ne les avait pas combattues, mais ce soir il devait se rendre à l'évidence : sans avoir jamais signé quoique ce soit (il ne savait de toute façon pas écrire), sans avoir porté ni armoiries, ni blason, ni uniforme et sans avoir jamais commandé qui que ce soit, il était pourtant devenu un soldat. Partout ou se faisait la guerre, à Hyrule, il était sur les fronts. Sur les créneaux ou dans la boue, aux côtés des Généraux ou des croupiers... il ne se différenciait des autres que par la réputation dont il jouissait, le solde qu'on ne lui reversait pas et l'équipement qu'il portait au combat. « Accepte-le, tu tiens plus du soldat que du vagabond solitaire », s'intima-t-il, presque déprimé à l'idée. Reniflant sans ajouter quoique ce soit, il laissa le Rusadir poursuivre, tâchant de se concentrer sur ses propos. « Attends, pardon ?! » S'enquit-il soudainement, réagissant à l'annonce de Llanistar concernant celui qu'il avait cru être son amant. « ... Mais, je croyais que... » Poursuivit-il, décontenancé, tandis que quelques images survenaient dans son esprit, expliquant d'une façon ou d'une autre certains événements qu'il pensait interprétait correctement, auparavant. « Ils auront été nombreux. » Siffla-t-il, plus agacé, peut-être même jaloux. « Bien peu ne l'ont pas abandonnée, quand ils ne l'ont pas tout simplement trahie. » Cracha-t-il ensuite, plus franchement. Mais bien vite, la honte s'empara de lui à nouveau. Il savait pertinemment l'affection que portait le Général au Chancelier et pesta en silence contre lui même. Conscient qu'il réagissait comme un enfant, le Garçon-sans-Fée desserra le poing qu'il avait refermé sans le réaliser. Au moins les jointures n'avait pas blanchi, ni craqué.

"Exc... — Excuse-moi, l'ami... Je suis fatigué." Grimaça-t-il à l'attention de Llanistar, espérant ne pas l'avoir heurté. « Je ne voulais pas dire qu'Orphe... que le Chancelier trahirait ou abandonnerait Zelda... Je suis désolé. » Répéta-t-il, en ramenant la main devant son visage et en appuyant sur ses yeux. Son être tout entier s'engourdissait doucement.   Le silence lui sembla plus long qu'il n'était véritablement, puis Llanistar reprit. Sa question le surprit plus qu'il n'aurait pu s'y attendre, tant il n'avait aucune réponse à formuler. Il irait, comme d'usure, là où le porteraient ses bottes. « Je... Je ne saurais dire.. — », commença-t-il, réfléchissant à sa réponse, quand le tavernier passa une tête dans la chambre. La voix qui tremblotait quelque peu, il questionna les deux hommes sur leur chambre. « Je ne crois pas. » Lâcha-t-il simplement, sans être définitif et en rendant son regard à Llanistar. Ignorant comment s'y prendre sans vexer l'Étranger, l'Hylien espérait néanmoins que celui-ci comprendrait sa fatigue. Il jeta ensuite un oeil à l'extérieur, non sans penser à tous ceux qui se retrouvaient sans toits ni murs. « Beaucoup n'auront nulle part où dormir, ce soir. » Reprit-il simplement, le regard toujours perdu, au travers des carreaux (pour ceux que son ami n'avait pas brisés). « Je te dois déjà beaucoup, aubergiste. J'apprécie ton hospitalité mais ne voudrait pas en abuser. » Ses yeux rencontrèrent celui de l'homme, toujours mal à l'aise. « Je suis persuadé que d'autres en auront plus besoin que moi... — », ajouta-t-il, la voix plus basse, en se hissant de sa chaise et en retournant auprès de ses effets. Avant de reprendre le Héros du Temps enfila sa chemise de maille et sa tunique, probablement plus célèbre qu'il ne l'était lui. « Tu m'as permis un confort que je ne connais que rarement. Je n'ai pas de quoi te dédommager intégralement... », glissa-t-il en enfilant les bottes de cuir, puis les gantelets (non sans une grimace). « Voilà de quoi commencer. » Fit-il, en lançant sa bourse à l'aubergiste, qui l'attrapa au vol. Il semblait habitué à récupérer des projectiles remplis de piécettes et parfois d'un rubis ou deux. Bouclant la ceinture qu'il portait en travers du thorax, pour accrocher sa lame et son écu, le Fils-de-Personne conclut, tant pour son ami que pour son hôte. « Je resterais au Village pour les prochains jours. Je compte participer aux réparations et au soutien des habitants. Si tu l'acceptes, aubergiste, je te rendrais ton dû de la sorte. » Le tavernier se contenta d'hocher la tête, avant de parler brièvement des clients qui l'attendaient en bas et de repasser l'entrebâillement de la porte pour les rejoindre. Le silence s'imposa en maître sur la chambre, tout juste troublé par le bruissement du bain encore chaud, sitôt que la porte fut refermée. Après avoir agrafé l'Épée de Légende et le pavois de Belle, Link lança un regard à Llanistar. « Je serais en bas, si tu me cherches. Profites de ton bain. » Souffla-t-il à son ami, bienveillant. Sans plus patienter il passa la porte à son tour, murmurant une vieille chanson que Malon fredonnait quand ils étaient enfant.  « Par delà les tours, fortes et hautes ; Par delà les raides montagnes ; Au-delà des ténèbres court le soleil ; Toujours demeurent les étoiles... — Je ne dirais pas que vient la fin du jour, pas plus que je ne dirais adieu aux astres. »


