« Parce que j’ai l’air d’un appât, hinzaal ? »
Un sourire malicieux vint au Renard, qui ignorait le sens de ce dernier mot mais dont l'imagination travaillait à en trouver un. Décidément, à présent qu'il l'entendait depuis plusieurs minutes, il commençait à trouver quelque chose de familier à cette langue, sans pour autant la connaitre. En fait, elle lui évoquait à chaque fois la tignasse rousse et la moue boudeuse de Lanre, sa voix grave et les chants qui accompagnaient certaines de leurs soirées d'amitié. Se pouvait il que tous les Cealds aient décidés de le rejoindre dans ce bout de royaume perdu aux confins du monde ? Aedelrik repoussa cette idée, la jeune fille ne lui évoquant aucun des deux hommes de ce peuple qu'il avait connu. Un nouveau cri de la sentinelle le ramena sur terre et il risqua un coup d'oeil, tentative rapidement avortée par un nouveau beuglement, signifiant qu'il avait été repéré. Aussitôt, il revint à l'abri, jurant sur ses dieux.
« On devrait plutôt attendre un peu. Le destin peut parfois jouer en à la faveur des plus patients. »
« Bien sur, qui sait ? Peut être que quand il aura fini son service, il nous invitera à aller boire un verre ? »
Le Renard affichait son plus beau sourire sarcastique, profondément amusé à l'idée que la jeune femme choisisse un tel moment pour philosopher. Néanmoins, lorsqu'elle leva sa main, il craignit un geste inconsidéré et jeta son bras vers elle pour l'en empêcher... Avant que le trait ne passe tout prés et qu'il ne comprenne finalement le sens des mots de Blanche. Une arbalète n'était pas un arc. N'importe quel paysan pouvait la manier, ce qui avait mené les nobles à la considérer comme une arme "déloyale", peu enclins qu'ils étaient à se faire percer de traits par un simple serf. Mais en contrepartie de cette puissance, il y avait le temps de recharge, très long. En somme, pour abattre le gêneur, il leur faudrait être rapides ET patient.
Aedelrik allait proposer un nouveau plan moins risqué pour sa compagne, mais celle ci s'écartait déjà de lui. Un nouveau carreau la frôla, de peu. Le Renard sentit ses tripes se tordre devant les risques immenses que Blanche prenait alors, d'autant qu'il ne parvenait à en saisir le sens. Se mouvoir dans cette direction ne la rapprochait pas de l'homme. Elle ne pourrait que faire un faux pas. Entendant le son de la corde en train d'être tendue, le voleur jura une nouvelle fois et jaillit du revers du toit, se préparant à utiliser une rune de flash.
Il ne devait jamais oublier ce que ses yeux virent alors. L'ombre de la sentinelle changea de forme, devint fauve, devint gueule de fauve. Aedelrik resta stupéfait pendant que l'homme reculait et glissait sur de la glace, fait d'autant plus étrange que l'hiver était loin. Aussitôt qu'il eut chuté, Blanche sortit de son abri, secouant ses mains. Profondément perplexe, le Renard tentait de comprendre le plus vite possible, sans avoir à poser de questions et à paraître idiot. C'était déjà bien assez le cas à son goût.
« Par la culotte enflammée de Din. À croire que les déesses sont de notre côté, kiir do hiim ! »
« Les déesses... Ou bien d'autres étrangetés. »
Blanche ramassa l'arbalète, tandis que le Renard l'observait. Ses mains tremblaient légèrement. Il n'était pas besoin d'être devin ou savant pour comprendre ce qui venait de se passer. Aedelrik se demanda un instant si il avait bien fait de se lier, même légèrement, à une magicienne. Là d'où il venait, sans être profondément détestés, les adeptes de ce genre de pratiques étaient légitimement craints. On faisait appel à eux par désespoir seulement, car on savait qu'une fois en contact avec eux, on attirait les bizarreries. Un magicien dans le hall, c'était des ennuis assurés. Quand bien même le Renard possédait des runes magiques et était ouvert d'esprit, la perspective de s'associer à Blanche en était radicalement transformée. Après tout, comment négocier avec quelqu'un capable de vous changer en rat, ou mentir quand la personne peut lire dans votre esprit : autant d'entraves à l'art des affaires.
Elle s'approcha de lui, l'arbalète sur l'épaule, comme si rien ne venait de se passer. Lui tressaillit doublement, parce qu'il ne pouvait s'empêcher de la craindre, et aussi de la trouver belle.
« Tu crois qu’il y en aura d’autres ? »
« Je... J'espère pour eux que non. »
L'allusion était grosse comme une maison mais autant qu'elle sache qu'il avait vu et compris. Peut être même le savait elle déjà, si elle pouvait lire dans ses pensées. Mais si c'était le cas... Aedelrik rosit légèrement en pensant que Blanche captait son attirance pour elle. Et puis, il ne put retenir un léger rire, nerveux, tant il se trouvait ridicule. Après tout, la jeune femme, toute magicienne qu'elle était, venait de l'aider et il ne songeait qu'au danger qu'elle pouvait représenter pour lui. Si il avait dû subir un sort, c'eut été dés qu'elle l'avait tiré dans cette ruelle sombre et sale où personne ne l'en aurait empêché. Rassuré par ces pensées, il l'observa avec un regard moins méfiant et plus digne de lui.
