La Quête de Soi

RP de la troupe d'Albe (répétition sur le parvis du Temple) - premier post pour Negaï

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Luka

Le Changelin

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(vide)

« Une jeune fillette
De noble coeur,

Plaisante et joliette,
De grand'valeur... »


Une chanson aux lèvres, pour égayer le coeur ; prendre la route au petit matin était une aventure en soi. Le monde appartenait à ceux qui se levaient tôt : pour vérifier cette maxime, Luka s'était levé de bonne heure, en laissant derrière lui sa paillasse encore tiède. Le soleil pointait à peine le bout de son nez qu'il traversait déjà la Citadelle d'Hylia, à l'heure où les ivrognes rentraient chez eux, après avoir été mis à la porte par les gérants des tavernes. Une ombre matinale parmi tant d'autres, qui se faisait solennelle et muette comme un homme d'Eglise tant qu'elle se trouvait encore dans les bas quartiers, puis plus joviale qu'un pinson une fois hors des ruelles infâmes.

« Outre son gré, on l'a rendue nonnette,
Cela point ne luy haicte,
Dont vit en grand' douleur... »


Une chanson aux lèvres, pour affermir la volonté. Pas trop fort, cependant, car les braves citadins dormaient encore du sommeil du juste, et ceux qui logeait dans de si belles bâtisses auraient sans doute de quoi le faire chanter à coups de bâton – ou bien pire. Luka fredonnait à peine, pour ne réveiller personne. Que le malheur frappe à une autre porte que la sienne, il avait quitté sa demeure pour la journée ! Et il se réjouissait d'avance de ce que celle-ci lui apporterait.

Car oui. Une dernière mise au point, et la troupe d'Albe serait fin prête pour le spectacle du soir-même. La toute première représentation de leur pièce éponyme ; Luka brûlait d'enthousiasme. Mais patience, car pour l'heure, il fallait bâtir : monter les tréteaux, instaurer les planches de l'estrade sur le parvis du Temple du Temps, étendre l'immense toile de fond qui leur servirait de fond de scène. Il marchait lentement pourtant, malgré sa ferveur, car il était chargé ; Aalis était restée à l'arrière pour préparer les casse-croûtes des comédiens, car aucun d'entre eux n'auraient beaucoup de temps libre avant la représentation même... Ils ne seraient pas beaucoup sur scène, donc l'erreur ne devait pas être de mise : il fallait que ce soit parfaitement calé.

Albe, ou la Quête de Soi. Luka était fébrile, partagé entre la hâte et la nervosité. Pas besoin de retravailler toute la pièce, ils en auraient pour bien trop longtemps et se décourageraient avant le dernier acte ; simplement les passages qui ne sortaient pas encore assez naturellement. Il souhaitait revoir les dernières scènes d'Albe face au Prince Corneille ; celles qui esquissaient un semblant de rivalité entre les sœurs Renarde et Satin ne seraient pas non plus de trop. Il ne pourrait pas non plus empêcher les badauds de s'arrêter en court de route pour observer leurs répétitions, raison pour laquelle il fallait absolument répéter les scènes révélatrices en premier, afin de ne pas gâcher la surprise : Albe contre le Prince Corneille passerait en priorité.

Le jeune dramaturge retrouva quelques âmes fidèles de sa petite troupe sur le parvis même du Temple. Pour un acteur sur scène, deux autres s'affairaient en coulisse : les mains n'étaient jamais de trop pour monter, démonter les estrades, vérifier les mécanismes éventuels à utiliser, la présence de tel objet à tel endroit pour transiter plus facilement à la scène suivante, les emplacements des costumes s'il y a éventuellement des changements vestimentaires entre deux actes... Ce n'était pas grand chose pourtant, ni un spectacle de riche bourgeois qui s'annonçait, ni même une oeuvre exclusivement destinée à la noblesse : pas de décor fastueux, pas de splendides accoutrements pour imiter la mode d'une époque révolue, pas d'explosions ou de fumées colorées que pourrait provoquer un artificier qu'il ne leur était pas permis de payer. Pas d'entrée payante non plus : il aurait fallut réserver une cour intérieure pour cela, et Luka ne supportait pas l'idée de barrer le passage aux plus démunis qui oseraient s'aventurer jusqu'à la porte.

Non. La troupe d'Albe serait ouverte à tous, ou ne serait pas. Luka se savait voué à une vie difficile en montant ses pièces, il s'y était résigné. Plus que de l'envie, c'était du mépris qu'il éprouvait pour les hypocrites capables de mettre leur plume au service d'un Grand quelconque, tout cela pour un met plus faste. Lui-même était gourmand, et bien trop souvent affamé. Mais les idées, cela ne se vendaient pas. Plus têtu qu'un mulet, il se refusait obstinément à jouer n'importe quoi, pour n'importe qui. Son idéalisme le perdait... Mais paradoxalement, c'était ce qui lui attirait la sympathie des plus pauvres, de ceux qui n'avaient plus rien à perdre et si peu à gagner. C'était en leur compagnie qu'il parvenait à monter sa scène temporaire, petit à petit, avec l'efficacité de fourmis constructrices déjà formées à la tâche - lui qui, seul, mettrait des heures à tailler ne serait-ce qu'un seul panneau de bois. Si seulement Fritz pouvait voir ça, il en serait sans doute-

Un temps. Un soupir. Ne pas penser à Fritz. Leurs routes s'étaient séparées au raid du village Cocorico ; Luka s'était fait à la disparition de son cousin. Il n'osait pas admettre qu'il avait fait son deuil, car ce serait admettre qu'il abandonnait définitivement derrière lui ce qu'il avait été autrefois. Fritz était tout ce qui lui restait de leur vie d'antan : il n'était pas mort. Impossible qu'il soit mort. Le jeune Hylien ne pouvait que garder espoir, et la tête haute.

***


Luka se redressa avant de laisser échapper une exclamation satisfaite. Il essuya du revers de la manche son front d'où la sueur perlait ; la scène était enfin mise sur pied. Le soleil brillait haut dans le ciel mais maintenant que tout était installé, il ne restait plus qu'à répéter. Les quelques ouvriers qui, après avoir pris en pitié sa silhouette efflanquée, s'étaient décidés à lui refiler un coup de main se dirigeaient à présent vers leur vrai lieu de travail : il ne devait donc pas être plus de neuf heures. Le jeune dramaturge se dissimula derrière le fond de scène, le temps de changer de chemise : la sienne était trempée, à force de travaux manuels.

Il fallait attendre, désormais. Il était étrange qu'Aalis - Renarde - n'était toujours pas venue, il s'attendait à ce qu'elle soit sur ses talons, comme toujours, comme la digne co-fondatrice de la troupe qu'elle était. Sans doute qu'elle avait rencontré quelqu'un sur son chemin. Ce ne serait pas la première fois. Mais il admirait chez elle cette spontanéité à aider les gens dans le besoin ; il ne chercherait pas à la corriger. Dans tous les cas, ce n'était pas elle qu'il attendait le plus expressément. Ni même Jade à vrai dire, qui interprèterait la belle Satin. Ce serait drôle si elles s'étaient croisées en route pour le parvis. A sa connaissance, elles ne s'étaient jamais vraiment parlé avant ce jour.

Le jeune comédien se posa sur son estrade surélevée, les mains sur les genoux. Ses jambes ballottaient dans le peu de vide qu'il y avait entre lui et le sol, comme ceux d'un enfant. Son épée de bois posée à portée de main, il relisait l'une de ses scènes, sans vraiment y mettre toute son attention. Ses yeux fébriles guettaient impatiemment une chevelure violette qui, d'après l'heure, ne tarderait pas à apparaître à l'horizon. Le Prince Corneille aimait se faire attendre, mais peu importe : armé de son arme en toc, Albe l'attendait de pied ferme.


Negaï


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(vide)

Regarder se lever le soleil sur la Plaine était vraiment un spectacle dont Negaï se délectait. Peu importait la naissance ou le poids des rubis dans la bourse, n'importe qui d'assez passionné avait le droit d'y assister. Il aimait cette petite Victoire sur ceux qui le regardaient de haut. Eux étaient trop aveuglés par leur petit confort pour se rendre compte d'une telle beauté, que la Nature leur offrait gracieusement.

Cette philosophie, il la partageait avec une autre personne. Un écrivain et comédien qui l'avait invité à rejoindre sa troupe. Ce n'était pas grand chose, mais cela avait réussi à réchauffer quelque peu le cœur glacé du violet. Pour une fois, il avait une occasion de donner sans reprendre. Sa maîtresse ne lui aurait certainement pas autorisé, mais tant qu'il accomplissait sa mission à côté, quel argument pouvait-elle lui apporter ?

Il avait dormi dans le bourg, cette nuit-là, pour ne pas arriver en retard à leur répétition. Il s'était réveillé beaucoup plus tôt, excité par la perspective de cette journée, et par leur représentation qui allait avoir lieu le soir-même. Il sortait de ses habitudes, s'aventurant sur un terrain où il n'était pas le plus expérimenté. Il avait peur. Peur d'être ridicule. Peur de décevoir. Peur de se prouver qu'il n'était bon qu'à la seule chose qu'il avait toujours faite, et qui le répugnait de plus en plus. Peur de redevenir juste Negaï alors que pendant quelques heures, il allait être Corneille. Non pas que ce personnage fût plus appréciable, mais il avait la décence de ne pas avoir de sentiments. Il pourrait fuir sa réalité durant une journée entière. Juste pour ça, Luka représentait ce qui se rapprochait le plus d'un ami pour lui. Il ne savait pas d'où ailleurs pouvait provenir le profond respect qu'il ressentait à son égard.

Il détourna son regard turquoise de l'horizon pour regarder la silhouette du Temple du Temps, son horloge plus précisément. Il était l'heure. Il sauta gracieusement de la tour où il s'était perché, non loin du pont-levis, et atterrit avec légèreté sur les pavés de la Place. Il marchait rapidement, savourant la fraicheur de l'air du matin, qui contrastait avec la morsure des rayons du soleil sur son visage et ses bras dénudés. Il jouait déjà avec le vent qui venait ébouriffer ses cheveux. Luka aimait cet effet quand ils étaient sur scène. Quelque part, ça l'arrangeait, car sa tignasse était aussi détestable que lui et refusait de se tenir tranquille quand on essayait de la dompter à coups d'épingles et de rubans.

