Posté le 07/06/2013 16:29
Ses grosses paluches manquèrent de peu le lapin malin qui courrait désormais entre le peu de mobilier qu'elle avait pu accumuler depuis des années. « Créfieu ! Rongeur à deux rubis ! Touches à une seule de les tomates et je te jure que je ne te ferais pas que la peau ! » Hurla-t-elle, verte de rage, tapant le sol de son balai avec une vigueur insoupçonnée. Quoiqu'un de ces foutus Dragmire un autre de ces foutus Ânes Perdus avaient eu la malchance de gouter aux fagots qu'elle avait fixés au bout de la large branche de bois. Certains l'appelaient « Mère-Sorcière » depuis qu'ils savaient qu'elle fabriquait elle même ce genre d'outils. Et toujours, elle les avait pris pour des abrutis encore plus stupides que ces incapables de la Garde.
"Foutredieu, j't'en mettrais moi du lapin ! Tout doux et tout gentil qu'il est, mon lapin m'dame eul'Mire !" Beugla-t-elle de sa lourde et grasse voix masculine, effrayant plus encore le petit animal. Non de nom, sil elle croisait à nouveau le sodomite qui lui avait vendu la petite bête dans ces termes. La vérité était qu'elle s'était sentie seule. Diablement seule. Son vieux père le lui avait dit, à l'époque ou elle était hongreur : il était peut être temps, en effet, qu'elle commence à chercher un homme. Ils avaient beau être idiots, moches et mal intentionnés, au moins ne mangeaient-ils pas dans sa gamelle. Du moins... Elle l'espérait.
"Viens voir maman, trou du fion." Chantait-elle désormais, pour attirer l'animal qui s'était réfugié sous une commode contre le mur du fond. D'un geste de la main, et à la force du poignet, elle décala l'armoire d'un bon mètre et demi sur sa droite. C'est en se courbant pour récupérer son protégé qu'elle s'aperçut qu'elle l'avait tué par inadvertance. « Ah... » Souffla-t-elle, en regardant le rongeur à la nuque brisée par la collision avec un des pieds de la bonnetière. Ses seins dégoulinant comme autant de perle de gras ne sort d'une viande par trop juteuse frôlaient le sol sale et poussiéreux, quand son doigt vint agripper la patte arrière du petit mammifère. « Ben zut alors. C'pas costaud un lapin.[/b] » Lâcha-t-elle, déçue. Définitivement, ce marchand avait tout d'un escroc.
Sans se relever, le Mire soupesa la bête. A vu de nez, au moins une douzaine de livres. De quoi faire un chic ragoût, assurément ! Si son lapin ne lui avait apporté de la compagnie que pendant quelques jours, mais il lui fournirait son meilleur repas depuis le dernier chiot sauvage qu'elle avait dépecé, il y a de cela une quinzaine d'années. Elle l'attrapa entre le pouce et l'index et l'emmena jusque dans le cagibi qui faisait office d'atelier comme de cuisine chez elle. Sa voix chantonnait quelque air populaire — celui qui parlait d'une demoiselle séduite par un ours. Si les paroles la révulsait, il fallait reconnaitre que la mélodie restait en tête.
Elle tira la peau du dos, et d'un geste précis incisa la chair. Sans s'embarrasser, elle la fendit plus encore d'un second geste du couteau, puis y glissa les doigts pour mieux la dépiauter. La peau glissait révélant bientôt les muscles mis à nus. Ils étaient si lisses et fermes qu'elle s'en pourlécha d'avance les babines, rêvant du somptueux repas qu'elle ferait ce soir. Si elle avait eu des amis, sans doute les aurait-elle invités pour les narguer. Mais elle était seule. Le Charron qu'elle appréciait tant était mort et aucun de ses clients ne venait la voir quand ils allaient au mieux. Tous avaient femmes et époux, enfants et familles. Elle n'avait guère que son petit lapin. « C'pas que j't'aimais pô, mon Jeannot, dit-elle une fois que la peau fut complètement tombée, en récupérant son couteau avant de retourner le fameux Jeannot, c'qu'eul'malheur d'zuns fait-y pas parfois eul'bonheur d'zautres. T'y dois m'comprendre, eul'Jeannot. T'm'étais cher mais t'm'servira autr'ment plus en ragoût qu'ailleurs. »
L'acier pénétra le ventre « comme p'pa rentre dans m'man », à entendre le petit Jacquou qui trainait parfois pas bien loin de sa fenêtre. Elle faisait le travail bien consciencieusement, et n'avait aucune envie de manger des viscères. Sans doute les laisserait-elle à l'entrée, pour le premier animal errant qui aurait le courage de passer. « T'étais un mignon p'tit lapinou, Jeannot. » Murmura-t-elle, en lui arrachant les boyaux, comme prise par un élan de culpabilité. « J'te ferais une stèle dans eul'cimetière pas loin. Pr'mis. » Et quand elle attrapa le hachoir pour tirer têtes et pattes loin de son repas à venir, elle prit le parti d'attendre un instant, dès fois que les soubresauts la prennent subitement. Autant ne pas y laisser un doigt, ça pourrait être handicapant. Mais pas une larme ne roula contre ses joues. Elle renifla avec violence. Elle n'avait jamais su pleurer, pas plus qu'elle n'avait rire ou sourire. On l'avait toujours prise pour une pierre à cause de ça. Comme si sa gueule était drapée d'un masque qui la rendait invisible aux yeux des autres. La tristesse n'en était pas moins là pour autant.
Le Mire se mit à siffler pour soulager sa peine. Elle ne laissa pas la tête rouler pour autant. C'était la moindre des choses à mettre, sous la stèle de Jeannot le lapin. Quand il ne resta plus que la chair blanche, elle jeta une pincée de sel dessus, pour le protéger des douceurs de la moisissure. Elle ne voulait pas que Jeannot se retrouve faisandé, un jour ou l'autre. Puis, elle regroupa les pattes et le crâne sur son plan de travail, les isolant du reste et les disposant de façon discrète mais respectueuse. Il serait toujours tant de les enterrer après qu'elle ai foutu les tripes dehors.
Chopant l'ensemble des viscères d'une pleine poigne désormais au moins aussi rouge qu'après un accouchement, elle se dirigea vers la petite porte et l'ouvrit brusquement, découvrant une gamine aux cheveux d'argent, la main encore en l'air. Sans même dissimuler ce qu'elle avait dans la main, elle toisa sa visiteuse inattendue, de haut en bas. L'enfant lui arrivait à peine au haut du ventre, un peu avant les courbes des seins.
"Quessqu'elle veut eul'a ptite damois'lle ?" Cracha-t-elle, presque hautaine.
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