Posté le 08/03/2016 22:24
Trop chaud ? Bien sûr qu'il fait trop chaud, pensa t'il. Rien d'anormal là dedans. L'été embrassait le monde dans son étreinte, comme il le faisait chaque année. Si les voleurs se trouvaient gênés par les nuits courtes, et les mages de glaces par la chaleur du jour, qu'y pouvait il lui ? Depuis les quelques mois qui le séparaient de son arrivée, Aedelrik connaissait déjà bien la ville. Un jour pareil, c'était illusoire que d'espérer échapper à cette atmosphère de forge, de brasier ardent. A ce compte là, l'auberge n'était pas pire que n'importe quel autre endroit. Et puis, hormis sur ce point, on y trouvait assurément un certain confort...
Le Renard ne put retenir un léger sourire, à l'idée qui venait de lui venir. Car le problème était bien de trouver un lieu frais ET confortable. Sitôt qu'on abandonnait cette dernière exigence... Les possibilités s'élargissaient, vers des horizons moins rayonnants, moins chaleureux. Et si cela pouvait, en plus, retirer à la mage son petit air supérieur... Ca valait le coup d'être tenté. Il s'éclaircit la voix avant de répondre, plus sucré que le miel,
« Vous savez, ma dame, je connais le lieu parfait pour vous rafraîchir ! Un endroit tout à fait tranquille, où les rustres ne viendront pas vous chercher. Suivez moi. »
Il se donnait proprement envie de vomir, à faire la courbette devant une arrogante capricieuse. Mais enfin, Aedelrik était un homme curieux, et la curiosité a cela de pervers qu'elle écarte toutes les objections lorsque son objet est fascinant. Avec désinvolture, il se retourna et partit légèrement en avant, assez pour qu'elle suive, trop pour qu'elle se gâche la surprise à demander des précisions. C'est ainsi qu'on remonte un poisson ; en trouvant le point d'équilibre entre la menace et la séduction de l'appât. En dosant bien, on peut amener la proie où on veut. Si tant est que la comparaison soit valable : d'ordinaire, le poisson ne peut pas geler la main du pêcheur.
Au détour d'une maison, dans le quartier des artisans, difficile alors de savoir sur quoi on pouvait tomber. Le lieu accueillait dans ses grandes artères des gens de bien, soucieux de charger les meilleurs de travaux onéreux et importants, tandis que les ruelles et les arrières cours servaient de fourmilière à tout ce que la cité comptait de petits, de miséreux, de serviles et de ce que le Renard appelait les "mains agiles", que ce soit pour manier un couteau, piocher dans une bourse, crocheter une serrure, imiter une signature ou manier un atelier de fausse monnaie. Le point commun de ces derniers ? Une aversion pour la lumière du jour. Or donc, dans une cité comme celle là, la vermine suit les mêmes chemins que les rats.
Lorsque Aedelrik s'arrêta devant une grille, barrant un escalier creusé à la base d'une des collines du quartier, il craignit de perdre la mage. Il faut dire que l'aspect de la chose n'avait rien de rassurant, ni même d'engageant. De la ferraille lourde, un peu rouillée, et au delà, la pénombre : entière, unie, profonde. Heureusement pour lui, d'entre les barreaux, on pouvait sentir un courant d'air frais. De quoi séduire le plus réticent des mages de glace accablés par la chaleur. Le voleur sorti alors une étrange pièce carrée d'une de ses poches. En étain ou en fer, elle n'avait rien de particulier, encore moins de précieux. Mais lorsque Aedelrik la fit tomber dans une fente au dessus de la serrure...
« Il prononça la formule, et le passage s'ouvrit. »
La grille s'ouvrit aussitôt. Assez fier de se souvenir encore du vers du célèbre poème sur la grotte magique, le Renard entra en premier, après avoir récupéré la pièce. Réalisant que n'importe qui hésiterait ainsi à le suivre, il déclara, « Que vous me suiviez ou non, fermez bien la grille ! C'est à ce prix qu'on peut être tranquille en bas. » Après quelques pas, le noir se fit total. Aedelrik fut tenté, l'espace d'un instant, de s'en remettre à ses yeux de loup mais sa dernière tentative avait fait jaillir la bête, et il ne tenait pas à se réveiller pour trouver la magicienne déchiquetée ou lui même congelé. Aussi, il s'empara d'une des torches qui attendaient là, et l'alluma d'une friction sec sur le mur couvert de poix inflammable. Il entendit alors des pas derrière lui.
« Désolé pour la chaleur de la torche, mais il vaut mieux cela plutôt qu'une chute malencontreuse. La pierre est glissante sous nos pieds. »
Son invitée devait s'en rendre rapidement compte, lorsque après plusieurs dizaines de marches, ils parvinrent dans une immense salle, où plusieurs égouts débouchaient dans un immense lac d'eaux usées. Aedelrik avait déjà reconnu la douce mélodie des canaux se déversant dans le bassin mais il attendit que la magicienne découvre pour lui expliquer, en désignant le tout, « Vous voilà dans les coulisses de la cité : les odeurs que vous sentez sont un arrangement par dame nature des senteurs des parfumeries et des teintures, lesquelles donnent également cette couleur si éclatante à l'eau. Mais enfin, il fait frais ! »
Il avait lâché le dernier mot avec espièglerie, visiblement très content de sa farce, et de jouer un tour à une dame de la haute. A Renard, Renard et demi.