Il n'avait pas l'habitude de marcher dans les rues à cette heure. Si certains se réveillaient et se mettaient déjà au travail, il y avait nettement moins de monde qu'en temps normal. Il aimait cette ambiance de quiétude, lui qui avait une vie si agitée. Enfin la rumeur des autres comédiens arriva à ses oreilles. Continuant sa marche fluide, il reconnut quelques visages, avant de voir la scène. S'il avait su, il se serait proposé pour aider à la monter... Bah ! Il s'en chargerait le soir, si ses admiratrices lui laissaient un peu de répit.

Au milieu, il y avait Luka, et son allure débraillée empreinte pourtant d'une noblesse que Negaï ne savait définir. Celle du cœur, sans doute... Il sourit, sincèrement, et s'avança vers lui, exalté à l'idée de commencer les répétitions.


Jade Caellis


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(vide)

[spoiler]
Jade, l'étrangère
Brune aux yeux rouges, Jade ne cache pas ses origines étrangères, et vous donne aussi son vrai prénom. Curieuse, elle est avide de connaître mieux Hyrule et ses habitants, et ne montre ni hostilité, ni hospitalité. En somme, elle est très neutre, observatrice.

Jade travaille comme serveuse. Elle a rejoint la troupe d'Albe pour y jouer Satin.

Elle commence à bien connaître Luka, qui l'a intrigué.
Elle a croisé Aalis, un soir de lessive.
Elle n'a encore jamais croisé Negaï, bien qu'elle en est entendu parlé par Luka.
[/spoiler]

Jade se hâta, à la fois pressée et totalement stressée. Elle allait enfin croiser la troupe d'Albe au complet ! Mais comment se comporter avec des gens qu'elle ne connaissait pas, et avec qui elle allait devoir vivre pendant plusieurs soirées ? Elle décida de passer outre, son sens de la comédie lui servirait surement à jouer le jeu une fois de plus. Elle pressa de nouveau le pas.

Luka leur avait donné rendez-vous à tous, surement dans l'optique d'une répétition générale, du moins le supposait-elle. Alors, consciencieusement, elle avait appris les premières pages de son texte par coeur. Puis elle avait renoncé : le feeling ne passait pas avec Satin de cette manière. Alors elle avait tenté de la jouer, réellement. De se comporter en Satin même pendant son service. Ce n'était pas chose aisée, mais elle se surprit à y prendre plaisir. Au fond, elle était une comédienne de tous les jours.

Elle n'était pas venue les mains vides. Elle avait acheté une robe vert pastel, en accord avec la couleur qu'elle est Luka avait défini pour Satin. Elle avait aussi quelques effets personnels qu'elle espérait utiles aux autres comédiens. En arrivant sur place, elle vit Luka, qu'elle appela.

"Bonjour Luka !"

Mais elle remarqua bien vite l'autre homme, qui semblait retenir l'attention du metteur en scène. Elle en fut un peu vexée, mais attendit patiemment, regardant le reste de la foule. Eh bien, ça en fait du monde tout de même...


Aalis


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(vide)

Quand elle s’était levée ce matin-là, la chambre était déjà déserte. Sur la paillasse à ses côtés, une note griffonnée au dos d’un manuscrit, préparer les repas et le rejoindre sur la place. Les rayons du soleil ne passaient pourtant pas encore à travers les fenêtres de la mansarde, l’animation des premiers marchands ne se faisait pas encore entendre, et, lorsqu’elle avait ouvert la porte, elle s’était trouvée assaillie par l’air frais du petit matin.

Mais voilà qu’elle était tout de même descendue, et voilà qu’à présent elle courait presque, portant contre son sein un repas encore tiède, une miche encore chaude, tout en déplorant qu’il faudrait manger froid, ce midi. Un beau gâchis. Elle était en retard : acheter le pain et préparer tout cela lui avait pris bien trop de temps. Elle n’avait jamais été une cuisinière excellente, et, quelque part, elle avait eu ce jour-là envie de faire quelque chose de bon : le jour de la première, autant qu’on le savoure !

A cette idée, elle sentit une boule se former dans son ventre.

Aalis n’avait jamais vraiment subi le trac, auparavant. Elle n’agissait jamais avec assez de préparation pour avoir le temps de se poser trop de questions. Mais, depuis qu’Albe, Renarde, Corneille et Satin avaient débarqué dans sa vie, elle avait connu le laborieux travail des répétitions, dire et redire une phrase, faire et refaire un geste, jouer, et jouer encore, jusqu’à ce que ce soit convaincant, jusqu’à ce que ça devienne naturel, et elle avait découvert deux choses : elle aimait jouer, et elle souhaitait de tout cœur que les autres aiment son jeu. Elle répétait nerveusement ses répliques tandis que ces pas l’amenaient mécaniquement vers le point de rendez-vous, indifférente à tout ce qui l’entourait, mis à part ce soleil qui était dorénavant bien trop haut dans le ciel à son goût. Foutre-Din ! Elle était aussi nerveuse qu’une pucelle avant la nuit de noces. C’était fichtrement agaçant.

Et pourtant, ça n’avait pas été facile ! Non, ça ne l’avait pas été. Seuls, sans le sou et sans aucune expérience, aucun bagage à part la tête et l’enthousiasme de Luka qui parfois volaient bien trop haut et sa hargne, ses mots à elle qui restaient souvent bien trop près du sol. Ils en avaient connu des Satins, des Corneilles, ils en avaient vu, des arrivées mais aussi des départs, beaucoup trop de départs… Mais cette fois, ça y était. Elle en était intimement convaincue. Negaï et Jade ne leur feraient pas faux-bond, Luka le lui avait dit. Elle le croyait. Mais trop de scènes à revoir, de segments à retravailler, encore tant de choses à faire et si peu de temps encore, et ce soir, enfin, ce soir ils seront devant les spectateurs, prêts ou non. Ce qu’elle avait hâte, par les Déesses ! Mais ce qu’elle redoutait cette heure !


*Calme-toi, ma grosse. T’as déjà affronté bien pire qu’une bande de mioches enthousiastes.*

Car c’était souvent des enfants, qui les regardaient. Souvent des enfants pas très riches, et leurs parents pas très riches, non plus. C’étaient pas avec les quelques rubis qu’ils pouvaient vivre comme des rois, mais ils avaient de quoi subsister, même s’il y avait des jours plus fastes que d’autres. Comme celui-ci, avec un peu de chance : il faudrait bien qu’ils aient quelque chose à fêter, et de quoi payer la bacchanale.

Mais voilà qu’elle arrivait.  Il était temps de recentrer ses pensées sur le présent. Foutre Din, la scène était déjà montée ! Et ils étaient tous déjà là ! Albe et Corneille, face à face, et la belle Satin, qui les regardait : on s’y croirait déjà. Elle sourit, et se hâta vers le petit groupe. Il était temps de retrousser les manches, et de se mettre au boulot.

Elle s’approcha d’eux et lança un
« Bonjour ! » joyeux à la cantonade, allant déposer son paquet sur la scène et faisant mine d’ignorer les quelques passants qui leur jetaient des coups d’œil à la dérobée. Elle observa l’air rêveur – toujours rêveur – de Luka, le sourire ravi de Negaï, et se dit que c’était peut-être bien une chouette journée qui s’annonçait. Puis, elle se tourna vers la jeune femme, Jade, tout sourire elle aussi. C’était contagieux.

« Tiens, mam’zelle Satin ! Fais donc voir ce que tu nous as ramené ? »


Luka

Le Changelin

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(vide)

Tout le monde était là. Le coeur de Luka s'emballait rien qu'en voyant tous ces visages connus, tous ces visages aimés, ces chers compagnons de route qui se posaient dans sa vie, provisoires peut-être mais pourtant déjà fermement ancrés dans son incommensurable affection, ces amis encore séparés de lui par l'estrade bien bancale qui leur servait de scène. Qu'à cela ne tienne ! Il tendit la main à Negaï, afin de l'aider à se hisser à sa hauteur. C'était avec lui qu'il commencerait. Vite, vite, des passants tournaient déjà la tête en leur direction : Albe et Corneille devront se faire discret. Il s'en voudrait tellement de dévoiler la fin par mégarde à des spectateurs potentiels !

Il baissa momentanément les yeux et décocha un sourire radieux à ses comédiens, un sourire espiègle et prometteur, avant d'écarter les bras d'un grand geste théâtral, presque gracieux, le visage ouvert. Il ne s'embarrassa pas de discours introductif, pourtant : l'essentiel était d'économiser du temps.


« Installez-vous à votre aise, les filles ! Negaï et moi allons filer les dernières scènes rapidement, puis nous passerons à Renarde et Satin, histoire de remettre quelques petites choses au point. Comme d'habitude, n'hésitez pas à faire des commentaires quand vous voyez qu'on reprend, ou quand vous voyez que ça ne va pas du tout ! On fera une petite pause pour déjeuner, mais hormis ça, pas de répit pour les braves ! »

Le jeune dramaturge rangea prudemment son épée de bois à sa taille, en la passant à travers sa ceinture rapiécée, avant de reprendre sur un ton plus posé :

« On s'arrêtera une heure avant la représentation, pour souffler un peu et se calmer : pas de surmenage surtout. Et puis... » Il se gratta la nuque, le regard fuyant. Comme un adolescent, il rougissait de la nuque sous la gêne momentanée qu'il ressentait à l'idée de ce qu'il allait dire par la suite, mais il se lança vaillamment : « ...Enfin, je sais que nous ne nous connaissons pas depuis très longtemps, pour certains d'entre nous, mais... J'ai quelque chose pour vous. Une surprise. Je vous en dis plus juste avant le spectacle, d'accord ? »

Et c'était tout. Il espérait que sa petite annonce avait surpris Lis au même titre que les autres car il avait fait en sorte de travailler à l'insu de tous, dès qu'il avait un peu de temps libre pour s'isoler quelque part. Ce n'était pas grand chose, il avait fait avec les moyens du bord, mais il comptait sur cette surprise pour remercier et rassurer ses comédiens comme il se devait. Avant le spectacle, car c'était le moment où ils seraient le plus propice à la panique, et Luka voulait désamorcer la tension du mieux qu'il pouvait. Bien qu'il était loin de se sentir très flegmatique de son côté.

