Le malentendu entre l'oiseau et son maître.
Dans la sombre pièce qui lui servait de loge, Lloyfell se préparait à son prochain combat, qui débutait dans une poignée d'heures. Quelle surprise fut l'annonce de la répartition des combattants ! Son adversaire se trouvait être le Cygne Noir... Une femme qu'il avait déjà croisé plusieurs fois. La première à la forteresse Gerudo, et la seconde dans une ancienne chapelle en ruine lors de l'attaque de Cocorico. Lors de cet assaut, elle avait d'ailleurs fui aussi lâchement qu'il en était capable. L'ancien soldat assumait à présent pleinement sa couardise et laissait sa fierté de côté. Tant qu'il parvenait à faire ce qu'il voulait, tout lui convenait.
Tandis qu'il bandait les plaies occasionnées par le combat précédent, il se remémorait la façon de combattre de cet oiseau de malheur qu'il n'apprivoiserait jamais. Il se sentait capable de la dominer. Il était même sûr de pouvoir en finir avec elle, mais il préférerait la tuer et la donner en patûre à Leanne plutôt que de contraindre son amie à vivre avec un oiseau aussi vil et hargneux. Le Cygne Noir était redouté, puissant, mais pas invincible. Le vagabond, qui savait cependant qu'il ne pourrait pas en finir ici avec son opposante aussi violente qu'envoûtante, attacha fermement sa petite sacoche de cuir à sa ceinture. Il y avait préalablement placé quelques morceaux de verre, s'étant rendu compte qu'avoir abîmé le joli visage de la Hallebarde l'avait bien sauvé. Il s'en voudrait de recommencer, car du peu qu'il a pu apercevoir, le Cygne Noir était de loin la plus belle femme sur laquelle il avait eu le bonheur de poser ses iris. Elle contenait aussi quelques petits flacons de drogue, au cas où le combat durait plus d'une demi-heure. Il savait cependant qu'en reprenant une dose dès que les effets commençaient à redescendre, il ne serait vraiment plus capable de se battre. Il laisserait Leanne et la chance jouer pour lui. Lloyfell partait se coucher un instant, le visage de l'oiseau noir en tête, et l'envie de tuer sur son visage.
« Mmh... Les champions ne peuvent-ils pas dormir quand bon leur semblent... ? marmonna le maraudeur, après avoir entendu quelques mystérieux gémissements qui lui rappelaient quelque chose.
-...ell... oyf... ieur !
-Bon... Qu'est-ce que c'est ?
-M'sieur Lloyfell ! Réveillez-vous m'fin ! C'est l'heure d'vous battre ! Vous v'souvenez ? Vous allez cogner l'aut' fille là !
-Détends-toi Salaheem, détends-toi... Quelle heure est-il ? questionna le vagabond à son étrange guide.
-J'sais pas vraiment m'sieur, lui répondit l'esclave en lui tendant sans attendre ses vêtements et effets. Y a pas de soleil par ici, donc c'pas facile de savoir l'heure exacte. Mais j'peux v'dire qu'ça fait ben quelques minutes qu'tout le monde vous attend ! »
Lloyfell se leva de sa couche et enfila sans attendre sa chemise et son plastron, se délecta du contenu du flacon et partit en courant en direction de l'arène. « Ce petit retard me servira d'échauffement ! » disait-il un instant plus tard en riant, preuve que la boisson faisait déjà son effet, de plus en plus rapidement, et donc que son corps commençait à s'habituer à cet étranger qui venait régulièrement prendre le thé avec son hémoglobine.
********
Le vagabond arriva devant les portes qui menaient à l'arène. Deux gardiens, l'un d'une carrure bovine et brûlé sur la moitié gauche du visage, et l'autre, plus fin, mais suffisamment costaud pour porter une grande hache sur laquelle il appuyait ses mains et sa tête balafrée de toute part. Les deux semblèrent patienter, et ne manquèrent pas de sermonner le drogué d'une voix... fluette.
« Dis-donc p'tit gars, t'es en retard. T'as d'la chance que c'est la demi-finale, on t'aurait dégagé au tour précédent, lâcha nonchâlamment l'homme-taureau.
Allez, dépêche-toi, suivit l'homme à la claymore.
