Posté le 06/08/2018 02:50
Le contact de la main de la princesse sur l'épaule de Llanistar agit à la fois comme la pire des blessures et le plus efficace des onguents, sur le soldat fatigué et las qui dérivait jusque là à la frontière de son épuisement et de ses angoisses. Drôle de chose qu'une trahison apaisante, surtout pour le dernier des Rusadirs ! Lui qui avait reçu plus que son lot de couteaux dans le dos, de ses proches comme d'un roi du monde, il se retrouvait par le pouvoir de sa souveraine confronté à la clé du mystère qui le tourmentait depuis des semaines ; Comment avait il pu échouer à garder prisonniers des ennemis du royaume ?
La réponse lui fit mal autant qu'elle dégonfla au creux de ses tripes une angoisse nouée depuis cette fameuse nuit, et que des jours entiers de traque infructueuse n'avaient pu apaiser. Llanistar eut envie de se lever, de s'en aller, furieux, de ne jamais revenir avant d'avoir réparé ce qu'il persistait à voir comme une erreur... Et en même temps, il sentait un désir profond de se retourner, de se jeter dans les bras de Zelda, de lâcher enfin des larmes où il laisserait sa lassitude et ses tourments couler hors de lui. Tiraillé entre les deux, il ne fit rien. Il écouta. Autour d'eux, le temps semblait ralentir à l'oeil nu, la fontaine était rendue silencieuse, l'air se trouvait comme alourdi... Le général ignorait si la tête du royaume usait de son pouvoir pour le calmer, mais il ne pouvait s'empêcher de l'être et ne s'en plaignait pas.
Entendre sa reine lui donner la clé du mystère, la sentir en maîtrise de la situation... Cela l'aida à encaisser le coup. Bien sûr, Llanistar lui en voulait toujours, surtout de ne pas lui en avoir parlé, de ne pas l'avoir consulté ou même informé à posteriori ! Mais lorsqu'elle s'en excusa, il lui trouva de lui même une bonne raison. Il se souvenait assez clairement de son départ du château ; A peine quelques heures après l'évasion, seul et dans l'anonymat, empreint d'une fureur comme il en avait rarement connu. Zelda n'aurait sans doute pas pu imaginer une telle réaction. Alors, il garda le silence, accepta ses excuses d'un signe de tête, et écouta.
Jusqu'à ce qu'elle lui demande son conseil.
Llanistar releva la tête, pour la première fois depuis un long moment. Il croisa le regard de sa reine et, fait surprenant, n'y lut aucune ironie. Il poussa lentement, très lentement, la porte de son esprit, offrant un passage à la lumière intense qui irradiait d'elle et il ne vit que sa sincérité, et sa bienveillance. Il crut, pendant un instant, qu'il allait s'autoriser un geste indécent pour son rang, mais un écho de souvenir fit passer l'ombre du visage d'un tyran sur celui de Zelda, et il se ravisa. Sa gorge se serra, en se remémorant ce que vaut une parole vraie pour un roi. Le général eut alors envie de se réfugier derrière le meilleur bouclier qui soit ; un beau mensonge, séduisant et plaisant à l'oreille. Mais non. Il était trop las, trop épuisé. Orpheos lui manquait, tout comme d'autres qui lui auraient craché à la figure par haine de la duplicité et des mots faux. Le premier avait beau être loin, et les autres encore plus, certains même là dont on revient pas, leur souvenir agissait comme un regard empli de jugement. Llanistar ravala alors sa lâcheté et déclara à Zelda Nohansen Hyrule,
« Je ne peux pas approuver votre geste, ma reine. J'ignore ce que Swann Dragmire vous a promis mais j'ai connu des vipères de son espèce par le passé... Le pire de leurs poisons passe par leur langue. Elle a obtenu sa liberté, et vous n'avez obtenu d'elle qu'une promesse qu'elle n'aura aucun mal à rompre. » La charge était rude, le ton à la limite de l'insolence, et sans doute y avait il dans sa voix trop de cette émotion qu'il cherchait à taire. Après avoir lâché de tels mots, il se leva, comme si il n'osait soudainement plus soutenir le regard de sa souveraine. Cependant, ce qui suivit ne fut pas plus violent. Ce fut, en revanche, bien dur à admettre, et à dire. « Mais mon avis, vous devriez le jeter au caniveau. »
Contre toute son éducation, contre toute son expérience, et tout son caractère, Llanistar était en train d'admettre qu'il avait eu tord. Et, avec du recul, la perte de sa main avait sans doute été moins douloureux.
