Les clameurs de la foule le ramenèrent sur terre. Les holas s'élevaient des gradins en même temps que le troupeau installé de part et d'autre s'amassait maintenant en une cohue braillarde, rugissante. Ses doigts meurtris se refermèrent un peu plus sur le cuir qui gainait son coutelas et son regard quitta celui de Robert pour venir chercher cette multitude tonitruante qui saluait la victoire. Sa victoire. Lentement, il se leva à son tour. Son talon libéra le bras du mastodonte de fer et d'acier qu'il laissait étendu à même le sol. Le vert-de-gris de ses yeux parcourut brièvement l'auditoire en liesse, tandis que le sang gouttait doucement, glissant sur sa main droite. Tout était allé vite. Si vite.
*
S'il se contentait d'un simple regard et masqua sa surprise, le Ceald était néanmoins impressionné. D'abord des villages taillés dans la pierre ; et maintenant un ensemble de galeries creusées sous la roche qui pavait cette immense cité, qu'il avait à peine pu fouler du pied. «
L'affrontement ne commencera pas avant deux bonnes heures. » Lâcha nonchalamment son guide. Il n'ajouta rien, mais remerciait intérieurement Aedelrik de l'avoir initié à l'Hylien. La langue ne lui était toujours pas familière mais au moins la comprenait-il, désormais. Le garçon s'engouffra dans un nouveau dédale plus sombre que le précédent et il laissa sa propre main caresser le roc dans lequel avaient été forés ces tunnels. Sans un mot, il se demanda si ces hommes qui avaient manié la pioche savaient également lever la hache ou l'épée. «
Pourquoi avoir demandé à être mené ici aussi tôt ? La peur te prend déjà les tripes ? » S'enquit le jeune homme, qui dépassait à peine les dix-sept hivers de toute évidence. En ouvrant une porte de bois bancale, l'Hylien l'invita à entrer à sa suite. L'étranger dut se baisser pour ne pas se cogner, mais il apprécia de retrouver enfin la lumière. «
Je viendrais te chercher. Tâches de ne pas te faire dessus ! » Cracha-t-il alors, mesquin et moqueur. Une fois encore, le paria préféra garder le silence. Il avait passé l'âge des provocations comme des insultes de la sorte. Et s'il n'avait pas peur, loin de là, il considérait cependant tout combat comme étant potentiellement la fin de son voyage. Lanre n'avait jamais ignoré une règle très simple : ce qui saigne est mortel, et il saignait autant que n'importe quel homme.
Il laissa tomber son baluchon, puis détacha la lanière qui maintenait sa lame dans son dos. L'acier teinta clair quand il le déposa au sol, avant de commencer à sortir le peu de matériel qu'il avait apporté. La dague de Blanche, sa fronde accompagnée de quelques projectiles de toute sorte, deux paires de barrettes de fer, des gantelets de fourrure, une chemise de mailles et un petit coffret de bois. Un demi sourire étira ses lèvres. Il dégrafa sa ceinture et se débarrassa de sa cuirasse de cuir et de pelisse, qu'il laissa choir dans un bruit étouffé. Nu, il reporta son attention sur l'écrin qu'il avait apporté et qui contenait les pigments traditionnels de son peuple. Ses doigts plongèrent à l'assaut de la peinture noire, qu'il avait sans nulle doute moins bien réussi que ne l'aurait fait le vieux Brieg. «
Qu'importe.. ! » Souffla-t-il dans sa langue natale, en réalisant que la couleur n'était pas exactement la même que dans ses souvenirs. Il avait su extraire les essences de genévrier et cela ferait largement l'affaire. Sans plus attendre, il commença à tracer les motifs ancestraux. D'abord sur ses épaules, puis sur son torse, son abdomen. L'enduit était froid. Il ne retint pas les quelques frissons qui le secouaient doucement quand il passait sur les plaies qui déchiraient ses flancs. Bientôt, l'ensemble de son corps fut recouvert de symboles claniques, qui courraient sur sa peau et sa chair. Certains, parmi les siens, partaient ainsi en guerre. Ils dénigraient les armures et comptaient sur les effets du genévrier et l'effroi qu'ils inspiraient. Ceux-là mourraient, ou embrassaient le destin des Berserks. Quant à lui... Il porta son regard vers la cotte de mailles sans manches qu'il avait pris soin d'amener. D'ici quelques minutes les ornements qu'il avait peint seraient sèches. Pour l'heure, elles se contentaient d'onduler sur sa musculature, à la lueur des maigres flammes qui éclairaient la pièce.
