A loup qui dort rien n'entre entre les dents.

[Privé avec Aedelrik]

[ Hors timeline ]

Sakristi


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Pour une fois les gémissements qui emplissaient le Bordel d’Izzie avaient du bon : ils empêchaient Sakristi de s’endormir dans ses livres. On parlait plusieurs fois de ces hommes et de ces femmes qui changeaient. Certains volontairement, d’autres mus par un amour inconscient pour la Lune qui les appelaient à elle.

Le tout était intéressant, d’autant que la Lune avait toujours attirée la Veuve, malgré la prédominance du Soleil dans ses incantations. Cependant, en supprimant les témoignages à la véracité plus ou moins douteuse et les armes pour venir à bout de ces animaux sanguinaires, il ne restait que des miettes de pain. Et les miettes, Sakristi n’aimait pas ça.

Plusieurs fois ses yeux coururent sur son lit, quand ils ne pouvaient plus déchiffrer ses pages. Elle se souvint du corps d’Aidan qui soulevait les couvertures et qui gardaient la chaleur à l’intérieur. Désormais, la brune devait affronter le froid lorsqu’elle se couchait. A cette pensée, elle fit courir ses doigts sur la flamme de la bougie, trop rapide pour être brûlée. Puis elle se surprit à imaginer Renard, étendu quelque part. Dormait-il habillé, ou dans la pureté de sa nudité ?

Elle claqua subitement de la langue. Quelle horreur, penser à un petit con comme ça de cette manière ! Elle claqua son livre, de rage, éparpillant les feuilles volantes autour de son bureau improvisé. La coiffeuse de cet étrange garçon à la chevelure violette qui occupait habituellement sa chambre…

Elle récupéra à la volée un papier qui manqua de peu de se consumer dans la flamme de sa bougie. Un soupir agacé vint faire danser cette même flamme alors qu’elle se penchait lentement pour ramasser le reste. Evidemment, le papier rescapé était un témoignage. Une femme qui avait vu son mari tuer et manger leurs enfants. Dire que certaines arrivaient à se plaindre de la couleur des bijoux qu’ils leur ramenaient… Renard, lui, devait voler toutes les plus belles pierres. Aussi intéressant pour une femme que pour une Sorcière dans son genre…


« Ma fille, il serait temps que tu te mettes quelque chose sous la dent, ton esprit s’embrume… » ronchonna-t-elle, sans forcément penser à de la nourriture. « C’t’a moi que vous parlez ? » Elle sursauta. Bon sang, elle n’avait pas entendu le prostitué venu chercher ses affaires avant d’aller sauter son petit soldat, où elle ne savait plus qui… Le regard givré du garçon explora ses livres, parchemins et herbes en tout genre. Autant écrire ‘Sorcière’ sur le front de la femme d’âge mur…

« Je te préviens, si ta langue de pute vient répéter quoi que ce soit, elle ne pourra plus jamais rien faire d’autre, compris ? » Le violet eut un petit rire gêné. « Ca va, j’sais c’que c’est qu’un secret. J’me disais juste que… » La paysanne retrouvé enfin son sourire. Une âme en perdition qui voulait ses services, voilà qui allait lui changer les idées… « Repasse me voir, on pourra s’arranger… » et voyant qu’il désignait sa bourse d’un air désolé, elle mit en avant son statut de veuve et ses propres besoins. L’affaire sembla dans le sac, et une fois qu’il recommença à boucler ses sacs, elle reprit ses recherches en soupirant.

Mais elle redoubla d’attention quand elle s’aperçut que sa petite expérience pyromane de tout à l’heure avait fait ressortir des inscriptions dissimulées jusqu’alors.

« A Toi, l’Etranger qui tremble devant les crocs,
Ne crains plus cette Lune qui répand ses maux. »



Suivaient d’étranges ingrédients et une recette qui ressemblait fort à la cuisine qu’elle aimait pratiquer dans l’ombre de la Nuit. Son sourire revint, plus large, presque carnassier.
« Hey mon Mignon… Tu peux dormir dans ton lit, si tu veux. » Le garçon lui rendit son sourire, et après avoir discuté des termes, il paya sa part du contrat. Elle s’endormit quand il partit, et profita des quelques heures qu’elle avait devant elle avant d’aller retrouver Renard, qui désormais éveillait un peu moins son appétit.

~~~


Le sang avait été facile à récolter en tant qu’infirmière improvisée des prostituées. Les pierres, fort heureusement, l’Apothicaire les avait sur elle. Soucieuse de bien faire, elle avait également concocté un antalgique pour que son petit renardeau ne souffre pas trop sous les assauts de son loup intérieur. *Renardeau ? Mais merde, ressaisis-toi !* Son énième soupir franchit ses lèvres en une épaisse buée typique des matinées d’hiver.

Personne ne sortait du Temple, aussi elle en profita pour chausser son masque. Elle contourna ensuite le bâtiment, la chair de poule semblant vouloir percer ses vêtements. Les lieux de culte de la majorité l’angoissaient : combien de ses Sœurs étaient passées entre les mains des fanatiques ?...

Une silhouette se dessinait au point de rendez-vous, et elle reconnut sa carrure.
« Mon Beau, j’espère que tu es content de me voir, car j’ai exactement ce que tu veux. » Son ton était satisfait, et elle tout autant. En revanche, l’appréhension se faisait bien ressentir : le rituel allait être difficile.


Aedelrik


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« Sois bienvenu, frère. »

La silhouette encapuchonnée récupéra la bourse qu'il lui tendait et s'effaça aussitôt, lui laissant le passage. Aedelrik ne prononça pas un mot, se contentant d'un bref signe de tête respectueux. D'ordinaire, il aimait à afficher la souplesse de ses traits d'esprits en ce lieu comme ailleurs. Mais ce matin là, sa langue lui semblait gauche, empâtée, indigne de ces murs. La parole étant le seul sens qui lui faisait défaut, il se repéra parfaitement dans le dédale de couloirs faiblement éclairés, sûr de son chemin. De temps à autre, la lueur trop forte d'une torche agressait ses yeux bornés de cernes noires et lui arrachait un grognement. Mais rien ne le faisait dévier. Il contenait sa curiosité, invasive par nature, à un niveau proche de la perfection. Le Renard se fichait bien de donner une image plus sombre et incommodante de lui même ; comme en refusant la politesse et en bousculant les quelques âmes perdues en ce dédale souterrain, il n'avait pas le temps de jouer.
Plus le temps.


Par chance, la chapelle était presque vide lorsqu'il y pénétra enfin. Les bancs vides et l'espace largement dégagé devant chaque statue lui firent l'effet d'un bouffée de soupire brun, l'herbe qu'il fumait quelques temps. Le voleur s'avança alors d'un pas un peu moins crispé vers l'hôte des lieux. Sevran le fixait, scrutateur, et Aedelrik craint un instant qu'il ne comprenne tout par un simple regard, mais il se contenta de lui demander, comme d'ordinaire,

« Qui vient ici et à quel dessein ? » La formule était rituelle, la réponse en partie seulement. L'étranger se stoppa net, et profita de la génuflexion obligatoire pour réfléchir à ses mots. Comme d'habitude, mentir était hors de propos ; il suffisait juste de ne laisser jaillir la vérité que goutte après goutte. « Une âme perdue, sans lumière ni guide... » ça c'était la partie obligée, « Je veux les implorer de me protéger du mal. » Sevran eut alors une moue où se mêlait satisfaction et compassion, avant de répondre, « Le mal se loge dans le coeur des hommes, Renard. Ouvre le tien à tes maîtres, et ils t'aideront. » Sans doute n'imaginait il se trouver si prés de la vérité.
Aedelrik salua puis contourna l'homme à la bure de laine blanche. Bien que proche des robes des prêtres du temple, celle ci était dénuée de tout ornement excepté un ; une broche en fer, en forme de foudre.
« Du travail de merde ! » avait apprécié sans se gêner le voleur en l'observant pour la première fois. Il lui avait fallu un peu de temps pour comprendre la raison de ce dépouillement. Maintenant, tout lui paraissait clair comme de l'eau de roche. La discrétion valait toutes les pierreries du monde lorsqu'on adorait des dieux contraires au royaume.
Eloignant ses pensées du prêtre de cette chapelle si particulière, il fit le choix le plus évident et s'assit devant la statue de Likaön, après un instant hésité à prier Tengri. Après tout, ce dernier commandait à tout ce qui vivait sous le ciel. Mais Likaön incarnait le sauvage, la nature dans ce qu'elle avait de plus incontrôlable par l'Homme, et son effigie représentait un lycan. Si lui ne pouvait pas l'aider, Aedelrik n'aurait sans doute jamais de protecteur. Sortant de ses besaces une statue de cire en forme de cerf, dont les mèches dépassaient des bois, il y mis le feu. Quelques instants, il attarda ses yeux fatigués sur les flammèches qui dansaient dangereusement prés de lui, puis leva les mains vers l'idole et demanda, d'une voix lasse,


« Dieu loup, qui commande à ce qui est libre... Je te demande ta faveur cette nuit. Donne moi la force de tenir bon. Enchaîne la bête, soutiens l'Homme. En échange... » En bon négociant le Renard savait bien que, dieu ou pas, on n'obtient rien sans rien, « ... En échange je te sacrifierais un cerf, ou si je n'en attrape pas, au moins deux chiens ! Ca, je te le promet ! »

Les bois de l'effigie de cerf avaient déjà fondus et le gros de l'animal de cire était en train de se consumer. Aedelrik se signa alors, avec l'index et le majeur sur le coeur, et souffla la flamme afin que la fumée monte en lents volutes jusqu'à la statue. D'après Sevran, c'était le délice ultime pour un dieu. Plus pragmatique et peu formé aux mystères, le Renard ne pouvait s'empêcher d'y voir un caprice de camé, mais il avait apprit à ne plus s'étonner. Lorsqu'il se releva, il se sentait déjà mieux. Toujours fatigué et dévoré par l'attente insoutenable ainsi que la peur de la catastrophe... Mais mieux. Au delà du scénario improbable d'une grâce divine, c'était déjà ça de pris.
