Posté le 08/09/2015 20:19
L'acier trancha dans le vif à nouveau, sectionnant la charcuterie. L'Hylien coupa quelques tranches de plus, réalisant finalement que son estomac quémandait pitance. Il n'avait rien avalé depuis bien longtemps. Son dernier repas remontait à son arrivée à Cocorico, la veille de l'attaque. Le silence retomba, un instant, après qu'il se soit tût. Son regard glissa sur le saucisson, sans remonter jusqu'à celui de Llanistar. Tandis que d'en bas montaient les voix et les notes de quelques bardes, l'Enfant-des-Bois demeurait pensif. La réponse qu'il avait donné à son ami avait le mérite d'être franche, spontanée, mais il la savait incomplète. Et s'il ne voyait rien de plus à ajouter, il percevait très clairement cette espèce d'instinct qui le ramenait toujours sur les champs de bataille. Au devant du danger, l'épée en main et la rage au coeur. Au fond, il s'était toujours posé la question sans véritablement se la poser : ce n'était pas une question de devoir, loin de là, mais peut-être bien une question de choix. Quelques soient les chemins qu'il avait pu emprunter, les décisions qu'il avait pu prendre, elles l'avaient toujours éloigné d'une vie de paix. Saisissant une tranche qu'il glissa entre ses dents, il releva les yeux vers le Général, non sans prêter une oreille distraite aux chants qui parvenaient timidement jusqu'à eux. Les percussions, sourdes, montaient péniblement jusque l'étage, mais le luth (quoiqu'il ai pu s'agir d'une lyre, il n'en était pas certain) et les voix se détachaient sans trop de mal du vacarme extérieur. L'air lui était familier : il l'avait sûrement déjà interprété lui même. Les paroles différaient un peu de celles qu'il connaissaient, mais cela n'avait rien d'étonnant : ça et là, les mythes changeaient toujours. L'histoire et les légendes avaient toujours fait parti des sciences inexactes. Cette version-là parlait de dragons, de coeur guerrier et d'héroïsme.
Après une longue gorgée d'ale, l'officier entreprit de répondre à son tour. Il semblait s'amuser, sans moquerie, de sa franchise. « Ceux-là réussissent mieux que nous, m'est avis. » Lança-t-il, en parlant des fermiers et des petits artisans qu'évoquait Llanistar. « Eux, au moins, ne volent la vie de personne. » Ne put-il s'empêcher de penser, non sans piquer une deuxième tranche au bout de la dague qu'il s'était retrouvé. Son ancien coutelas pendait encore à la ceinture du Bouclier d'Hyrule. Fondamentalement, il voyait en eux de plus grands héros qu'il ne serait jamais. « C'est à ceux qui permettent la vie, la protègent et la préservent qu'il faut rendre les honneurs. Pas aux bouchers. » Se murmura-t-il, en récupérant sa propre pinte qu'il n'avait pas encore vidée. Bientôt la bière irrigua son palais, sans apaiser son sentiment. Souriant à la pointe d'humour de l'officier, plus pour ne pas l'inquiéter que par véritable envie de rire, il leva également sa chope quand celui-ci le fit. Il ignorait que dire, concernant Ganondorf. S'il sentait tant bien que mal l'aveu que lui faisait son ami, il le renvoyait également à ce qu'il avait cherché à incarner, par le passé. Le portrait d'un être infaillible, inépuisable. Une cape capable de recouvrir tout le Royaume et de dévier chacun des carreaux qui l'avait pris pour cible. Ce qu'il ne pouvait être et ne serait jamais. La tête ne lui tournait pas, mais le bain, le jeune (même si brisé par quelques rondelles de saucisse de porc séchée) et la fatigue de la bataille commençait à le travailler. Sans vraiment s'en cacher, le blond ramena sa main devant sa bouche et bailla un instant. « Fais donc. » Glissa-t-il sobrement à son ami, cherchant après le fromage qu'avait amené l'aubergiste un peu plus tôt. Il n'avait pas de quoi payer ce qu'il consommait, mais puisqu'il songeait rester quelques jours au Village encore, il trouverait certainement un moyen de s'arranger avec le tenancier. Le vieil homme lui avait semblé particulièrement bienveillant et s'il y avait bien une seule chose de bon qui pouvait sortir des catastrophes provoquées par la guerre, c'était bien cette profonde compassion et ce désir d'entraide qui liaient les malheureux. Le plus souvent terni par la défiance dont ils faisaient montre à l'égard des étrangers, certes, mais il ne parvenait pas à les blâmer. Lui même ne tenait-il pas sa dague en main, quand Llanistar était entré ?