Dès qu'il le put, Lanre enfila la parure de fer qui faisait la fierté de son peuple. Très vite, elle lui pesa sur les épaules, et il grogna. Il n'avait jamais aimé ces vêtements de métal réservés au combat, mais sans eux il aurait déjà rejoint les Wyrms et vogué vers Ifreann. Aussi décida-t-il de supporter cette protection supplémentaire mais loin d'être superflue. Pour mieux équilibrer la charge, il boucla sa première ceinture, répartissant ainsi une partie du poids sur ses cuisses. Le Ceald se baissa pour récupérer ses quelques effets. Par dessus les mailles, il jeta son armure de cuir souple et de fourrure, avant d'attacher une seconde ceinture et d'y fixer l'essentiel de ses armes. Il rembourra ses gantelets avant de les passer. Les plaquettes de fer couvraient tant les premières articulations de ses poings que ses phalanges. Il chaussait ses bottes et ajustait la lanière qui maintenait son épée quand arriva le presque-adulte de tantôt.
«
C'est l'heure rouquine. En scène ! » Murmura-t-il avec un sourire carnassier. L'étranger fit craquer ses poings.
*
Le peuple de la nuit hurla quand les combattants s'engagèrent sur les ponts de bois qui menaient à l'arène de bois. Il fronça les sourcils et balaya des yeux l'intégralité de l'audience pour qui il devait faire chanter le fer. Sa poigne se referma plus fort sur la courroie à mesure que les lattes tanguaient sous ses pieds. Bientôt, il gagna le sol froid du Colisée souterrain. Son adversaire arrivait également. «
Le type que tu rencontres a été avare en détails. Il se fait appeler Robert et... C'est un taureau. Un taureau de métal. J'espère que tu sais t'y prendre contre ce genre de gars. » Avait lâché Aedelrik, peu après que la fresque représentant l'avancée du tournois ait été dévoilée. Il grinça des dents en découvrant le colosse que son ami lui avait vaguement décrit. L'homme était grand – pas plus que lui, certes – mais surtout massif. Ses épaules tenaient du buffle, effectivement, mais c'était d'avantage la carapace d'acier poli qui le recouvrait de la tête au pied qui troublait le Ceald. Robert s'avança alors que le silence s'imposait sur la foule. Seul le vacarme que faisait l'homme de fer rompait le mutisme presque impérieux. L'étranger fit glisser la sangle de son épaule après avoir saisi la claymore que le voleur avait su dégoter pour lui. Fléchissant les jambes, il ramena son pied droit devant lui et bomba le dos. Puis, il plia les bras de telle sorte que sa main droite se retrouve au dessus de sa ceinture tandis que la gauche glissait en dessous. Il lança un regard noir au chevalier tout en cherchant les éventuelles failles dans son armure. La visière était étroite mais pourrait servir. Le casque, s'il protégeait des assauts, était aussi plus léger que le reste de la cuirasse d'acier et donc plus malléable. Quant au reste des faiblesses de la carapace, il les connaissait.
Lanre fit rapidement tourner la lame entre ses doigts comme pour s'échauffer. Son rival d'un jour n'avançait plus et l'attente – bien que courte – commençait déjà à lui peser. Dans un geste rapide, le paria s'élança vers le templier, cherchant son flanc. Quelques bonds suffirent à ronger la distance entre eux et Robert se mit en marche à nouveau. Serrant la fusée de sa lame comme un naufragé serre les restes de sa rame, le Ceald tenta le premier assaut de la rixe. Plus rapide que le paladin, il se positionna face à la hanche de celui-ci et frappa de taille. Sa lame fila vers l'aine dans l'espoir de percuter les mailles qui tombaient jusqu'à la mi-cuisse du guerrier de plates. Il ne trancherait certainement pas au travers de la cotte mais le choc promettait d'être tout aussi violent.
