Posté le 03/05/2013 20:29
Le bout de ses doigts caressait cette pierre rugueuse qu'il imaginait noire. Aussi noire que l'obsidienne mais autrement plus agressive que cette roche-de-verre qu'il ne connaissait que peu. Qu'importe laquelle elle avait été, de toute façon, pourvu qu'elle eut été capable de le soutenir. Il n'avait jamais été claustrophobe, et pourtant... Il avait cette sensation oppressante à chaque fois qu'il pénétrait le Castel-Réal. A chaque fois..? Non..! S'il étouffait depuis que Zelda l'avait mené à travers carrefours et couloirs, il s'était senti autrement mieux, avant. Avant, quand, enfant, il avait leurré l'ensemble des gardes à de nombreuses reprises — tant d'efforts pour quelques précieuses minutes passées en compagnie d'une Princesse. Avant, quand, adulte, il avait continué le même jeu. Quand il s'était, par exemple, lancé à l'assaut d'une tour qui donnait sur la Suite Royale d'Été (en l'ignorant, évidemment) pour la retrouver ; ou encore quand il s'était mis en tête d'entrainer sa souveraine. Il l'avait laissée l'emmener là où elle estimait juste de le guider, et...
C'était certainement la lourde boucle qui pendait à son oreille qui parvenait à atténuer les frissons qui courraient le long de sa nuque. La proximité de Zelda aidait aussi, bien évidemment, mais rien ne parvenait à repousser tout à fait le mal qui courrait entre les murs de la demeure des Rois Hyliens. Parfois, il lui semblait qu'une langue chaude et malsaine jouait avec ses mollets, comme pour le faire chuter. Des mots lui venaient à l'oreille, comme quelques billets macabres qu'on lui aurait susurré. Et quand revenait le Néant, fort de l'obscurité qui gravitait autour d'eux, le Champion-Déchu-par-le-Courage serrait d'autant plus fort et avec d'autant plus de vigueur la main de sa bergère improvisée. C'est, les yeux fermés, qu'il suivait la lumière qu'il percevait avec bien plus d'éclat quand dormaient ses pupilles. Et les rares moments qui prenaient un malin plaisir à les séparer, l'Enfant-des-Bois s'efforçait de jeter, entre les billes de givres et le voile que formait ses paupières, des images parmi les plus fortes qu'il avait vécu.
A mesure qu'ils ne progressaient entre les parois du Château des Nohansen, le vagabond semblait récupérer en autonomie et en forme. Le mal, à défaut de s'éloigner, cessait de croitre comme de progresser, et les sens revenaient doucement mais sûrement au Voyageur de Temps. Son emprise sur la main de Belle ne se fit pas moins forte pour autant — il conservait ce désir de la garder auprès de lui. Peut être de crainte que le Fléau ne s'avance vers lui ? Peut être par envie innocente de l'avoir contre son torse ? Sans doute. Vraisemblablement quelque savant et subtile dosage des deux, qui donnait lieux à un mélange habile ; ce genre de mixture qui l'aurait presque poussé à la rabattre sur lui s'il n'avait pas fallu grimper à nouveau d'un étage.
Le fer – il soupçonnait la longue échelle encastrée dans la paroi d'être de fer – s'écaillait sous ses doigts, tandis qu'il laissait Belle gravir ce qui, à n'en point douter, devait être un des immenses étages du Fort de Daphnès. Si, nombres de cercles d'enceintes étaient tombés, l'agréable palace de Zelda avait été en des temps autrement plus anciens un bastion fortifié érigé dans l'objectif tant de protéger Hyrule que de l'auréoler d'une puissance inébranlable. La paume bardée de cuir et posée sur le métal oxydé, le Gamin-à-la-Fée avait la tête renversé, comme pour s'assurer que tout allait bien. Vieux étaient les chemins, dangereux étaient les routes de traverses. Le fer avait été forgé jadis ; jadis, dans une époque ou l'Édile de Nayru aurait certainement eu à porter l'épée en plus de la couronne. Et entendre ainsi grincer les échelons n'était pas pour le rassurer. Le blond avait (depuis le début) préféré attendre en bas, pour pouvoir amortir une éventuelle chute.
Une petite lueur éclairait son chemin, quand il posa la main sur le premier barreau de fer. Le froid envahit ses doigts, quand il se cramponna à l'échelle sans se soucier des morceaux de rouille qui venait se ficher dans ses phalanges les plus tendres. Il serait sans doute légèrement marqué, mais sans plus. Et ainsi débuta la seconde ascension, pour rejoindre ce qu'il ignorait être le troisième pallier — qu'il avait déjà rejoint en escaladant la tour, une nuit ou Dun ne trouvait pas le sommeil, malgré la jolie blonde installée dans ses bras.
