Posté le 13/02/2013 17:56
Ses doigts se desserrèrent, laissant tomber les fines lanières de cuir qui formaient les brides. Il n'appréciait que peu monter le palefrois ainsi, mais force était de constater que si plus jeune il avait su parcourir des coudés et des coudées sans selle ni mords, il avait nettement plus tendance à ressentir les désagréments que pouvait impliquer de chevaucher aussi sauvagement qu'il l'avait toujours fait. Mais pis encore, il savait pertinemment comment Talon et Malon auraient réagi en le voyant arriver ainsi, aussi avait-il préféré harnacher et seller Epona avant de se rendre au Haras du Domaine Lonlon.
Son épaule le lançait. Il lui semblait que tout son corps lui disait la douleur à laquelle il se soustrayait le plus souvent. Plus d'une fois, la magie avait réparé ses os brisés, refermé ses chairs déchirées, remplacé ses tissus brûlés, lavé son organisme empoisonné et pansé les plaies qu'il n'avait eu le temps de soigner. Parfois, il avait l'impression de vivre avec un corps vieux. Un corps aux articulations mortes, au cartilage depuis longtemps disparu. Il poussa un profond soupir, avant de fermer les yeux, puis jeta ses bras au ciel. Besoin de s'étirer. Besoin de marcher, aussi, mais ça, il n'aurait le temps que plus tard.
Llanistar van Rusadir avait été clair, avant de s'en aller se coucher, la dernière fois qu'ils s'étaient vus. Ni lui, ni l'Officier ne savaient à ce moment là ce que comptait faire le blond. En fait, le Général s'était peut être posé la question – peut être pas –, mais le Vagabond ne savait pas même où ses pas allaient le mener, après cette soirée qu'ils avaient passé ensemble. La Forêt ; en flammes. Le Bosquet Sacré, vestiges surplombant des Bois millénaires devenus odieux marécages. L'Homme du Nord, sans formuler d'ordre (sans doute ne se le serait-il pas permis) avait demandé à l'Enfant-des-Bois de revenir au Ranch de Malon aussitôt qu'il lui en serait possible, aussi vite qu'il aurait terminé ce pourquoi il devait se rendre à la pointe Sud-Est du Royaume.
Le « Petit-Être » qu'il avait recueilli sur le parvis du Temple de la Forêt tournoyait autour de son avant-bras gauche. Léger, il flottait dans les airs, et en dépit de son apparence enflammée (mais bleue — Hyrule est contrée de magie), l'esprit ne brûlait pas. Peut être cela était spécifique au Héros, il n'aurait su le dire. Toutes ces sorcelleries lui étaient par trop étrangères, néanmoins, il aurait fallu qu'il soit le dernier des idiots pour ne pas remarquer que le tranchant de l'Épée de Maître s'était affiné, que sa silhouette s'était dessinée à nouveau. Purifiée, presque.
Alors qu'il laissait tourner tout autour de sa main d'épée originelle ce verrou qui maintenait en place il ne savait quel aspect de sa lame, il ramena l'autre juste en dessous de son front, au dessus des yeux pour l'improviser visière. L'astre du jour n'avait pas la force qu'il possédait en été, pourtant la neige qui s'étalait un peu partout faisait miroir parfait et reflétait la lumière. Il n'avait guère de moyen très efficace de s'en protéger, aussi faisait-til comme il le pouvait. Les plus grandes terres fermières n'étaient plus si loin, et de toute évidence, ils y seraient, la jument, la Fée et l'Hylien, avant la tombée de la nuit. Le Fils-de-Personne se doutait que le Rusadir n'avait pas attendu sur place depuis leur dernière entrevue — il l'espérait, du moins. L'état qui frappait son tout récent frère-de-sang aurait expliqué qu'il soit resté si longuement chez Talon, mais n'aurait jamais apporté l'espoir qu'il se devait de donner aux Hyliens. Ni redoré le blason par trop terni par les écrits qui lui avait été montrés.