Robert leva prestement le genou, jouant de son armure et stoppa net le coup. Tandis que le heurt ébranlait encore les bras du barbare, il saisit son poignet puis tira fort – aussi fort que le lui permettaient les Trois – tout en reculant vivement. Les plaques de fer grincèrent alors que sa manœuvre mettait en péril l'équilibre de l'étranger. Ses biceps s'arquaient douloureusement sous sa carcasse et l'homme du Pontife utilisa à nouveau son imposant plastron. L'Innocent cogna du genou, percutant le roux en plein poitrail. Une fois d'abord, puis une seconde, lâchant le poing de son ennemi et le poussant en arrière. Les traîne-misère et les tire-laines avaient relancé ce fracas qui leur était propre aussitôt que le plancher avait giflé le Ceald. Contemplant son adversaire, au sol, le Chevalier des Trois hissa bien haut son épée bâtarde dont la lame se teintait d'étranges couleurs en reflétant la lumière des torches.
L'immense dalle le gifla mieux qu'aucune femme n'aurait su le faire et piqua son orgueil plus habilement qu'une lance. Il grogna en décollant sa face du sol rêche, s'aidant de sa main gauche. Lanre avait le sentiment que les lattes de chêne avaient imprimé sur son visage le masque de la honte et pesta intérieurement. L'homme était plus rapide qu'il ne l'aurait cru. Mieux entraîné également. Et sa lame s'abattait déjà sur lui. Le rouquin prit à peine le temps de récupérer sa propre épée et roula. Malgré les hurlements enjoués des spectateurs, il distingua clairement le son si spécifique de l'alliage qui épouse le bois. Conscient qu'il exposait son dos, il se remis d'aplomb, consolidant sa prise sur la fusée de sa lame. Robert avait pris le temps de se replacer et le dardait d'un œil confiant : son armure offrait une protection presque totale et servait également à des mouvements offensifs. Jusqu'à présent, le Ceald n'avait jamais rencontré un homme capable de détourner ainsi un plastron.
Il cracha au sol, expulsant d'avantage de sang que de salive. Robert avait remporté la première passe haut la main et marqué les premiers points. Glissant la main droite vers les quillons de son arme et la gauche vers le pommeau, le Skaald amorça une enjambée en avant mais le chevalier avait déjà commencé sa course. Entrant dans la danse brusquement mais puissamment, il lança une estocade, visant l'épaule. Sans avoir à jeter un œil derrière, le maraudeur savait que reculer signifiait chuter : dans son dos s'ouvrait le gouffre qu'ils avaient du traverser auparavant.
Lanre se déporta légèrement puis fléchit les genoux, comptant sur son jeu de jambes. La lame de Robert passa à plusieurs pouces de son épaule, le Colosse se retrouvant emporté par son propre poids. S'il avait disposé de quelques secondes, l'étranger aurait pu détailler le spectacle de l'épée qui passait devant son nez, mais frappa de tranche. La claymore faucha le Templier, martelant juste au dessus de la ceinture. «
Hmpf... — » Suffoqua son adversaire, tandis que l'alliage en provenance de Celves ferraillait avec ses hanches. Mais l'assaut n'avait rien fait sinon briser l'élan de Robert. L'espace d'un temps sans respiration, il décocha cependant un violent crochet au rouquin, le forçant à battre en retraite avant un deuxième assaut.
«
Frìg'vau ! » Jura le reître reculant de quelques pieds, secoué par le coup qu'il venait d'accuser. La pointe de sa lame griffait le plateau de bois à chacun de ses pas et sa gueule le faisait souffrir comme rarement, en dépit des peintures de guerre qu'il avait appliqué sur chacune de ses joues. Grimaçant de douleur, il monta la main jusqu'à sa pommette et réalisa avec soulagement qu'elle n'était pas brisée. Pas encore, du moins. Le gantelet de fer s'était contenté de la déchirer. Rageur, il empoigna à nouveau sa lame et se jeta au devant de Robert, avant que celui-ci ne puisse en faire de même. Le chevalier ancra ses pieds dans le sol mais ne chercha pas à ramener le combat vers le centre de l’arène : il savait pertinemment qu'il ne disposerait pas du temps nécessaire pour le faire. Au lieu de quoi, il privilégia la garde haute prêt à parer les charges.