Le fer mal en point continua sa chanson. De tout évidence, il pesait autrement plus lourd que la frêle Zelda, et ça, le métal ne semblait pas apprécier. Encore quelques échelons, et il serait arrivé. L'Hylien se hissa petit à petit, pour ne pas trop torturer les restes d'une époque révolue, haletant un peu, en arrivant près de sa Princesse. La position le perturba un tant soit peu : genoux à terre, dos courbé devant la Nohansen Hyrule, il lui semblait qu'il prêtait serment devant Zelda, et peu s'en fallut qu'il porte la main sur le coeur — ce que jamais – ô grand jamais – auparavant il n'avait fait.
Link ne tarda néanmoins pas à se relever, comme gêné et effrayé devant cette perte d'indépendance qui se présentait devant lui. Loin de lui l'idée de s'opposer à sa souveraine, et en un sens son serment était tacite ; mais le dire vivement aurait provoqué chez le Faux-Kokiri un inextricable sentiment, composé de contradictoires, et douloureuses émotions.
Ils reprirent la route, sur quelques pas, jusqu'à ce qu'elle les arrête, à mi chemin dans le parcours. Il hocha silencieusement la tête quand elle s'exprima, tout en conservant au fond de lui le sourire qui ne demandait qu'à sortir. Il était enjoué de savoir que des gardes veillait sur elle à longueur de journée, rassuré et plus serein que pendant l'entrainement qu'ils avaient initié tous les deux. Et pour ce qui était des nobles... Tout en sachant qu'il était dans l'erreur la plus parfaite en généralisant le cas de Loireag ou d'Efelron, il ne parvenait pas à s'en faire une image positive.
"Je... —" Commença-t-il, prêt à voler dans les plumes d'une Caste qu'il ne supportait que trop peu. Il savait que de telles positions étaient vieilles de plusieurs siècles, si pas millénaires et avait été gagnées par la loyauté et les armes, mais il avait du mal avec la vision qu'il s'était forgée d'eux. Il fut cependant coupé dans ses jugements par le cri qui ne tarda pas à fuir les lèvres de la Seigneur-Suzeraine des Landes d'Hylia. Immédiatement, sa main gauche monta jusqu'à la fusée d'Excalibur, tandis que les traits de son visage se durcissaient aussi promptement qu'il ne saisissait doucement la hanche de Belle. Et toute la tension qu'il avait accumulé fut brisée par une seule et unique petite phrase. Un rat. Juste un rat. Le Sans-Lignage se laissa aller à un éclat de rire qui trahissait tant son soulagement, qu'une moquerie taquine devant l'effroi de son amie. Juste un rat, par la Grâce d'Hylia !
"Zeeeeelda ! ~" Lâcha-t-il, faussement indigné, et prêt à rire du caractère presque timoré de l'enfant aux cheveux d'or. « Ca n'est guère qu'un rat ! Il ne va pas te manger ! » Poursuivit-il, sans la lâcher pour autant, sa soudaine bonne humeur trahie par son timbre de voix. « Et je parle d'expérience ~ » Ajouta-t-il enfin, sans préciser explicitement qu'à plusieurs reprises un rat avait été l'essentiel de son repas quotidien. Ca n'avait pas grand chose de la chair gouteuse que pouvait avoir les cocottes, mais ça relevait bien souvent la saveur des racines. Face au silence qui allait naitre – il en était certain –, il se décida à poser les lèvres sur le cou de la demoiselle, pour la rassurer.
"Avançons, désormais. La sortie n'est plus très loin, et je brûle de revoir le ciel." Avoua-t-il, vraisemblablement mis mal à l'aise tant par cette visite prolongée dans un lieu qui développait chez lui un profond sentiment d'insécurité, que par l'irrévérence et l'audace dont il avait preuve à l'instant. Et ce fut son tour de jouer les bergers. Après quelques coudées de marche, ils tombèrent nez à nez avec une large porte de pierre. L'Hylien s'était saisi d'une torche un peu plus tôt, et il ne tarda pas à comprendre comment tout cela fonctionnait. Depuis sa plus tendre enfance, il résolvait des problèmes et faisait jouer les mécanismes, ça n'était pas celui-ci qui aurait raison de lui. « Reste devant cette porte. » Glissa l'Hylien à l'oreille de sa paire. Il savait avant d'activer les leviers qu'il lui faudrait faire marcher où déboucherait ce couloir. « Je vais tacher de l'ouvrir. Je ne sais pas combien de porte ça marchera, aussi passe immédiatement la porte. On se retrouve juste après. »
Sur ces quelques instructions, l'homme tout de vert vêtu s'éloigna, torche en main, à la recherche de l'énigme qui lui permettrait de faire coulisser cette lourde stèle. Ses yeux s'arrêtaient un peu partout. Au sol, aux murs, au plafond, sans qu'il ne distingue rien qui ressemblait à ce qu'il avait l'habitude de rencontrer. La peste fut ces sécurités qu'apposaient les anciens monarques ! Elles ne protégeaient pas des assassins, puisque Zelda avait failli en être la victime, et elles n'aidaient que peu à quitter ces donjons humides. Sans doute n'était-ce pas un passage secret, mais un cachot oublié d'un vieux Souverain cruel ou sanglant.
