Posté le 14/08/2015 16:19
Keldwin s'éveilla à l'heure où le château tout entier s'endormait. Ils étaient plusieurs dans son cas, à frotter leurs paupières rendues lourdes par un sommeil aussi court que dérangé par le vacarme diurne typique d'une forteresse royale. Les entraînements dans la cour, en dehors de leur baraquement, le son des lames entrechoquées, les cris des instructeurs et des chiens qu'on dressait - sans pouvoir distinguer clairement les deux derniers - tout cela contribuait à rendre le repos difficile pour ces soldats qu'on avait désigné pour être de garde la nuit. Fort heureusement pour Keldwin, le roulement entre les corps de garde se ferait le lendemain et il pourrait enfin reprendre un rythme normal. La simple pensée d'une permission qui lui permettrait de visiter sa chère Anna lui procurait une bonne humeur telle qu'il n'en avait pas connu depuis plusieurs semaines.
« Allez les garçons, on y va ! » Lança t'il aux autres soldats. Car lui était sergent, c'est à dire suffisamment gradé pour être responsable du comportement de ses camarades, mais pas assez pour disposer d'une chambre à lui et d'autres avantages que les lieutenants connaissaient. Il dut ainsi remuer quelques paresseux mais, bon gré mal gré, tous furent sortis en armes et à temps pour l'heure de la relève. Keldwin se chargea de leur donner leur affectation, sur tel rempart, telle courtine, telle porte... Il y avait de quoi se perdre pour un nouvel arrivant, mais lui connaissait mieux ce château que le quartier où habitait sa famille, au bourg. Après six ans dans la garde, un promeneur curieux comme lui finissait forcément par être passé partout, sauf à l'étage royal évidemment.
Une fois qu'il ne restât plus que lui et trois jeunes cadets, Keldwin prit la direction de la herse extérieure, bientôt rejoint par une autre équipe de gardes nocturnes. Lui prit la peine de saluer l'autre sergent, qu'il avait déjà vu mais dont il ignorait le nom et les deux échangèrent quelques banalités sur le chemin. Un inévitable « Qui va là ? » les accueillit, comme une formule rituelle à la messe du temple. « La princesse, et toutes ses suivantes ! » répondit il, faisant pouffer plusieurs de ses hommes. Seuls les soldats les plus zélés donnaient la réponse réglementaire. La plupart, lassés par la routine, préféraient faire preuve d'imagination, et souvent d'esprit grivois. Le sergent alors en poste s'avança, les salua et cria à son équipe que leur garde était terminée, pour cette nuit. Keldwin entendit plusieurs soupires soulagés, qu'il parvenait parfaitement à comprendre. Au delà de la nécessité de garder le château aux heures où il était le plus vulnérable, ce poste était l'un des plus éprouvants pour les nerfs des soldats. Il fallait faire constamment attention à tout, ne jamais laisser l'obscurité peser sur les paupières, scruter la nuit noire à la recherche du moindre indice de présence indésirable... Un boulot de chien, qu'il serait ravi de laisser à d'autres dés le lendemain.
Le sergent avait pris son poste, devant la herse, en première ligne, lorsqu'il aperçu alors un détail étrange, tout prés. Derrière un recoin de la paroi, il vit dépasser un pied. Brandissant sa pique en avant, il fit silencieusement signe à un de ses hommes de le suivre tandis qu'un arbalétrier sur le rempart mettait le dit pied en joue. Pas à pas, Keldwin s'approcha. Il sentait la situation se tendre à mesure qu'il avançait, et ses propres tripes se nouer. Finalement, presque à portée, il cria, « Qui est là ? Dévoilez vous ! »
Et sans laisser le temps à l'intrus de réagir, il fit un brusque pas de côté qui lui révéla un spectacle peu commun. Un garçon, assez jeune, roux mais dont la peau dans l'obscurité paraissait très sombre, tenant un livre prés de lui. Aucune arme visible, et clairement pas un air d'assassin. Sans doute un réfugié, comme il y en avait des centaines en ville. L'expression de Keldwin s'adoucit et, relevant son arme, il demanda sans brusquer l'intrus, « Qu'est-ce que tu fais là, mon gars ? T'es perdu ? Tu voudrais pas manger un morceau au lieu de prendre le froid ici ? »
Il lui désigna d'un geste le corps de garde, où l'attendait effectivement de quoi manger. Sans écouter sa réponse - qu'il devinait déjà - le sergent s'y dirigea et l'attendit sur le pas de la porte. Lorsqu'il y furent tous deux entrés, Keldwin ouvrit une des caisses que le régiment de l'approvisionnement avait laissé là à l'attention des gardes, et en sortit divers denrées dont du pain, du fromage et de la viande séchée. Largement de quoi sustenter un grand gars comme ça, malgré sa bonne charpente au niveau des épaules. Au bout d'un moment, ayant laissé durer le silence pour ne pas le brusquer, le soldat demanda, « Alors, tu viens d'où ? Tu viens faire quoi ici ? »
« Je me pose la même question. » Retentit calmement une voix derrière lui. Keldwin se retourna pour reconnaître, affolé, le général Rusadir, qui le fixait de son regard gris glacial. Le sergent repensa au fait qu'il venait de faire entrer un intrus dans l'enceinte du château et aussitôt son esprit imaginatif pensa à toutes les punitions auxquelles il venait de s'exposer en agissant ainsi.
Mais Llanistar eut assez rapidement un sourire pour le pauvre hylien terrifié et en s'approchant, le rassura, « Allons, vous n'alliez pas laisser un jeune homme démuni dépérir devant vous ! » Tandis que le visage du sergent reprenait quelques couleurs, le nordique s'approcha de la table, et s'assit face au jeune homme, observant ses cheveux puis sa couleur de peau, avec une expression indescriptible. Finalement, il déclara, « Intrigant invité, n'est ce pas ? Pas le genre que je m'attendais à trouver dans une balade nocturne en tout cas. Je t'ai vu avec ton livre. Tu regardais des images ou bien tu sais vraiment lire ? Quel est ton nom ? » Llanistar savait bien que cela faisait beaucoup de questions à la fois, et qu'il n'aidait pas l' invité à se mettre à l'aise, mais ça n'était pas son but. Extraordinairement méfiant dés qu'il s'agissait de la sécurité du château, le général insomniaque ne voulait rien laisser au hasard. Surtout si le danger se camouflait derrière un visage innocent, croisé au détour d'une simple balade nocturne.