Secouant sa tunique qui avait prit un peu de la poussière du lieu, Aedelrik se dirigea vers la sortie en s'en tenant au même silence que dans le sens inverse. Non seulement sa langue ne s'était pas déliée mais il tenait à ne pas rater son rendez vous.

* * *

Ce cimetière avait vraiment le don de le mettre mal à l'aise. C'était d'ailleurs son atout principal, lorsque Aedelrik cherchait encore où établir son principal point de chute, ça et le fait de pouvoir réaménager tranquillement un réseau de cryptes abandonnées. Mais tout de même, il se demandait si son état de fatigue n'appuyait pas encore plus cette impression tenace de sentir un spectre rôdant derrière chaque tombe, ou un squelette prêt à sortir de chaque tas de terre encore fraîchement retourné. Déjà qu'il n'en pouvait plus d'attendre...
Heureusement, avec l'aube, son esprit cessa de lui jouer des tours. Dés lors, plongé dans une douce lueur de cuivre, le Renard ne vit les pierres tombales que comme ce qu'elles étaient : des coffres forts où les familles gardaient leur passé. Rien de précieux pour un voleur, mais celui là sentait l'importance des racines pour un individu. Que ce soit pour les rejeter ou les honorer, chacun a besoin de savoir d'où il vient.


« Et d'où tu viens, toi ? » Se demanda t'il, ironique, en embrasant de son briquet une pipe chargée de cendre hivernale, sa nouvelle trouvaille qu'il avait envie de tester. Mais après deux bouffées, il fut pris d'une légère quinte de toux et renversa l'herbe sur le sol. Le goût écoeurant lui resta un moment en bouche, et il se félicita d'avoir gardé un peu de soupire brun. Sa saveur épicée le détendit légèrement, suffisamment pour qu'il cesse de se retourner à chaque bruit. Il savait bien, pourtant que le coin était désert aussi tôt dans la journée.
Son regard se porta alors sur le soleil qui commençait à monter dans le ciel, et n'allait d'ailleurs pas tarder à lui tomber dans les yeux, en dépassant la toiture du temple. Il était dans les temps, lui.
« Qu'est-ce qu'elle fout ?! » Grogna t'il, moins par colère que par crainte de s'être trompé en faisant confiance à une sorcière. Si la moitié de ce qui se disait sur elles possédait un fond de vérité, poser un lapin s'avérait bien le moindre des coups tordus dont ces baiseuses de démons étaient capables. Néanmoins cette fois, le fin Renard était à court d'options. Il lui fallait prendre son mal en patience... Et les dieux savaient comme il détestait ça !

« Mon Beau, j’espère que tu es content de me voir, car j’ai exactement ce que tu veux. »

Le temps avait légèrement passé, et le soleil parcouru un peu de chemin, lorsque Aedelrik vit sa silhouette s'avancer le long d'une allée tandis qu'elle l'interpellait, sans masquer sa satisfaction, à la différence de son visage. Le voleur en profita pour observer celle qui lui avait fait un effet saisissant la veille au soir, et constata que les sorcières ne sont pas si impressionnantes que ça, lorsqu'elles ne mettaient pas le paquet sur la mise en scène. En l'occurrence, sans le masque, il aurait pu la prendre pour une passante lambda. D'un saut agile, il sauta alors de la stèle sur laquelle il s'était hissé, sans ménagement pour le repos de l'éternel propriétaire,

« Si tu savais. Je brûlais d'envie de te voir, sublima ! »

Elle ne pourrait sans doute pas comprendre le Donestin, mais Aedelrik surjouait tellement la galanterie de roman que le sens du mot passerait quand même. Sa révérence, en tout cas, fut impeccable et digne d'un rendez vous avec une dame "de la haute", comme on disait en bas. Il s'approcha alors et lui tendit son bras, invitation tacite soulignée par un sourire charmeur,
« Merci d'avoir tenu parole. Bon, ne perdons pas de temps ici, un endroit plus isolé conviendra mieux à nos affaires... » Pas plus que le clin d'oeil qu'il lui fit, ses mots n'étaient innocents ; le Renard se savait recherché, voire surveillé et tachait de toujours en confier le moins possible en public. Souvent, il jouait la comédie pour brouiller les pistes. Et en l'occurrence, mieux valait qu'on le croit fricotant avec une dame bien née qu'avec une sorcière, à proximité du temple. En espérant que Rougeagresse comprenne et joue le jeu.

Sans la brusquer, il l'emmena ainsi jusqu'au coin le plus reculé du cimetière, où s'alignaient des mausolées, des chapelles voire des cryptes appartenant à des familles qui n'enterraient plus grande monde, puisqu'elles en baptisaient encore moins depuis longtemps. En somme ; un coin tranquille où ils ne risquaient pas d'être dérangés ni surpris. Aedelrik se défit alors du bras de la sorcière et s'approcha d'une petite chapelle ancienne. A l'intérieur, un gisant sur lequel était gravé l'inscription :

l'Abyme appelle l'abyme.

Le Renard tira alors une chaîne, et le caveau rentra dans le mur, pour dévoiler un escalier qui descendait jusqu'à perte de vue, c'est à dire pas bien loin vu l'obscurité dans le bâtiment. Pour autant, le voyage n'était pas encore fini. Sans laisser le temps à la sorcière d'hésiter - ça serait pour plus tard - il descendit les marches et ouvrit la porte qui gardait l'entrée de son terrier. A l'intérieur, un long couloir de pierre orné de quelques torches qui éclairaient des caveaux vides de tout corps. Apparemment, la famille en question s'était trouvée une autre crypte. Il continua alors son chemin, ignora un carrefour dont une branche semblait mener vers de la lumière et des voix, et poursuivit inlassablement. Après un assez long moment, et plusieurs escaliers passés, les deux associés se retrouvèrent au point le plus profond des catacombes, devant une lourde porte en fer. Le Renard tira alors un impressionnant trousseau de clé, en choisit trois, et déverrouilla la porte. Mais en s'ouvrant, celle ci en dévoilant une seconde. Nouvelles clés, cinq cette fois. Puis une dernière porte, et huit clés. Le processus prenait du temps mais Aedelrik pensait que la sorcière apprécierait les précautions qu'il avait mis en place pour leur survie commune.
Après avoir fait céder le dernier verrou, il ouvrit la porte d'un bras tout en désignant la pièce à Rougeadresse. Grande, haute sous plafond, et surtout dotée d'un ingénieux système de chaînes sur poulies au plafond. Rien de bien sorcier mais cela permettait plusieurs choses, dont par exemple de maintenir la victime au dessus du sol à l'horizontal, ou bien sur ses deux pieds debout, voir de le maintenir assis... Yoren s'était surpassé là dessus. Arborant un léger sourire, le renard se retourna alors vers la sorcière et lui demanda, avec une ironie qui n'étouffait pas sa sincérité,
« Ca fera l'affaire ? Tu es prête ? » La question était simple. Quand à la réponse... Beaucoup moins.


Sakristi


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Au même titre que les artistes qui jouaient avec le feu ou les lames, que ceux qui dressent les animaux sauvages, et que tous ceux qui risquaient leur intégrité physique voire leur vie dans leur exercice, les Sorciers se devaient de garder un sang-froid à toute épreuve. Même lorsque l’on agissait pour son prochain, on mettait toujours un peu de soi dans ses rituels. Et la moindre émotion négative pouvait influencer de manière considérable la part de hasard qui caractérisait les enchantements de Rougeagresse.

Et pourtant ce petit con l’avait déjà énervée.

Bien entendu, la Femme en Rouge n’était pas née de la dernière pluie. Elle se doutait bien que les petites attentions du Renard n’étaient qu’une couverture pour ne pas éveiller les soupçons des quelques endeuillés qui rôdaient. Pour autant, elle se sentait provoquée au plus haut point dans cette approche bien trop sûre, sans le moindre doute. L’âge qui se trahissait dans son allure était-il synonyme de solitude trop chaste aux yeux du Voleur ?

Rougeagresse joua néanmoins le jeu, comprenant la diversion. Ses lèvres s’entrouvrirent même de stupéfaction sous son masque en voyant les multiples précautions que son compère avait prises. L’un et l’autre, l’un ou l’autre, ou l’un après avoir dévoré l’autre, une fois enfermés là-dedans, ils n’en sortiraient pas.

Elle repoussa l’étreinte factice du Roux et rétorqua vivement
« Renard, Chenapan, le dernier à m’avoir prise pour acquise n’aura gagné que le droit de nourrir les choux-péteurs par la racine. » Ce type n’avait peut-être pas pensé à mal, mais la fierté de l’Apothicaire avait tendance à prendre des proportions assez titanesques, et elle avait comme un souci avec les Hommes qui prenaient les femmes pour des accessoires qui les mettraient en valeur.

« J’ai la solution à ton petit problème de poils, mon Beau. Mais comme je t’ai dit, à chaque souhait réalisé est associé un prix. » Elle laissa durer un peu les secondes entre ses deux phrases. « Et, si tu te souviens, ça n’a rien à voir avec ta bourse. »

Elle lui parla ensuite de la Lune, du Soleil, de leurs pouvoirs, le tout en vulgarisant les choses tant qu’elle le pouvait. En parler si librement était presque salvateur, elle qui se cachait depuis qu’elle les avait découverts. La Lune exerçait une pression sur lui, et elle lui fit rapidement comprendre qu’une question d’équilibre était la clé de voute de leur rituel de cette nuit.

« Et si nous réussissons, nous n’y arriverons que pour cette nuit. Nous devrons nous revoir pour trouver une solution plus durable… Si tu y tiens. » Elle se tut alors et commença à aménager un autel avec les débris qu’elle put se mettre sous la main. Sans prêter attention à l’autre, elle retira sa cape dans un grand mouvement, et s’en servit comme nappe. En-dessous, elle portait son grand habit blanc de cérémonie, dans lequel elle nageait à l’exception de la taille autour de laquelle était nouée une corde verte.

Ni une ni deux, elle posa avec précaution divers objets qui lui serviraient pendant la nuit. Deux pierres brillèrent comme si l’on avait placé une bougie à l’intérieur, mais il n’en était rien.