Il tapa dans ses mains à deux reprises pour chasser les papillons nerveux qui lui nouaient le ventre - une image qui le fit sourire tant elle était digne d'un de ses rêves ; il essaierait de la recréer la nuit prochaine, dans le monde onirique - et se ressaisit tout à fait pour lancer sur un ton enthousiaste et déterminé :


« Allons-y, Prince Corneille. On reprend après la défaite de Chevalière Mésange, quand Albe se retrouve seul face à toi et que tu commences ta parade de séduction, ça te va ? »

L'oeil plus critique, le chef de troupe saisit le bras de son comédien à la longue chevelure violette et le redirigea vers un coin de l'estrade. Bien que le brun était plus petit que lui, et bien plus maigre, sur scène il était roi. Il le lâcha par la suite et se plaça tranquillement à l'opposé, face à lui, la main posée sur le manche de sa fausse épée. A distance respectable l'un de l'autre, pour que la voix puisse porter.
Le théâtre élargissait l'espace. Les interactions devaient se faire soit très loin, soit tout près ; pas d'entre-deux qui tenterait bêtement d'imiter le réel sans y parvenir.


« Je risque de te donner des indications pendant ton jeu, mais ne t'interromps pas surtout, continue !  Et n'oublie pas : ne joue pas qu'avec l'expression de ton visage, le spectateur ne voit pas forcément de là où il est. Tu es trop habitué à charmer dans la vie courante. »

Ce n'était pas tant une critique qu'une constatation comme une autre ; Luka se moquait bien de savoir ce que faisait Negaï dans son temps libre tant qu'il ne commettait pas de meurtre et qu'il se montrait toujours là lorsque sa présence était requise.
Il leva la main et claqua des doigts, une seule fois : signal que le jeu commençait. Son visage se fit plus neutre, ses yeux plus perçants : il se concentrait. Quand tu veux, Negaï, semblait-il lui indiquer par un hochement de tête.

Le théâtre, ce n'était pas prétendre : c'était se laisser traverser par un personnage, ne serait-ce que pour le temps d'une pièce. L'esprit si aisément perméable de Luka lui facilitait la tâche : il savait s'abandonner comme il respirait, laisser de côté sa propre identité pour revêtir celle d'un être fictif. Un peu comme s'il entrait dans sa peau. C'était facile à dire, il en était bien conscient, et il y avait bien sûr toujours des jours "sans". Des jours où il n'y arrivait pas. Mais le théâtre, c'était avant tout essayer.

Essaie donc, clamaient ses yeux ocres qui ne quittaient pas son comédien un seul instant. Essaie de persuader Albe à travers les mots du Prince Corneille.
Essaie d'y croire.


Negaï


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(vide)

Tout le monde trouvait sa tâche, et mettait du cœur à l'ouvrage. Il salua d'un hochement de tête Aalis et Jade, avec un sourire tout à fait... Aimable ? Même si les journées de répétitions comme celles-ci étaient des plus éprouvantes - surtout lorsque la représentation suivait de près - physiquement, c'était un véritable repos pour les nerfs. Trac mis à part, évidemment. Non, la bonne humeur était tellement de mise qu'elle en était reposante à côté de ses collègues plus nocturnes qui se plaignaient constamment.

Son regard se perdit sur Luka, et il ne put s'empêcher de sourire en réaction à son air rayonnant. Il était parfaitement à sa place, et sa confiance était presque contagieuse. Pourtant Negaï ne perdait pas de vue que le milieu du théâtre lui était étranger. Il avait tout bonnement peur de se planter. Mais après tout, c'était pour éviter ça qu'ils étaient tous réunis de si bonne heure. En plus, cette histoire de surprise, bien qu'intrigante, était un nouveau pas vers une journée encore plus agréable.

Économisant ses mots, il se contenta de se laisser porter à travers l'estrade par le bras. Le jeune metteur en scène savait ce qu'il voulait, c'était rassurant. Il écouta d'un air sérieux les indications du garçon. Cela l'amusait d'être si docile face à quelqu'un, et sans contrepartie. Quelque part, cela lui permettait d’emmagasiner tout un stock de répliques acerbes qu'il distribuerait à d'autres une fois le spectacle terminé. Être détestable demeurait sa principale passion, après tout.

Il se cambra de manière bien visible, sans tomber dans la caricature non plus. Sa main droite venant se poser dans un long et large mouvement de bras sur sa hanche, pendant que la gauche venait se poser sur la garde de son épée en bois. Il resta juste assez longtemps dans cette position hautaine pour se stabiliser. Puis un sourire carnassier [genre celui de mon avatar sur le site x)] vint remplacer le plus délicat qu'il arborait jusqu'ici.


*Très bien Albe, tu veux que je sois Corneille. Rien ne me ferait plus plaisir que de laisser Negaï un moment.*

Il tira l'épée de sa ceinture, d'un geste rapide et élégant, avant de la positionner devant lui. Il inclina la tête sur le côté, ne quittant pas son air provocateur et sûr de lui.


"Tu ferais-mieux de te concentrer sur tes mouvements, Albe. Je ne voudrais pas te terrasser tout de suite."


Le sourire se fit légèrement plus fin, et il bondit en avant. Le bois mordit le bois dans un bruit sec et court. Mais les échos du métal ne furent pas difficile à entendre depuis les méandres de leur imagination. Il s'agissait de gagner : il avait un Royaume à conquérir.


Jade Caellis


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"Renarde !"

L'exclamation de joie lui avait échappé, mais même si elle n'avait vu la comédienne de la soeur de Satin qu'une seule fois, elle était vraiment heureuse de la revoir. Joignant le geste à la parole, elle défit son paquet, révélant les robes, tissus et autres accessoires. Essentiellement des effets féminins, la brune n'ayant jamais tenté de transformer son corps en celui d'un homme.

"Tu vois, j'ai quelques robes, mais je crois que Luka avait déjà une idée pour ton personnage non ? Sinon, j'ai aussi quelques babioles, qui serviront surtout à accompagner les mouvements des femmes de cliquetis et autres bruits tintant..."

Luka prit alors la parole, leur annonçant par la même occasion l'existence d'une surprise. La sheikah d'un autre monde fronça légèrement ses sourcils, inquiète. Il ne fallait pas qu'elle soit soumise à des évènements trop surprenant, aussi elle remercia Luka de les avoir averti. Il aurait été dommage de se saborder à quelques instant du grand final... Puis, à la demande de leur metteur en scène, elle alla s’asseoir, mais pas trop loin de Renarde, le seul visage connu. Les hommes commencèrent leur échange, et la brune en profita pour se pencher vers sa soeur d'une pièce.

"Qui est-il exactement ?"

Elle désigna le prince Corneille. N'était-il pas sensé être l'homme qui, par sa beauté, avait dérobé le coeur de Satin ? Seulement, à ne pas le connaitre, Jade craignait de ne pas être capable de jouer correctement avec lui.


Aalis


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Aalis regarda avec de grands yeux étonnés le contenu de paquet. Qu’est-ce qu’il y en avait, de belles choses ! Elle ne pensait pas avoir eu entre les mains d’aussi jolis vêtements depuis qu’elle avait quitté le navire marchand dans lequel elle travaillait, plus jeune. Elle se doutait bien qu’il ne s’agissait pas là des étoffes les plus précieuses, des métaux les plus recherchés, mais tout de même, elle ne pouvait s’empêcher de se demander…

 « Bah ça, c’est bien beau ! Comment est-ce que tu t’es procuré tout ça ? »

Ce n’était pas avec le théâtre que les membres de la Troupe gagnaient des milles et des cents. Et d’ailleurs, Luka et elle avaient très vite appris à tirer parti de ce handicap : tout miser sur le jeu, et très peu sur les costumes. Luka prônait la simplicité comme valeur fondamentale, et même si elle ne comprenait pas vraiment pourquoi il trouvait ça si primordial, elle s’y était accoutumée. Elle n’avait jamais vraiment compris d’où son ami connaissait toutes ces belles lettres et ses lubies d’artiste, mais elle les suivait souvent assez complaisamment : elle, c’était pas la connaisseuse, et elle n’avait de cette d’apprendre.

« En tout cas ça peut être amusant ! Pour mon costume, tu sais, je sais pas trop. Il faudrait voir avec le metteur en scène. On a pas beaucoup de moyens, alors on a pris l’habitude de faire simple.

Elle continua à détailler le contenu du paquet avec des sourires ravis. Elle n’écoutait pas trop le petit discours de Luka : elle avait l’habitude de ces petites annonces pré-spectacles. Mais, quand il annonça une surprise, elle leva les yeux et fronça les sourcils. Foutre-Din ! De ça, elle n’avait pas été prévenue. Qu’est-ce qu’il avait mijoté dans son coin, ce petit nigaud ? Elle n’aimait pas les surprises. Enfin, ça dépendait desquelles. Elle n’aimait pas les surprises qui précédaient tout juste l’heure à laquelle elle allait jouer un personnage devant un public nombreux. Elle le sentait : ça allait la troubler, et elle allait cafouiller. Luka, tu m’le paieras !

Elle ouvrit la bouche pour protester, mais, déjà, Negaï devient Corneille, Luka devient Albe. Alors, elle laissa tomber, et resta Aalis. Elle se tourna vers Jade.

« Lui ? C’est Negaï. Il est un peu bizarre, des fois, mais il est gentil. Moi, je le trouve très drôle. »

Elle songea aux mots fleuris et aux manières aguicheuses de l’homme à la tignasse violette, et ça la fit sourire.

