Posté le 07/11/2014 03:47
Les murs du château entiers tremblaient et les commérages couraient. En effet, on murmurait la résidence plus régulière d’un nouveau noble entre ces mêmes murs, et pas n’importe lequel. Le "Grand" Del Naja, tel qu’il s’appelait lui-même dans les conversations mondaines, avait annoncé -lors de son retour à la cité- qu’il souhaitait s’imposer parmi la Cour.
Si seulement cette bande de lèche-couronnes savaient.
Tous avaient beau le dévisager, cancaner sur son passage, ou tenter de soudoyer la moindre information de sa part, jamais ils ne pourraient saisir la moindre parcelle de son nouveau jeu de dupe. Il lui fallait tout de même rester prudent : si les conversations à son sujet remontaient un peu trop souvent jusqu’aux têtes en charge du Royaume, alors il pourrait dire adieu au nouveau rôle d’espion que Ganondorf lui avait donné.
Abel s’était rarement trouvé aussi beau et heureux. S’il avait rampé quelques jours plus tôt à la forteresse Gérudo pour plaider des terres à Ganondorf, il n’en était pas reparti qu’avec son seul gain de cause, mais avec bien plus. Beaucoup plus. Abel était plus gonflé d’orgueil que jamais, seulement sur ce point aussi, il lui fallait être discret sur le "pourquoi".
Cette assurance quasi-démesurée, due à un pouvoir secret offert par son vrai seigneur, et à toutes les terres qu’il avait acquises dans le royaume, lui permettaient d’être aussi désobligeant qu’il le souhaitait. Ce jour-là, c’était une servante un peu naïve et lente qui en faisait les frais.
-Ce vin est âcre, allez m’en chercher un autre, lui crachait Abel avec un superbe mépris. Oh, regardez comme vous êtes voutée, tenez-vous mieux ! Et changez de chaussures, les vôtres sont immondes.
Sans oublier de lui adresser un sourire à pleines dents, le noble Del Naja déversa la coupe de vin sur les souliers de la pauvre servante. Rouge de honte, elle repartit tête baissée en délaissant le noble blond avec la compagnie d’un petit bourgeois de la Cité, dans une galerie qui bordait les jardins intérieurs du château. Une mise au point s’imposait avec ce jeune freluquet depuis qu’il revendiquait la parcelle d’une terre achetée par Abel. Il avait une tête de rat défigurée par un poireau sur l'aile droite de son nez.
-Cher nobliau dont j’ai déjà oublié le nom, vous devriez économiser tous vos rubis rouges pour vous transformer la figure ! se gaussait Abel. J’ai eu ouïe dire que la sorcière de Cocorico faisait des miracles… Elle devrait utiliser ses propres potions sur elle, la malheureuse.
Désarmé devant l’odieux personnage qui dévorait sa répartie à chaque mot, le bourgeois ne parvenait plus à en placer une. Abel monopolisait la parole jusqu'au bout.
-Je vous déconseille de tenter la moindre procédure. Ces terres sont à moi depuis que j’ai usé de mon porte-rubis pour les avoir. Voulez-vous un procès ? La justice me donnera raison. Voulez-vous l’affrontement ? Je vous donnerai tort… peut-être à mort.
Le regard soudainement glacé d’Abel finit de paralyser le jeune bourgeois. Il savait que la plaisanterie était finie, mais il fut aussi -et heureusement- sauvé par le retour de la servante, qui porta au blond une nouvelle coupe de vin.
-Bien. Soyez plus rapide la prochaine fois.
Les yeux noirs du noble étaient comme une brûlure désagréable. Tout en buvant sa coupe de vin, il ne lâchait pas la servante des yeux. Il aimait écraser les esprits faibles, et c’était le plaisir qu’il comptait s’offrir, lorsqu’il reprit à l’adresse de son interlocuteur fortuné.
-Nom d’un dieu, est-ce que toutes les figures de ce château sont aussi déplaisantes à entendre et à regarder ? J’ai envie de me divertir, maintenant. N’aurait-t-on pas sous la main un bouffon, un barde ou un magicien ?