« Je les ai laissées s’imprégner de la force du soleil. » expliqua-t-elle, même si elle n’avait pas vraiment vu l’autre se poser de questions.

Bientôt, tout fut installé, et elle se tourna vers le Renard. « J’ai fait ma part, maintenant c’est à toi de remplir ta mission, avant de revenir ici pour t’attacher tant que le soleil est encore assez haut. » Devant son air incrédule, elle continua.
« Pas de panique, je ne t’ai pas encore dit quelle était cette fameuse mission. »

Elle lui adressa un petit sourire, avant de se rendre compte qu’il ne pouvait pas le voir. Cependant, il s’entendait légèrement dans ce qui suivit. « La Lune prend ce qu’elle juge important, et si tu ne lui donnes pas ce qu’elle veut, il semble que cela lui fera défaut. » Elle releva suffisamment sa manche pour lui montrer de vieilles égratignures, symbole du sang versé comme prix de ses désirs personnels. « Il te faudra sacrifier quelque chose qui te fera suffisamment défaut une fois que tu l’auras perdu pendant le rituel. Œil pour œil, dent pour dent, même les Dieux peuvent être assez primitifs. »

Elle s’en alla, décrétant que tout était assez clair, puis s’assit sur une stèle brisée, commençant à dessiner dans le sable avec un bâton. « Oh, et ça n’me dérange pas de sacrifier ta pute préférée, sacré coquin. »

Elle espérait qu’il ne prendrait pas ses paroles à la légère, autrement les conséquences pourraient être… Désastreuses ? Du moins pour lui.


Aedelrik


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Prise pour acquise ? Que pouvait elle bien s'imaginer ? Qu'il faisait appel à ses services pour combler un manque de tendresse ? Aedelrik ne savait comment considérer cette menace ; sérieuse et déconcertante, ou bien ironique mais tout aussi surprenante. Il mit cette incompréhension sur le compte de son art interdit et alla inspecter le dispositif, une dernière fois. L'humidité se faisait parfois durement sentir dans ces cryptes mal isolées - d'ordinaire, les infiltrations ne dérangent pas les pensionnaires dans leur ultime séjour - et les chaînes pouvaient en souffrir. Tout comme de ses nuits de transformation, d'ailleurs ! Malgré toute la résistance que l'acier lui opposait, il n'était pas rare que des maillons cèdent sous la puissance de la bête. Ce soir là, ça ne pouvait pas arriver. Pour elle comme pour lui, ces liens représentaient la survie et c'était bien le seul sujet sur lequel même le Renard ne plaisantait jamais.
Tandis que Rougeagresse lui évoquait les termes de l'opération, lui repérait les défauts restants dans la structure de métal, en gardant un silence complet, absorbé par sa tâche bien qu'attentif. A l'évocation du prix néanmoins, il ne put empêcher une grimace de venir déformer sa belle gueule. Payer n'était déjà pas un acte agréable, même avec de l'argent alors avec quelque chose de plus précieux... Aedelrik avait eu de longues heures pour y réfléchir, mais ce qu'il s'était résolu à faire ne lui plaisait pas vraiment. L'idée même du payement ne lui plaisait pas, d'ailleurs. Puisque dit disait achat disait vendeur, et son intuition lui soufflait que dans cette histoire, la sorcière ne serait pas la véritable l'usurière. Déjà qu'être gouverné par des dieux lui pesait, alors d'avoir affaire à autre chose de plus intéressé...


« Dans quoi je m'embarque... » Murmura t'il trop bas pour que son invitée puisse l'entendre. D'autant qu'elle lui parlait alors de la lune, du soleil et d'équilibre astral, une notion un peu trop complexe et abstraite pour un esprit aussi terre à terre que lui. Cependant, il ne lui fit pas l'outrage de lui déclarer en face son manque de concentration ; le Renard ignorait encore trop du caractère de la sorcière pour oser se le permettre, d'autant qu'il restait parfaitement dépendant de ses talents.
Ayant terminé son inspection, il s'empara d'un marteau et raffermi la solidité de chaque chaîne pendant que Rougeagresse s'afférait à des choses de sorcière, auxquelles il ne comprenait rien mais dont la rigueur le rassura ; à la voir ainsi déballer méthodiquement ses affaires, Aedelrik pouvait enfin se persuader qu'elle s'y connaissait vraiment. Ils eurent terminé en même temps ; son marteau retomba sur le sol tandis qu'elle lui présentait deux pierres brillantes. Cette fois, l'explication fut plus claire et il tâcha de la relier avec ce qu'elle lui avait dit plus tôt. L'équilibre, tout ça. Le tout ressemblait dans son cerveau à un vaste brouillard théorique et il s'avérait en partie impatient de commencer la pratique. En partie seulement car ses craintes restaient grandes. Il allait sans doute vivre une expérience inédite pour lui, et la sorcière ne lui avait pas caché les dangers que le rituel comportait. Et cependant, la nécessité faisait loi. Soit ils réussissaient soit... Le Renard se refusa d'y penser.


« Une mission ? Quelle mission ? » Demanda t'il, trahissant dans sa voix son inquiétude, à la sorcière qui venait de lui annoncer cela comme une nouvelle condition. Son coeur ne reprit un rythme apaisé que lorsqu'elle lui précisa que cela concernait le paiement. Et même là, ses craintes ne s'évanouirent pas totalement, et pour cause ! Aedelrik commençait à comprendre les avertissements de Furet à propos du rituel : sacrifier un bien indispensable en échange d'une solution d'une seule nuit ! Les puissances occultes possédaient décidément un sens des affaires bien rude. La mine soucieuse, il se dirigea vers la sortie en lui déclarant, « Ne bouge pas, je reviens. J'en ai pour... » Il allait lui dire "un instant" ou "une minute" mais son instinct lui disait qu'il aurait besoin de plus de temps. Peut être beaucoup plus.

Son pas se fit lourd tandis qu'il marchait dans les couloirs de pierre dont les murs abritaient des tombeaux vides mais toujours dotés de gisants. Un cadeau laissé là par l'ancienne famille qui avait déserté sa crypte. Le Renard se souvint avoir longuement observé ces statues, laissant travailler son imagination, réfléchissant à l'histoire et au caractère de chacun, se demandant ce qui étaient advenus d'eux ; simples tas de poussière au fond d'une boite en pierre, nobles âmes ayant trouvé le chemin du paradis... Ou bien autre chose ? C'était cette proximité étrange avec ces ancêtres froids qui lui avait donné l'idée d'en faire des gardiens. Après tout, tous ces associés se trouvaient mal à l'aise en leur présence : ils dégoûtaient Kaaris, intimidaient Yoren, impressionnaient Doklas. Mais lui, Aedelrik, les voyaient pour ce qu'ils étaient vraiment : des souvenirs gravés dans la pierre. Immobiles. Inoffensifs. Fiables. Le genre à conserver les secrets qu'on leur confie.

Si il n'avait pas demandé à Rougeagresse de l'accompagner, c'était bien pour garder pour lui seul certaines choses qui ne devaient jamais resurgir à la lumière du jour, pour le bien de tous. Et aussi parce qu'il avait déjà sa petite idée sur ce qui pourrait convenir à ces dieux sadiques et escrocs (Il se signa aussitôt après blasphémer, comme pour demander pardon). Lorsqu'il sortit des galeries étroites pour arriver dans la chambre principale de la planque, la lumière du jour l'assaillit presque aussi violemment que la voix du vieux.


« Eh ben ? Ca donne quoi ton affaire ? L'heure tourne ! »

Dire que Doklas se faisait du soucis relevait d'une précaution de style excessive ; il se rongeait les sangs à l'idée que le Renard ne parvienne pas à gérer l'épreuve qui s'approchait à chaque instant tombé dans le sablier du temps. Son ton grave ne masquait pas l'angoisse sourde qui vibrait dans cette vieille carcasse, sentiment accentué par son impuissance manifeste : tout médecin qu'il était, Doklas n'y connaissait rien en magie. Or, son art à lui avait échoué pour l'instant. Tous deux se haïssaient de s'en remettre à une sorcière mais le choix ne leur appartenait plus.

« Il ne reste qu'un détail à régler. Tu as la clé des étages inférieurs ? » Doklas prit un air surpris et interrogatif, mais devant l'impassibilité d'Aedelrik, il lui tendit l'objet, sans ajouter un mot. Même lui ignorait ce que le voleur trouvait parfois à faire au plus profond de la crypte. Jamais il ne le lui avait demandé. Ils fonctionnaient ainsi ; soit le Renard évoquait un sujet, soit celui ci n'était jamais abordé.
La salle principale de la planque avait été un jour le centre de tout l'édifice souterrain et si l'entrée d'origine était scellée depuis longtemps, la plupart des portes qui donnaient accès à toutes les ailes étaient toujours en place. A propos de l'une d'elle, Yoren s'était un jour étonné qu'elle tienne encore sur ses gonds ; au delà de celle ci, on se trouvait dans le séjour des plus illustres ancêtres anciennement abrités là. C'était un lieu qui respirait le passage des siècles, la gloire qui accompagne les vieilles légendes, et la tranquillité des morts que rien n'a dérangé depuis leur trépas. Sensible à cette atmosphère de noblesse endormie, Aedelrik appréciait ce lieu, qui l'apaisait mieux que beaucoup de femmes et d'alcools.

Un instant, tandis qu'il contemplait depuis le seuil de la porte les ténèbres grouillantes plus bas, le Renard fut même tenté de se passer de torche, tant il pensait connaître l'endroit par coeur. Ce fut la crainte de son imagination fertile qui le fit renoncer. L'obscurité complète qui régnait plus bas avait le don de faire travailler son goût pour les histoires de fantômes.
