Posté le 31/10/2013 20:12
Un par un, il plia et déplia l'ensemble de ses doigts. Au fond de sa main reposait encore une puissance qui ne semblait pas vouloir le quitter et qui rendait sa situation des milliers de fois plus attirante que celle de n'importe quel autre homme présent sous les toiles de la tente. Certains pleuraient, d'autre toussaient tandis que certains n'avaient plus même la force d'agoniser autrement qu'en silence. Lui avait ce sang qui lui couvrait les paumes, mais aussi cet espoir qui brûlait aussi fort que vif entre ses poings.
Sans doute, un jour, serait-il amené à sourire de nouveau – voir à rire – et c'était cet avenir là, encore plausible, qui lui interdisait de se laisser abattre. Par respect pour tous ceux qui étaient tombés, pour tous ceux qui tombaient et ceux qui les rejoindraient. Contrairement à tant d'autres, autour de lui et plus loin, il vivait et possédait encore ce qu'il avait de plus précieux. Le Rusadir lui même avait perdu là où lui semblait aussi intouchable qu'intouché. Certes, marcher relevait de l'épreuve de force ; bien entendu, il aurait été incapable de tenir une lame droite sans vaciller au bout de quelques instants et évidemment le simple fait de respirer lui était devenu particulièrement douloureux. Mais tout cela n'était, au fond, que des détails. Il finirait par se relever. Il se relevait toujours, quand bien même le courage ou la foi l'abandonnait. Parfois, il en arrivait à se demander si sa main lui appartenait véritablement, tant il avait l'impression qu'elle était guidée pour frapper au coeur du Seigneur du Malin. Comme si, quoiqu'il arrive, le choix ne lui appartiendrait pas de laisser l'épée de côté ou de continuer le combat.
Il soupira, tâchant de se vider l'esprit. Pour l'heure la bataille était terminée, et il ne souhaitait pas s'ombrager le crâne avec les sombres pensées qui l'envahissait depuis qu'il avait entendu la Princesse hurler son effroi au plus profond de sa tête. L'Hylien porta l'index et le majeur de chaque main à ses tempes poissées de sueur et de sang, de la même façon que certains se massent en cas de migraine qui, d'ailleurs, ne tardait pas à venir le titiller. Il aurait voulu cesser de penser, mais si la colère qu'il nourrissait à l'égard de la souveraine se taisait au fur et à mesure que son entourage l'aidait à réaliser sa chance, une certaine aigreur envahissait sa bouche. Ce parfum typique d'une douleur autrement plus ardue à endurer que la morsure du givre ou que le fil de l'acier. Une douleur qu'il souhaitait plus que jamais enterrer. Sans parvenir à mettre précisément le doigt sur ce qui le blessait à ce point, il avait le sentiment d'avoir été purement et simplement abandonné par Zelda. Aussi souvent qu'il ne tirait le fer au clair, il était prêt à mourir pour elle. Et... en prenant un risque pareil, elle balayait tout ce pourquoi il se battait. Un gout aussi âpre qu'amer ternissait sa langue, son palais, mais aussi son coeur. Alors qu'il ramenait ses mains près du petit feu de camp, pressé de s'effondrer dans un sommeil aussi lourd que noir et propre à l'oubli, il ne pouvait s'empêcher de se demander si son amie avait conscience du sacrifice auquel il était prêt pour elle ; et si elle y prêtait la moindre importance. Un doute malsain et pervers s'insinuait doucement, sans qu'il ne parvienne à le repousser.
Un pan de tissu finit par s'écarter, alors qu'il essayait de se concentrer sur les voix pour mieux s'isoler de tout le reste, et dévoila un visage qui parvint à lui tirer un sourire. Le soulagement chassa doucement la rancoeur, quand le visage enfantin de Flora s'avança vers lui. Il n'esquissa pas un mouvement, mais il fut heureux de voir qu'elle ne souffrait de rien, sinon la fatigue. Il aurait pu mille fois se maudire d'avoir une idée aussi idiote que de l'emmener avec lui, mais pour une fois, il fut tenté de croire que les Déesses avaient daigné le placer sous leur protection. Il devait le concéder, que la Prêtresse n'ai rien tenait presque du miracle. « Flora...? — Tu va bien ? » Lâcha-t-il, du peu de voix qu'il lui restait. Sous le joug de la colère, il avait trouvé la force de crier, mais dorénavant, il lui semblait que son ton n'était rien de plus qu'un tas de sonorités discordantes. Si la parole avait été le doux voyage d'une main sur un luth, il se serait représenté brisé, avec les seules cordes pour assurer une liaison entre les deux parties de l'instrument.