-Les muscles et la grosse hache, ils sont là pour dissimuler un complexe, non ? Parce que c'est beau d'être bâti comme des boeufs, hein. Mais si vous en avez autant dans le caleçon que vos voix font peur, je plains vos femmes. Sur ce, merci de garder la porte ! »
Lloyfell entendit les cris depuis les couloirs, mais l'étonnement ne fut que plus grand lorsqu'il poussa les portes de l'arène, qui au passage lui rappelait déjà quelques mauvais souvenirs du précédent duel. On n'entendit depuis les bouches des spectateurs seulement les mots "le Cygne", preuve de sa popularité. Mais lorsque le vagabond se fit remarquer, les cris changèrent. Certains commencèrent à le huer, certainement pour les avoir fait patienter un peu trop longtemps.
«
Au fait m'sieur Lloyfell, ajouta Salaheem, essouflé. Vous vous êtes renseignés sur les paris ? J'ai d'mandé à un type un peu plus tôt, il m'a dit qu'il y avait pas énormément de rubis sur vous. Mais on retrouve au moins un tiers des gens sur l'Cygne. Faites attention, c'est une coriace.
-
Peu importe, lui répondit le fauconnier avec amusement. Je ne suis pas là pour la gloire, mais pour survivre. »
Il passa le petit pont de bois en courant, un peu inquiet que celui-ci se rompe sous ses pas.
«
Et voici que le second combattant entre en scène ! Ce duel opposera donc le célèbre et populaire Cygne Noir dont la puissance et la vitesse ne sont plus à prouver, contre Lloyfell, le fauconnier qui a eu beaucoup de chance lors du précédent combat ! Combattants, commencez ! »
Le roturier balaya l'arène de ses yeux jaunes, sans pourtant voir ne serait-ce qu'une trace de l'oiseau d'ébène. Et tandis qu'il continua à chercher aux alentours, un éclair apparut soudainement face à lui, un demi-mètre les séparant. Tout aussi surprit que les spectateurs qui commentèrent cette invocation d'un long "Oh !", la surprise s'accrut lorsque Lloyfell reçut un violent coup de pied sauté dans le dos, qui l'emmena faire la rencontre du plancher sur un mètre. Il se releva en s'appuyant de sa main gauche tout en dégainant son épée, seule arme qu'il put garder près de lui après ce coup rapide et étonnant. En relevant la tête, il put enfin voir l'adversaire de ce jour, l'enfant Dragmire. Bien qu'il la contemplait plus qu'il ne la regardait simplement : cette femme était, comme dans son souvenir, épouvantablement magnifique. Elle semblait avoir approximativement le même âge que lui, était très fine et avait la moitié supérieure du visage aussi pâle que le sien. Ses cheveux étaient également aussi noir que les siens, et ses yeux de gris et d'ambre l'invitaient à plonger dedans. Il était cependant déçu de la voir porter un masque, ne pouvant pas contempler ce fabuleux corps féminin dans son entièreté. Néanmoins, le vagabond savait qu'elle était aussi dangereuse que sublime, et que ce combat s'avérait être un des plus durs qu'il allait mener.
Il reprenait ses esprits, pensant à autre chose que cette femme intimidante et se concentrait sur les pas de danse qu'il s'apprêtait à effectuer en sa compagnie. L'oiseau ponctuait son premier coup d'un ricanement à la fois doux et sombre, puis, les bras croisés et une main à hauteur de son visage, elle laissait tomber un petit morceau de papier avec lequel elle venait sans doute d'invoquer la foudre. Le drogué en était sûr, ce combat s'annonçait très mal pour lui. Et s'il ne voyait pas la victoire à la fin de l'affrontement, il voyait au moins une occasion d'amocher suffisamment le Cygne pour restreindre ses capacités de combats sur le long terme, afin qu'elle ne puisse plus sévir sur le royaume comme elle l'avait fait il y a quelques temps.
Le maraudeur reprit une petite gorgée de sa boisson, recula puis se mit en garde, plaçant également sa main gauche dans la petite sacoche accroché à sa ceinture, au niveau de sa hanche gauche, pour y attraper au préalable quelques uns des morceaux de verre. Aujourd'hui, son visage n'affichait pas le fidèle sourire dont il faisait toujours preuve lors d'un combat, mais montrait plutôt tantôt haine, tantôt indifférence. Des traits qui ne s'affichaient que rarement, prouvant en lui un réel désir de meurtre. Swann, elle, tirait l'acier au clair, ou plutôt l'ivoire. Sa lame semblait avoir été taillée dans une dent de dragon, un matériau rare et réputé pour être d'une qualité incomparable.