Brandissant sa torche comme les antiques héros descendus aux enfers chercher la gloire ou leur bien-aimée, il refit un chemin emprunté cent fois déjà et qui le menait toujours dans les recoins les plus profonds de sa conscience. Après avoir dépassé la statue d'un prêtre à la barbe conséquente, il tourna vers le gisant d'un chevalier en armure digne d'un demi-dieu et arriva finalement devant sa résidente préférée. Une dévergondée, d'après ce que l'artiste avait voulu montré en laissant le drapé de son vêtement dévoiler un sein impudique, et foutrement belle, aux yeux du rouquin, qui se vantait de son goût en la matière. Sauf que la dame était également assise sur un trône, que sa stature la posait comme dame de très haute naissance et que la couronne sur son front laissait peu de doute sur son rang exact. La puissance et la jouissance : une association parfaite, qui l'avait laissé sous le charme de la statue.

Aedelrik se baissa alors, et tira sa dague. Sur le socle de la statue une plaque de marbre semblait légèrement saillir du reste. Coinçant la lame dans le fin interstice, il fit sauter la plaque, et ainsi, ouvrit son coffre fort.
Je crains devoir taire ce qu'il aurait pu en tirer, ne serait ce que par délicatesse envers certains lecteurs, que tant de magnificence pourrait choquer. Et puis, certains secrets n'ont d'intérêt dans une histoire que si ils interviennent à leur tour dans le récit. Nous y viendrons sans doute, pour chacun d'entre ceux qui se trouvaient sous la statue de la reine Zelda XI, dite La Légère.

Le Renard resta un moment le regard fixé sur ce qu'il tenait dans sa main. Un objet si petit, si insignifiant à bien des égards et pourtant si précieux à ses yeux. Il tremblait, à simplement le tenir devant ses yeux, à sentir son contact sur sa peau. L'idée de s'en séparer... C'était quasiment insoutenable mais si les dieux exigeaient...
« Pourquoi il faut toujours que mon destin repose sur des pervers sadiques ? » Il n'avait pas pris la peine de murmurer, comme d'ordinaire lorsqu'il blasphémait. Aussi bas sous terre, quel dieu pourrait l'entendre ? Un instant, il pensa à rester là, prier un peu, implorer leur clémence pour obtenir un meilleur marché. Mais la raison l'emporta, et il se résolu à l'idée que ses espoirs étaient vains. Mieux valait en finir vite. Si tant est que sa volonté tienne bon. La mort dans l'âme, il rangea l'objet et referma son coffre.

* * *

« C'est bon, j'ai ce qu'il te faut. » Déclara t'il à la sorcière une fois revenu dans la pièce du rituel, Doklas toujours aussi inquiet sur les talons. Le vieux médecin alla se placer dans un coin de la salle, en dardant un regard plus venimeux qu'une morsure de crotale en direction de Rougeagresse. Il avait insisté pour venir ; arguant du fait qu'elle ne saurait pas enchaîner convenablement son associé et qu'il voulait garder un oeil sur elle. Trop éprouvé pour tenter de l'en dissuader, Aedelrik avait cédé.
Le voleur s'approcha de la sibylle et tira d'une sacoche un long morceau d'étoffe de soie qu'il lui tendit d'une main tremblante. Brodé au fil d'or, dans la langue de Donestan, était écrit "Ilaina, duchesse protectrice de Cuidarea", à côté d'un blason représentant une vierge guerrière. Derrière un calme de surface, n'importe qui connaissant le Renard aurait remarqué la tempête qui faisait rage à l'intérieur de lui. Et pourtant, il parvint à donner l'objet à la sorcière et demanda, après avoir étouffé un soupire, d'une voix où transpirait sa lassitude,


« Est-ce que tout est enfin prêt ? »


Sakristi


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A bien des égards, l’immoralité était bien peu désirable. Pour beaucoup, les mauvais actes revenaient nous hanter pendant les nuits les plus longues. Pour d’autres encore, les fantômes des horreurs qu’ils avaient commises se transformaient, d’une manière ou d’une autre, en une espèce de justice divine qui venait réclamer son dû, le lendemain comme des décennies après. Parmi tout ce qu’elle avait déjà accompli de répréhensible, Sakristi pouvait s’amuser à faire des classements, ou à anticiper ce que les Eléments en feraient contre elle, elle ne le craignait pas franchement. Cependant, avoir été une véritable sorcière – davantage dans sa personnalité que dans sa magie – lui avait appris une vérité fondamentale : n’importe qui pouvait se comporter comme un vrai connard. Comme elle, en somme.

Aussi, lorsque Renard était parti en quête de son sacrifice, la femme était descendue de son perchoir et avait analysé les chaînes qui feraient office de liens.
« C’est qu’il a pas l’air si mauvais que ça… » Ou alors désespéré. Tout ceci avait néanmoins l’air solide. Mais la Sorcière tenait davantage à sa vie qu’à l’aide qu’elle pouvait apporter au bellâtre, tout désœuvré qu’il était. C’est pourquoi elle coupa une mèche de ses cheveux, qu’elle porta près de ses lèvres comme pour les imprégner de l’incantation qu’elle récitait à toute allure. Une fois chose faite, elle enroula la longue mèche autour des maillons. Quelques secondes et celle-ci fondit pour pénétrer doucement le métal, et le rendre plus solide. On n’était jamais trop prudent.

Pas peu fière de son coup, Rougeagresse se releva, et guetta l’entrée de la salle. Aucun bruit. Un instant elle hésita à dessiner quelque rune sur le mur pour soulager la douleur de Renard lors de sa Transition. La souffrance des autres était loin d’être son problème, mais les cris, les pleurs, ça avait le don de la stresser. Puis les Hommes… Ils pouvaient se faire couper des membres à la Guerre qu’ils ne versaient pas une larme, mais ayez le malheur de laisser la fièvre les déposséder de leur contrôle d’eux-mêmes, et vous redécouvrez les – fausses – joies de retrouver la même chose qu’un bébé, juste un peu plus grand et plus barbu. Combien de fois avait-elle subi les jérémiades d’Aidan lorsque son dos venait l’embêter ? Et Amund, quand son nez coulait…

L’espace d’un instant, un sourire un peu triste se dessina sous le masque qu’elle portait. Celui en bois, mais aussi celui tout d’impassibilité qu’elle portait constamment depuis des années. Il n’y avait guère qu’avec deux ou trois personnes qu’elle se décidait à l’enlever, celui-là, et parmi elles, bien peu étaient encore auprès d’elle. Qu’à cela ne tienne, elle avait bien compris que l’attachement n’était qu’une perte de temps. Ca n’est donc pas pour cette raison qu’elle se décida à dessiner le symbole sur le sol, autour des chaînes.


« Tu arrives à pic… » adressa-t-elle aux bruits de pas qui résonnèrent bientôt derrière elle. Elle tiqua en apercevant le deuxième homme, qui de toute évidence était encore moins ravi qu’elle de faire sa connaissance. « …vous, au temps pour moi. »

Apparemment le gars en question, en plus d’être la nouvelle ombre du rouquin, semblait être ce qui s’approchait le plus de sa conscience, vérifiant tout derrière lui. On brave stressé, encore. Bah, de toute manière il ne gênerait pas le rituel. Ou pas longtemps.

Renard s’approcha et lui tendit ce qu’il comptait sacrifier. Elle n’y jeta qu’un œil distrait, pas vraiment désireuse d’en savoir plus sur les Passions qui animaient le jeune homme. Elle fut tout de même heureuse qu’il ne puisse voir son air dubitatif. Il lui rapportait un objet, et les Dieux n’aimaient pas beaucoup les matérialistes…
« Est-ce que tout est enfin prêt ? » lui avait-il demandé d’une voix qui laissait paraître toute l’angoisse et la résignation qu’il essayait d’enfouir. La Sorcière ne répondit pas tout de suite, ses yeux allant de l’autel à Renard, de Renard à son ami, de l’ami à Renard, et ce sans pouvoir s’arrêter. « Oui, tu peux aller t’attacher… »

En voyant l’homme piétiner ses dessins, et bien conscient de ce qu’il faisait, elle lui hurla dessus, faisant sursauter le pauvre Renard. « Oh, Chéri ! C’est pour que ton amoureux ait moins mal que je lui ai fait ces jolis dessins de gonzesse, alors si j’étais toi, je me manquerais de respect d’une autre manière. »

Ah, tous des petits cons ceux-là alors… Elle respira un grand coup, tâchant de se calmer pendant que les hommes s’affairaient autour des chaînes. En faisant plus attention, ceci dit. A nouveau, elle regarda l’étoffe que lui avait donnée Renard.

« Et puis merde. »

Elle savait que si les Dieux n’acceptaient pas cette offrande, ils viendraient choisir quelque chose de plus précieux. Et malgré toute la rancœur dont elle était capable, et malgré le peu d’amour qu’elle manifestait pour ses congénères, elle ne pouvait pas laisser la vie être prise de manière aussi désinvolte par un jeune fauve un peu trop cupide. Saisissant son athamé, elle s’ouvrit généreusement la main et laissa couler sa vie dans son chaudron. De cette manière, elle incorporait au rituel sa propre prière, celle de protéger l’homme qui pourtant la dévisageait toujours avait autant de mépris. Un frisson la parcourut alors. Qu’allait-il advenir de Renard si elle le privait de sa chance ?  Elle n’avait plus qu’à espérer que cette offrande fût vraiment ce qu’il avait de plus précieux. Autrement, le prix serait payé directement à la source : lui-même.

« La bête est en laisse ? » lâcha-t-elle avec dédain, tandis qu’elle se détachait de toute cette histoire pour ne pas influencer le rituel. La pique sembla faire vibrer quelque chose chez Renard. De la colère peut-être ? Tant mieux, il changerait plus rapidement. Elle ferma les yeux pour ressentir l’énergie de la lune tant bien que mal, car celle-ci lui était cachée. Elle sourit en ressentant l’apogée qui se rapprochait.

« Trois… Deux… Un… » et un hurlement. Rougeagresse réagit alors immédiatement, soulevant un couvercle qui laissa s’échapper une épaisse fumée à l’odeur acidulée. De son autre main, celle qui n’était pas écorchée, elle prit une poudre sur laquelle elle souffla de toutes ses forces. Le Loup allait perdre de ses forces, de cette façon. Il était temps d’agir sur le Changement et de Purifier le martyr par l’eau et l’air. D’une voix forte et sûre, elle implora les Déesses Arianrhod et Latis, qu’elle affectionnait particulièrement. Par ailleurs, il s’agissait de Déesses, dont la féminité faisait écho à la Déesse Lune qu’elle n’osait implorer directement.

