Le Mal des Cieux

[Temple du Temps]

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Astre


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(vide)

Les limbes m’ont recraché, tout collant, tout poisseux, le liquide amniotique de la mort m’engluant comme un nouveau-né. La pourriture était ma seule compagne, celle qui chaque jour me touchait, me caressait les os avec sa langue moisie. Ma chair n’est pas une neige éternelle, elle était vouée à disparaître. Cet état de larve, de grosse larve hideuse, n’était qu’un stade avant de m’épanouir, avant de devenir le papillon d’acier. J’étais envoyé par les sous-sols pour parasiter la lumière et la terre entière. Le cerveau vierge de tout souvenir, les pensées y circulaient sans prise de tête et ainsi je pouvais réfléchir –malgré la rouille humaine qui altérait la magie- avec aisance, agir avec une grâce originelle, non perturbée par l’éducation de mon existence antérieure. Je ne peux pas dire que je profitais de cette nouvelle vie, à vrai dire, je n’arrivais pas à comprendre comment cela était possible, ce phénomène paranormal qui me faisait mouvoir, mais sans m’en faire une quête divine pour articuler mon anatomie trop mûre, cela resta un léger tourment. J’entrepris alors de faire des tours, des grands tours monotones et insipides à travers Hyrule, la nuit me couvrant des regards indiscrets. Je pouvais à loisir observer le monde s’endormir, ou justement continuer à vivre dans la trivialité.

Les sentiments m’étaient inconnus, je ne savais que faire semblant. Et puis, l’une de ses nuits où je me disputais amicalement avec le fringant seigneur-vandale, Arkhams « Mille-Casaque » comme il aimait à se nommer lui-même, la magie goûta le plaisir de ma chair et les étoiles me rendirent une honorabilité que je croyais perdue à tout jamais, dans la fange, avec les souvenirs de ma vie passée. Cette sorcellerie céleste me dépouilla de ma viande, de mes organes, de tout ce qui n’était pas l’ivoire des Dieux. Je gardai pour seul caractère physique ce grand squelette lisse et poli comme un silex, brillant comme une perle ; j’étais devenu gigantesque luciole, drapée d’importance. Les galaxies au-dessus de moi avaient ensuite posé sur mes épaules non frileuses la toge funeste d’un empereur, celui des sous-sols. Je n’avais pas besoin de couronne pour ma carcasse, seule la tenue de prêcheur noctambule m’était nécessaire. Arkhams, émerveillé mais en pleine contradiction m’avait-il semblé, s’était fait vicieux lézard, serpentant entre les promesses. Cet homme-là n’était conçu que pour survivre, c’était assez étrange. Il aimait les périples extraordinaires, monter des étoiles filantes et faire pleurer le monde était pour lui le mets le plus raffiné, mais je le sentais prêt à fuir dès que le péril se montrait trop grand. Peut-être que pour lui, rien ne valait plus la peine de se brûler les ailes. Je ne peux pas partager son avis, après tout, je n’ai plus d’ailes. Je suis mort mais ma conscience est réveillée et mon corps est mobile. Je n’ai plus rien à perdre.

Ainsi me trouvais-je devant le Temple d’Hyrule, avide d’effrayer les séculiers qui y travaillaient, les plonger dans une désagréable torpeur, et prendre place sur le trône des prédicateurs. Je poussais la porte lourde, elle tourna sur ses gonds, huilée de partout comme une morue sur le point de se faire pilonner le derrière. L’excitation était à son comble. J’entrai alors dans un hall de lumières, les déesses m’accueillaient et j’étais leur fils. Ma dignité brillait comme deux joyaux rouges dans les cavités. Les rubis avaient remplacé la gelée moribonde. On ne pouvait pas faire plus noble. Ma robe, bleue-nuit, en soie peut-être, coulait entre mes doigts. Je ne pouvais réellement sentir le contact, mais l’imaginer suffisait à me combler. Une large capuche couvrait mes traits. Il n’y avait personne. J’observai les vitraux, qui représentaient des scènes épiques ; Din surmontant le désert hanté, Nayru pansant un homme malade, Farore croquant la pomme du savoir. L’une de ces fenêtres éclatées de couleurs, la plus récente sûrement, montrait un petit homme vêtu de vert en train de vaincre un roi à la peau basanée à l’aide d’une épée somptueuse. Que de chevalerie, que d’honneurs !


« Pardonnez mon impudence, sire, mais que faites-vous ici ? »

La voix, grave et chaleureuse, dénotait de l’anxiété. Il ne m’avait pas encore vu cependant, je me dépêchai alors de lui montrer ma vraie nature. Mes mains abaissèrent la capuche, et son regard se pétrifia d’horreur.


« Oh, je cherche simplement un trône à mon postérieur. Ce palais me semblait honnête. » Le prêtre reprit rapidement ses esprits, fougueux malgré son grand âge.