À peine eut-il le temps de faire un premier pas en direction de la belle qu'un petit couteau vint se placer au sol, entre ses deux pieds. Et le temps qu'il perdit à l'observer et à relever la tête vers son adversaire, il était déjà trop tard : la brune n'était plus qu'à deux mètres de lui, pointe de l'épée en avant pour asséner une estocade. N'ayant pas le temps d'effectuer une quelconque parade, il trouvait cette fois-ci son salut dans un saut désespéré sur le côté, pendant lequel il se retourna puis trancha horizontalement. Rien ne fut calculé dans la précipitation de son acte, il manqua ainsi cette première passe.
«
En plus de maîtriser ton entrée en scène, tu maîtrises également l'effet de surprise, petit oiseau. » disait-il d'un ton qu'il ne se connaissait plus. La drogue n'avait jusqu'ici eu encore aucun effet notable sur lui, et il était ainsi plus vulnérable. Il fondait sans attendre sur l'opposante en tentant de trancher son buste en diagonale, de l'épaule gauche jusqu'à la hanche droite. La Dragmire parait l'attaque sans difficulté, mais Lloyfell n'avait pas décidé de faire durer le combat ; il enchaîna aussitôt avec un coup de genou au niveau du diaphragme, destiné à bloquer la respiration du Cygne. Le fauconnier ne voulait pas perdre de temps et éliminer son adversaire au plus vite, mais il lui était nécessaire de gagner du temps de cette façon afin que le breuvage puisse faire effet sans qu'il ne se retrouve trop amoché. Mais cela ne dura que quelques secondes, car la lionne bondit aussitôt en arrière tout en lançant un fumigène. Une épaisse purée de pois envahit toute l'arène, inquiétant le roturier. Il appela Leanne d'un sifflement, lui indiquant de surveiller du mieux qu'elle put depuis les hauteurs. Il aurait du attaquer pendant qu'elle était immobilisée, pourquoi ne l'avait-il pas fait ? Il maudit son cerveau qui ne fonctionnait plus correctement lorsque la drogue n'agissait pas.
«
Je vois, ta tactique, c'est de ressasser les vieux souvenirs de tes adversaires ? C'est pour ça, le fumigène ? » lui dit-il, espérant une réponse de sa part. Mais la brune était loin d'être naïve, et savait bien ce qu'elle avait à faire ou à ne pas faire. Elle était très peu loquace, et répondre aurait permis à son adversaire de la repérer, et ainsi permettre à l'oiseau et au fauconnier d'attaquer simultanément.
Il profitait de cet instant de calme pour retrouver son sac de pommes de terre, dans lequel se trouvait sa masse à ailettes et son pavois, légèrement abîmé depuis le dernier combat. Il l'ouvrait et se munissait alors de sa masse en plus de son épée, pour parer plus efficacement et harceler l'ennemie plus violemment. Soudain, une légère brise caressait ses joues et commença à dissiper le brouillard, sûrement une manifestation d'une de ses maudites cartes. Alors qu'il s'apprêtait à retrouver la belle et majestueuse lionne, la sensation de l'acier glacé contre sa pomme d'Adam faisait frissonner le fauconnier et la pression qu'elle manisfestait lui coupait le souffle, tout en commençant à tracer une ligne rouge le long de son cou.
«
Ma tactique, c'est d'en finir le plus vite possible. » lui glissa-t-elle dans l'oreille en chuchotant. En effet, elle aurait pu mettre un terme à l'affrontement à cet instant précis, mais le tournoi l'en empêchait, et elle ne l'oubliait pas. Alors que la lame d'ivoire était toujours contre son cou jusqu'à maintenant, Swann bondit en arrière tout en logeant sa cheville dans le visage du roturier. Ce dernier embrassa le sol une seconde fois, écorchant son front et laissant une traînée de sang sur le plancher de l'arène. Lloyfell se releva de plus belle, essuyant le peu de sang qui coulait de sa bouche. Les pulsations de son coeur résonnèrent plus fortes dans sa cage thoracique, et la cadence de son rythme cardiaque s'accélèra. La boisson commença à faire pleinement effet, et la douleur disparut aussitôt. Il ressentit également le rythme cardiaque de l'oiseau noir en lui, qui lui sembla régulier et calme.
Il était maintenant au maximum de ses capacités, et allait pouvoir se battre convenablement. Il commençait à tourner autour de sa proie, et Leanne en faisait de même. Aujourd'hui encore, pas de jeunes lièvres ou d'amphibiens, mais un fauve agile et sournois, mais pauvre en matière grasse.
«
Leanne risque de faire la tête, elle n'aime pas trop les squelettes comme vous, ma belle. » dit-il en passant au vouvoiement, lâchant un léger rictus. Sous l'effet de la drogue, il retrouva un peu de l'homme qu'il avait pu être autrefois ; un homme plus aimable, ironique et plus émotif. Tout l'inverse de ce qu'il était désormais en état de sobriété.