Le feu ne tarda pas à dévorer l’offrande, et un coup d’œil dans la direction de l’ami du Renard indiqua qu’il allait bien, bien que très anxieux. Les langues s’enchaînèrent, de même que les prières, et les ondes de choc tout autour d’eux, symbolisant le combat que menait Sakristi, de la même manière que Renard, lui aussi luttait contre lui-même. Elle ne sût estimer combien de temps tout ceci dura, mais une fois toute l’offrande consumée, Renard s’écroula, vidé, mais surtout sous la même forme qu’elle lui avait toujours connue. Pourtant, la Lune trônait encore fièrement au-dessus d’eux, même cachée par l’épais plafond.
« Nous avons réussi. » lança-t-elle, avant de sombrer, elle aussi, en direction du sol, consciente, mais incapable de tenir davantage sur ses jambes.


Aedelrik


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« Sûr de toi, Rik ? Il est encore temps de la chasser à coup de bottes dans le... »

« Rien de tel tant que je vivrais. Elle est ma dernière chance de ne pas finir couvert de sang, avec la ville toute entière à mes basques. Elle reste. Toi, retourne dans la crypte. Tu ne veux pas voir ça. »

Doklas renifla bruyamment, comme une ultime marque de désaccord, mais il avait déjà cédé. Et alors que Aedelrik tendait les bras devant lui, des bracelets de fer se refermèrent sur ses poignets, de même que sur ses chevilles. Le vieux alla ensuite actionner les mécanismes et le voleur se retrouva dans la position d'un supplicié, les membres en croix. La chose avait été proprement étudiée pour qu'en cas de transformation, le loup soit le plus entravé possible. Pour le voleur, se soumettre à ce système avait quelque chose d'insupportable. D'expérience, il connaissait bien le poids de chaînes non désirées et le contact des fers le mettaient très mal à l'aise. Mais en l'occurrence, sauf si la garde ou ses ennemis trouvaient son repaire pendant une nuit de pleine lune, ces entraves restaient sa meilleur sécurité.

Tout ce temps, le Renard ne lâchait pas Rougeagresse du regard. Il n'avait pas encore d'avis définitif sur elle, ni sur les sorcières, ni sur la magie dont elle allait faire usage, et la confiance vient difficilement à un homme trahit. Son oeil ne manqua pas l'instant où elle s'ouvrit la paume de la main pour lâcher de son sang dans la préparation. Dans les histoires, c'était souvent là que tout commençait à déconner. Néanmoins, il gardait ses réserves pour lui ; si jamais Doklas venait à les connaître, il le détacherait aussitôt et virerait la sibylle de leur planque. Le vieux ne prenait sur lui seulement parce que Aedelrik le lui avait demandé. Et les "demandes" que le rouquin pouvaient lui faire, le médecin y cédait quasi systématiquement.


« Je n'aime toujours pas ça. »

« Moi non plus, camarade. Mais je n'ai pas d'autres options. » La tension commençait se sentir chez lui, dans sa voix, dans ses muscles, à mesure qu'une angoisse sourde grondait, de plus en plus, au fond de ses tripes. Il fit signe à son vieil ami de sortir, ce que ce dernier fit en traînant les pieds et en dardant la sorcière d'un ultime regard mauvais. A présent, Aedelrik était vraiment entre les mains de cette bonne femme, et de ses caprices d'adoratrices de démons, quoi qu'elle fut ! Mais à choisir, entre ces mains là ou l'emprise d'une lune rouge... Eh ! Avait il seulement le choix ? D'ailleurs, depuis qu'il était revenu des profondeurs de la crypte, le Renard se sentait en proie à un mal diffus, qu'il avait tout d'abord identifié à un symptôme de sa peur, mais qui n'avait cessé de croître depuis. Une migraine, une compression sur son coeur, des pics de douleur dans son ventre, et cette impression qu'il avait se faire tirer vers le plafond, vers le ciel... Il la sentait venir, cette salope de lune rouge. A croire que les astres avaient aussi leur période sanglante, de temps en temps. A cet instant là, le voleur regretta violemment de s'être "maqué" avec elle. « Est-ce qu'on ne pourrait pas commencer ? » Demanda t'il alors que la porte se refermait brusquement sur un Doklas sans doute désireux de mettre un maximum de distance entre lui et ce qui allait advenir dans cette pièce.

« Trois… Deux… Un… »

Son corps tout entier se déchira et il sombra en lâchant un hurlement inhumain.

Le loup s'éveilla dans une forêt. Il observa autour de lui, le corps parcouru d'une tension craintive. L'animal ignorait pourquoi il se trouvait là, mais il ne cherchait de toute façon aucune explication : seul comptait de trouver des repères ; était il en sûreté, en péril, entouré d'ennemis ou isolé de tout ? Son museau frémissait en continu, un coup d'inspiration après l'autre, guettant une odeur, un indice. Mais rien. Ou plutôt si, beaucoup de choses, mais rien de connu. Rien qui n'éveillât un quelconque souvenir, une image ou un son dans sa mémoire. Ce monde ne manquait pas de vie, mais tout y était étranger.

Alors, la bête avança, prudente, à travers les immenses, véritablement immenses pins. Si massifs qu'ils en masquaient le ciel et plongeaient les tréfonds de la forêt dans une obscurité inhabituelle. Il faut imaginer le désarrois du loup, qui se trouvait forcé d'avancer presque à l'aveugle, malgré ses yeux habitués à la nuit, et le museau gorgé d'odeurs dépourvues de sens. La peur du danger le rendait attentif au moindre détail. Une branche qui craque, un buisson frissonnant, une empreinte sur le sol, et il montrait aussitôt les dents prêt à frapper ou à seulement se défendre.
Et puis, au fil du temps, il y a un souffle de vent, provenant d'une direction bien précise, qui charriait avec lui une senteur particulière, connue, et savoureuse entre toutes. Un cerf.

Le Loup fonça, à travers les buissons et les cours d'eaux, en proie à une faim irrépressible, rendu par elle incontrôlable. Il n'accordait plus d'attention aux buissons, aux arbres et aux traces sur le sol boueux. Et il ne sentit pas un relent nauséabond, derrière lui, camouflé par le vent. Pas plus qu'il n'entendit le long craquement d'une racine profonde et ancienne, sortie de terre. Il fonçait, ventre à terre, vers sa cible.

Sa chasse fut finalement fructueuse, lorsqu'il parvint jusqu'à une clairière. Là, un cerf gisait sur le sol, encore vivant. Depuis l'orée sombre, la bête observa. Sa proie ne dormait pas, elle semblait entravée par des racines tordues, qui enserraient ses pattes. L'excitation gagna le loup. L'occasion était trop belle. Il avança. Lentement, sortant de la pénombre pour apparaître au regard de l'animal piégé, à la lueur de la lune. Celle ci était belle, plus que d'ordinaire. Sa clarté pâle éclatait sur la robe blanche du cerf, le rendant encore plus attrayant. Ce dernier, ayant senti puis vu le danger, s'ébroua, tenta de se libérer. La peur se lisait dans son oeil, dans ses brames désespérés. Il y avait vraiment quelque chose d'étrange chez lui, mais le Loup n'y prêtait aucune attention. Seule sa faim lui importait. Et quand il fut finalement à portée du cerf, et que ce dernier tourna ses bois vers lui, en un dernier acte de résistance, il sut que son appétit serait satisfait.
Bondissant sur la gauche du cef, il le laissa envoyer un violent coup de sa couronne pointue pour mieux esquiver et lui bondir à la gorge. Ses crocs se refermèrent sur les chairs, les pénétrèrent, sectionnèrent une artère... En quelques instants, ce fut fini. Et le loup fit festin, comme jamais, ne laissant que les os. Pourtant, sa faim ne se calmait pas. Elle restait là, comme un vide béant dans ses entrailles, appelant à se remplir sans fin. La bête contempla alors la carcasse du cerf, en proie à un trouble insoluble. Pourquoi manger ne le comblait il pas ? Il y réfléchissait encore quand il entendit les racines craquer.


« Et bien. Qu'avons nous là ? »

Le Loup se retourna et fut aussitôt saisit d'un frisson de peur. Juste derrière lui se tenait un être comme il n'en avait encore jamais vu. Comme un homme, mais plus grand et plus mince, et... fait de bois. En guise de bras, il possédait deux branches dont les extrémités se séparaient en trois griffes au lieu de mains. Il était vêtu de peaux comme habits et celles ci couvraient ce qui aurait dû être des jambes mais ressemblaient plutôt à des racines d'arbres plongeant profondément dans la terre. Son visage était masqué par un crâne osseux de cerf doté d'une ramure hors du commun, dont il se servait comme masque.
La bête fut tenté d'attaquer aussitôt, ou de fuir, mais, à la manière du cerf, en un instant, il se retrouva entravé, enchaîné au sol.


« Un loup. Et un homme. En un. » La chose émit un gloussement narquois qui, avec sa voix caverneuse, rendait franchement sinistre. Une de ses griffes vint effleurer le pelage du loup. « La terre du berceau. La forêt de l'arbre. Oui, une belle bête, c'est certain. Tu as été crée d'une belle manière il me semble. Reste à savoir pourquoi tu es là... »

Le doigt de bois s'ouvrit alors en deux pour laisser paraître un os, décharné, tordu, horrible, qui se posa sur le front du loup. Celui ci tressaillit au contact, comme si l'os venait s'insinuer sous son crâne. Il s'effondra au sol quand la chose se retira.