Lanre frappa sur le flanc gauche et Robert jeta sa lame à la rencontre de l'épée du maraudeur. Mais la claymore avait déjà changé de direction. Alors que le paladin continuait le mouvement qu'il avait amorcé, le Ceald porta son arme sur la droite, accompagnant son attaque d'une rotation des hanches et du tronc. L'épée à deux mains emboutit le heaume du chevalier dans un fracas sourd. Le fer plus léger du casque s'était déformé dès lors que l'espadon l'avait percuté à la tempe, réduisant la visière de plus de moitié, non sans rouer le crâne du pauvre homme qui le portait. Sans laisser à son vis-à-vis le moindre répit, le chasseur envoya son pied contre l'inquisiteur pour le déséquilibrer. Robert tomba, genou à terre et le rostre en sang, sous le camail que son casque avait enfoncé. L'épée longue claqua contre l'estrade qu'ils occupaient tout deux.
Le templier sifflait et grognait, peinant à respirer. Pour autant, il était loin d'avoir dit son dernier mot, et n'avait pas abandonné son épée par hasard. Alors que l'ombre du barbare glissait sauvagement sur lui, il tira soudainement une dague de sa botte. Comme le crotale menacé sort ses crocs, Robert joua de vivacité et de surprise. Son poignard perça les grèves de cuir du sauvageon et ne tarda guère à goûter son sang. L'homme hirsute qu'il devait affronter poussa un cri qui lui semblait presque animal, alors que lui était acclamé par une foule qu'il ne parvenait plus à voir. Son casque déformé molestait en permanence son profil déjà bien abîmé. Néanmoins, pendant que la brute reculait brusquement, il projeta sa propre épée vers le cœur de l’amphithéâtre enterré d'un coup de pied sans appel. Malgré les jointures de son armure et son manque de mobilité il réussit à se hisser sur ses jambes avant que le sauvage n'amorce une riposte et commença à battre en retraite, cherchant à se rapatrier vers le centre.
Le rouquin écoutait à peine les cris qui fusaient de part et d'autres dans les gradins. Son visage plissé, il se concentrait sur la peine qui grimpait depuis son mollet. Tâchant de fléchir les jambes le moins possibles, il libéra une main pour attraper le manche et tira. Ses dents grincèrent alors qu'il faisait son possible pour ne pas maugréer. Ses traits portaient son mal. Il chancela presque en extirpant l'acier à ses chairs, puis en le jetant dans la crevasse. La sueur accrochait son corps. La plaie n'était pas bien profonde, ses chausses l'avait gardé d'un sinistre. Pour autant elle représentait une gène indéniable et sur le long terme pourrait marquer sa défaite. Il fallait que tout cela finisse. Et vite.
Contre toute attente, l'Innocent était parvenu à se relever sans trop de mal, malgré l'assaut qu'il avait encaissé. Sans cette nouvelle surprise qu'il avait gardé calée contre sa botte depuis le début de l'affrontement, celui-ci aurait tourné court d'une façon qu'il n'avait pas prévu. D'une façon qu'il répugnait. Mais les Déesses lui donnerait sans nul doute la force de vaincre un pauvre chien enragé venu des steppes d'il-ne-savait-quelle-contrée. Un barbare et un païen qu'il se devait de purifier, somme toute. Et si les règles n'autorisaient pas de tuer, il s'empara néanmoins de l'arbalète qui lui servait usuellement à traquer les sorcières puis les mettre à mort. Encochant le carreau, il visa tant bien que mal, la respiration lourde et tira. Sans même s'arrêter, il retourna chercher un deuxième trait, reculant encore.
Le premier projectile manqua de loin sa cible, et Lanre s'élança une fois de plus. Le deuxième trait filait sur lui et dans un réflexe plus instinctif que pensé, il balança ses bras à l'assaut. Les Wyrms lui vinrent en aide, sans doute, puisque sa lame faucha le dard de fer. Il n'avait encore jamais rencontré un arc si petit et pourtant si vigoureux. Il grogna, alors qu'il lui semblait que son épée tout entière tremblait et que son humérus était pris de soubresauts. Le Ceald n'avait pas le temps de s'en inquiéter : il était désormais à moins de dix pieds de son assaillant et si son petit arc monté était puissant il n'en était pas moins lent. A l'image du guerrier qui le maniait.