« Vu qu’t’es une jolie fille, il essayera de t’embobiner mais t’inquiètes pas : je crois que c’est se façon de sociabiliser.  Mais ça m’fait penser que tu connais pas vraiment les autres membres, en fait. On pourrait profiter que ces deux-là soient en train de jouer à la bagarre pour faire connaissance : ne m’appelle pas Renarde hors de la scène, j’m’appelle Aalis, je préfère. »

Elle avait remarqué que Jade l’avait appelée Renarde. Ceci dit, elle-même l’avait salué en tant que Satin. Mais l’heure n’était pas encore venue pour elle de remettre leurs masques, et même si elle aimait jouer,  elle préférait toujours connaître les vrais visages des personnes qu’elle côtoyait. Cette Jade avait l’air mignonne comme tout, et elles ne se connaissaient qu’à peine. C’était quand même dommage. D’autant plus qu’à présent, elles étaient collègues.

Il y avait toutefois quelque chose qui l’intriguait, dans les informations que Luka lui avait données sur elle.


« T’étais pas serveuse, avant ? Mais alors, qu’est-ce qui t’as poussée à nous rejoindre ? C’est pas plus facile, d’avoir un salaire fixe ? »

Car oui, la Troupe était devenue un peu comme sa deuxième famille. Elle lui devait énormément, et elle avait vécu grâce à elle des expériences inoubliables. Elle y avait rencontré un ami cher, avec qui elle avait traversé pas mal d’épreuves, et qu’elle aimait énormément. Mais elle aimait bien avoir le ventre plein et un toit sec sur la tête. Si possible chaque soir.


Luka

Le Changelin

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(vide)

[ Désolée du retard, ça fait une semaine que mon post traîne sur mon PC à moitié rédigé, je suis tombée malade au mauvais moment... ;_; ]


Luka laissa échapper une exclamation surprise avant de tirer son épée de bois de sa ceinture pour réceptionner le coup de peu. Negaï n'y allait pas de main morte, bien que ses intentions n'étaient nullement mortelles ; c'était du jeu, mais le jeu devait se montrer féroce et vraisemblable pour se montrer intéressant.

Le dramaturge avança un pied, laissant sa jambe de derrière lui servir d'appui, et tenta de repousser son assaillant en appuyant sur le manche de son arme. Peine perdue, il était un poids plume. Il abandonna la mise et fit un pas de côté, gracieux comme une ballerine, pour céder sous le poids de son adversaire, signe qu'il n'allait pas tarder à revenir sur le côté. C'était une danse très codifiée qu'ils avaient travaillé des jours durant, les mêmes offensives revenaient sans cesse : le but n'était pas d'atteindre l'autre comédien, mais de forcer, de s'efforcer, de sentir leurs muscles tirer et la sueur goutter à leur front pour que le public y croit.

Transpire. Souffre. Souffle. Le théâtre, c'était l'énergie qu'ils ne cessaient de pulser dans leur jeu, comme une balle dorée qu'ils devaient sans cesse chercher à garder en l'air, au plus haut point dans le ciel bleu.


« Frappe-moi, pas le bâton ! » Luka lançait à Negaï par-delà le masque de son personnage. Il mettait en scène, il avait le droit de briser le jeu. Mais il s'immergeait à nouveau dans l'être fictif qu'il ne quittait jamais vraiment une fois sur l'estrade : sans laisser à son comédien le temps de répondre, il se précipitait déjà sur lui, pour tenter de lui porter un coup transversal.

Une parade, un arrêt sur tension, puis une attaque circulaire qui mettrait en valeur la longue chevelure violette de son partenaire de jeu ; la gestuelle était réglée comme sur du papier à musique. Un bref coup d'oeil derrière son adversaire lui fit entrevoir les deux autres comédiennes qui discutaient entre elles, tranquillement ; un homme les observait curieusement depuis la fenêtre de la bâtisse opposée. Mais ce n'était pas le moment de se distraire. Luka revint à la situation présente, et suivit les mouvements attendus de Negaï d'un bond arrière maîtrisé.

Un, deux, trois. Ce n'était pas si loin de la valse, tout compte fait. Le texte ne sortait pas, non sans raison valable : trop de passants s'arrêtaient déjà pour les observer, et Luka craignait de dévoiler la fin de la pièce avant même qu'elle ne commence. Dans tous les cas, ils avaient déjà répété le texte la veille, à voix basse et sans jouer, juste avant qu'ils ne se quittent à la tombée de la nuit. Pas la peine de s'user la voix : Negaï retenait les mots avec une aisance qui trahissait le beau-parleur qu'il était dans la vie courante. Luka n'allait pas s'en plaindre, lui qui avait tellement de mal à apprendre tout de lui-même dès lors qu'il ne s'agissait pas d'une de ses propres pièces...


« Pas trop brutal ! Oui, comme ça, c'est mieux ! »

Ses indications s'essoufflaient au fur et à mesure que sa respiration s'accélérait avec l'effort, mais Negaï lui poserait des questions si certains points restaient obscurs. Luka prit un peu de distance et ralentit, tournant autour de la scène en invitant son partenaire à en faire de même de l'autre côté de l'estrade, comme deux lions en cage qui guettaient le moment de se jeter à la gorge de l'autre. Il fatiguait, à force de frapper, courir, esquiver, danser avec son comédien, mais dans le même temps, un sourire exalté s'épanouissait sur son visage. Un sourire confiant. C'était ça, ils y étaient : ils seraient prêts pour le spectacle. Luka n'avait plus de doute là-dessus.

Ce ne fut qu'après un temps raisonnablement long que l'Hylien aux cheveux de jais interrompit le jeu. Une injonction à haute voix, accompagnée d'un geste éloquent de la main. La toute dernière action, le plus symbolique de toutes (Albe tuant le Prince Corneille en le transperçant sous le bras) resta en suspens entre eux, volontairement : ils l'avaient déjà clairement en tête, après s'être acharné dessus les jours précédents. La respiration saccadée, le coeur martelant à son crâne à force de continuellement se mouvoir, le dramaturge posa ses paumes sur ses cuisses, l'épée de bois toujours dans une main. Son avant-bras vint essuyer son front blanc d'où perlait allègrement la sueur, presque inconsciemment ; il était trop occupé à rayonner, les yeux rivés à Negaï, pour se soucier des mouvements instinctifs de son corps éreinté.


« Ça y est, je crois bien. C'est bon. C'est bouclé. »

Cette scène, du moins. Il n'y avait plus qu'à jeter les dés, et faire de son mieux au soir même. Luka se moquait bien d'être épuisé, couvert de sueur et de poussière, les mains encore moites : il se rapprocha de son comédien et l'enveloppa dans une étreinte à un bras, un peu maladroitement mais en toute sincérité. Son épaule osseuse cogna le torse de Negaï, sans violence mais sans douceur. Puis il le relâcha, pour saisir brièvement sa main libre dans la sienne, le temps d'échanger une poigne décisive, presque fraternelle. Son sourire lui plissait légèrement les yeux et dévoilait ses dents. C'était bon de pouvoir traiter d'égal à égal un homme comme celui qui se tenait devant lui.

« Merci. » Il ne s'attarda pas là-dessus et pivota tout de suite vers le bout de l'estrade. Ses deux amies qui discutaient juste à côté attiraient irrémédiablement son attention, il avait envie de les intégrer à la scène. Ensemble, alors qu'elles ne se connaissaient pas très bien encore... Et soudain, il sut exactement ce qu'il voulait qu'elles fassent.

Il tourna brièvement la tête vers Negaï, le temps de lui lancer à la volée un :
« On va les rejoindre ? » Car effectivement, il avait une idée de jeu à proposer à ses filles. Un tout petit jeu de confiance, qui pourrait aider à créer un lien entre elles assez rapidement. Un peu trop psychologique, trop centré sur les personnages quand le théâtre se devait de mettre en avant l'action, l'événement, mais cela ne leur ferait pas de mal tant qu'elles n'oubliaient pas ce principe fondateur une fois devant le public. Preste comme un lièvre, Luka franchit d'un bond le bord de la scène, et si l'atterrissage fut un peu brutal pour ses jambes déjà lasses, l'enthousiasme ne tarda pas à prendre le dessus et à le pousser en direction des deux comédiennes. Elles semblaient plongées en pleine discussion... Il attendit à côté d'elles pendant un moment, une présence passive mais bienveillante, le temps qu'elles finissent leur conversation.

« Ça va, vous ne vous ennuyez pas trop ? J'ai un petit jeu à vous proposer, si ça vous tente, je pense que ce serait plus formateur que de travailler votre seule scène commune, qui en soi n'est pas bien longue ! La relation entre Renarde et Satin se tisse plutôt en toile de fond, vous ne vous confrontez jamais directement... Mais il faut bien qu'on sente que vous avez partagé une enfance commune, et qu'il y a quelque chose qui se déchire entre vous avec le mariage de Satin, puis avec l'amour mutuel que vous portez à Albe, vous voyez ce que je veux dire ? »

D'un mouvement ample de bras, Luka proposa à ses comédiennes de monter sur scène avec lui. Il décocha un regard contemplatif en direction de Negaï, comme pour vérifier qu'il était lui aussi à l'écoute. Comme pour évaluer ce que cela leur rapporterait, d'appliquer l'exercice qu'il avait conçu pour les filles après leur passage. Après tout, fondamentalement, Albe et Corneille étaient aussi de la même fratrie. Et bien qu'Albe ne s'en souvenait pas, dans sa condition d'amnésique, bien que Corneille en soit responsable - lui qui avait cherché à assassiner son cadet pour être le seul héritier du trône royal - leur lien était inscrit en lettres de sang. Ce sang bleu qui ne pouvait s'effacer, peu importe combien le souverain fratricide tenterait de s'en laver les mains.

Plus au-delà encore, au-delà des masques qu'ils portaient, des personnages qu'ils incarnaient, c'était le lien entre comédiens que le jeune dramaturge voulait entretenir. Ils devaient bâtir ensemble quelque chose de puissant, quelque chose d'intense, de poétique, de touchant. Monter une pièce ensemble, c'était avancer du même pas, fixer le même horizon, oser toujours plus sans se reposer sur leurs succès. C'était accepter les échecs et la misère lorsqu'ils devaient s'y confronter - et ils s'y confrontaient souvent.
Mais c'était cultiver le vivre ensemble. Et cela, Luka ne l'échangerait pour rien au monde.