« Je… vous… Vous êtes un enfant du Démon, c’est le Mal qui vous envoie. » L’air ennuyé put se lire dans mes yeux rubis, la magie rendait malléable la matière osseuse et je pouvais ainsi froncer les sourcils, prendre un air amusé, tout ce que les muscles permettaient habituellement.

« Ne vous moquez pas, voyons. Je ne me souviens pas de mon père, mais je suis sûr que c’était quelqu’un d’honnête, et qu’il venait prier tous les Kokirium comme un bon croyant. »

Soudain, le clerc n’en put plus : il mit ses mains sur son torse, les yeux lui roulant dans les orbites tandis qu’il semblait suffoquer. J’étais amusé. Il s’effondra sur le sol marbré, son cœur avait lâché.

« Mort de peur ! Si j’avais pu le croire avant… ». Mon rire prit son écho dans cette immense pièce, et je continuai mon avancée. Les bancs en bois verni me semblaient ternes, à côté de ce large autel qui surmontait toute l’assemblée. Je me mis derrière, dans l’axe de la porte, avec derrière moi trois vitraux gigantesques représentant la Trinité.

Le lieu était toujours désert, et le corps du défunt prêtre marquait le centre du temple. Simple coïncidence ? Ahahah, je n’aurais pu le jurer, avec tout ce qui m’était arrivé dernièrement.


« Abracadabra, foie jaune et verrues purulentes, au nom d’Ismella la Vilaine je transforme ces bancs en baleines ! » prononçai-je en agitant les bras dans tous les sens. Rien ne se produisit, si ce n’est une nouvelle quinte de rire magique qui paraissait refroidir la pièce. Empereur des Sous-Sols, prédicateur de la fange, cela me plaisait bien.


John Doe


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(vide)

La fascination est une émotion tellement érectile qu’elle pousse aux plus grandes folies. Nombreux furent les puissants de ce monde et des autres à lui succomber, et nombreux furent ceux qui s’en retrouvaient détruits. Le plus délicieux des vices ! Une femme, l’argent, une relique sainte, qu’importe l’objet fascinant, la magie opère et l’esprit humain est possédé et dépossédé de sa raison. Certains s’y jettent, nu et rigolard. La fascination est un océan sans fin ni fond, on s’y noie, sourire aux lèvres et larme aux yeux. Lord Arkhams faisait partie de ces fous là.

Le fourbe lézard avait suivi son fascinant objet. Entre vénération et jalouse haine, il se mouvait à travers les ombres. Epiant les pas hésitants de la Liche incroyable, il hésitait. Etudier avec elle les arcanes qui avaient mises sur pied ce chef d’œuvre nécrotique, ou la terrasser et sucer sa moelle arcanique ? Le dilemme fendait le crâne du Serpent Phénix en un terrifiant supplice raffiné.
Le mage morbide se déplaçait avec lenteur, il glissait sur le sol, sa longue toge trainante derrière lui comme celle d’un Suzerain somptueux. Lord Arkhams savourait cette quintessence de noblesse tandis qu’il l’espionnait. La bête se dirigeait vers le Temple du Temps pour une raison tout à fait inconnue.




« Abracadabra, foie jaune et verrues purulentes, au nom d’Ismella la Vilaine je transforme ces bancs en baleines ! »


Le funeste prêtre faisait sa messe, sordide parodie de foi. Les bras levés, prédicateur morbide, il dictait sa religion avec humour. Cet humour détaché propre à ceux qui ont tout vu, tout vécu, tout subit, tout gouté. Cette âme supérieure montrait la voie la plus pure qu’il soit. Fanatisme, patriotisme, satanisme, paganisme ou chamanisme ? Non, simplement le culte du détachement, du recul, de l’intelligence, de la supériorité. Lord Arkhams, plaquait contre un mur sombre d’un bras du transept du Temple, était fascinait. Il buvait par ses esgourdes le miel sucré des paroles du maitre de cérémonie. En transe, les mots échappaient à sa bouche possédée par la sacralité de l’instant.


« Furoncle sur la face de l’Eglise sainte,
Blasphème sur le seuil du divin Royaume,
Sur parvis d’argent, crachat après grasse quinte.
L’abominable duc sur l’autel riait jaune,
Eclats de voix, éclats de verre,
Tranchant gorges et artères
Des bons et pieux clercs.
Les Déesses en détournent les yeux,
De cet immonde monstre vicieux.
»



Le Mille-Casaque se détacha des ombres et marcha, lentement, et traversa l’Eglise. Arpentant la croisée des transepts, il se mit à genou, devant les bancs et face au Prêtre des Morts. La main sur la garde de son épée brillante, il contemplait le Macchabé. Enveloppé d’une soierie bleue royale, claire comme un jour d’été, il était immobile dans son bain de Lune. Cette dernière le drapait d’un halo d’ivoire et d’argent, faisant luire ses doigts squelettiques, en l’air et perçant l’atmosphère dans un spectacle de défis. « Oui, je suis une bête des Limbes, oui tu me répudies triste église, mais je te provoque, je te somme de me punir ! » Semblait clamer la Liche.