Le vagabond ne put réprimer un frisson quand les mains de l'avatar de Nayru rencontrèrent son visage. Non seulement car il n'avait pas un instant pensé qu'elle viendrait un jour chercher pareil contact, mais aussi parce que c'était quelque chose qui ne lui serait jamais venu à l'esprit : il n'avait jamais été de ceux qui se laissait aller et s'épandaient en caresses et étreintes. Les rares fois où son corps en rencontrait un autre, c'était dans le sang et les cris. Pour autant, il ne broncha pas plus. Il avait cette intime conviction que la Prêtresse ne l'avait pas entendu, et qu'elle le croyait plongé dans un état de léthargie, ou convalescent. Peut être l'aurait-il préféré, en vérité, tant cet élan de tendresse le mettait à mal. Plus les mains de l'enfant de Foi parcourait son visage, plus son malaise grandissait. Il savait pourquoi elle était dans cet état et savait à quel point il était coupable de sa faiblesse. Il esquissa tendrement un geste pour la serrer contre lui, quand elle cessa de naviguer sur son faciès, avant que la déchirure béante qui marquait son épaule ne le ramène brusquement à la raison. Sa nuque se brisa, tandis que dans un réflexe, il se recroquevillait tant bien que mal.
Ses doigts se crispèrent sur l'étoffe qui dormait sur son genou. Sans qu'il ne s'y soit attendu une seconde, l'Hiver avait frappé plus durement que jamais, sous les mains de Flora. Le râle s'effondra dans sa gorge, avant d'avoir pu sortir, tandis qu'à chaque vague de froid qui attaquait ses plaies comme autant de couteaux de glace ses dents grinçaient suffisamment vilainement pour qu'on puisse s'inquiéter de l'état de sa mâchoire. Par les Dieux, ça n'était jamais plus qu'un supplice qu'il endurait après chaque affrontement, chaque fois en se sentant vieilli de dix ans.
L'Enfant-des-Bois aurait été incapable de dire comment il avait fait pour rester conscient, mais quand les assauts cessèrent, il voyait encore. Un voile opaque avait recouvert sa vue sans l'obstruer tout à fait, et des nuages s'échappaient de ses lèvres comme au coeur de l'hiver. Son bras ne le brûlait plus autant qu'auparavant et il ne sifflait plus à chaque respiration. La tête lui tournait comme rarement, certes, sa cuisse le faisait presque gémir et il lui semblait qu'une côte s'était détachée du reste, cependant les soins étaient terminés et il en était soulagé. Son amie s'était effondrée dans ses bras, désormais capables de se refermer contre elle. Il garda un instant le silence, plus inquiet pour elle que reconnaissant. Le givre qui dansait dans ses yeux ne tarda pas à descendre jusqu'au visage de la jeune fille en passe de devenir une femme. « Excuses-moi.. — » Murmura-t-il, tout en sachant pertinemment qu'elle ne l'entendrait pas ; et en remerciant le ciel de ne pas avoir à affronter cette situation immédiatement. « Je... Je n'aurais pas du te jeter au milieu des affrontements. J'en suis désolé, Flora, vraiment... Si tu... — » Il s'arrêta un instant, la bouche encore ouverte, avant de la fermer, puis de l'ouvrir une seconde fois, inspirant profondément. « Tout... Tout est de ma faute. J'espère que tu pourras me le pardonner. »
Une seconde fois, il se résigna au silence, avec la désagréable impression de parler trop ; et dans le vide. Il ferma les yeux, en la serrant toujours contre lui, comme pour la protéger de ce qui ne risquait de toute façon plus d'arriver.