Negaï


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Jamais rejoindre les rangs d'une armée, quelle qu'elle fut, n'avait tenté la grande asperge aux cheveux violacés. Trop têtu, trop grincheux, trop paresseux... Même si les femmes - et certains hommes - aimaient les soldats, il n'en avait pas l'âme pour jouer de ce statut pour accomplir ses vilaines actions. Même les quelques personnes qui, de manière plus abstraites, avaient tenté de discipliner son esprit aussi rebelle que ses cheveux, avaient fini par abandonner.

Et pourtant, là, dans des pas de danses fluides et surprenants malgré tout le travail qui avait été fait derrière, il obéissait au petit brun, s'ajustant à la moindre remarque. Son cerveau aux allures de fin de soirées dans l'auberge de NuttyK arrivait parfaitement à compartimenter ses sensations, doublant alors le plaisir de ce qu'il vivait. Un plaisir pur et sublimé qui le changeait de la monotonie dont s'était vêtu celui de la chair. Ses muscles le tiraient sans lui faire mal, à la manière d'un massage de l'espace sur ses membres qui fatiguaient, le tout mêlé au plaisir intellectuel d'incarner à part entière un personnage qui ravirait les yeux de son public sans pour autant lui nuire d'un point de vue juridique comme médical.

Ils s'arrêtèrent tout aussi fluidement qu'ils avaient commencé, le souffle court et le corps détrempé. Ils étaient prêts, et Negaï aimait ce sentiment certain de pouvoir donner le meilleur de lui-même. Il ne savait pas s'il le ferait réellement, c'était une science si inexacte... Mais au moins, il s'en savait capable, et cela ôtait un lourd poids de ses épaules endolories.


"On va les rejoindre ?" lui lançait déjà son ami et mentor dans ce domaine si nouveau - bien qu'expérimenté à bien des égards - qu'était le théâtre. Il le suivit sans répondre, celui-ci ayant déjà commencé sa descente vers leurs deux camarades. Son regard se perdit sur elles. Il avait déjà rencontré Aalis à quelques reprises : une jeune femme pleine de caractère et qui ne se laissait marcher sur les pieds ni par les autres, ni par les foutues conventions qui essayaient de tous les modeler.

Jade, quant à elle, il ne l'avait jamais vue, ou alors aperçue lors des répétitions sans jamais avoir eu l'occasion de l'approcher. Pourtant leurs personnages étaient liés. Sans doute était-ce pour ça qu'il était mal à l'aise quand une occasion se présentait. Il avait toujours peur de laisser Corneille prendre le pas sur Negai. La joie d'un psychisme un peu trop fragile, sans doute.

Le temps qu'il arrive jusqu'à eux, Luka s'était déjà lancé dans une longue tirade sur leurs personnages. De ce qu'il avait compris, il n'avait pas tort. Leurs personnages à elles aussi étaient très liés, sans pour autant vraiment se rencontrer tout au long de la pièce. L'exercice qu'il leur proposa lui sembla naturel, mais aussi si ingénieux. Ils avaient besoin de ça, tous : appartenir à quelque chose. Et ce quelque chose se devait d'être assez solide pour tous les contenir et les empêcher de s'enfoncer dans d'autres choses plus floues et moins rassurantes.

Il resta au sol et s'assit en regardant ses trois camarades remonter sur les planches de leur petite scène. Il était curieux de voir ce qui allait en ressortir, et se demandait si Luka et lui passeraient aussi par ce petit jeu. Sans doute comprendrait-il mieux ce qu'on peut ressentir vis-à-vis d'un frère, lui qui n'avait jamais eu de famille au sens réel du terme. Sa distance par rapport au concept représentait une force pour Corneille qui n'en avait que faire. Mais à l'inverse, comment détruire ce qu'on ne connaissait pas ?

Il s'étonna de partir dans de tels débats intérieurs. Un sourire vint vite redécorer son visage, et il ouvrit grand les yeux, au même titre que ses oreilles, même si ça ne se voyait pas pour ces dernières. Le spectacle qui allait se jouer sous ses yeux étaient finalement le vrai. Celui qu'il ne connaissait pas. Passer spectateur était plaisant après tous ces efforts pour être acteur.


Jade Caellis


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Jade écouta attentivement sa soeur de scène, avant de répondre à toutes les questions d'un seul coup, avec un coup d'oeil appuyé.

"Très bien Aalis !
Oh, ça je le tiens de mon pays natale, j'adore pouvoir changer d'apprence juste en enfilant une belle robe ou une tenue forestière. Et je suis toujours serveuse, c'est pour ça que je suis moins souvent là, je dois jongler entre les deux car l'auberge de Nuttyk m'offre un salaire qui me permet de vivre juste comme il faut. Mais j'aime trop ce que m'a raconté Luka du théâtre pour ne pas tenter de faire les deux !"


Elle se mit à rire, et avant qu'elle ne questionne d'avantage la malice Aalis, les deux hommes s'approchèrent, ayant fini leur exercice. Elle souriait franchement, heureuse d'être là. Mais quand Luka les entraina pour un exercice centré sur elles, la gêne reprit le dessus.

"Oh, je ne suis pas sûre que..."

Oh et puis bon, n'était-elle pas là pour jouer au final ? Elle finit par monter à son tour sur la scène, hochant la tête avec détermination et son sourire de nouveau sur les lèvres.

"Alors, qu'attends-tu de nous ? Que nous jouions les soeurs enfants ? Ou jeunes adultes encore proches ?"


Aalis


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Aalis s’apprêta à répondre à la joviale jeune femme, quand elle remarqua la présence de Luka, qui attendait patiemment à leurs côtés. Elle tourna la tête vers lui, tandis que Jade elle-même s’interrompait, et l’écouta partir sur le lien existant entre les deux sœurs. Il est vrai que finalement, elle et Jade se connaissait bien peu… Même si elle lui était sympathique. Un petit jeu, comme ça, ça ne ferait pas de mal, et puis c’était marrant.
Elle lança à Negaï en chuchotant, tandis que déjà Luka les invitait à le rejoindre sur la scène :


« ‘L’amour mutuel que vous portez à Albe’… Tu parles, il avait juste envie de voir deux jolies filles se pâmer pour lui. »

Elle pouffa. Elle aimait bien Negai, également, et avait plus de fois eu l’occasion de le croiser : après tout, outre Luka, ils avaient pas mal d’amies communes… Puis, elle en entendait beaucoup parler, même quand il était absent. Elle le trouvait drôle. Mais vite, elle se tourna vers le metteur en scène qui les attendait sur l’estrade, et parti le rejoindre avant de les faire attendre, lui et Jade, trop longtemps. Elle avait perdu cette impression d’appartenir à un groupe, un clan soudé, depuis longtemps. Et même si les membres de la Troupe allaient et venaient au gré du vent, rencontrer de nouvelles têtes et sentir cette complicité entre eux face à l’adversité (la représentation était le soir même…), ça lui avait manqué.

« Tu veux quand même pas qu’on improvise. »

La jeune femme ressentit comme un petit pincement d’appréhension. Ça lui avait pris du temps, d’apprendre à jouer convenablement, de surmonter ses difficultés de lecture pour que les mots ne soient plus un obstacle au jeu. Ça lui avait pris du temps, de parler clair et se faire comprendre, et d’arrêter de mâcher ses mots pour assassiner les jolies phrases de son ami. Mais, même si elle faisait partie de la Troupe d’Albe depuis sa création et qu’elle s’amusait beaucoup, même si il lui était déjà arrivé de devoir composer en pleine représentation pour rattraper un imprévu, elle était loin d’être la meilleure comédienne d’Hyrule… Et à chaque fois qu’il s’agissait d’improviser, comme ça, à froid, elle se sentait toujours affreusement gauche. Et elle n’avait pas l’habitude. Et elle détestait ça. Puis, elle se dit que si elle avait peur de ne pas savoir improviser en tant que Renarde, c’était qu’elle ne la maîtrisait pas assez. Par les Trois. Elle ne serait jamais prête à temps.
Foutre-Din ! Mais quel idiot, de lui mettre des pensées pareilles dans la tête à un moment pareil! Elle lui lança un regard noir. Et les gens qui commençaient à les regarder en passant. Elle avait envie de leur hurler : « REGARDEZ PAS ! C’est ce soir qu’il faut venir ! Avec des rubis plein les poches ! ». Mais ce serait attirer encore plus l’attention sur eux.

Respire, ma grande. Ça va bien se passer.


Luka

Le Changelin

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[ HRP : Pour que tous les personnages puissent jouer en binôme et pour que tous les joueurs puissent rebondir sur quelque chose, j'ai séparé ce post en deux parties distinctes, avec une petite ellipse temporelle au milieu ! N'hésitez donc pas à détailler votre passage à votre aise, en essayant de voir avec l'autre ce qui pourrait allez au mieux ;) ]


D'un bond preste de lièvre enjoué, Luka retourna sur l'estrade bancale qui leur servait de scène, la tête dans les nuages. Il prit le temps d'étirer longuement ses bras engourdis par une fatigue momentanée - tentative vaine de chasser les courbatures causées par son précédent combat théâtral face à Negaï - avant de changer son épée de main et de pivoter vers ses comédiens. Jade s'approchait déjà du bord de la scène tandis que Negaï et Aalis discutaient encore dans leur coin, d'un air complice. Lis riait. Instinctivement, un sourire intrigué trouva sa place sur le visage du chef de troupe, mais il n'eut pas le temps de s'enquérir de la plaisanterie, car son autre comédienne montait sur le plateau.

La galanterie reprit le dessus : Luka saisit l'avant-bras de Jade, sans forcer, pour l'aider dans son ascension. Son autre main, tout en conservant fermement son épée de bois au creux de sa paume, prit appui sous le coude de la jeune femme. Une fois stabilisée, celle-ci opina de la tête, comme pour le remercier, et il la lâcha non sans lui adresser un bref sourire. Son visage plein d'enthousiasme le ravit.


