Le vin des amants

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Llanistar van Rusadir


Inventaire

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(vide)

« Bien. Nous prenons note de votre échec, général. »

Llanistar aurait préféré se retrouver dans le pire des enfers au lieu d'en face du vieux Cerscastel, à ce moment précis. Endurer ce regard froid, dur, déçu, c'était au dessus de ses forces. Si tant était qu'il restait des forces dans ce corps épuisé, qui n'avait pas connu le sommeil depuis une nuit et un jour entier. Autant de temps à chercher des indices, à retourner chaque pièce dans l'attente d'une piste, à interroger des possibles témoins sans que rien de constructif n'en sorte. Le général ressentait jusque dans ses os cette fatigue qui rendait jusqu'à sa station debout difficile, mais surtout il se sentait profondément las.

Comme prévu, une fois la nuit passée, la piste des évadés s'était tarie d'elle même rapidement. Et que lui restait il au final, à présenter au vieux connétable ? La poursuite du moine magicien n'avait rien donné puisque ce dernier était parvenu à semer la garde dans les rues du bourg. Celle des deux fugitifs principaux s'était évanouit dans la bibliothèque royale. Quand à la dernière, qui concernait un certain chancelier, elle ne figurait pas sur le parchemin où Llanistar avait tracé son rapport officiel. Avant d'accuser celui qu'il aimait, il lui fallait comprendre. Quitte à prendre lui même la route pour dénicher Orpheos et... Et quoi ? Le nordique l'ignorait. Comment pourrait il réagir face à la possible trahison de l'homme qui hantait ses nuits par son absence ? Avec quelle force pourrait il assumer encore sa fonction royale quand il lui suffisait de plonger dans ce regard vert pour s'y noyer ?


« Vous pouvez disposer. »

Llanistar s'inclina, trop heureux de ne plus subir le contact mental de ces yeux sombres où il lisait tant de choses qu'il ne supportait pas. L'esprit du vieux s'était toujours apparenté à un livre ouvert et cela avait facilité leur rapprochement. Le général y avait sentit le même amour de l'honneur, le même goût pour le dévouement à un peuple, la même envie de protéger. Cette volonté de servir de bouclier à Zelda, l'un pour sa personne, l'autre pour le royaume, ne pouvait que leur permettre de s'entendre. Et effectivement, depuis sa prise de fonction, le nordique avait toujours apprécié la compagnie de son aîné. Mais là... Lire ainsi de la déception dans le regard de quelqu'un qu'on admire, c'était une épreuve de trop pour lui.

« A vos ordres. » Soupira t'il, tentant de masquer au mieux son soulagement.

Ce soir là, ses appartements lui apparurent comme un refuge de montagne en pleine tempête. Il sentait que le monde hurlait derrière les murs de pierre, que le château n'avait pas retrouvé sa quiétude ordinaire. Cela créait un contraste saisissant avec cette grande pièce où le silence ne se fendillait qu'au crépitement du feu, et à l'écoulement sonore et régulier du contenu d'une bouteille dans un verre, verre bien vite vidé et aussitôt rempli à nouveau. Llanistar piochait régulièrement dans un coffre une nouvelle corne d'ivresse. Il avait remarqué après toutes ces années qu'un amoureux de l'alcool d'un jour ne parvient jamais à se défaire de son affection, qu'il garde toujours de quoi satisfaire son inclinaison, bien au chaud. En l'occurrence, l'inclinaison en question concernait son coude, et elle était en angle droit ; le geste mécanique parfait pour se tordre l'esprit comme un torchon trempé, et ainsi oublier ses ennuis.
Et effectivement, à mesure que les verres passaient, que la gestuelle devenait moins assurée, que les flammes devant lui dansaient avec moins de clarté, ses pensées s'embrouillèrent, à sa grande satisfaction. Pour une fois, son don ne portait pas plus loin que quelques pas autour de lui, il parvenait à ne plus prévoir en permanence le lendemain, il se laissait simplement couler dans un torrent tourbillonnant sans se débattre. Pour une fois, le général lâchait prise et laissait le cosmos le porter.