« Je suis adepte des actes impies en ce lieu. »


Ronronna-t-il autant pour le Presque-Mort que pour lui-même. La phrase raisonna en écho, sans réponse. Les mots voyageaient dans le Temple, les syllabes s’écrasaient contre les vitraux, les lettres trépassaient sur les dalles de perle. Le mille-fois traitre se leva, droit comme une lance vengeresse prête à empaler autrui. Il tira son arme, son acier reflétait la Lune de tout son long, flèche de lumière face au bouclier d’ombre du Monstre-Prédicateur. Lord Arkhams se déplaça alors vers la Liche, la pointe de l’épée en berne semblant refuser ce qu’elle allait être contrainte de faire. L’inexorable marche du Lézard à deux pattes était vaillante et sérieuse. Il allait percer le mystère, percer ce monstre, percer sa propre et mortelle condition.


Astre


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(vide)

Je le voyais entrer, ce premier disciple, ce premier fervent croyant. Ne dit-on pas que les premiers sont les plus dangereux ? Ils croient plus encore en leurs dieux que les dieux eux-mêmes n’admettent leur propre existence. Arkhams, amoureux, suintait la gourmandise. Il avait faim, faim de découvrir ce qui se cachait derrière la Liche. Son corps répugnant, cabossé de partout, la barbe en cicatrices, le nez retroussé et les narines fumantes, se congestionnait dans une danse endiablée, celle du fanatisme aveugle. Ô magie, ma chère magie, toi qui fais couler en mon corps les orbes lumineux de ta science absolue, toi qui fais jaillir de mes yeux les étoiles filantes du lendemain, je te jure fidélité !

« Je suis adepte des actes impies en ce lieu. » La voix était suave, mielleuse ; cette sincérité chaleureuse brûlait le froid des pierres, le temple n’avait jamais paru aussi vivant depuis le mariage du sinistre Ganondorf il y a de cela plusieurs années. Une acoustique parfaite, les échos paraissaient plus sorciers que naturels. Je suis adepte des actes impies en ce lieu. Sacré seigneur-vandale ! Cette âme peureuse était bien la plus compliquée, la plus finement ciselée que j’eusse jamais vue. Son anatomie dégoûtante cachait une âme gothique, une âme aux replis bien détaillés, hauts et bas-reliefs sculptés à même la vapeur mystique.

La chaise racla le sol dans un brouhaha terrifiant. La vipère s’était redressée, arme au poing. Je le regardai malicieusement, ne sachant quoi attendre de ce noble vaurien. Qu’allait-il faire, s’adouber chevalier de la déchéance, s’éventrer en ce lieu sein pour vider ses intérieurs pourris sur les dalles brillantes, ou bien… Quoi ? ahahah ! Me planter, moi ?! Cette expression furibonde, ces yeux fiévreux et ce visage suant, j’aurais pu palper sa détermination comme j’aurais pu palper le sein palpitant d’une catin… Tu veux me tuer, moi, ton nouveau maître ? Eheheh… Me voilà mal loti, penses-tu. Immortel je suis, mortel tu es. Tu ne peux rien. Mais suffisent les pensées, il est temps pour moi de discourir, de punir ce mécréant.


« Eh bien, seigneur-vandale. Tu veux ma peau ?! Hélas je ne peux te la donner, elle est déjà vendue. Maudit sois-tu, teigneux lézard. Maudite soit ta cupidité, maudite soit ta curiosité ! tu peux me transpercer de part en part, j’absous en avance ce crime lâche et puant, car en réalité ton crime ne peut s’accomplir. Tu entailleras seulement mon ivoire, peut-être parviendras-tu même à disloquer cette habile architecture d’os. Mon âme restera bien vivante, elle ; je te hanterai alors jusqu’à la fin de ta misérable existence, car la tienne a une fin, la mienne non. »

Je le regardais avec suspicion ; cet homme ne ployait que rarement sous la menace, non pas qu’il fut courageux, mais plutôt qu’il n’avait peur de rien. La nuance peut paraître subtile, il n’en est rien.

« Et surtout, une fois que tu auras détruit ce que je suis, tu pourras dire adieu à tes rêves. Tu n’auras rien découvert, tu auras enterré le mystère. »

Préférant lui tourner dos pour mieux assoir ma puissance de dieu-vivant, je joignis mes mains devant moi en une prière muette et contemplai alors le vitrail principal qui faisait face à la grande porte d’entrée loin derrière moi.




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