« Tu marches ? »
« Et comment ! Laisse moi juste un instant. »
Aedelrik se pencha au délà du rebord pour découvrir que la sentinelle avait réussit à s'agripper à une poutre dépassant au dessus de la rue et restait suspendu dans le vide, à plusieurs étages de hauteur, tout son salut reposant sur la force de ses bras. Une expression profondément choquée gravée sur son visage, il gémissait devant l'effort auquel il était forcé et pour lequel il ne semblait pas préparé. Sans doute pas un mercenaire entraîné ou un soldat royal, tout juste un pauvre hère à qui on avait donné du travail pour quelques malheureux rubis. Le Renard se devait de faire passer un message.
D'un bond souple, il sauta du toit sur la poutre et atterrit avec agilité, à la manière d'un chat. Son regard vint se planter dans celui de l'homme. Des yeux froids, sévères, vengeurs plongèrent au fond de son âme. Alors, il se redressa et avança, un pas après l'autre. Chez la sentinelle naquit une profonde panique, qui s'accentua à chaque choc des bottes cloutées d'Aedelrik sur le bois. Aux gémissements succédèrent les appels à la pitié qui furent suivis par les pleurs et les cris. Finalement, lorsque le Renard parvint à côté de l'homme, toujours suspendu, il déclara, froidement.
« Toi et tes patrons pensiez peut être pouvoir contrôler ma ville ? Amusant. Au bout du compte, te voilà, toi, au bord du gouffre. Tu seras un exemple pour les autres. Adieu. »
Aedelrik abattit ses bottes sur les doigts crispés de l'homme. Ce dernier hurla, refusa un instant de lâcher bon, puis ses mains l'abandonnèrent. Il chuta... dans une charrette remplie de fumier. Le voleur partit d'un rire franc et cria à son attention,
« Avec les compliments de Maître Renard ! »
Aussitôt, il remonta sur le toit pour rejoindre Blanche, à qui il adressa un sourire satisfait de grand enfant fier d'une bêtise particulièrement savoureuse. Il ne restait pas grand chose de ses craintes d'alors, mais son regard sur elle avait changé. Il repensa à l'instant où, plus tôt et au dessus de la foule, il avait cru voir en elle une chose fragile et facile à voler... Le voleur s'était rarement autant trompé. Finalement, il déclara,
« Allez viens, je dois toujours te montrer quelque chose. »
Et leur course reprit de plus belle. A présent qu'ils se trouvaient dans le quartier des marchants, les rues s'élargissaient et ils devaient souvent ruser pour les traverser. De fait le bon chemin n'était pas évident à apercevoir. Heureusement l'expérience du Renard lui servait et il faisait attention à attendre sa compagne, non pas par condescendance mais parce qu'il n'avait pas envie de la perdre, et de laisser reposer une deuxième rencontre sur le hasard. Bien qu'elle ait pu l'effrayer avec ses pouvoirs, Blanche possédait quelque chose de fascinant pour le Renard. Cela piquait au vif son esprit et dépassait largement la dimension physique, ainsi que le désir animal présent en chaque être humain. Cependant, Aedelrik ne parvenait pas à mettre des mots dessus, à cerner correctement Blanche, et cela le poussait encore plus vers elle.
Finalement, ils arrivèrent à un toit qui dominait les autres et d'où on pouvait observer tous les environs. Après avoir aidé Blanche à se hisser, le Renard s'assit et laissa, silencieux, la jeune femme observer le spectacle qui s'offrait à eux. Ils étaient alors non loin du temple du temps, mais une grande partie de ce qu'ils pouvaient observer était occupé par un ensemble de grandes maisons formant un carré parfait dans la ville. En fait de maisons, il s'agissait presque de manoirs, fortifiés et très riches architecturalement, garnis de tours et gardés par des hommes en uniformes royaux. Le voleur laissa le silence s'imposer quelques secondes, puis, il parla, d'une voix las.
« Ce que tu vois, c'est la forteresse de l'avarice, la citadelle de la richesse. C'est une hydre qui garde un trésor fabuleux. Tous les personnes les plus importants de cette ville habitent dans ce château étrange, dont chacun possède une part. La plupart de ces gens sont corrompus et ils ont volé leurs richesses, comme moi, excepté que eux ont la loi avec eux. »
Aedelrik sortit d'une besace une pipe, qu'il entreprit de bourrer de tabac, et d'allumer. Cela lui arrivait assez régulièrement de venir à cet endroit et d'observer son pire ennemi, sa némesis : l'antre du dragon gardant l'or accumulé par le feu et la destruction. Bien sur, ces hommes ne tuaient pas, mais ils laissaient mourir l'affamé, ils montaient les prix du blé lors des famines, ils crachaient sur les mendiants...
« Tu vois, je ne suis pas un ange. J'ai fait des tas de choses mauvaises dans ma vie, mais j'ai toujours fini par en être puni, parce que c'est le prix qu'il faut payer lorsqu'on veut s'écarter des règles établies. Ces gens là le font mais sont trop puissants pour que la loi les punisse. Alors, moi, j'ai envie de les faire payer. Je veux les frapper là où ça leur fera le plus mal, au coffre fort. Leur prendre tout, sans demi mesure. »
Il tourna son regard vers elle, et lui tendit sa pipe comme une proposition muette, tout en ajoutant, une pointe de malice faisant naître un sourire,
« Je ne pourrais pas y arriver seul. »