Alors, avisant une feuille de parchemin et une plume, prit par un coup de folie, il se mit à écrire. Sur les autres, ce chevalier vieux comme le monde qui se prenait encore pour un rempart infranchissable et regardait l'objet de son serment d'un regard trop affectueux pour être honnête, cette Zelda infoutue de se comporter en véritable reine, au point de se faire engueuler et gifler par son prince charmant, ce dit prince charmant, qui préférait vivre la vie d'un vagabond au lieu d'assumer son rôle, ces nobles prétentieux et inutiles, ce peuple ingrat qui continuait à cracher dans son dos, sur lui même surtout, incapable, imbécile, incapable de voir venir les coups de poignards dans son dos. Un petit général de "pacotilllle", avec quatre "L", puisque l'envie lui en prit soudain d'envoyer balader les règles de son langage. Et puis, la critique céda aux pulsions les plus stupides. Ecrire "merde" dans tous les sens, dessiner vulgairement Ganondorf dans une pose encore plus vulgaire... Le parchemin devint son terrain de jeu en même temps qu'un mannequin d'entraînement sur lequel déchaîner toute sa colère, sa frustration, ses angoisses. Un exutoire sans autre limite que les bords de la feuille. Et puis, petit à petit, il se sentit pencher en avant, et s'endormit brusquement en renversant une bouteille sur le sol, où elle se brisa sur le coup. Sur sa joue, l'encre encore humide traça les lettres du mot "COCU".

* * *


Llanistar fut réveillé par plusieurs aiguillons envoyés par le destin. Le premier fut la lumière du soleil qui se levait au dessus de la montagne du destin, et lui arrivait pile dans les yeux. Le second furent les marteaux qui s'entre-percutaient au fond de son crâne, lui vrillant les tempes. Et le dernier fut une voix qu'il reconnu comme celle d'un de ses aides de camp, qui tambourinait également sur la porte des appartements,

« Sir ! Sir ! »

« Je t'entends ! » protesta le nordique d'une voix enrouée, tout en redressant douloureusement son dos endolorit, sa main de métal grattant sa barbe sale. Il soupira, jeta un oeil au dehors, comprit qu'il était déjà assez tard, trop au regard de ses habitudes. « Que se passe-t-il ? On me demande ? »

« Ce... C'est le chancelier. Il est de retour en ville. » Bredouilla le soldat.

La silhouette du général se redressa d'un coup, faisant basculer sa chaise, les yeux désormais grands ouverts malgré la fatigue. Orpheos. De retour. Un hasard ? Difficile à croire, mais Llanistar ne savait plus quoi ni qui croire depuis deux jours. De toute façon, il n'y avait qu'un moyen d'obtenir des réponses à ses questions, un moyen qui lui nouait les tripes d'avance. Une confrontation qu'il n'était pas sûr de seulement pouvoir mener. Après quelques instants, il demanda néanmoins à son aide, « Il est déjà au château ? »

« Il y arrivera sous peu. Une sentinelle de la citadelle nous a prévenu de son arrivée imminente. »

Alors, le nordique décida de jouer son rôle pleinement, d'assumer sa part dans cette gigantesque comédie et d'y mettre les formes. Il exigea donc une bassin d'eau froide, se récura le visage avec, chassant du même coup sa migraine par la manière forte. Il se fit équiper de son armure de général, accrocha une lourde cape d'un bleu parfait à ses épaulières, se tailla lui même la barbe... Lorsqu'il eut finit, l'alcoolique était suffisamment loin derrière pour rester invisible. Quand à l'haleine... Eh ! L'important c'était de paraître, et non d'être.

L'attente dans la cour fut assez courte, puisque lui même avait largement prit son temps. Il s'était posté au centre de l'espace ouvert entre les remparts et le bastion du château, deux soldats de sa garde rapprochée le flanquant derrière lui. Llanistar accrochait ainsi tous les regards, et un certain nombre de serviteurs et de soldat attendaient de connaître le fin mot de toute la scène. Celui ci arriva donc rapidement, et le nordique crut que son coeur allait bondir hors de sa poitrine à la vue du chancelier. Même après des mois de route et sans doute pas le meilleur confort, Orpheos était encore et toujours le plus bel homme vivant sur cette terre, et ailleurs. Il fallut au général un effort surhumain pour déclarer, froidement, sous un masque de glace,
« Eh bien chancelier, enfin de retour ? Nous vous attendions. »

Ses dents grinçaient, de passion et de colère. Un homme sensible n'est jamais plus dangereux que lorsqu'il se sent trahit.