« Alors, » s'enquit-elle presque immédiatement, « qu'attends-tu de nous ? Que nous jouions les soeurs enfants ? Ou jeunes adultes encore proches ? »

Un peu déconcerté dans un premier temps, le garçon ne tarda pas à sourire affectueusement à son amie. Dans la périphérie de son champ de vision, il constata que les autres acteurs de sa petite troupe se rapprochaient à leur tour. Si Negaï paraissait plutôt calme, il y avait quelque chose comme de l'appréhension qui se lisait dans la tension des épaules d'Aalis. C'est en s'adressant à toute sa troupe que Luka répondit à Jade, sans pourtant quitter cette dernière des yeux :

« Ce serait trop compliqué, ma chère ! Si nous travaillons les caractères de chaque personnage, on y sera encore dans une semaine ! Non, il ne faut pas trop réfléchir sur les sentiments de chacun, ce serait impossible à montrer sur scène de toute façon. Le public sera loin, il verra bien plus vos corps que vos visages, et ce qu'il lui faut, c'est de l'action. Donc on va faire très simple : on va se contenter de sentir, sans trop se casser la tête. Ça vous va ?  »

- Tu veux quand même pas qu'on improvise. » Le ton d'Aalis restait badin, mais il y avait quelque chose qui sonnait sec dans ses mots. Luka tourna la tête en sa direction. Sa compagne de vie lui décochait un regard presque assassin – signe typique qu'elle ne se sentait pas à son aise, et qu'elle rejetait la faute sur quelqu'un d'autre pour tenter de dissiper son mal-être. Il y avait tellement d'elle-même dans cette réaction que le dramaturge ne put s'empêcher de rire sous sa cape. Discrètement, cependant, car il ne voulait pas risquer de froisser sa Renarde. Il lui répondit d'un ton posé, en se voulant rassurant :

« Je vais vous guider, vous allez voir, ce sera facile. Vous voulez bien venir par ici, s'il vous plaît ? Toi aussi, Negaï, comme ça je te montre quoi faire pendant ce temps. »

Sans autre forme de procès, le jeune homme aux cheveux noir d'encre se dirigea vers un bout du plateau, tout en invitant ses comédiens à le suivre. Une fois en place, il désigna l'espace vide de la scène en y pointant son épée de bois. Maintenant, les règles du jeu :

« Alors, vous allez venir là où je me tiens, côte à côte toutes les deux. Vous allez vous tenir par la main, et fermer les yeux. Pas de triche, d'accord ? Et puis, quand vous le sentez, vous allez vous avancer, et tenter d'accomplir une trajectoire précise en forme de huit sur le reste de la scène. »

Tout en parlant, le chef de troupe se rendit compte que ce qu'il disait n'était pas très clair. Un peu embarrassé, il se rapprocha de Negaï, qu'il saisit par le bras. « Suis-moi, juste. » Et sans s'attarder davantage, il conduisit Negaï vers le milieu du plateau avant de lui intimer : « Reste-là et ne bouge pas, d'accord ? » Puis, il se plaça lui-même un peu plus près des filles, en s'alignant à l'emplacement de Negaï, mais toujours légèrement à distance de ses comédiennes. Rayonnant cette fois, car il était sans doute fier de son idée, il reprit : « Nous sommes des poteaux, Neg' et moi ! Vous allez zigzaguer entre nous, tout simplement, et ça fera un huit, ou deux S inversés, ça dépend du point de vue. Par exemple, là, vous passez là, », et il traça de la pointe de son épée un demi-cercle à son côté droit, « puis vous coupez entre Negaï et moi, avant de faire le tour de Neg' et de revenir dans l'autre sens. C'est clair ? »

Visiblement, pas trop. Un peu frustré de ne pas réussir à s'expliquer correctement, Luka passa sa main libre à sa chevelure courte avant de chercher à se justifier autrement :

« Bon d'accord, ce n'est pas grave si vous n'arrivez pas à tracer un huit parfait. Le but n'est pas de faire un huit parfait. Le but, c'est que vous puissiez sentir que vous êtes deux à avancer dans le noir. C'est pour ça qu'il est important de bien jouer le jeu, et de ne pas ouvrir les yeux. Vous ne tomberez pas : si vous vous approchez trop du bord, Neg' ou moi vous alerterons ! »

Luka s'emballait. Il y avait tant de sincérité dans sa posture, dans sa voix. « Ce que je veux, c'est créer un lien entre vous, en tant que personnes. On se moque des personnages pour l'instant, on met ça de côté. Bien sûr, ce que ça va vous faire ressentir, vous allez éventuellement le réemployer sur scène... mais c'est pas ce qui compte. Ce qui compte, c'est cette main dans la vôtre qui va vouloir vous guider, ou vous ralentir. Cette main, vous ne la lâcherez pas. Si l'autre est tendue, vous allez tout de suite le sentir. Ça va peut-être vous faire hésiter à votre tour ; peut-être pas. Peut-être qu'au contraire, ça vous donnera envie d'avancer, d'essayer de trouver le bon chemin quand même. Vous êtes deux. C'est important de comprendre ça. Et peu importe ce qui se passe, même si vous mettez dix minutes à tracer cette figure débile, même si vous vous perdez complètement dans l'espace et que vous finissez par faire un pauvre petit cercle de rien du tout, on s'en moque ! Je veux juste que vous puissiez faire l'expérience de ne pas être seul, d'avoir quelqu'un d'autre à bout de bras. Prenez soin de l'autre. »

Tout en parlant, Luka avait quitté son emplacement fixé pour se rapprocher des deux jeunes femmes. Il saisit la main droite d'Aalis d'une part, la main gauche de Jade de l'autre. Gentiment, il les unit ensemble, avant de retourner à sa place de 'poteau'. Toujours enthousiaste : « Imaginez que Negaï et moi, nous sommes des arbres dans une forêt de ronces ! Le seul moyen de nous échapper avant qu'on vous dévore, c'est de tracer ce huit. Une fois que vous pensez avoir atteint votre destination, hors de la 'forêt', arrêtez-vous. C'est seulement lorsque l'autre aussi se sera arrêté complètement, que vous aurez le droit d'ouvrir les yeux. Pas avant. Compris ? »

Le dramaturge tourna brièvement la tête vers son comédien qui figurait lui aussi en tant qu'arbre, derrière lui, afin de s'assurer que celui-ci avait tout assimilé lui aussi. Puis, en constatant que tout était prêt, il adressa un clin d'oeil à Negaï avant de se tourner vers les deux jeunes femmes.

« Quand vous voulez, mesdames. Fermez bien les yeux avant de partir ! Je vous ai à l'oeil. »

***


L'exercice dura plus longtemps que prévu, mais Luka ne regrettait pas de l'avoir proposé à ses comédiennes. Visiblement, elles s'amusaient bien. Et que serait le théâtre si même ses représentants ne prenaient plus plaisir à jouer ? Cependant, le jeune dramaturge resta aux aguets jusqu'au dernier instant, car un moment d'hésitation de sa part pouvait coûter cher à ses filles : il y avait toujours le risque que l'une d'entre elles, les yeux clos et sans le savoir, dépasse les limites de la scène et tombe de l'estrade. Une chute avant la représentation serait des plus malvenues, et Luka craignait plus que tout ce qui pourrait en résulter. Mais finalement, l'envie de jouer à son tour finit par s'imposer dans l'esprit du jeune premier, et après un énième passage de ses amies (il avait cessé de compter à partir de la troisième tentative), il finit par céder à sa veine enfantine :

« On change ? Vous nous remplacez, Negaï et moi, et on se lance à notre tour ? »

Et sans vraiment attendre de réponse, en profitant du fait que les deux jeunes femmes avait terminé leur passage, Luka quitta sa place fixe. Son épée de bois toujours en main lui avait servi à quelques reprises pour stopper les jeunes femmes dans leur progression au cours de leur jeu, quand elles s'étaient un peu trop approchées du bord de la scène, aussi la confiait-il à Aalis pour qu'elle puisse en faire de même. Avec une pointe de taquinerie dans le regard, il lança à Jade, bien qu'il guettait la réaction de Lis :

« Ne la laisse pas me frapper avec, d'accord ? Albe est un prince amnésique, pas un prince au pif brisé ! »

Il tendait le fouet pour se faire battre, car Aalis ne manquerait sans doute pas de faire une blague sur son nez crochu, comme à son habitude. Raison pour laquelle il tira tout de suite la langue en prenant un air bouffon, avant de s'éloigner prestement pour tenter de parer toute réplique (gentiment) cinglante. Il acceptait volontiers de rire de sa laideur avec les autres, tant qu'il savait qu'ils l'appréciaient tout de même, mais c'était parfois plus difficile à encaisser. Luka n'était pas vraiment susceptible, mais il manquait clairement d'assurance dès qu'il s'agissait de son physique peu avantageux.

L'air de rien, il parcourut la scène pour retrouver Negaï, et alors que les comédiennes prenaient place là où les deux comédiens se trouvaient précédemment, les acteurs d'Albe et de Corneille ne tardèrent pas à prendre place au point de départ. Luka passa sa main à sa nuque, les yeux rivés sur la trajectoire à effectuer. Il balaya mentalement toute pensée susceptible de paralyser ses sensations. Puis, en tournant le visage vers son ami à la longue chevelure violette, il plissa légèrement du nez, comme pour l'amuser. Il lui tendit la main, d'un geste ferme, déterminé. Presque altier dans la grâce toute martiale qu'il déployait. Presque noble. Il pencha la tête sur le côté, comme une invitation à danser.


« Après vous, mon bon seigneur. »

Et c'est en conservant sa poigne dans la sienne que Luka s'autorisa à fermer les yeux. Le corps droit, la tête relevée, il resta longuement sur place, sans bouger. Inspire ; expire. Il prit le temps de se concentrer. Negaï ne se lançait toujours pas ? Calme. Cela ne faisait pas plus d'une seconde. Calme. Respire. Sur le vif, il prit la décision de ne pas faire le premier pas. Comme ça. Une promesse qu'il se faisait : j'attendrai. Car si le personnage d'Albe était crédule et se faisait manipuler par le personnage de Corneille dans un premier temps, Luka lui-même était d'un caractère plus posé que Negaï. Il se laisserait volontiers guider par son ami, qui lui était bien plus aventureux, mais il le retiendrait aussi s'ils allaient trop vite. L'essentiel était de trouver l'équilibre dans leur rapport de force, et Luka était prêt à recommencer autant de fois qu'il le fallait avant de parvenir à le trouver.