Sans ménagement, le vagabond essuya la lame du canif contre son vêtement. Veillant bien à nettoyer les deux côtés il s'attaqua ensuite au chèvre frais, non sans se rappeler l'excitation des Enfants-à-Fées quand un Kokiri parvenait à chaparder un petit peu du chargement des rares caravanes marchandes qui osaient s'aventurer dans les bois, jadis. Le fromage de chèvre avait toujours été la perle rare, qui illuminait le visage des enfants de l'Arbre Mojo. Quand l'un d'entre eux en ramenait, ne serait-ce qu'une once, le village tout entier se laissait aller à la fête. Les souvenirs insouciants de la Forêt lui tirèrent un petit sourire, sans même qu'il ne le réalise. Brisant un peu de la miche de pain gris apportée avec le plateau, il étala la part de fromage (il avait du se retenir de ne pas tout prendre d'un coup), avant de croquer dedans à pleine dents. Non seulement, il était affamé, mais la douceur du fromage lui avait manqué.« À l'épreuve tous seront soumis, aussi bien les rois lâches que les trahis », chantait la barde tandis que Llanistar se glissait doucement dans l'eau. Ces quelques mots suffirent à lui rappeler l'air tout entier. Sans chanter à son tour, il fredonna la mélodie, surpris de l'entendre. Loin de compter parmi les titres comme les plus connus, celui-ci se chantait habituellement bien plus au Sud-Ouest d'Hyrule. « Dis-moi, Llanistar... », commença-t-il songeur, en attrapant la carafe d'eau claire, désireux d'épancher sa soif sans trop s'approcher du vin. « Tu l'as vu, ce dragon ? » Lança-t-il, rendu curieux par le thème de la chanson. Il les connaissait assez pour en avoir affronté deux, déjà. Et si le Roi Dodongo n'avait rien à voir avec Volcania, les deux l'avaient laissé blessé, meurtri. Sans un mot, il resserra le bandage autour de son poignet brisé, comme si le souvenir des créatures réveillait de vieilles douleurs. Le givre de ses yeux glissa sur la paume de sa main comme l'eau des rivières, les flammes d'un saurien ou le sang d'une Gérudo.
Avec une certaine difficulté, à l'évidence, Llanistar revient sur ses propres raisons. Après avoir rapidement profité de l'eau chaude, quoique légèrement rougie çà et là, le Nordique commença à se confier. En écho à la réponse du va-nu-pied, il exprima les raisons qui l'avaient poussé au combat, par le passé. Des raisons qu'il ne jugea pas : la recherche de la gloire, du succès et de l'admiration menaient bien des hommes sur le chemin de la guerre. Sans rien en dire, il s'estimait juste heureux que, contrairement à beaucoup d'autres, cette voie n'ai pas mené son frère de sang jusqu'à la mort. Il n'avait pas beaucoup d'estime pour les soldats ou ce qu'ils étaient capables d'accomplir (en vérité, il nourrissait même le rêve d'un monde délivré des affres de la guerre), mais il demeurait conscient qu'on ne pouvait se passer d'eux. Il s'était toujours tenu éloigné des armées, quand il ne les avait pas combattues, mais ce soir il devait se rendre à l'évidence : sans avoir jamais signé quoique ce soit (il ne savait de toute façon pas écrire), sans avoir porté ni armoiries, ni blason, ni uniforme et sans avoir jamais commandé qui que ce soit, il était pourtant devenu un soldat. Partout ou se faisait la guerre, à Hyrule, il était sur les fronts. Sur les créneaux ou dans la boue, aux côtés des Généraux ou des croupiers... il ne se différenciait des autres que par la réputation dont il jouissait, le solde qu'on ne lui reversait pas et l'équipement qu'il portait au combat. « Accepte-le, tu tiens plus du soldat que du vagabond solitaire », s'intima-t-il, presque déprimé à l'idée. Reniflant sans ajouter quoique ce soit, il laissa le Rusadir poursuivre, tâchant de se concentrer sur ses propos. « Attends, pardon ?! » S'enquit-il soudainement, réagissant à l'annonce de Llanistar concernant celui qu'il avait cru être son amant. « ... Mais, je croyais que... » Poursuivit-il, décontenancé, tandis que quelques images survenaient dans son esprit, expliquant d'une façon ou d'une autre certains événements qu'il pensait interprétait correctement, auparavant. « Ils auront été nombreux. » Siffla-t-il, plus agacé, peut-être même jaloux. « Bien peu ne l'ont pas abandonnée, quand ils ne l'ont pas tout simplement trahie. » Cracha-t-il ensuite, plus franchement. Mais bien vite, la honte s'empara de lui à nouveau. Il savait pertinemment l'affection que portait le Général au Chancelier et pesta en silence contre lui même. Conscient qu'il réagissait comme un enfant, le Garçon-sans-Fée desserra le poing qu'il avait refermé sans le réaliser. Au moins les jointures n'avait pas blanchi, ni craqué.