Il fonça directement sur elle, l'agressant en alternant tranches et coups de masse. Il réussit à couper de part et d'autre l'enfant Dragmire. Deux petites coupures sur le bras droit, une au mollet droit et un petit hématome sur le flanc gauche. Lloyfell chercha ainsi à épuiser son adversaire, comme à son habitude. Avec son envie de tuer, on put presque lire un certain sadisme sur son visage, affichant toujours ce petit sourire narquois. Mais la lionne, profitant d'une faille dans les pas de danse du vagabond, prit d'une main la tête de celui-ci et la poussa vers son genou. Légèrement sonné, ce dernier reprit ses esprits et vit le fauve foncer vers lui à son tour.
«
Tout ceci a trop duré. » lança-t-elle. Sa lame d'ivoire assaillit le fauconnier, qui, pris par surprise une fois de plus, peina encore à se défendre contre les vives offenses qu'elle lui offra généreusement. Ses mouvements fluides et grâcieux cherchèrent toujours à toucher le fauconnier aux bras et jambes, certainement pour le déstabiliser et en finir rapidement.
La lionne commençait à fatiguer. Sous les assauts tous plus rapides les uns que les autres, il sentait que le fauve commençait à s'épuiser. Alors que Lloyfell avait pleinement confiance en lui, il stoppa ses assauts et balaya la brune d'un coup de pied, qui tomba face contre terre, ou plutôt contre bois. Le maraudeur vit ici l'occasion d'en finir avec ce combat, qui avait comme elle l'avait dit, trop duré. Elle était épuisée et au sol. C'était ici que tout se jouait.
Le fauconnier lâcha son épée, puis invita Leanne à venir sur son épaule. «
On dirait que le fauconnier a réussi à dresser un oiseau un peu mal élevé, n'est-ce pas Leanne ? » dit-il en ricanant, et en voyant la fin de ce duel. Une dernière fois, le vainqueur brandit sa masse en arrière, puis l'envoya percuter le ventre de la belle. Il en avait enfin fini avec elle, et avait eu sa vengeance.
C'était ce qu'il pensait, tout du moins. Car un instant avant qu'il ne porte la frappe, le fauve avait eu le temps de lever une patte, dans laquelle se trouvait un morceau de papier. Le fauconnier, qui pensait avoir abattu sa proie venait de prendre un revers de manche pour le moins... fulgurant. La foudre s'abattait sur lui et l'arrêta net dans son élan victorieux. Il se retrouva à genou, fumant et incapable de se mouvoir. Le rapace avait eu le temps de s'enfuir juste avant. Si Lloyfell avait eu lui aussi, cet instinct animal, il ne serait pas devenu à son tour la proie du chasseur.
«
C'en est enfin fini, trésor. » lança-t-elle tout en se relevant, haletante. Elle ne lui restait plus qu'à en finir avec le gibier déjà pré-cuit pour le dîner. Elle s'en approcha doucement, et alors qu'elle se mit à genoux pour lui donner le coup de grâce, le roturier encore tremblant et fumant dirigea avec grande peine sa main vers sa gourde, qu'il porta à sa bouche. Le liquide, qui coulait autant dans sa bouche que sur son visage et son cou, le brûlait à tel point qu'il pouvait presque sentir son épiderme fondre.
«
Une telle chaleur, ça donne soif, hein ? » dit-elle en échappant un sourire de satisfaction. La pointe de sa lame glissa sur la joue meurtrie du drogué, qui l'abîma de plus belle. Puis, dans un dernier élan d'espoir, le vagabond empoigna plus fermement sa masse et l'envoya abîmer à son tour le visage de la belle. L'effrayant masque de mort en os qu'elle portait éclata en plusieurs dizaines de morceaux, dont certains se logèrent dans ce beau visage maintenant dévoilé au grand public, préalablement défiguré et ensanglanté par la puissance de l'arme. La Dragmire n'eut pas le temps de crier sa douleur qu'elle perdit connaissance, le visage rouge non pas de honte pour une fin si misérable, mais bien de sang.
Finalement, le fauconnier avait réussi à dresser l'oiseau noir. Et si le public avait su rester silencieux et ébahi sur les quelques dernières minutes, il ponctua la victoire du vagabond d'une ovation qu'il eut rarement la chance d'entendre.
[Désolé, pas eu le temps de finir le code couleur !]