Une voix le tira à nouveau loin de tout ça, et il se ressaisit doucement. Cherchant du regard ce nouveau personnage entré sur la grande scène des blessé de guerre, il finit par croiser une jeune femme d'une vingtaine d'années, qui lui rappelait étrangement quelque chose. Elle jeta un regard à l'homme qui avait accompagné la Prêtresse quand elle était venu vers lui, et ce dernier vint la récupérer pour l'emmener dans un endroit manifestement plus tranquille. Link laissa l'enfant changer de bras sans y opposer de résistance, conscient qu'il était impératif qu'elle prenne un peu de repos. Ses mains revinrent alors à ses tempes, comme pour stabiliser cette tête qui ne cessait pas de s'emballer. Il se pensait à nouveau seule quand la voix de la brune s'éleva encore. Tant bien que mal, il releva un regard d'un bleu glacé mais pas froid sur cette jolie demoiselle. « ... Merci. — » Souffla-t-il, en s'asseyant dans une position plus normale.
Il se saisit d'un pan de tissu propre, et commença à bander sa cuisse, persuadé que la Gérudo – ses oreilles l'avaient trahie – ne resterait pas plus longtemps. Une bande blanche ne tarda pas à barrer le vêtement d'un brun-beige semblable au sable, tandis qu'il serrait aussi fort qu'il n'en était encore capable — ce qui ne représentait pas énormément au vu de la fatigue qui l'éreintait et du reste de tout ce qui pouvait le bouleverser. Avant même qu'il eu terminé, le pansement s'imbibait déjà et une large trainée carmin nageait entre les mailles du tissu. Et quand il releva la tête pour mieux répondre à la femme du Désert, elle était nettement plus proche de lui qu'auparavant. S'il aurait du remarquer à quel point il était éreinté, au point de ne plus prêter attention à des faits qui lui auraient coûté la vie sur un champ de bataille ; son regard s'accrocha ailleurs. Bien loin de ces considérations.
Une tunique assez légère protégeait la guerrière du sable, mais assez peu des coups, comme en témoignait le large hématome qu'accueillait son épaule. La jeune femme s'était penchée en avant, comme pour se ramener à son niveau sans faire l'effort de se baisser. Sans être couverte de sang, elle avait le visage humide et rendu brillant par une écume discrète. La fatigue se lisait sur ses traits, et pourtant, elle trouvait encore le courage de s'enquérir sur son état. Du moins... Il supposait qu'il s'agisse de cela : il s'était arrêté sur les lèvres de cette femme qui lui rappelait étrangement quelque chose.
Le Fils-de-Personne tâcha de s'éloigner un tant soit peu, autant par soucis de décence que pour pouvoir prêter un peu d'attention à ce qu'elle disait. Mais ses yeux furent happés par une perle de sueur qui glissa discrètement le long du cou de la Gérudo. Sans que ça ne soit volontaire, il la suivit du regard, jusqu'à épouser des yeux les courbes généreusement dévoilées par le décolleté de la tunique. Partiellement absorbé, il ne réalisa que bien tard qu'elle s'était tu, et qu'elle attendait sa réponse. Esquissant un mouvement de recul, après avoir brièvement fermé les yeux, il manqua de tomber du rondin, par trop bancal pour permettre de pareilles acrobaties. Sa main gauche prit appui sur le sol rouge de cette terre typique de la vallée Gérudo, tandis qu'il s'acharnait à ramener son regard vers celui de l'inconnue-qui-n'en-était-pas-tout-à-fait-une. Le rondin roula en arrière sous son impulsion mais il parvint à maintenir un équilibre relatif, et à reprendre un minimum de contenance.
"Les Haches-Viandes, tu dis ? —" Lâcha-t-il d'un ton qui se voulait assuré mais qui était aussi parlant que ses pommettes magistralement empourprées. La honte lui chauffait les joues et le bout des oreilles, alors qu'il était tout entier gagné par la gène. « Je... — » Maugréa-t-il, pestant intérieurement contre lui même et en détournant tant le regard que le visage. « Tâche de les éviter... Il n'y a pas de honte à... — » Il ferma la bouche, conscient que ses propos faisaient un tantinet écho à ce qu'il ressentait présentement. « Ce sont des adversaires malsains, contre-natures. Des carcasses vides, animées par la seule volonté de leurs maitres et incapables du moindre petit détails qui fait de nous des hommes... — » ... Ou des femmes. « Parfois, s'entêter n'est pas la solution. Un blessé vaudra toujours mieux qu'un mort. » Glissa-t-il enfin, tout en sachant en son fort intérieur que si sa Princesse n'avait pas appelé, il n'aurait eu que faire de ces beaux conseils.