Et, finalement, enfin même, il finit par trouver une espèce de crête sur les dalles qui composaient le mur droit, à une petite douzaine de mètres de la porte. De l'acier, ou un quelconque autre alliage, avait été fixé au mur. L'autrefois Champion de Farore leva aussi qu'il le pouvait la flamme qui habitait sa main droite. Un long rectangle d'acier noir qui montait autrement plus haut que là où son bras ne saurait le porter. Et au centre de cette pièce mécanique, une fente qu'il ne savait expliquer. Jamais il n'avait été confronté à ce genre de dispositif et ce serait mentir que de dire qu'il n'était pas interdit face à son fonctionnement. La seule et unique certitude qu'il avait vis à vis de cet interrupteur si peu commun, c'était que la pierre derrière lequel se tenait l'ensemble de l'engrenage était creuse. Et si c'était là idée plus ardue à faire vaciller que la maigre lueur du morceau de bois qu'il avait enflammé un peu plutôt, il préféra s'en assurer.
"C'est creux." Murmura-t-il pour lui même, après que son poing gauche ne se soit abattu sur la paroi. « Et c'est trop fin pour y glisser les doigts. » Il réfléchissait à voix-haute, les yeux toujours rivés sur son objectifs. De son esprit dépendait dorénavant leur sortie de ce palais souterrain. À nouveau, il laissa la torche illuminer ce processus qui lui était si peu familier, alors qu'au fond de son crâne se dessinait une solution. Mais par la barbe de Darunia, comment ferait-il pour arriver là-haut ?! Il n'avait pas les ailes qu'on prêtait au Poisson-Rêve ! Tandis qu'il portait son bras droit à l'assaut des hauteurs du Donjon, le gauche descendait doucement vers sa taille. Ses doigts s'enroulèrent en silence autour de la gaine de cuir qui ceinturait la garde son poignard, la lame s'éveilla dans le plus profond des mutismes.
Sans prendre le temps de reculer ou de s'armer d'un quelconque élan, qui en réalité l'habituerait bien trop à l'inclinaison classique du sol, il se lança dans la bataille. Son pied gauche prit appui aussi haut que la gravité le lui permettait, et avant que la nature ne le rappelle à la loi la plus primaire, l'Hylien se servit de sa jambe comme d'un ressort. La détente hissa son bassin puis son tronc plus haut encore. Sans perdre la moindre seconde, conscient qu'il ne pourrait ainsi défier la physique éternellement, il jeta son autre patte contre le granit — plus haut qu'il n'avait su aller précédemment. L'effort tirait sur ses muscles, mais il en réclama encore de ses cuisses. Quelques foulées, et...
Ce fut au tour de sa main. Dans un atroce tintement métallique, l'acier du coutelas percuta les rouages, assoupis derrière cette protection qu'il avait su déjouer. Imperceptiblement, alors qu'il s'était d'apparence suspendu à près de quatre mètres cinquante au dessus du pallier précédent, il débuta sa longue dégringolade qu'il ne pourrait contrôler. Son poids le tirait inexorablement vers le bas, et à chaque pouce de descendu, le mécanisme tournait d'un cran. Si l'ouverture de la trappe minérale devant laquelle se tenait encore Zelda semblait prendre des années, son retour vers le sol était plus long encore. Ses doigts fermement vissés autour de la hampe du couteau, les bras gainés et les jambes tendus, l'effort était loin d'être terminé. Link continuait de lutter sans bruit contre l'attraction terrestre et la fatigue qui, une fois n'est pas coutume évidemment, se plaisait à se jouer de lui. La sueur perlait sur son front et courrait jusqu'à ses yeux, dérangeante. Ses deltoïdes, biceps et autres brachiaux le brûlaient avec autant d'aisance que ne l'eut fait la torche qu'il conservait encore ancrée dans la main droite.