Link reprit les rennes entre ses mains bardées de cuir, et éperonna (dans la mesure du possible ou cela peut être fait sans piques sur les bottes) l'animal. « Yah ! » Lança-t-il avec vigueur, alors que ne partait au quart-de-tour la douce mais brûlante Epona. Avant même que ne fussent avalés les premiers pieds, le Sceau de Mémoire et de Pensée disparût comme il l'avait fait au Bosquet Sacré, et Navi se glissa dans le bonnet vert du Faux-Kokiri. Chaque galop soulevait des gerbes de neige qui restait encore, malgré la cessation des chutes. L'Hiver avait été froid et rude, il faudrait encore un moment pour que la neige ne disparaisse tout à fait du paysage d'Hylia.
Il avait vu juste, et la voute céleste se teintait d'un rouge orangé particulièrement chaud pour une nuit d'Hiver quand Epona passa les gorges de l'exploitation de Talon. Il ralentissait déjà le destrier depuis quelques lieux, mais n'hésita pas à la calmer plus encore. Il avait remarqué, depuis la fugue de Malon (dont Talon l'avait averti un peu plus d'une semaine plus tôt) que son amie devenait particulièrement angoissée quand elle se trouvait à nouveau sur ces terres qui avaient failli voir leurs morts, à tous les deux. L'incendie déclarée par les combats pour elle — le duel contre le Gérudo pour lui. Et comme à chaque fois qu'il y repensait, il serra le poing au point d'en faire craquer les articulations, et pâlir les jointures. Tant de choses inaudibles en raison des sifflements de l'air, et invisible de par ses gantelets-bracelet de force qui ceignait ses poignets et avant bras.
"Olàà... Tout doux ma belle." Murmura-t-il à l'adresse de l'équidé, alors que ne mugissait le vent dans son dos. C'est tout entier qu'il trembla, pris de frisson, quand une violente bourrasque s'acharna a faire chuter d'au moins huit degrés sa température corporelle. Fou eut-il été que de continuer sa route par un froid pareil, quand bien même Llanistar ne lui aurait pas demandé de le rejoindre ici ! C'est au pas qu'il la forçât cependant à continuer, jusqu'à distinguer une forme étrange qui perçait le lourd opercule blanc de cette saison meurtrière. Qu'était-ce ? Un tonnelet oublié par le vieux-Talon ? Certainement pas. Ca bougeait de toute évidence. Et ça reculait. C'était humain, et vivant. Comment cela pouvait resister par un temps aussi atroce..!
Il sauta à terre sans attendre plus longtemps, et vint s'agenouiller devant la demoiselle. Il découvrit le visage de l'inconnue, masquée tant par la neige que par un tissu malmené par il ne savait quoi. « Là... » Fit-il, dans l'idée de la rassurer. Le froid qu'elle avait affronté l'avait forcément violentée, et il ne lui voulait que du bien. Il savait que parfois une simple présence pouvait sauver une vie. « Tout va aller pour le mieux, Flora. C'est fini. » Continua l'Hylien sur une toute petite voix, en reconnaissant la Prêtresse de Nayru. Il fit claquer sa langue à l'adresse de sa monture, qui s'approcha encore un peu, en silence, et sans quitter la Dame Bleue, il tira une couvrante qu'il passa sur les épaules de la jeune femme.
Ses propres doigts virèrent eux même au bleu quand le Fils-de-Personne les enfonça dans la neige pour soulever la sacerdoce. Elle lui semblait si légère, si fragile qu'il en avait peur de la briser. Le blond n'avait jamais ressenti cette crainte auparavant, que ce fut pour Zelda, Malon, ou même Saria. Bien sûr, il les avait déjà vues mals voir presque effondrées, mais qu'il s'agisse de l'une, de l'autre, ou de la troisième, quand bien même il les avait toutes trois protégées (et parfois dans des situations véritablement désespérées), il ne lui semblait pas avoir senti pareille détresse chez elles. Peut être était-il trop jeune pour ressentir celle de Belle, quand elle fuyait le Castel-Real ? Peut être portait-elle depuis bien longtemps déjà la responsabilité du Royaume sur les épaules pour laisser transparaître ses faiblesses, même auprès de lui ? Quel droit avait-il dessus, de toute façon ? C'était, jusqu'à peu, à Loireag de veiller sur elle. Pas à lui. Ca ne retirait rien à tout ce qu'ils avaient partagé, mais... Quant à Malon, il l'avait toujours connue ce sourire au lèvres, qui perçait les nuages noir mieux qu'aucun rayon de soleil. Parfois c'était elle qui lui remontait le moral, en réalité. Il l'avait connue désoeuvrée après la mutinerie d'Ingo, elle n'avait pas baissé les bras, et pour ça il l'avait admirée.