« Une lune de sang. Oui, tu n'es pas le premier à venir ici pour cette raison. Seulement, regarde au dessus de toi. » Alors, le loup compris. Ses yeux ne pouvaient voir le rouge, mais l'astre nocturne était bien écarlate. C'était pour cela, que la lune lui avait parut différente. « Tu ne peux fuir Sélène. Par ce que tu es, tu lui appartiens. Chaque bête a son allégeance, et se droit de s'y tenir. C'est ainsi. Mais moi... » Une racine vint relever le museau du loup, forçant son regard à plonger dans les orbites vides du crâne de cerf. « Je pourrais t'aider. Seulement... Tu m'as grandement offensé, en me volant la chair de cette bête que j'avais capturé. Une bête comme toi d'ailleurs... »

Les yeux jaunes du loup s'écarquillèrent. Il revit la lueur si spéciale dans le regard du cerf entravé. Une lueur humaine. L'effroi l'envahit, tandis que la chose continuait. « Et en plus de cela, l'homme a cru pouvoir me tromper. Avec ça. »

Il sortit alors de nul part l'étoffe de soie que Aedelrik avait confié à la sorcière. Le crâne s'approcha alors, exhalant une odeur fétide de pourriture. « Il croyait vraiment que je saurais tomber dans un piège pour idiot ? Que je ne saurais différencier un original d'une copie ? Telle bête, tel homme. Quel que soit ta forme, ton être reste le même : trompeur, fourbe. Alors à quoi bon te dissocier ? »

A cet instant, le loup sentit une violente et soudaine douleur s'emparer de lui, dans chaque membre, chaque fibre de son corps. Il hurla. Il hurla sa souffrance, il appela la lune, supplia le monde entier de le soulager de son tourment, mais personne ne répondit. La bête se sentit changer, se transformer. Et pendant qu'il souffrait, l'autre scellait son sort. « Tu peux remercier ton amie, pour son geste. N'aurait elle pas donner d'elle même que tu ne serais jamais reparti d'ici. Mais son geste mérite mon indulgence. Bien, la lune ne te tourmentera plus. Mais en échange du cerf, je veux un tribu. De sang. Et cette fois, pas de tromperie... Ou bien mes racines te trouveront. » Aedelrik observa, à l'agonie, la chose disparaître dans l'obscurité, hors de la clairière, puis s'évanouit.
* * *

« Nous avons réussi. »

Le Renard leva difficilement une paupière, puis deux. Devant lui, Sakristi était tombée sur le sol, mais il lui semblait qu'elle se laissait surtout aller au soulagement. Lui aussi soupira, évacuant en un souffle la souffrance dont il venait de sortir... qu'elle fut réelle ou non. Avaient ils réussis, au final ? La sorcière, sans doute. Mais lui ?

Aedelrik se sentit idiot. Idiot, imbécile, con, inconscient... Une fois encore, il s'était cru plus malin que tout le monde, que des puissances supérieures. Par attachement stupide, il s'était refusé à sacrifier ce qui avait de la valeur à ses yeux et voilà qu'il se trouvait... enchaîné. Un instant, il pensa à prévenir Rougeagresse, à tout lui raconter, mais quelque chose l'en empêcha. Au final, elle l'avait sauvé. Toute la méfiance que le Renard avait à son égard était injustifiée, et c'était lui qui avait faillit causé sa perte... Ou bien l'avait il causé malgré tout ? Impossible de discerner ce qui pouvait bien se cacher derrière cet être effroyable mais ses dernières paroles résonnaient encore en échos de peur dans l'esprit d'Aedelrik. Celui ci, qui se sentait incapable de décevoir la sorcière, de soutenir sa colère légitime, ou sa déception, se contenta de murmurer.


« Oui. On a réussi. »

Un homme ordinaire n'aurait sans doute alors pas pu masquer sa crainte, son désespoir. Il aurait éclaté en sanglots et imploré les dieux de le pardonner pour son inconscience. Mais Aedelrik était plus terre à terre. Réalisant que la chose avait tenu parole, et qu'il sentait l'influence de la lune rouge sans qu'elle ne l'écrase comme auparavant, qu'il pouvait tenir tête à la lune, il se redressa et inspira profondément, avant d'expirer un air de liberté, laissant sa joie paraître sur son visage. Le principal était fait. Le reste trouverait sa solution plus tard ! Il demanda à la sorcière, enjoué,

« Tu serais en état de me détacher ? Ca sera plus pratique pour te payer. » Le Renard réalisa d'ailleurs que la sorcière n'avait jamais clairement annoncé son prix. Le prix du rituel, oui, mais il se doutait bien que ça n'avait rien à voir avec ce que Rougeagresse voudrait pour ses services. Il redevint un peu plus sérieux pour lui concéder, un accent de sincérité surprenant dans la voix, « Je te dois beaucoup, j'en suis conscient. Merci, déjà. Infiniment. Maintenant, que veux tu en échange ? »

Dieux, que ces chaînes pouvaient lui peser à présent !

« J'ignore ce dont peux avoir besoin une sorcière, ou ce que vous aimez posséder ? » Cependant, le Renard présumait que celles ci avaient ce réflexe humain d'aimer la richesse. Sur ce point, il avait de quoi la combler.


Sakristi


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Par les Esprits, sans doute aurait-elle du lui lancer un sort de mutisme plutôt que d’analgésie… Sakristi prit appui sur l’autel pour se relever, luttant contre ce bourdonnement qui lui sciait la tête et la nausée qui s’emparait d’elle. Lui, en tout cas, semblait s’être parfaitement remis, à en juger par son petit ton prétentieux. A moins qu’il ne s’agisse de soulagement ? La Sorcière n’était pas d’humeur à trancher.

« J’arrive, Gamin, laisse-moi un instant… » réclama-t-elle à Renard alors que celui-ci voulait qu’on lui ôte ses chaînes. Bien entendu, il cherchait à l’amadouer avec quelque récompense. Elle se tourna vers lui et commença doucement à marcher. Tomber d’épuisement une seconde fois serait trop douloureux pour sa fierté, surtout devant lui. Elle s’activa, toujours aussi doucement, à délivrer le rouquin de ses chaînes, toujours sans desserrer les lèvres. Sa main entaillée lui faisait un mal de chien, plus qu’une simple coupure. La magie l’avait cautérisée, comme jamais elle ne l’avait fait auparavant. Elle n’était pas dupe : la vie qu’elle avait versée n’était pas sagement restée sur l’autel. Elle la sentait, au-delà des murs de cette crypte. Et ça ne pouvait vouloir dire qu’une chose : son sang avait été utilisé pour sauver le médecin.

Renard sembla sentir la tension que Rougeagresse faisait régner entre eux, aussi brisa-t-il le silence.
« Je te dois beaucoup, j'en suis conscient. Merci, déjà. Infiniment. » lui lança-t-il alors qu’elle finissait de le détacher. Elle se releva, plantée devant lui, les yeux presque à la hauteur des siens, si ses jambes avaient été un peu plus longues. « Maintenant, que veux tu en échange ? J'ignore ce dont peut avoir besoin une sorcière, ou ce que vous aimez posséder ? »

« Par simple curiosité, j’aimerais te voir te retenir de pleurer en me déboursant les richesses que tu affectionnes tant. » Avait-elle enfin daigné répondre, de la voix d’une mère qui réprimande son enfant parce qu’il a fait une bêtise. Ce ton ne lui plût pas vraiment, aussi tâcha-t-elle de se faire plus dure, sans grand succès au vu de sa fatigue. « Mais je n’suis pas aussi cupide que certains. C’est pour ça que je ne te demanderai que des contacts pour obtenir quelques ingrédients… Spéciaux, si tu vois ce que je veux dire ? »

Elle retourna nonchalamment vers l’autel, et commença à ramasser ses affaires. Elle avait assez trainé ici comme ça. « Oh trois fois rien, des pierres, des herbes… Quelques animaux, pourquoi pas ? Ce que tu peux me trouver, en somme. » Bientôt, toutes ses affaires furent emballées. Une habitude vite acquise que celle d’être rapide à décamper. On ne savait jamais qui pouvait arriver tout de suite crier au loup. Un sourire cynique vint animer son visage, sous son masque, à cette association inconsciente qu’elle avait fait entre eux.

« En attendant, il y a bien quelque chose que tu peux me donner maintenant. Peux-tu tendre ta main ? » Elle attendit, voyant bien la méfiance dans les yeux du Renard. Pour une fois qu’il n’était pas complètement con. « Oh, allez, n’fais pas l’enfant : tu crois vraiment qu’une bonne-femme comme moi – affaiblie qui plus est – pourra ne serait-ce que te bousculer ? » argumenta-t-elle, le ton un peu plus léger. Voyant son hésitation, elle tenta d’agripper ladite main. Il ne se laissa pas faire, mais tandis qu’il était concentré sur la défense de ses membres, elle avait pu atteindre sa joue avec son athamé. Juste une coupure, nette, courte. Et juste une goutte de sang, qu’elle recueillit à même le sol, avant de la stocker dans un petit flacon, qu’elle rangea également.

« Le sang d’un traître, parfait ! » s’exclama Sakristi, vraiment enthousiaste, cette fois. Le message ne pouvait pas être plus clair : elle savait. L’athamé toujours en main, en cas de riposte, elle tourna le dos au Voleur et s’en alla retrouver – enfin ! – son lit au Bordel. « Je te laisse trouver Furet pour lui donner tes adresses. Et juste au passage, lave-toi avant. Elle a le nez délicat. » Après ces doux compliments, elle sortit, non sans se méfier d’un geste impulsif de colère.


Aedelrik


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A l'instant où le fer s'ouvrit pour relâcher le deuxième bras du Renard, celui ci sentit ses jambes le lâcher et il manqua de s'affaler sur le sol. Le contact froid de la pierre sur ses paumes lui fit un bien fou, tout comme la caresse de l'air qui remplaçait celle du métal rugueux. Comme il était bon de se sentir à nouveau libre, pensa t'il aussitôt. Libre et hors de danger pour l'instant. Quand bien même Aedelrik sentait une petite boule d'angoisse poindre au creux de son ventre, il s'efforçait de l'ignorer, espérant à tord qu'elle s'en irait vite. Qu'importait alors ce qui avait pu advenir cette nuit là ; l'essentiel résidait dans ce constat tout simple mais si plaisant : la lune rouge se trouvait désormais derrière lui. Du peu qu'il en savait à propos des astres et de leurs désastres, ce phénomène restait suffisamment rare pour qu'il ait le temps de profiter de la vie sans trop y penser. Sur ce point, il se sentait soulagé. En revanche, le ton que prit aussitôt Rougeagresse pour évoquer son payement ne lui plaisait guère.

