Posté le 12/02/2016 00:19
A bien des égards, l’immoralité était bien peu désirable. Pour beaucoup, les mauvais actes revenaient nous hanter pendant les nuits les plus longues. Pour d’autres encore, les fantômes des horreurs qu’ils avaient commises se transformaient, d’une manière ou d’une autre, en une espèce de justice divine qui venait réclamer son dû, le lendemain comme des décennies après. Parmi tout ce qu’elle avait déjà accompli de répréhensible, Sakristi pouvait s’amuser à faire des classements, ou à anticiper ce que les Eléments en feraient contre elle, elle ne le craignait pas franchement. Cependant, avoir été une véritable sorcière – davantage dans sa personnalité que dans sa magie – lui avait appris une vérité fondamentale : n’importe qui pouvait se comporter comme un vrai connard. Comme elle, en somme.
Aussi, lorsque Renard était parti en quête de son sacrifice, la femme était descendue de son perchoir et avait analysé les chaînes qui feraient office de liens. « C’est qu’il a pas l’air si mauvais que ça… » Ou alors désespéré. Tout ceci avait néanmoins l’air solide. Mais la Sorcière tenait davantage à sa vie qu’à l’aide qu’elle pouvait apporter au bellâtre, tout désœuvré qu’il était. C’est pourquoi elle coupa une mèche de ses cheveux, qu’elle porta près de ses lèvres comme pour les imprégner de l’incantation qu’elle récitait à toute allure. Une fois chose faite, elle enroula la longue mèche autour des maillons. Quelques secondes et celle-ci fondit pour pénétrer doucement le métal, et le rendre plus solide. On n’était jamais trop prudent.
Pas peu fière de son coup, Rougeagresse se releva, et guetta l’entrée de la salle. Aucun bruit. Un instant elle hésita à dessiner quelque rune sur le mur pour soulager la douleur de Renard lors de sa Transition. La souffrance des autres était loin d’être son problème, mais les cris, les pleurs, ça avait le don de la stresser. Puis les Hommes… Ils pouvaient se faire couper des membres à la Guerre qu’ils ne versaient pas une larme, mais ayez le malheur de laisser la fièvre les déposséder de leur contrôle d’eux-mêmes, et vous redécouvrez les – fausses – joies de retrouver la même chose qu’un bébé, juste un peu plus grand et plus barbu. Combien de fois avait-elle subi les jérémiades d’Aidan lorsque son dos venait l’embêter ? Et Amund, quand son nez coulait…
L’espace d’un instant, un sourire un peu triste se dessina sous le masque qu’elle portait. Celui en bois, mais aussi celui tout d’impassibilité qu’elle portait constamment depuis des années. Il n’y avait guère qu’avec deux ou trois personnes qu’elle se décidait à l’enlever, celui-là, et parmi elles, bien peu étaient encore auprès d’elle. Qu’à cela ne tienne, elle avait bien compris que l’attachement n’était qu’une perte de temps. Ca n’est donc pas pour cette raison qu’elle se décida à dessiner le symbole sur le sol, autour des chaînes.
« Tu arrives à pic… » adressa-t-elle aux bruits de pas qui résonnèrent bientôt derrière elle. Elle tiqua en apercevant le deuxième homme, qui de toute évidence était encore moins ravi qu’elle de faire sa connaissance. « …vous, au temps pour moi. »
Apparemment le gars en question, en plus d’être la nouvelle ombre du rouquin, semblait être ce qui s’approchait le plus de sa conscience, vérifiant tout derrière lui. On brave stressé, encore. Bah, de toute manière il ne gênerait pas le rituel. Ou pas longtemps.
