Tu t’étais enfuie avec un bambin dans les bras. Tu l’avais enroulé bien serré dans une couverture de coton avant de quitter l’orphelinat. La vieille dame s’occupant du lieu n’avait jamais eu droit à ta confiance totale. Surtout pas dans ce genre de situation où tout brulait autour de toi. Ça te rappelait les temps en ma compagnie.
Douce mélodie du passé.
Tu t’élançais. Tes jambes effilées te poussaient contre la terre imbibée de sang alors que tu cherchais une sortie à cet enfer qui portait, en cette nuit sans lune, le nom du village Cocorico. Que faisais-tu à courir comme une flèche parmi les morts et ceux qui guerroyaient toujours ? Ce n’était pas toi,
lokaal, de t’en faire pour un enfant qui n’était pas le tien. Je ne savais pas que tu tenais autant à la promesse que tu avais faite. Tu t’époumonais plus rapidement qu’à l’habitude alors que les cris d’un
vriid t’arrachaient les tympans. Peut-être que les pleurs de l’enfant te volaient des forces. Il n’était pas bien lourd en tout cas.
Le vent s’emmêlait dans tes cheveux et asséchait ta gorge comme s’il eut été désert brulant. Dans ton sang bouillait le poison de la magie noire. Tu fis taire cette envie de carmin et de chair sur ta peau en te concentrant sur le grand arbre qui enjolivait la sortie du village.
______________
« Merci. »
Les mots que tu avais prononcés de ton fort accent étaient plus que sincères. Voilà une semaine et demie que tu avais déposé le petit bout d’homme au Temple du Temps. Il pourrait faire un bon disciple plus tard. Les prêtres ne pouvaient cracher sur une offrande si facile. Tu ne comptais pas retourner au village de sitôt, même si tu doutais que la capitale fût un endroit plus sûr. Avec un mage capable d’ouvrir des portails, le Seigneur des Gérudos pouvait apparaitre pratiquement là où il le désirait. C’était bien de cet homme que les nouvelles avaient parlé.
Tu t’étais retournée alors que les chants religieux abreuvaient l’air léger du lieu sacré. Si tu venais dans cet endroit tous les jours lors de ton arrivée, maintenant, tu venais au trois jours voir l’enfant et prier. Les trois Déesses t’apportaient un soutien moral et spirituel bien plus fort que tous les esprits que tu avais pu sentir jusqu’à aujourd’hui. L’enfant, quant à lui, se portait pour le mieux et gazouillait lorsqu’il te voyait. Le Temple était un lieu de paix, mais cette pensée terre à terre qu’elle pouvait toujours être troublée. Tout était éphémère dans cette vie.
Fatiguée, tu t’étais laissée tomber en plein milieu des escaliers à la sortie du Temple, arrachant des regards aux passants. Pour ton plus grand bonheur, aucun d’entre eux n’eut la gentillesse de venir s’enquérir de ta situation. Ton épaule te faisait un mal de chien alors que ta jambe ne montrait que très peu de signes de guérison : elle saignait toujours, par occasion. Je voyais les fourrures que tu tentais de disperser sur ton corps de manière à cacher les bandages souillés. Tu ne pouvais tromper tout le monde, Blanche.
Tu étais sans le sou et pour une des rares fois, tu étais sans les ressources. Tu ne pouvais t’élancer dans une partie de chasse et il semblait que les réfugiés avaient ravagé ton coin favori pour cueillir des herbes médicinales. Toi qui étais indépendante et forte, tu sentais cette image de toi s’écrouler. Les prêtres et les sœurs du temple avaient déjà accueilli le bambin … tu ne pouvais te permettre d’abuser de leur générosité.
Ce fils de pute ne t’avait pas manqué en tout cas. Un chasseur et son chien. Un malheureux qui croyait bien faire en voulant t’abattre comme un vulgaire animal alors que tu faisais le chemin du village Cocorico au bourg d’Hyrule. Avec l’attaque du Seigneur Noir, il était normal que les autres villages prennent la défensive devant des inconnus. Le premier t’avait arraché un cri de douleur lorsque sa flèche s’était enfoncée dans ton dos alors que le canidé s’était attaqué à ton mollet. La peur, la confusion, la colère s’étaient mêlées à tes larmes ainsi qu’à ton sang. Ni tes mots ni les cris de l’enfant trouvèrent raison auprès du chasseur. Tu n’avais su garder le contrôle de la situation. Tu l’avais tué d’un sort malicieux et bien sombre. Tu sais que tu aurais pu le geler de la tête au pied, le pétrifié de froid, mais tu l’avais plutôt transformé en pâté sanglant et fétide à en faire fuir le clébard. Blanche, tu me dégoute toujours autant.
Et avec ses sombres souvenirs, tu t’étais retrouvée à nouveau à la place du marché. Il y avait foule. Comme à chaque jour. Les gens s’activaient à réaliser leur routine quotidienne, à gagner leur pain malgré la grisaille. Tu te promenais parmi les corps ambulants et pour une fois, tu t’y fondais. Tu avais dénudé ton visage de toute peinture tandis que le coton remplaçait la majorité de tes fourrures, quoique toujours présentes. Tu te pris à regarder les toits où tu avais longtemps parlé à un certain Aedelrik. Il volait pour le plaisir. Tu volais par nécessité. Et cette nécessité aujourd’hui était plus grande que tout. Tu ne voulais pas replonger dans ce qui avait couté la vie à plusieurs êtres aimés, mais tes possibilités étaient faibles. Comme toi.
Ce qui pressait, avant tout, c’était de guérir cette foutue jambe qui te ralentissait. Mendier était une option trop longue, mais sincère. Tu devrais amasser une bonne somme pour payer un guérisseur. Tu te fis un schéma mental de la place du marché : les allées, les étals, la fontaine, les tours de gardes, etc. Tu pouvais maintenant passer à l’acte. Tu te faufilais comme un coup de vent à travers tes diverses cibles, tes mains se déliant et se refermant sur des bourses comme ton ancien amant t’avait enseigné. Tu dansais à travers la cohue en faisant bien attention de ne pas repasser par deux fois au même endroit. Ton manège ne dura pas bien assez longtemps pour que tu te remplisses les poches comme tu l’aurais souhaité.
Tes doigts s’étaient emmêlés délicatement entre les ficelles de la bourse, mais lorsque tu les tiras pour en prendre ton butin, les rubis tombèrent au sol. Maladroite. Idiote. Vipère. Il n’y a pas un nom qui n’écorcha ton esprit face à ta bêtise. Blanche à deux faces. Tu revêtus celle de la pauvre paysanne, ne pouvant te permettre de courir comme le vent à causes de tes blessures.
« Pardonnez ma maladresse, laissez-moi vous aider. »
Tu ne savais à qui tu t’adressais, n’osant fixer tes prunelles dans celle de l’inconnu. Joignant la parole aux gestes, tu étais déjà à quatre pattes au sol, ramassant les rubis dans tes mains couvertes de bandages. L’envie trop forte, tu ne put t’empêcher dans glisser un dans des fourrures alors que tu tendais le reste à leur propriétaire.