Contrairement à son - lointain - cousin le chien ou son plus proche cousin le loup, un renard ne s'embarrasse pas de trop de sa fierté. Dés lors, par exemple, fuir un combat ou y crever ne relève pas tant d'un choix que d'une décision évidente et vite adoptée. Après s'être fait appeler Renard toute sa vie, Aedelrik avait fini par s'approprier l'animal et son caractère malicieux, hors-la-loi, immoral... Mais lui conservait ce sens de l'orgueil qui rend les hommes idiots et les pousse vers le danger quand ils pourraient l'esquiver.
Dans la situation qui était la sienne, un renard aurait entendu les provocations de la sorcière sans pour autant les écouter. Il aurait détourné le museau et se serait activé à reprendre des forces. Il aurait fait profil bas. Pas Aedelrik.


« De quoi ? » Grinça-t-il, à l'évocation de possibles pleurnicheries.

Il ne pleurait pas, jamais, et détestait même qu'on puisse ne serait-ce que l'envisager. A ce moment là, le voleur se sentait prêt à oublier ce qu'il venait d'entendre. Il mettait cette pique sur le compte d'un comportement de sorcière, ou du caractère de Rougeagresse en particulier. Tandis qu'il se remettait douloureusement sur pieds, un grognement sourd partit du fond de sa gorge. Signe d'agacement prononcé contre la moquerie qui le visait, ou de la douleur qui le paralysait encore légèrement aux endroits où le fer l'avait enserré dans son étaux ? Difficile de le dire. La suite devait fournir une piste plus claire.

Le mot le fit à nouveau tiquer. "Cupide". Il avait toujours haït ce mot, son hypocrisie. Comment, par les déesses nues, pouvait on ne pas être cupides dans un monde où l'argent réglait tout ? Quel sens caché y avait il à refuser ce qui rendait la vie belle et agréable ? Faisait on procès aux marchants pour enrichissement ? Crachait on sur le prêtre qui récoltait la dîme de l'Eglise après les récoltes ? Alors pourquoi lui envoyer sans arrêt à la figure, comme un gant jeté pour le provoquer, qu'il était
cupide ?! Il n'écoutait déjà qu'à moitié quand Rougeagresse lui décrit vaguement le prix qui serait le sien. Sa réponse fut brève, tranchante,

« Tu auras tout ça. »

Quelques instants auparavant, il lui aurait promis ce qu'elle voulait par montagnes, et bien plus encore, tout à sa gratitude envers elle. Mais Aedelrik avait pris la mouche, et il ne pensait qu'au moment où elle voudrait bien s'en aller et l'épargner de ses traits d'esprit assassins.
Aussi, lorsqu'elle exigea qu'il lui tende sa main, son sentiment fut partagé. D'un côté, toutes les histoires qu'il avait entendu sur les sorcières lui conseillaient de ne rien en faire, de bien se garder d'accéder à ce genre de demandes tordues, que seul un malheur pouvait en sortir. Aussi, de prime abord, il résista. Mais de l'autre côté, il sentait bien qu'elle ne lâcherait pas facilement, qu'il n'en serait débarrassé qu'une fois satisfaite. Cela se sentait dans ses gestes ; vifs, durs. Alors il consentit à tendre sa main.


« Aie, salope ! »

La lame l'avait cueillit par surprise, à la joue, là où il ne l'attendait pas. Tandis que Rougeagresse s'affairait à sa récolte, le Renard eut un instant de recul, et d'incrédulité. Un instant de blanc dans son esprit, comme si ses émotions étaient une mer et cet instant, le reflux de la marée qui laisse la plage libérée du ressac. Et puis, de la même manière qu'une vague finit toujours par revenir, sa colère jaillit lorsqu'il entendit le fameux mot,

« ... Traître... »

Elle lui feula au visage une suite de mots qu'il n'entendit même pas, en guise d'adieu, et s'en retourna. L'espace d'une seconde, Aedelrik resta planté là, alors que la sorcière quittait la pièce, les yeux écarquillés, en proie à un émotion glacial, mais pas moins dangereuse. Et puis son regard s'attarda sur la porte, et il explosa. De colère, envers elle. D'angoisse, de rester enfermé entre ces murs. De peur, que le vol de son sang ne soit funeste. Alors, il courut après elle.

Malgré ses jambes fatiguées, il bondit en quelques pas hors de la pièce, claqua violemment la porte derrière lui, la vit à quelques mètres et la chassa comme le loup l'aurait fait. En quelques bonds, il était sur elle, tentait de la saisir aux poignets pour écarter le danger de son couteau vicelard, pressait de tout son poids sur elle pour la plaquer contre la parois du mur. Elle lui rendait bien ses coups, d'ailleurs, mais lui en avait vu d'autres. Après des années à se prendre des coups de matraques, on apprends à ignorer la douleur dans le feu de l'action. D'autant qu'il était alors toute à la satisfaction de ses mauvais sentiments. Cela se sentait dans sa voix,  rauque, caverneuse.
« T'as vraiment cru que tu t'en irais comme ça, après m'avoir volé ? » Il plaqua son bras contre sa gorge, remontant de fait son menton afin que leurs regards se croisent, « Première règle que je vais instaurer dans cette putain de ville : on ne me baise pas. Jamais. Et la deuxième ; on ne m'appelle jamais traître. »

Ce mot avait fait naître dans ses yeux une lueur enragée, un feu follet jouant au funambule sur le bord du gouffre de la folie. Aedelrik se sentait ivre d'une colère massacrante, propre aux actes les plus définitifs. Il eut soudainement envie de goûter à cette chair appétissante. De faire de Rougeagresse le fruit d'une chasse, l'objet d'un festin, de goûter sa saveur en bouche...
Et puis d'un coup, la lueur le quitta. Il réalisa ce qu'il venait de penser, prit conscience de ce dont il avait eu envie et, se retournant en même temps qu'il tombait sur le sol, il vomit. Il avait sentit la faim du loup, avait désiré manger de sa propre espèce, l'espace d'un instant. C'était trop à encaisser d'un seul coup. Et il resta là, prostré, avant de finalement oser un regard perdu vers la sorcière. Un regard d'enfant.


Sakristi


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Provocatrice comme elle l’avait été, elle aurait du le voir venir… Mais c’est à peine si la Sorcière réalisa ce qui était en train de se passer au moment où son dos rencontra la pierre, et sa face l’étreinte menaçante du Renard. La peur bandait ses muscles, mais trop d’années de silence l’empêchaient aujourd’hui de fermer sa gueule de vipère quand la solution l’exigeait pourtant.

Fort heureusement, son souffle encore coupé empêcha sa réplique de sortir. A présent que son arme principale – sa langue acérée – était inaccessible, Sakristi avait peur. A quelques centimètres, Renard avait tout à fait le pouvoir de découvrir ce qu’il y avait derrière son masque de Rougeagresse. Il n’avait qu’à tendre le bras.


« T'as vraiment cru que tu t'en irais comme ça, après m'avoir volé ? Première règle que je vais instaurer dans cette putain de ville : on ne me baise pas. Jamais. Et la deuxième ; on ne m'appelle jamais traître. » Et galère. Très clairement, le bonhomme s’était senti menacé dans sa petite supériorité, alors il fallait grogner un coup pour se sentir un peu moins castré ? « Je n’ai fait que me rembourser, mon Mignon, c’est de mon sang que j’ai du verser pour protéger ton ami… » se défendit-elle, la voix étranglée. Le sang. Voilà tout le désir qu’elle put lire dans les yeux qui la transperçaient.

Tout ce qu’elle se sentit capable de faire fut de fermer les siens. Par tous les moyens elle tâcha de se fermer à l’Homme et de s’ouvrir à ses dieux qu’elle était désormais certaine de retrouver d’ici très peu de temps. Si elle priait, peut-être que la douleur serait moindre ? Et pourtant, elle ne vint pas. Puis, en revenant tout doucement à la réalité, elle réalisa que si elle ne sentait plus la poigne du brigand sur elle, c’était qu’il l’avait tout bonnement lâchée.

Elle s’écarta précautionneusement du mur, tant qu’il lui tournait le dos. L’espace d’un instant, elle eut envie de fuir, de prendre toute l’avance qu’elle pouvait pendant ce bref moment de faiblesse de la part de l’animal à la forme hylienne. C’est alors qu’une grosse voix bourrue raisonna dans sa tête, venant tout droit de ses souvenirs de Cocorico.

« Nope Krisi, j’t’ai bien dit ed’pas courir ! C’brave ‘tit gaillard, il a quat’ pattes, l’ira plus vite que toi ! » Evidemment. Ne pas courir pour fuir un canidé, mais lui faire face. En se remémorant ce qu’il avait failli lui faire en face à face, elle frissonna à l’idée de lui tourner le dos. D’autant qu’il la regardait à présent. Mais la rage qu’elle avait vue faisait à présent place à une toute autre expression. Il lui en tira presque un peu d’empathie. Il était doué ce salaud.


« Je vois que le Grand Méchant Loup n’est pas à contrarier… » ironisa-t-elle, un peu vexée, et surtout encore toute tremblante. Elle tendit une main vers lui, trahissant la frayeur par laquelle elle venait de passer. « J’ai tendance à oublier que je ne suis plus là où j’ai grandi. Ici les gens ont vécu. » Elle brassa l’air, comme si elle caressait sa joue à distance, tout doucement. Elle était rancunière, mais d’un certain côté, elle était intriguée par ce personnage tantôt dépendant, tantôt maître dans son environnement. « Tu as sûrement tes raisons pour être comme tu es, et p’t’être bien que j’aurais pas du te brusquer… M’enfin voilà. » S’excuser ? Mais quelle idée !

Elle s’arrêta, comme perdue dans ses pensées.