"Exc... — Excuse-moi, l'ami... Je suis fatigué." Grimaça-t-il à l'attention de Llanistar, espérant ne pas l'avoir heurté. « Je ne voulais pas dire qu'Orphe... que le Chancelier trahirait ou abandonnerait Zelda... Je suis désolé. » Répéta-t-il, en ramenant la main devant son visage et en appuyant sur ses yeux. Son être tout entier s'engourdissait doucement. Le silence lui sembla plus long qu'il n'était véritablement, puis Llanistar reprit. Sa question le surprit plus qu'il n'aurait pu s'y attendre, tant il n'avait aucune réponse à formuler. Il irait, comme d'usure, là où le porteraient ses bottes. « Je... Je ne saurais dire.. — », commença-t-il, réfléchissant à sa réponse, quand le tavernier passa une tête dans la chambre. La voix qui tremblotait quelque peu, il questionna les deux hommes sur leur chambre. « Je ne crois pas. » Lâcha-t-il simplement, sans être définitif et en rendant son regard à Llanistar. Ignorant comment s'y prendre sans vexer l'Étranger, l'Hylien espérait néanmoins que celui-ci comprendrait sa fatigue. Il jeta ensuite un oeil à l'extérieur, non sans penser à tous ceux qui se retrouvaient sans toits ni murs. « Beaucoup n'auront nulle part où dormir, ce soir. » Reprit-il simplement, le regard toujours perdu, au travers des carreaux (pour ceux que son ami n'avait pas brisés). « Je te dois déjà beaucoup, aubergiste. J'apprécie ton hospitalité mais ne voudrait pas en abuser. » Ses yeux rencontrèrent celui de l'homme, toujours mal à l'aise. « Je suis persuadé que d'autres en auront plus besoin que moi... — », ajouta-t-il, la voix plus basse, en se hissant de sa chaise et en retournant auprès de ses effets. Avant de reprendre le Héros du Temps enfila sa chemise de maille et sa tunique, probablement plus célèbre qu'il ne l'était lui. « Tu m'as permis un confort que je ne connais que rarement. Je n'ai pas de quoi te dédommager intégralement... », glissa-t-il en enfilant les bottes de cuir, puis les gantelets (non sans une grimace). « Voilà de quoi commencer. » Fit-il, en lançant sa bourse à l'aubergiste, qui l'attrapa au vol. Il semblait habitué à récupérer des projectiles remplis de piécettes et parfois d'un rubis ou deux. Bouclant la ceinture qu'il portait en travers du thorax, pour accrocher sa lame et son écu, le Fils-de-Personne conclut, tant pour son ami que pour son hôte. « Je resterais au Village pour les prochains jours. Je compte participer aux réparations et au soutien des habitants. Si tu l'acceptes, aubergiste, je te rendrais ton dû de la sorte. » Le tavernier se contenta d'hocher la tête, avant de parler brièvement des clients qui l'attendaient en bas et de repasser l'entrebâillement de la porte pour les rejoindre. Le silence s'imposa en maître sur la chambre, tout juste troublé par le bruissement du bain encore chaud, sitôt que la porte fut refermée. Après avoir agrafé l'Épée de Légende et le pavois de Belle, Link lança un regard à Llanistar. « Je serais en bas, si tu me cherches. Profites de ton bain. » Souffla-t-il à son ami, bienveillant. Sans plus patienter il passa la porte à son tour, murmurant une vieille chanson que Malon fredonnait quand ils étaient enfant. « Par delà les tours, fortes et hautes ; Par delà les raides montagnes ; Au-delà des ténèbres court le soleil ; Toujours demeurent les étoiles... — Je ne dirais pas que vient la fin du jour, pas plus que je ne dirais adieu aux astres. »