Dans un dernier rale couvert par le vacarme assourdissant de la pierre, il arriva au bout du rectangle d'acier, un mètre au dessus du sol environ. La Princesse s'engouffra dans l'ouverture. Ses pieds retrouvèrent la stabilité qu'ils avaient perdu durant l'ascension, puis la chute. Son poignard cessa de retenir l'engrenage. La stèle ferma de nouveau la voie qu'il avait tant peiné à ouvrir. Son dos se plaqua à la pierre, et il se laissa glisser. Il n'y avait pas mort d'homme, il le savait, mais la situation avait de quoi le désespérer. Ses efforts n'avaient contribué qu'à le séparer de Belle, et si elle ne courait pas de réel danger, il avait du mal à trouver une solution. Si dès lors qu'il relâchait toute pression sur le mécanisme la porte se refermait, il serait impossible de sortir. Et pour cause : la lézarde était bien trop étroite pour tacher de coincer l'arme et tromper la vigilance de feu les Seigneurs du Fort.
Le Fils-de-Personne finit cependant par distinguer quelque chose qu'il n'avait pas remarqué jusque là. Se relevant, il s'avança jusqu'à ce qui s'avérait être une troisième échelle, sans prêter attention au mince filin qui se déchirait à son mollet.
Preuve du grand-âge des caves dans lesquels il progressait, l'échelle hurla dès qu'il eut posé la botte dessus. Faisant fi de ces cris préventifs – ces vieilleries avaient bien des fois crié au loup, déjà – il s'éleva dans la sueur. Un échelon. Deux échelons, trois échelons, puis quatre, cinq, dix, le compte fut rapidement perdu. Ou, du moins, il avait été perdu quand une légère détonation lui vrilla les oreilles. Depuis un moment déjà, Link ignorait les murmures qui avait repris, mais il savait reconnaitre le bruit du fer qui glisse contre le fer. Ses mouvements se firent plus amples, plus rapides. Une sorte d'instinct lui disait de ne pas trainer ici.
Le barreau céda sous son pied, se brisant sec. Il chuta d'un bon mètre avant que ses mains ne le raccrochent à l'échelle. Son genoux avait cogné avec violence les roches qui perçaient à travers le mur mal entretenu, et le sang fut plus prompt à envahir sa jambe et infiltrer la toile de son bas que lui ne l'était à pivoter sur lui même. C'est bien tard que l'Hylien vit arriver les fléchettes qui fusaient à toute vitesse sur une même ligne. Une même ligne à laquelle son oeil appartenait. Foutue échelle.
Le sang maculait à nouveau sa pommette, coulant sur son visage et goutant sur son épaule, quand il pressa les bras suffisamment fort pour faire bouger la dalle qui formait la dernière sortie du couloir piégé. Le Sans-Lignage ignorait tout à fait si des soldats frappés de l'Aigle d'Or le surprendrait quand il se hisserait sur le chemin de ronde, à deux pas des créneaux et des mâchicoulis. Ca n'était de toute façon plus son ennui premier. La fatigue et la fracture que lui avait infligé la porte de Talon lui pesaient de plus en plus. Et ce Néant contre lequel il ne parvenait pas à lutter le harcelait toujours un peu plus. Tant et si bien qu'il ne fut pas malheureux de sentir à nouveau le vent balayer ses cheveux, et fouetter ses joues, en dépit de la balafre causée par le carreau qu'il n'avait pas pu éviter.
Le Héros du Temps inspira profondément, étonnamment seul sur cette portion des remparts. Et même s'il avait fait mine de peu s'en soucier un instant plus tôt à peine, c'est un soulagement sincère qui s'empara de lui. Tant parce que cette douloureuse excursion dans la violence d'il-ne-savait-quel-roi était terminée, que le soleil était à nouveau à porté de regard, que l'horizon lui appartenait toujours. La liberté des grands espace restait sans doute son premier amour. Et puis, il y avait Belle, un étage plus bas, qui devait l'attendre. Le vagabond n'avait pas la moindre idée du temps que lui avait pris son ascension depuis leur séparation imposée, mais il n'avait besoin d'aucun cadran ni d'aucune lune au sourire mesquin pour savoir qu'il ne prendrait pas Zelda de vitesse ce coup-ci.
Posant son poignet sur le créneaux le plus proche, il s'appuya sur son bras pour se jeter dans le vide. En deux temps trois mouvement, il remontait à l'assaut de ces tours qu'il avait déjà escaladé, et bientôt, il se glissa jusqu'à la fenêtre fermée de la suite d'Hiver. En équilibre sur le minuscule parvis, il toca deux coups contre le verre.