Llanistar van Rusadir


Inventaire

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En voyant la porte de la chambre se refermer sur son ami, Llanistar ne put s'empêcher de soupirer, son humeur partagée entre l'amusement et la consternation. C'était assez comique en effet d'entendre Link négocier une baignoire et trois bricoles à manger, avec un aubergiste considérablement gêné mais bien forcé d'acquiescer, par politesse pour son invité. Le brave homme avait hoché la tête tout du long mais sans répondre un mot, hormis un « Merci... » final peu inspiré, bien que sincère.
Le héros ne comprenait décidément rien. Un héros ne paye pas ces repas. Il n'a pas à dire "s'il te plait" pour qu'on lui passe le sel ou à mendier pour obtenir une chambre. Les héros ont quelque chose... une aura, une valeur en eux même, qui rend leur simple présence gratifiante aux yeux des autres. Cet aubergiste ne regardera jamais les rubis de sa caisse, que Link venait de faire grossir, avec le même émerveillement que lorsqu'il repensera que c'est chez lui que le célèbre défenseur d'Hyrule était venu se reposer après la tout aussi célèbre bataille de Cocorico. Cette présence du blond valait toutes les bourses de ses clients, sans parler du fait que sans Link, il n'aurait peut être resté de tout l'établissement qu'un tas de cendres froides. Le nordique décida de discuter plus tard avec le patron, discrètement.

En tentant de s'étaler dans tout le volume de la baignoire, Llanistar frotta l'une de ses blessures contre le bord, et grimaça. Malgré tout, l'eau lui faisait du bien, apaisait les marques de la foudre, sur tout son corps. Il n'en avait rien dit à son frère, ni à Orpheos, mais depuis que la puissance de Ganondorf l'avait traversé, il luttait contre une souffrance lancinante et par moment quasi insupportable. Les heures passant, et son esprit étant occupé ailleurs, il avait cru l'oublier. Mais la douleur a la rancune tenace comme un amant éconduit, et elle l'avait toujours rattrapé.
Cependant, là, l'eau aidait. Il aurait simplement apprécié d'avoir Orpheos auprès de lui. Le sentiment de manque que ressentait le général à travers l'absence de son compagnon avait grandit à mesure que la soirée passait et que les visions de mort et de désolation s'accumulaient dans son esprit. Afin de trouver des survivants, il avait ouvert son esprit, sans réaliser son erreur. Son don lui avait permis de sortir des décombres quelques miraculés, aux appels à l'aide rendus vain par leur cercueils de pierre. Mais il restait tous ceux que Llanistar entendait sans pouvoir les aider, ou pas à temps. Sentir la détresse d'une aura fragile puis la sentir faiblir tandis que lui s'efforçait de creuser les gravas qui l'emprisonnait... Et puis, ne plus sentir que le vide, absolu et définitif. Plus que les efforts physiques, plus que le spectacle du village en partie détruit... C'était cela le plus dur.
Alvar de Maln l'avait prévenu contre son étrange capacité, l'encourageant à ne pas la considérer trop naïvement ni avec trop d'enthousiasme. Selon lui, se couper des autres était un moyen de se protéger, et ce don, une faille qui pouvait devenir malédiction. Une fois de plus, le vieux maître avait vu juste. En tournant la tête vers la fenêtre, Llanistar s'attendait presque à le voir l'observer depuis l'extérieur, avec le même regard perçant qui l'avait transpercé une première fois il y avait longtemps, loin de là.


« Foutre du Protecteur. » Jura le nordique, en abattant son poing sur la surface de l'eau, éclaboussant autour de lui. Il n'avait pas envie de ressasser ces vieux souvenirs, il le refusait. Ses vieux démons attendraient une autre nuit, lorsqu'il se sentirait moins seul, et moins en colère contre lui même et le monde. Sortant du bain, il enfila une couche de vêtements, des bottes, et ouvrit la porte de la chambre pour rejoindre Link. Dés le lendemain, Llanistar aurait beaucoup à faire, à organiser, à diriger. Mais pour ce soir, il avait atteint ses limites. A présent, tout ce qui lui importait se résumait à une bière et la présence d'un frère trop souvent absent.
Il passa une main sur les marques qui parcouraient sa peau, et constata que la douleur s'apaisait, pour le moment.