Negaï


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Les trois autres étaient déjà sur l’estrade quand le violet les rejoignit, encore amusé par la petite boutade d’Aalis, même si celle-ci semblait bien contrariée à présent. Il restait bien droit à écouter les consignes – même si formulées comme il les formulait, elles semblaient bien plus ludiques que leur nom ne pouvait laisser penser – du jeune dramaturge. Il s’amusait de le voir mettre tant de cœur dans ce qu’il prévoyait, et comment cela transparaissait dans ses paroles ; quand les mots ne voulaient pas sortir, on sentait qu’il creusait au plus profond de lui pour aller les chercher, et cela pouvait presque sembler douloureux.

Un premier temps il garda son air neutre, concentré, comme le bon élève qu’il n’avait jamais été, afin de comprendre un peu ce que Luka demandait aux filles. Il suivit d’ailleurs sans broncher, bien curieux, quand ce dernier l’invita à s’avancer avec lui sur la scène. Rester debout sans bouger, ça n’était pas la chose la plus glorieuse qui lui avait été donné de faire, mais au moins était-ce à sa portée. Il dut se retenir de pouffer en voyant l’air tout déçu du brun quand il comprit que personne n’avait encore compris ce qu’il attendait de cet exercice.

Mais quand il commença à parler de confiance, il se força à redoubler d’attention, réprimant les tendances de son esprit à fuir ce genre de questions épineuses. Tout d’un coup, il devenait bien plus assidu sur la religion en suppliant les Déesses de jouer avec la mémoire de son ami afin de le faire oublier sa proposition de tester l’exercice entre eux plus tard. Non pas qu’il avait la frousse, non, ça n’était pas son genre. Mais s’il avait beaucoup d’affection pour le garçon, dès-lors qu’on lui parlait de confiance, bizarrement, cela semblait bien plus insurmontable que le rôle de poteau.


« Quand vous voulez, mesdames. Fermez bien les yeux avant de partir ! Je vous ai à l'oeil. »

Par les Déesses, le spectacle promettait. Le jeu dura un temps, et finalement c’était assez instructif, et même utile pour les bras, pour les quelques fois où les deux femmes manquèrent de se diriger droit vers le bord de la scène. Les nombreux rires qui volèrent, se croisèrent et s’entremêlèrent lors de cette expérience ne firent que renforcer le bon sentiment qui s’y associaient.  D’autant que si Jade était plutôt sur la réserve, les nombreux jurons d’Aalis étaient simplement irrésistibles. Le violet n’en pouvait plus, au bout d’un moment.

D’autres instants furent plus marquants, tant par leur aspect comique que par le rapprochement entre les deux femmes qu’ils signifiaient. On pouvait au moins tomber d’accord sur un point d’harmonie entre les deux femmes : leur fâcheuse tendance à se rattraper aux cheveux de l’Incube quand l’obscurité décidait de faire quelques farces à leur sens de l’équilibre.

« Ah mais qui a eu l’idée d’apporter un cheval ?! » lâcha même la Renarde tout près de lui en s’agrippant à sa tignasse. Au fond, Negaï était certain qu’elle savait bien qu’il s’agissait de lui. Il ne dit rien, plus amusé que vexé malgré sa susceptibilité au-dessus de toute mesure. Mais il lança néanmoins un regard mauvais vers son vis-à-vis qui brûlait d’envie de commenter. Mais ce mécréant était aussi doué avec ses yeux qu’avec sa langue pour envoyer des piques. Aussi, s’il ne prononça rien, tout avait été dit autrement. Bah ! La bave du crapaud, comme ils disaient.

Fut un temps où le jeu cessa. Luka semblait impatient, et bien avant qu’il n’ouvre la bouche, le violet sut qu’il allait passer à la casserole.  Il observa les changements de position, tout en laissant sa place à Jade, sentant le froid gagner ses mains. Du bon élève, il était passé au gamin en difficulté qui allait passer au tableau. Il avait horreur de ça ! L’avantage d’être parmi les canailles depuis toujours était qu’il n’avait jamais eu à être mesuré de la sorte. Il avait bien conscience que Luka ne cherchait pas à le juger, encore moins à le mettre en échec. Mais il se sentait vraiment comme si c’était le cas. Il était incapable de faire confiance dans un contexte de crise, alors dans une situation où il pouvait très bien ouvrir les yeux et cesser la mascarade…

La grande asperge se fit tout de même violence et vint prendre place  à l’endroit que Luka lui indiquait. Lui qui avait toujours un mot à dire, il préféra se taire, de peur que son angoisse ne vienne gâcher l’enthousiasme de son ami. Quelle plaie, les amis, vraiment ! Jusqu’à ce qu’il s’en fasse, il n’en avait que faire de froisser ceux qu’il côtoyait ! Un peu de calme. Une longue inspiration, une dernière revue des détails de l’espace, et il ferma les yeux.

Ah, horreur ! Lui qui n’avait presque pas dormi, voilà que la fatigue le gagnait. Il se sentit aussitôt tanguer, vraiment désireux de retrouver quelque paillasse usée plutôt que de risque de se ridiculiser en percutant les deux filles, avec le dramaturge en prime. Tâchant de se familiariser à cet équilibre précaire qu’il n’avait même pas soupçonné, il resta bien fixé au-dessus de ses bottes. Quand…

« Après vous, mon bon seigneur. »

Ah d’accord… *Je vais t’assassiner…* grogna sa propre voix dans sa tête. Mais le comédien à son côté était joueur, et s’en tiendrait à ce qu’il avait dit. C’était à Negaï de bouger, et Negaï bougerait. Pour l’heure, le seul mouvement qu’il fit fut tourner sa langue dans sa bouche pour éviter de laisser échapper la réplique peu amène qui lui passait par l’esprit. En espérant que l’autre ne ferait pas de tour dans sa tête à ce moment-là. Même s’ils n’en avaient pas vraiment parlé, il savait que le brun avait ce genre de dons qui vous mettent mal à l’aise quand vous avez des pensées aussi détraquées que celles du violet.

« Eh bien c’est parti pour le massacre. » ne retint-il pas. Il inspira une nouvelle fois et risqua un pied en avant, un bras tendu dans la même direction. La première partie serait assez simple, il suffisait de se contourner Aalis par le côté sur lequel il se tenait. Il était habitué à guetter les respirations pour savoir à quoi s’en tenir : c’était un élément essentiel de ses activités nocturnes. La partie critique, ce serait le croisement. Là il devrait prendre les mouvements de Luka en compte, et il ne savait pas franchement comment il allait calculer le déplacement.

Il se déplaça vers la gauche, mais uniquement de quelques pas. Assez pour se dégager de l’axe des deux piliers. Puis il entama doucement sa progression vers l’avant, sans se soucier des agissements de son compère. Il attendait dores et déjà une remarque à ce sujet.


Aalis


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(vide)

« J’t’en foutrais, des ronces et des huit. »

Elle prit la main de Jade en grommelant, regardant Luka et Negaï se placer en vis-à-vis. De belles tronches de poteaux ! C’était bien un coup à tomber de la scène, ça ! Et à se faire mal, juste avant la première ! Une bien belle idée, Foutre-Din ! Elle tourna la tête vers sa coéquipière, pour pouvoir râler un peu plus, mais en voyant l’enthousiasme et l’empressement à démarrer de celle-ci, elle ravala sa mauvaise humeur et ferma les yeux, docile. Pour la Troupe, hein…

Elle avait toujours eu un bon équilibre. Des années passées à courir sur le pont de l’Orgueilleuse le lui avaient formé. Mais elle aimait voir où elle allait. Et elle n’était pas très patiente. Deux ou trois fois, elle partit un peu trop vigoureusement la première, et entraina vivement sa partenaire, au point de lui faire perdre pied. Faux-départs. Hem. Concentre-toi, ma vieille. Elle laissa Jade démarrer, cette fois. Moins risqué. Un pas pour elle, un  pas pour moi. Un pas pour elle, un pas pour moi. Elle essaya de visualiser l’emplacement des deux garçons, pour pouvoir former ce fichu huit. Temps d’amorcer le virage… Elle tira légèrement sur le bras de la jeune fille, pour le lui faire comprendre… Avant de se heurter à Negaï. Impossible ! Ses sens ne la trompaient jamais !


« Par les nageoires percées de Nayru ! Il a bougé, c’est tricher ! »

Devant les rires de ses camarades, elle lui écrasa le pied avant de repartir. Non mais.

Il était amusant, finalement, ce jeu. Elle avait fini par s’y prendre, et même si elle avait râlé à chaque fois que Luka les poussait avec son épée en bois (
« C’est ta faute aussi, on n’aurait pas pu le faire au sol, ton fichu exercice ? »), elle ne pouvait s’empêcher de lancer des piques quand elle cognait Negaï, qui avait la fâcheuse manie de se mettre en travers de leur route et de les faire tomber, ce dont elle se vengeait en lui agrippant les cheveux, fort (« Ah, mais qui a eu l’idée d’apporter un cheval ?! »). Concentrée sur leur objectif commun, s’échapper de cette « forêt de ronce » avec Jade, elle essayait tant bien que mal de suivre la direction, de ne pas partir toute seule bille-en-tête. Elle en avait presque oublié d’avoir le trac.