« Quand je vous ai rencontré la première fois, j'ai promis d'être le bouclier de votre royaume... le votre. Vous vous souvenez ? C'est encore ce que j'essaye d'être aujourd'hui. Et quel bilan ! » Ricanant, les bras ouverts comme pour désigner la place endormie autour de lui, et au delà, Hyrule tout entier. « Quels résultats épatants ! Époustouflant, le général ! Brillantes, ses stratégies ! Légendaires, sa ruse et son astuce ! Et alors cette chasse à l'homme en solitaire, quelle idée visionnaire ! »
Il avait fini le souffle court, incapable de hurler à plein poumons, ainsi qu'il en aurait eu besoin. Comme si, d'un coup, les reproches que lui faisaient la plupart des sujets de Zelda lui semblaient si méritées qu'il se devait de se les infliger lui même. Pourtant, cette tirade ne provoqua plus en lui l'abattement des autres fois. C'était une chose de se lamenter devant un verre bien rempli, mais ce soir là, il se trouvait en toute autre compagnie. Cette fois, Llanistar allait affirmer sa volonté d'en tirer une force. Il se retourna et fit face à sa reine. Sa voix était fatiguée, éraillée, lasse, mais derrière cette façade, le général avait retrouvé une étincelle dans le regard.
« Majesté, j'ignore tout de cette Triforce. La magie m'est largement inconnue. Je ne sais rien des forces qui semblent décider du destin de nous tous dans cette guerre, et c'est trois fois mon tord. J'ai méprisé tout cela, parce que j'étais sûr de mon savoir et de mon expérience. Mais Hyrule n'est pas le reste du monde. Ce qui se passe ici... ne concerne pas que votre trône. Le tyran nous menace tous, qu'importe nos frontières. » Un instant, son esprit dériva vers son monde. Ses amis, restés là bas. Son pays. La simple idée de les voir brûler à cause de Ganondorf lui fit serrer les poings de colère. Lorsqu'il poursuivit, sa voix avait retrouvé de sa force. « Ma reine, j'ai longtemps regardé de haut votre intérêt pour ces pouvoirs mystérieux... C'est terminé. Je suis votre bouclier, votre serviteur. Je vous sers, avant de servir mon orgueil et mes certitudes. Et si vous y attachez autant d'importance, si vous pensez que cela vaut que Swann Dragmire retrouve sa liberté... Alors je vous suis, jusqu'au royaume des morts s'il le faut. Je passerais mes nuits à retrouver ce que notre ennemi a volé, et je n'aurai de cesse que Link en redevienne le porteur ! Vous comptez sur m... »
Alors qu'il s'approchait, la fatigue le fit trébucher et il tomba sur un genoux devant elle. Au dernier moment, il se raccrocha à une de ses mains. De l'extérieur, il eut sans doute l'air d'un piètre chevalier, fort peu semblable à ceux des contes. Mais ce que vécut Llanistar à cet instant avait tout d'un récit de légende.
Dans sa chute, il avait ouvert son esprit, sans même s'en rendre compte. Et à ce simple contact, il plongea dans un océan de lumière. Alors que, d'ordinaire, le pouvoir de Zelda l'aveuglait comme le soleil au zénith, le général ne ressentit qu'une lueur douce, apaisante. Fasciné, il eut des flashs, des bribes de vieilles émotions, des fragments de souvenirs... Rien de concret ni de très lisible. Mais au coeur de tout cela, comme le fil rouge d'une histoire, il saisit des sentiments forts ; le devoir, la bienveillance, l'amour, l'espoir. Tout cela résonna alors si fort en lui qu'il se décrocha, ne pouvant en supporter plus.
Lorsqu'il revint au monde réel, pas plus d'un instant avait passé. Llanistar avait lâché la main de Zelda. Il sembla comme ailleurs jusqu'à ce que sa monture ne hennisse soudain, inquiète de le voir immobile. Il finit par sourire, presque tristement, non sans douceur. Comme un enfant, soulagé de voir un secret révélé, quitte à se faire punir en conséquence.
« Vous l'avez senti, n'est-ce pas ? Je vous ai perçu répondre. La plupart des gens en sont incapables. Je peux capter leurs émotions, lire en eux pour certains, les comprendre quand ils ont des esprits simples. C'est un don, et une malédiction. » Il désigna son crâne du doigt. « Le don est là dedans, depuis ma naissance. Avec le temps, il grossit. Un jour il... » Llanistar se tut brusquement, l'oeil trouble. Certaines choses ne méritaient pas que l'on mette des mots dessus. Des mots trop douloureux. « Je vous l'ai caché, comme à tous. Les gens deviennent... méfiants, quand ils savent. Et la méfiance les pousse parfois à des extrémités. Forcément, ça ne me pousse pas à accorder ma confiance aisément. »
Lentement, comme si il ployait sous le coup d'un fardeau, Llanistar se releva et déclara, avec un brin de malice, à sa reine. A l'enfant chargée du poids du devoir qu'elle avait été et à la souveraine qu'elle était.
« Mais je pense que, sur ce point, nous sommes deux. »