Posté le 12/10/2011 22:47
-Quelle corvée… murmura Orpheos pour lui-même, tandis qu’il parcourait les couloirs interminables du château d’Hyrule. Le soleil était bien haut dans le ciel, au dehors, et pourtant il venait de commencer sa journée. Durant la nuit précédente, il s’était occupé de régler toutes les affaires incombant à son grade de chancelier, et qu’on avait d'abord envoyées à de simples subordonnés de la princesse. En majorité des demandes de représentations de troupes et d’artistes divers au château.
Parmi toutes ces demandes écrites sur des parchemins jaunis, une lettre avait davantage retenu l’attention d’Orpheos. Pas seulement en raison de l’encre vert olive qui jurait horriblement avec la couleur du parchemin utilisé, mais surtout pour le ton employé. Vouvoiement bafoué, condescendance insolente, arrogance visiblement mal placée… L’auteur était, selon ses dires, le bouffon royal de la princesse Zelda. La lecture avait été particulièrement pénible, autant à cause de l’encre qui avait forcé ses yeux fatigués, qu’à cause de l’outrecuidance manuscrite du personnage.
Techniquement, Orpheos était le patron du Bouffon royal, et c’était certainement ce qui posait problème à ce dernier. Pourtant, le Chancelier des Beaux-Arts et de la Culture n’avait rien demandé. Il n’avait jamais mesuré l’importance de sa fonction, même avant son exil, et n’avait pas un sens des responsabilités aussi aigu que la princesse hylienne. Il n’avait pas réellement conscience qu’il faisait partie de la caste des dirigeants du royaume. En voyant le fou décrire Orpheos comme un "aristocrate gras et pédant", il avait réalisé que très peu de gens le connaissaient au moins de vue. Sans doute la faute à son exil.
Et puis le fou s’attaquait plus particulièrement à son art, à ses capacités de le défendre. C’était pour cela qu’Orpheos déambulait dans le château avec sa lyre sous le bras, vêtu de son habituelle tunique, mais décorée cette fois d’une cape blanche avec un contour finement brodé de fils dorés. Elle était rattachée sur sa clavicule droite par le blason de la maison d’Hyrule. Cette cape était l’habit des chanceliers, leur signe de distinction, qu’ils devaient toujours porter lors des réceptions ou des visites officielles. Ce symbole Hylien, l’aigle et la Triforce, était aussi brodé du même fil sur le dos du vêtement.
Au moment où Orpheos posa le pied sur la dernière marche des escaliers menant aux jardins du château, sous la fenêtre de son bureau, un attroupement de quatre suivants se précipitèrent vers lui.
-Chancelier, vous avez rendez-vous ? commença l’un d’eux.
-Nous devons vous accompagner, poursuivit un autre.
-Je vous demande pardon ? fit un Orpheos agacé, arrêté au pied des marches. Je n’ai nul besoin de suivants, surtout pas pour un entretien comme celui que j’ai maintenant.
-Mais le protocole veut que vous soyez escorté-…
-Peu m’importe le protocole, interrompit le chancelier, vous me mettez en retard.
Le chancelier se dégagea de ses suivants et partit ouvrir la porte à la volée, mais ce petit groupe importun le suivit jusque dans le jardin. Depuis quand avait-il besoin d’eux ? Avant son exil, jamais il n’avait été encombré de ces personnes. Ses allées et venues s’étaient toujours faites en solitaire, et surtout, sans cette cape spéciale aux chanceliers. Orpheos avait la fâcheuse impression qu’on le poussait à devenir aristocrate, alors qu’il n’en avait aucune des qualités. Il était un musicien errant et un simple ami de la princesse qui l’aidait à diriger ses terres, rien d’autre à ses yeux.
En s’avançant dans le jardin luxurieux du château, il entendit une voix au loin. Certainement celle du fou.
-Voudriez-vous partir ? demanda t-il sans se retourner vers ses suivants, toujours à ses trousses.
-Le protocole-…
-Vous provoquez un dérangement dont je me passerais bien, déclara Orpheos en se retournant enfin vers eux pour les regarder franchement. Je vous congédie.
Et cette fois, les suivants ne lui emboîtèrent plus le pas. Sans doute à cause du regard menaçant qu’il leur avait lancé.
Lorsqu’il arriva au milieu du parterre extérieur royal, muni de toutes ses fleurs, il tomba nez à nez avec un étrange personnage, gracile de corps et très blanc de peau -presque aussi claire que sa tenue.
-Bon, j'ai faim, y a t il des patates, dans ce jardin ? Il serait honteux de créer un jardin sans potager.
Debout sur les mains et les pieds joints en l’air, la tête à l’envers, le bouffon provoqua un vague froncement de sourcils chez le chancelier. C’était donc lui, le fameux bouffon royal qui lui avait écrit cette lettre au contenu si décalé ? Décalé autant que la pose qu’il était en train de prendre au beau milieu du jardin ?
-Le potager ne se trouve pas ici, déclara Orpheos pour répondre à la question solitaire et rhétorique du fou.
Le chancelier observa l’énergumène se démener dans sa position, son regard émeraude calmement posé sur lui et attendant de bien distinguer son visage. Jamais il n’avait vu cet homme, et cela était encore dû au fait de son retour trop récent au château. Mais la rencontre promettait d’être pleine de surprises.
-Alors c’est vous, le Bouffon de la princesse…