Il lui semblait qu’elles n’y arriveraient jamais, à former leur fichu huit. Cependant, au fur et à mesure des passages, elles riaient un peu moins comme des idiotes à chaque fois qu’elles partaient dans des directions opposées, et apprenaient à se coordonner. Ce dernier passage, qu’elles venaient de terminer, était presque parfait. Le prochain, elles y arriveraient sûrement, si…


« On change ? Vous nous remplacez, Negaï et moi, et on se lance à notre tour ? »

Quoi ? Non, mais il se fichait d’elle ? Elle ouvrit la bouche pour répliquer, mais déjà Jade obtempérait et lui lâchait la main. Alors elle ouvrit les yeux, passablement éblouie par la lumière du jour, et lui lança un regard indigné. Ce nigaud avait déjà changé de place. Alors quand il lui donna son épée et conseilla à Jade de la surveiller, elle lança, l’air de rien : « T’en es sûr ? Rien qu’un ou deux petits coups, et on ne verra pas la différence. »

Il était déjà parti, et n’entendit peut-être pas la fin de sa réplique. C’était méchant, c’était gratuit. Mais Luka la connaissait assez bien pour savoir qu’elle n’était pas sérieuse, et elle le complimentait déjà assez souvent sur sa petite bouille mignonne. Elle partit s’installer, épée sur l’épaule, d’un pas tranquille, à la place qu’il occupait précédemment, tandis que Jade s’installait en face. Puis elle resta, immobile, mais vigilante à ce qu’ils ne tombent pas. Elle parlait, elle parlait, mais elle serait bien embêtée si l’un de ces deux nigauds se cassaient le nez… Elle les observa. Negaï était plus habile qu’elle en ce qui consistait à éviter les « poteaux », mais plus indécis quand il s’agissait de dévier la trajectoire, ce en quoi c’était Luka qui tempérait les avancées de son partenaire. Elle sourit. Marrant.

Quelle bande de nigauds.


Luka

Le Changelin

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(vide)

« Eh bien, c’est parti pour le massacre. »

Luka eut un petit rire très féminin, à peine perceptible, mais n'ajouta rien. Sa main se resserra sur celle de Negaï lorsqu'il sentit son comédien se lancer, car il ne comptait pas se laisser traîner comme une pauvre petite poupée de chiffon. Et puis, qu'est-ce que c'était que cette vieille hésitation ? Ils venaient à peine de fermer les yeux, le chemin à tracer était encore très clair dans leurs esprits ! Quelle plaie. Le garçon se lança en ligne droite, sans forcer, mais au même moment, son compagnon décida de l'entraîner vers la gauche. Luka manqua de trébucher sur son propre pied, mais il se rattrapa bien vite et suivit le chemin que lui indiquait son ami, car celui-ci était plus fort. Ce n'est que lorsque Negaï changea de cap que le brun réagit : il appuya fermement sur la main de l'autre, en y enfonçant presque les ongles pour se faire comprendre. Stop. Pendant ce temps, il s'arrêta net, et refusa d'avancer tant que son vis-à-vis ne s'était pas décidé à comprendre. Assez. Il en avait assez de ne pas se faire écouter.

Ses lèvres restèrent scellées, pourtant. C'était un jeu muet ; le premier qui romprait le silence romprait dans le même temps toute la magie de l'exercice théâtral. Pour pouvoir parler, il fallait d'abord savoir se taire.

Sans jamais lâcher la main de Negaï entre la sienne, il y tapota le dos de son index, à deux reprises ; une indication silencieuse qui voulait dire ce qu'elle voulait dire : il attirait son attention sur cette perte de repère que seul leur procurait le noir de leurs paupières closes. Il relâcha volontairement ses doigts, le temps de sentir une forme d'angoisse le tenailler au ventre. Puis, pour ne pas céder à la panique croissante, il raffermit sa prise sur les doigts de l'autre, comme pour se rappeler et pour lui rappeler qu'il n'était pas seul dans la pénombre. Sa main réchauffait un peu celle, froide, de son compagnon de route.

Il se lança, plus prudemment cette fois, sans vraiment mener le jeu : il sentait que son ami avançait du même pas hésitant que lui, comme si l'expérience de l'obscurité avait fini par changer la donne. Qu'étaient-ils ? Luka s'imagina deux enfants perdus dans les bois interdits, déjà en prise à la malédiction des lieux. Il s'imagina deux orphelins, qui n'avaient plus rien d'autre qu'eux-mêmes pour protéger l'autre de la cruauté du monde. Ils traversèrent en diagonale la scène, en marchant très très lentement, tout d'abord ; le rêveur savoura la sensation de la brise estivale contre sa nuque exposée au vent. Puis, ne sachant plus très bien s'il y avait encore ou non un meneur, ils accélèrent presque du même pas, avant de ralentir encore à la boucle qu'ils devaient effectuer. Luka fit un arc de cercle un peu plus grand afin de ne pas entrer en collision avec Negaï, mais il se rapprocha tout de même de lui : leurs bras nus se frôlèrent.

Luka voulut s'éloigner de son comédien. Mais un doute énorme le ralentit dans ses mouvements : où devaient-ils aller ? Où se trouvaient les filles, à présent qu'ils avaient fait le tour ? La rotation avait complètement bouleversé les quelques repères qui lui restaient, et bien que ce fut le but de l'exercice, le dramaturge était décontenancé. Il eut un tout petit rire nerveux, presque silencieux, et il entendit l'une des filles rire à son tour, non loin de lui. Evidemment. Malgré tout, cela ne lui suffisait pas pour se repérer dans l'espace. Il resta collé à son compagnon, un peu bêtement sans doute, le temps de reprendre contenance. Et puis, tant pis, qu'en avait-il à faire de toute façon ? Autant avancer. Dans la forêt noire, des loups pouvaient bien être en train de les courser. Il s'imagina les bêtes sauvages qui abondaient en ce lieu fictif, et décidé, il reprit sa route, en poussant Negaï à bouger lui aussi. Avec lui, plutôt que derrière lui. La coordination semblait un peu plus fluide à présent qu'ils avaient fait la moitié du chemin.

Il ne sut sincèrement pas quel trajet ils effectuèrent au retour. Il lui semblait juste avancer, s'arrêter ou sentir Negaï s'arrêter, se tourner vers son compagnon sans jamais ouvrir les yeux, mais comme cherchant une solution dans la simple présence de l'autre, puis repartir un peu hasardeusement, dans l'espoir de se diriger vers la bonne direction. Visiblement, ce n'était pas très concluant, puisque Aalis dû les arrêter avec l'épée de bois pour leur éviter une jolie chute du haut de l'estrade, mais les rires fusaient de tous les côtés, y compris du côté des garçons eux-mêmes. Enfin, vint le moment où ils s'arrêtèrent, pas vraiment de concert mais dans un même mouvement malgré tout, et pour être sûr que Negaï considérait l'emplacement comme étant le "bon", l'arrivée, Luka effectua deux petites pressions rapides sur la main de l'autre, comme une question laissée en suspens entre leurs deux corps séparés. Celui-ci les lui rendit presque immédiatement.
Bien.

Le garçon ouvrit les yeux.
Ils n'étaient pas du tout à la bonne place.

Luka éclata de rire. Il lâcha la main de Negaï, et essuya la sienne sur sa tunique, car celle-ci était moite. Il ignora délibérément la sensation de vide que lui procurait cette séparation.


« Bien ! C'était instructif. Et si ça ne l'était pas, au moins, nous avons pu nous détendre un peu avant le spectacle, dites-vous ça. »

Le chef de troupe décocha un sourire rayonnant au reste de sa petite troupe, sans vraiment se préoccuper de l'air soucieux qu'il voyait refaire surface sur ces visages aimés. Pourquoi nier ce qui allait se produire, dans tous les cas ? Il espérait simplement que ce petit jeu avait pu leur permettre d'être plus serein. Plus en cohésion avec leur propre corps, plus en cohésion avec celui des autres. Car ils étaient une troupe, une vraie ; une heureuse poignée d'hommes et de femmes, cette bande de frères qu'il ne pourrait jamais se résoudre à quitter.

« Venez par-là, allez ! Venez ! »

Luka leur intima à grand renfort de gestes de se rapprocher de lui, les bras grands ouverts, comme prêt à les recevoir. Il posa sa main droite sur l'épaule d'Aalis et l'engloba dans une étreinte à un bras, avant d'en faire de même avec Negaï de sa main gauche. Jade vint compléter le tout petit cercle qu'ils formaient, enserrée entre la Renarde et le Corneille. Le dramaturge leur sourit. S'il souhaitait avant tout les rassurer de leur succès à venir, il sentait bien qu'une boule d'angoisse se nouait dans le creux de son ventre. Seule Lis le savait, mais c'était la première pièce qu'il allait présenter au grand public ; il n'avait pas été comédien toute sa vie, bien qu'il fut toujours amoureux du théâtre.

A voix basse, la voix presque rieuse, comme un secret partagé :
« Vous sentez comme il fait bon ? Ce bon vieux soleil qui nous brûle les bras ? Amusons-nous avant tout ! Je veux du rire, de la volonté, de la vigueur dans nos gestes. Je veux qu'on se donne corps et âme à notre spectacle, avant que le froid ne l'emporte. On ne vit qu'une fois, alors donnons, donnons tout, sans compter ce qu'il nous reste. D'accord ? »

Le comédien cogna sa tête, sans méchanceté, à celle des autres, un peu joueur peut-être, puis il les relâcha. Il écarta les bras, encore une fois, comme pour désigner la ville, cette Citadelle qu'il avait appris à aimer comme la sienne. Il s'étira longuement ainsi, la gorge déployée, ouverte sur le monde, et observa.

Les badauds commençaient à affluer sur le parvis, et les discussions animées résonnaient contre la froide façade du Temple du Temps. De çà et là, des visages qu'il reconnaissait parmi la foule toujours croissante. Dans l'ensemble, seule une petite partie des citadins avait eu vent de la représentation, mais le doux parfum du cycle de Din aiguisait la curiosité des passants ; le climat tempéré de la journée déjà nettement entamée les autorisait à s'attarder encore un peu, et comprendre enfin ce qui se tramait de beau sur cette place ensoleillée.
Luka était décidé à leur montrer que sa troupe tiendrait le coup.

Lorsqu'il se tourna de nouveau vers ses chers compagnons de route, il souriait, confiant, en ayant soudain la certitude de la bonne fortune qui les attendait. Ses yeux, d'ordinaire ocre, semblaient s'éclaircir à la lueur du rayon de lumière qui les traversaient de part en part, comme une promesse d'avenir.


« Bien, » dit-il, simplement. « Allons-y. »



[ RP terminé, merci à vous ! A présent, en route vers le Château, pour le spectacle d'Hiver, où Luka se résoudra enfin à faire ce qu'il a involontairement oublié de faire ici... ;) ]