Il ignora son coeur qui se serrait et emboutit la porte d'un coup d'épaule qui lui laisserait surement la tête de l'humérus en morceaux. Link grimaça, retenant un gémissement de douleur. La peste soit cette guerre qui poussait les gens à se barricader chez eux. Il avait fait sauter son épaule gauche pour défoncer une porte qu'il s'était cru toujours toujours ouverte.
"Funérailles..." Souffla-t-il, haletant, mais à l'intérieur. « TALON ! » Hurla-t-il, en s'époumonant avec autant de force qu'il lui était possible de le faire. Son épaule le lançait, le Héros du Temps savait qu'il ne serait pas à même de garder l'avatar de Nayru dans ses bras des heures durant. « Talon.. » Reprit-il, baissant les yeux, et brisant la nuque sous le poids de la douleur.
"Tu m'as appelé p'tit-ga... — Oh ! Nom d'une cocotte !" S'étonna le vieux fermier quand il arriva, encore endormi, dans l'épaisse étoffe qui lui servait de robe de nuit. Ses yeux passèrent de la Prêtresse à l'Hylien, puis de l'Hylien à la porte. « Saperlipopette ! P'tit gars ! » Reprit-il immédiatement, surpris, interdit, presque. « Prends. » Lâcha Link, desserrant enfin les dents et mobilisant un bon nombre de ressources pour ne pas hurler au passage. Les Déesses seules savaient de quel bois étaient faites les porte du Ranch. « Je paierais. Trouve lui une chambre. Vite ! » Souffla-t-il à nouveau, en passant Flora à Talon, qui peina d'abord à la porter, mais l'emmena ensuite vers la chambre de Malon. Il ne pouvait de toute façon pas ignorer son état. Naïf et benêt, peut être, mais loin d'être un idiot.
Dès lors qu'il fut à nouveau seul, Link se laissa chanceler. Bien des gens diraient qu'ils avaient connus pire, certes. Quelques uns pourraient être des menteurs, d'autres dire vrai. Lui même avait survécu à d'autres blessures. Mais la peine, physique ou quelque soit la forme dans laquelle elle se manifeste peut parfois empêcher d'avancer. Ses genoux rencontrèrent le parquet, et il lui semblait qu'on lui avait scié les jambes. « Funérailles... » Murmura-t-il à nouveau, éreinté. Par dessus les combles, le Soleil avait fait place à la Lune.
Quand Talon revint vers lui, il s'était relevé, avec tout le mal du monde. Sa main droite lui avait servi de béquille tout du long, et il s'était appuyé sur le mur qui faisait office d'escalier et menait jusqu'au chambres des propriétaires. « P'tit gars... J'aimerais qu'tu m'expliques. J'y pige —
— Plus tard, l'ami. Avant, j'ai besoin de toi. Tu peux écrire pour moi ? »
Talon le dévisagea, toujours aussi interdit. Il se doutait bien que son vieil ami ne comprenait pas la moindre des choses qui se passait sous son toit. « Pour sûr. » Le vieillard se mit à chercher un peu de papier, d'encre et une plume. « La petite est à l'étage. Je l'ai laissée dans la chambre a Malon. »
Vingt minutes s'écoulèrent avant que ne s'envole un oiseau en direction du Château d'Hyrule. Le Général Rusadir le recevrait dans le courant de la nuit, et arriverait très certainement dans la soirée du lendemain.