Renard s’approcha et lui tendit ce qu’il comptait sacrifier. Elle n’y jeta qu’un œil distrait, pas vraiment désireuse d’en savoir plus sur les Passions qui animaient le jeune homme. Elle fut tout de même heureuse qu’il ne puisse voir son air dubitatif. Il lui rapportait un objet, et les Dieux n’aimaient pas beaucoup les matérialistes… « Est-ce que tout est enfin prêt ? » lui avait-il demandé d’une voix qui laissait paraître toute l’angoisse et la résignation qu’il essayait d’enfouir. La Sorcière ne répondit pas tout de suite, ses yeux allant de l’autel à Renard, de Renard à son ami, de l’ami à Renard, et ce sans pouvoir s’arrêter. « Oui, tu peux aller t’attacher… »
En voyant l’homme piétiner ses dessins, et bien conscient de ce qu’il faisait, elle lui hurla dessus, faisant sursauter le pauvre Renard. « Oh, Chéri ! C’est pour que ton amoureux ait moins mal que je lui ai fait ces jolis dessins de gonzesse, alors si j’étais toi, je me manquerais de respect d’une autre manière. »
Ah, tous des petits cons ceux-là alors… Elle respira un grand coup, tâchant de se calmer pendant que les hommes s’affairaient autour des chaînes. En faisant plus attention, ceci dit. A nouveau, elle regarda l’étoffe que lui avait donnée Renard.
« Et puis merde. »
Elle savait que si les Dieux n’acceptaient pas cette offrande, ils viendraient choisir quelque chose de plus précieux. Et malgré toute la rancœur dont elle était capable, et malgré le peu d’amour qu’elle manifestait pour ses congénères, elle ne pouvait pas laisser la vie être prise de manière aussi désinvolte par un jeune fauve un peu trop cupide. Saisissant son athamé, elle s’ouvrit généreusement la main et laissa couler sa vie dans son chaudron. De cette manière, elle incorporait au rituel sa propre prière, celle de protéger l’homme qui pourtant la dévisageait toujours avait autant de mépris. Un frisson la parcourut alors. Qu’allait-il advenir de Renard si elle le privait de sa chance ? Elle n’avait plus qu’à espérer que cette offrande fût vraiment ce qu’il avait de plus précieux. Autrement, le prix serait payé directement à la source : lui-même.
« La bête est en laisse ? » lâcha-t-elle avec dédain, tandis qu’elle se détachait de toute cette histoire pour ne pas influencer le rituel. La pique sembla faire vibrer quelque chose chez Renard. De la colère peut-être ? Tant mieux, il changerait plus rapidement. Elle ferma les yeux pour ressentir l’énergie de la lune tant bien que mal, car celle-ci lui était cachée. Elle sourit en ressentant l’apogée qui se rapprochait.
« Trois… Deux… Un… » et un hurlement. Rougeagresse réagit alors immédiatement, soulevant un couvercle qui laissa s’échapper une épaisse fumée à l’odeur acidulée. De son autre main, celle qui n’était pas écorchée, elle prit une poudre sur laquelle elle souffla de toutes ses forces. Le Loup allait perdre de ses forces, de cette façon. Il était temps d’agir sur le Changement et de Purifier le martyr par l’eau et l’air. D’une voix forte et sûre, elle implora les Déesses Arianrhod et Latis, qu’elle affectionnait particulièrement. Par ailleurs, il s’agissait de Déesses, dont la féminité faisait écho à la Déesse Lune qu’elle n’osait implorer directement.
Le feu ne tarda pas à dévorer l’offrande, et un coup d’œil dans la direction de l’ami du Renard indiqua qu’il allait bien, bien que très anxieux. Les langues s’enchaînèrent, de même que les prières, et les ondes de choc tout autour d’eux, symbolisant le combat que menait Sakristi, de la même manière que Renard, lui aussi luttait contre lui-même. Elle ne sût estimer combien de temps tout ceci dura, mais une fois toute l’offrande consumée, Renard s’écroula, vidé, mais surtout sous la même forme qu’elle lui avait toujours connue. Pourtant, la Lune trônait encore fièrement au-dessus d’eux, même cachée par l’épais plafond. « Nous avons réussi. » lança-t-elle, avant de sombrer, elle aussi, en direction du sol, consciente, mais incapable de tenir davantage sur ses jambes.