Les limbes m’ont recraché, tout collant, tout poisseux, le liquide amniotique de la mort m’engluant comme un nouveau-né. La pourriture était ma seule compagne, celle qui chaque jour me touchait, me caressait les os avec sa langue moisie. Ma chair n’est pas une neige éternelle, elle était vouée à disparaître. Cet état de larve, de grosse larve hideuse, n’était qu’un stade avant de m’épanouir, avant de devenir le papillon d’acier. J’étais envoyé par les sous-sols pour parasiter la lumière et la terre entière. Le cerveau vierge de tout souvenir, les pensées y circulaient sans prise de tête et ainsi je pouvais réfléchir –malgré la rouille humaine qui altérait la magie- avec aisance, agir avec une grâce originelle, non perturbée par l’éducation de mon existence antérieure. Je ne peux pas dire que je profitais de cette nouvelle vie, à vrai dire, je n’arrivais pas à comprendre comment cela était possible, ce phénomène paranormal qui me faisait mouvoir, mais sans m’en faire une quête divine pour articuler mon anatomie trop mûre, cela resta un léger tourment. J’entrepris alors de faire des tours, des grands tours monotones et insipides à travers Hyrule, la nuit me couvrant des regards indiscrets. Je pouvais à loisir observer le monde s’endormir, ou justement continuer à vivre dans la trivialité.
Les sentiments m’étaient inconnus, je ne savais que faire semblant. Et puis, l’une de ses nuits où je me disputais amicalement avec le fringant seigneur-vandale, Arkhams « Mille-Casaque » comme il aimait à se nommer lui-même, la magie goûta le plaisir de ma chair et les étoiles me rendirent une honorabilité que je croyais perdue à tout jamais, dans la fange, avec les souvenirs de ma vie passée. Cette sorcellerie céleste me dépouilla de ma viande, de mes organes, de tout ce qui n’était pas l’ivoire des Dieux. Je gardai pour seul caractère physique ce grand squelette lisse et poli comme un silex, brillant comme une perle ; j’étais devenu gigantesque luciole, drapée d’importance. Les galaxies au-dessus de moi avaient ensuite posé sur mes épaules non frileuses la toge funeste d’un empereur, celui des sous-sols. Je n’avais pas besoin de couronne pour ma carcasse, seule la tenue de prêcheur noctambule m’était nécessaire. Arkhams, émerveillé mais en pleine contradiction m’avait-il semblé, s’était fait vicieux lézard, serpentant entre les promesses. Cet homme-là n’était conçu que pour survivre, c’était assez étrange. Il aimait les périples extraordinaires, monter des étoiles filantes et faire pleurer le monde était pour lui le mets le plus raffiné, mais je le sentais prêt à fuir dès que le péril se montrait trop grand. Peut-être que pour lui, rien ne valait plus la peine de se brûler les ailes. Je ne peux pas partager son avis, après tout, je n’ai plus d’ailes. Je suis mort mais ma conscience est réveillée et mon corps est mobile. Je n’ai plus rien à perdre.
Ainsi me trouvais-je devant le Temple d’Hyrule, avide d’effrayer les séculiers qui y travaillaient, les plonger dans une désagréable torpeur, et prendre place sur le trône des prédicateurs. Je poussais la porte lourde, elle tourna sur ses gonds, huilée de partout comme une morue sur le point de se faire pilonner le derrière. L’excitation était à son comble. J’entrai alors dans un hall de lumières, les déesses m’accueillaient et j’étais leur fils. Ma dignité brillait comme deux joyaux rouges dans les cavités. Les rubis avaient remplacé la gelée moribonde. On ne pouvait pas faire plus noble. Ma robe, bleue-nuit, en soie peut-être, coulait entre mes doigts. Je ne pouvais réellement sentir le contact, mais l’imaginer suffisait à me combler. Une large capuche couvrait mes traits. Il n’y avait personne. J’observai les vitraux, qui représentaient des scènes épiques ; Din surmontant le désert hanté, Nayru pansant un homme malade, Farore croquant la pomme du savoir. L’une de ces fenêtres éclatées de couleurs, la plus récente sûrement, montrait un petit homme vêtu de vert en train de vaincre un roi à la peau basanée à l’aide d’une épée somptueuse. Que de chevalerie, que d’honneurs !
« Pardonnez mon impudence, sire, mais que faites-vous ici ? »
La voix, grave et chaleureuse, dénotait de l’anxiété. Il ne m’avait pas encore vu cependant, je me dépêchai alors de lui montrer ma vraie nature. Mes mains abaissèrent la capuche, et son regard se pétrifia d’horreur.
« Oh, je cherche simplement un trône à mon postérieur. Ce palais me semblait honnête. » Le prêtre reprit rapidement ses esprits, fougueux malgré son grand âge.
« Je… vous… Vous êtes un enfant du Démon, c’est le Mal qui vous envoie. » L’air ennuyé put se lire dans mes yeux rubis, la magie rendait malléable la matière osseuse et je pouvais ainsi froncer les sourcils, prendre un air amusé, tout ce que les muscles permettaient habituellement.
« Ne vous moquez pas, voyons. Je ne me souviens pas de mon père, mais je suis sûr que c’était quelqu’un d’honnête, et qu’il venait prier tous les Kokirium comme un bon croyant. »
Soudain, le clerc n’en put plus : il mit ses mains sur son torse, les yeux lui roulant dans les orbites tandis qu’il semblait suffoquer. J’étais amusé. Il s’effondra sur le sol marbré, son cœur avait lâché.
« Mort de peur ! Si j’avais pu le croire avant… ». Mon rire prit son écho dans cette immense pièce, et je continuai mon avancée. Les bancs en bois verni me semblaient ternes, à côté de ce large autel qui surmontait toute l’assemblée. Je me mis derrière, dans l’axe de la porte, avec derrière moi trois vitraux gigantesques représentant la Trinité.
Le lieu était toujours désert, et le corps du défunt prêtre marquait le centre du temple. Simple coïncidence ? Ahahah, je n’aurais pu le jurer, avec tout ce qui m’était arrivé dernièrement.
« Abracadabra, foie jaune et verrues purulentes, au nom d’Ismella la Vilaine je transforme ces bancs en baleines ! » prononçai-je en agitant les bras dans tous les sens. Rien ne se produisit, si ce n’est une nouvelle quinte de rire magique qui paraissait refroidir la pièce. Empereur des Sous-Sols, prédicateur de la fange, cela me plaisait bien.