« Je… Une nature à cacher, ça doit pas être très facile. Rien que des croyances… » Elle ne s’attarda pas plus. « Furet a apprivoisé un rongeur qui pourrait devenir le roi des prédateurs, comme toi, il y a peu. Vous pourriez peut-être vous prendre mutuellement sous vos ailes. » Au ton de sa voix, l’idée lui semblait des plus intéressantes. « Mais si l’envie de me tuer te reprend, je te prie de le faire très rapidement, ou bien de te raviser tout aussi vite. »


Aedelrik


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Un tribut de sang. C'était donc cela que signifiait les mots étranges de... la créature. Sentir qu'on ne se contrôle plus, se laisser aller à une faim dévorante contre sa volonté propre, s'en prendre à d'autres au point de vouloir faire un festin de leur chair. Aedelrik eut un nouveau haut le coeur, écoeuré par la simple pensée de manger de la viande humaine. C'était trop pour lui. Il n'avait pas demandé ça. Si seulement sa transformation avait évoluée comme celle de Keith...

Mais il ne servait à rien de rester prostré sur le sol, à contempler son vomi, tandis que ses yeux s'embuaient. Ce dernier point suffit à le faire se ressaisir. Inspirant un grand coup, le voleur se retourna vers la sorcière, chez qui il crut déceler un sentiment auquel il ne s'attendait pas, pas après une telle agression. Il se redressa, bien décidé à ce qu'elle ne le prenne pas en pitié. Néanmoins, il écouta avec la plus grande attention ce qu'elle disait ensuite. Comme d'ordinaire, elle ne parlait pas clairement et le Renard devait s'accrocher pour tout suivre. Elle avait ce trait commun aux esprits vifs qu'ils pensaient plus vite qu'ils ne l'exprimaient. Il fut cependant intrigué par la notion d'un
rongeur qu'elle disait prédateur, comme lui. Finalement, Aedelrik avait retrouvé son état normal, bien que toujours en prise à ses émotions, lorsqu'il lui répondit,

« Je... Désolé. Je ne voulais pas. Le contrecoup du rituel, je pense. » Etrangement, c'était la seconde fois qu'il s'excusait d'avoir manqué de tuer quelqu'un dans cet endroit. Il pensa ironiquement qu'il faudrait faire attention à ce que ça ne devienne pas une habitude. D'autant que les mots ne rattrapent pas toujours les gestes, et que certains le prennent plus mal que d'autres. Le visage de Lukrèce lui revint en mémoire, mais il l'écarta. C'était se faire violence que de s'en souvenir, étant donné sa colère à l'égard du Renard... Et elle avait de quoi. « Ton rongeur apprivoisé, je veux bien le rencontrer, mais tu penses vraiment qu'il peut m'aider à aller mieux ? »

A vrai dire, Aedelrik avait toute les raisons d'en douter. Plus les secondes passaient et plus son passage dans cette forêt maudite lui revenait, par bribe de souvenirs tous plus inquiétants les uns que les autres. Le tout dernier, qui venait de surgir dans son esprit, c'était le regard du cerf pris dans les racines, qu'il avait égorgé. Dans cet oeil, il avait lu de la peur, une terreur proche de la démence, même. Mais envers qui ? Le loup, ou le démon ? A cette pensée, l'atmosphère de ces cryptes sombres et poussiéreuses lui parut insupportable et il demanda à la sorcière. « Tu m'accompagnes au dehors ? J'aimerais pouvoir me sortir ce qui s'est passé ici de la tête. »

Le Renard fut silencieux sur le chemin, trop pressé de sortir de là pour essayer de paraître calme et maître de lui. De fait, il aurait sans doute été incapable de jouer ce jeu là dans cette situation. Il sentait encore ses mains trembler et sa langue se promenait régulièrement le long de ses dents pour s'assurer de la forme de ses canines. Lorsque finalement, ils parvinrent au dernier escalier, Aedelrik tira la chaîne et accueillit avec un soupire soulagé la lumière du soleil sur sa peau.
Le cimetière était vide, mais au delà, le temple semblait en pleine activité. Une cérémonie s'y déroulait sans doute. Si il s'agissait d'un enterrement, lui et Rougeagresse n'avaient plus beaucoup de temps à passer seuls et tranquilles dans cet endroit. Il se retourna alors vers elle, et il sortit d'une de ses besaces un objet sur lequel il referma son poing, tout en déclarant,
« Merci pour tout. Tu m'as aidé comme personne ne l'aurait pu. J'ai un peu honte des préjugés que je pouvais avoir sur les sorcières, et puis surtout pour... Enfin voilà, j'aimerais que tu prennes ça. »

Il tendit sa main et l'ouvrit pour révéler un bijou d'un genre particulier ; un pendentif en or, en forme de scarabée, dont la carapace était taillée dans une grande émeraude. Des inscriptions se lisaient sur tout le pourtour en or, et sur les pattes. L'ensemble avait l'air de sortir de l'établi d'un maître. Aussitôt, Aedelrik expliqua, « Un marchant étranger me l'a laissé en gage, un jour. Doklas est persuadé qu'il est magique, alors je voulais te demander de l'examiner mais... il me semble qu'il sera mieux entre tes mains. Prends le, avec mes excuses. »

Les cloches du temple se mirent alors à sonner, et le voleur avait vu juste ; il reconnu la sonnerie typique des processions au cimetière. Mieux valait qu'ils ne traînent pas à proximité de la planque. Déjà que leur présence dans le coin réservée aux vieilles familles ne manqueraient pas d'attirer l'attention... « Alors, je le rencontre où ce rongeur ? » Aedelrik retrouvait presque son air habituel, et son sourire.


Sakristi


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Elle resta là, incrédule, à contempler cet homme qui contemplait le sol, souillé par son vomi. Etrangement, ces associations de sens la renvoyèrent à sa précédente condition de mère. Tristan et Léonor vinrent hanter sa mémoire et sa conscience un instant. Fort heureusement, Renard choisit ce moment pour sortir de sa torpeur, et l’extirper ainsi de la sienne.  « Ton rongeur apprivoisé, je veux bien le rencontrer, mais tu penses vraiment qu'il peut m'aider à aller mieux ? » avait-il demandé.

A aller mieux ? Exigent, ce Renard, par-dessus le marché.
« Je sais qu’il tient plus du fauve en cage que du rongeur qu’il croit être. Cette cage le prive d’une partie de lui-même qu’il pourrait être, et lui fait mal. Il en est réduit à faire des choses qui le dégoutent pour survivre. » Rougeagresse avait décrit le garçon de manière très plate, presque sans pitié. Elle donnait l’impression de commenter brièvement une marchandise quelconque sur un étal de rue. « Alors je ne sais pas ce dont tu as besoin pour aller mieux, Renard. Mais avoir près de toi quelqu’un qui comprend ta peine sans que tu n’aies à lui expliquer… C’est une expérience qui peut se tenter. » Pour sûr, si Rougeagresse gardait son ton dépourvu de toute émotion, Sakristi intégrait parfaitement ces paroles. Depuis toujours, elle avait agi dans son coin, quand ses semblables se réunissaient pour décupler leurs enchantements. Elle avait tout, sauf ce « quelqu’un » qu’elle se proposait d’offrir au voleur sur un plateau.

« Oh et… » ajouta-t-elle pour combler le silence qui venait de s’installer entre eux, « …sa belle gueule ne sera pas sans utilité auprès de potentiels collaborateurs qui signent les accords sur l’oreiller. Toi y compris, si tu manges de ce pain-là. » Un petit sourire accompagna le souvenir de leur dernière rencontre, sur ledit oreiller.

Renard demeura silencieux, accusant toutes ces nouvelles informations. Il semblait peser le pour er le contre, et Sakristi n’essaya pas d’accélérer sa réflexion. Au moins lui démontrait-il qu’il savait réfléchir, ce dont elle avait douté pendant un temps. Elle le suivit dehors, et tous deux semblèrent soulagés de respirer l’air frais du cimetière. Là, leurs regards se posèrent sur le monde qui n’allait pas tarder à arriver sur eux, avant de se croiser à nouveau. Leurs chemins allaient bientôt se séparer.

Le rouquin remercia la Sorcière, et lui offrit un bijou en gage de sa reconnaissance. Il s’excusa également. Sakristi n’en attendait pas tant, mais elle se perdit dans le contemplation du présent de son client aux demandes particulières.
« Merci Renard, vraiment. Si tu venais à recroiser Furet, je lui donnerai les informations que je saurai en tirer, au cas où cela t’intéresserait toujours. » Elle accompagna ses paroles d’une légère courbette. Pour sûr, elle était soufflée.

Mais bientôt, elle sentit quelques vapeurs de fierté revenir dans l’air, et elle sut que Renard n’allait pas tarder à puer à nouveau l’arrogance. Même si un sourire sur ce joli visage n’était pas des plus déplaisants, elle en convint volontiers. Elle se surprit même à répondre à son sourire.


« Alors, je le rencontre où ce rongeur ? » Elle se mordit la lèvre, un peu hésitante. Si elle connaissait les réactions de Negaï à l’avance, elle préférait ne pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué (C’est pas personnel, Lanre, t’inquiète !). « Nous avons donné à l’animal ce dont il avait besoin pour découvrir l’étendue de ses capacités. Quand il voudra y goûter à nouveau, il reviendra voir Furet. A ce moment, si tu es d’accord, elle le renverra vers toi, où tu voudras, et quand tu voudras. »

Des pas dans leur direction les alertèrent. « Je te demande de me faire confiance une dernière fois ! » lança-t-elle, agitée, alors qu’elle fouillait dans une des petites bourses accrochées à sa ceinture. Une fois n’étant pas coutume, elle souffla rapidement une poudre au visage du Voleur, avant d’enlever son masque. La drogue déformerait la vision du Renard pour que son visage se fonde à celui d’un être désiré par celui qui l’avait consommée. Au vu des goûts du Renard, elle devait se trouver fort belle suite à ce petit tour. Elle se jeta alors à sou cou pour l’embrasser. Il semblait bien raide, n’ayant pas eu tellement le temps de comprendre. Mais au moins avaient-ils l’air de deux amants sur le départ plutôt que de deux personnes ayant préparé un mauvais coup. « Tu me manques déjà, mon Amour ! » lui lança-t-elle assez fort pour être entendue, avant de partir en courant vers le Bordel.