En quelques secondes à peine, il fut sur son adversaire. Le titan de fonte n'avait pas eu le temps d'encocher une nouvelle flèche mais trouva une nouvelle utilité à sa baliste miniature. Sans égard pour son arme il frappa de la crosse, visant la gorge. Le roux joua des quillons, portant sa garde à l'encontre du bois et du fer gravé de l'arbalète. S'il parvint à parer l'assaut de Robert, il n'avait pas pensé que celui-ci abandonnerait sa propre arme dans ses bras. L'étranger s'en débarrassa d'un bref coup d'épaule, mais ce fut suffisant pour le déstabiliser et créer une ouverture dans sa défense. L'Hylien s'y engouffra sans la moindre hésitation. Du poing, il vint cueillir le foie du maraudeur. Puis, liant ses deux mains, il lui asséna un soufflet des plus violents. Un de ceux que seuls savent faire les chevaliers. Un soufflet de métal. Lanre recula d'un pas, ébranlé et Robert s'enfonça à nouveau dans la faille, chargeant comme un animal furieux. Les deux hommes tombèrent lourdement au sol. Des planches fatiguées s'éleva un nuage de poussière.
Lanre grommela quelque chose d'incompréhensible, tandis que Robert l'écrasait de tout son poids. Le chevalier se tenait au dessus du Ceald quand il lança sa tête à l'assaut de la gueule du rouquin. Quand le casque percuta son faciès, l'étranger ne trouva pas le temps ni le courage de hurler. L'assaut avait été véhément, brutal. Sanglant. Sitôt que son nez avait craqué, des coulées carmins avaient envahi son visage. Dans un espoir insensé, il saisit le heaume de Robert, le forçant à rester contre lui. Quand ce n'était pas le sang qui maculait sa figure, c'était la sueur qui la faisait luire. La fatigue l'assaillait et ses muscles le tirait – particulièrement les bras, qu'il maintenait dans une traction permanente pour immobiliser le chevalier. Sans même qu'il ne s'en rende compte, il avait commencé à rugir. L'Hylien se débattait sans réussir à se soustraire à son emprise. Doucement, insidieusement même, il prenait le pas sur l'homme de foi et ils finirent par rouler sans qu'aucun des deux ne puisse expliquer comment.
Les mailles sous l'armure cliquetaient alors que le public commençait à brailler sa joie et son excitation. De la main, l'Inquisiteur cherchait l'une des épées que les deux combattants avaient du abandonner au cours de l'affrontement. Le barbare installé sur son poitrail pesait son poids, et il savait qu'il ne pourrait pas se relever avant de l'avoir délogé. Pas avec les carcans de fer qu'il portait. Mais avant que ses doigts n'atteignent la lame qu'il convoitait, le pied du sauvageon écrasa son coude. «
Foutredieu...! — » Gémit-il, incapable de se protéger du sang qui gouttait de la gueule du Ceald jusqu'à la sienne. Lanre tira alors le poignard qui reposait sur son plastron et le saisit des deux mains. Leurs regards se rencontrèrent et Robert sentit l'acier froid se glisser entre sa visière, pour s'arrêter doucement entre ses sourcils. L'étranger n'insista pas, mais sa propre lame pesait au dessus de sa tête comme une épée de Damoclès.
Le temps sembla s'arrêter. Les clameurs de la foule le ramenèrent sur terre. Les holas s'élevaient des gradins en même temps que le troupeau installé de part et d'autre s'amassait maintenant en une cohue braillarde, rugissante. Ses doigts meurtris se refermèrent un peu plus sur le cuir qui gainait la dague et son regard quitta celui de Robert pour venir chercher cette multitude tonitruante qui saluait la victoire. Sa victoire. Lentement, il se leva à son tour. Son talon libéra le bras du mastodonte de fer et d'acier qu'il laissait étendu à même le sol. Toujours pris dans le feu de la joute, il monta sa main jusqu'à son nez et le brisa une seconde fois, sans ménagement. La douleur fusait, retentissant dans tout son crâne, mais il savait qu'il n'y avait rien d'autre à faire s'il souhaitait continuer à respirer demain. Sans un mot, il essuya le sang sur les fourrures de son gantelet, et laissa tomber le coutelas, qui se ficha dans le bois. Le vert-de-gris de ses yeux parcourut brièvement l'auditoire en liesse, tandis que le sang gouttait doucement, glissant sur sa main droite. Tout était allé vite. Si vite.