« Voilà des projets dignes de vous Astre, et je crois que Zelda appréciera toute votre affection. »
J’éclatai de rire devant cette plaisanterie impromptue. Ma vulgarité, loin de la gêner, semblait lui avoir redonné quelque confiance en ma désagréable personne. Je me demandais d’un coup ce qu’avait pu être son errance, ce qu’elle avait dû réaliser pendant tout ce temps-ci, d’errance lointaine, d’abandon patriotique : était-elle partie braver les fleuves torrentiels qui dessinaient leurs splendides arabesques dans les terres moites d’Orient, sandales de bois aux pieds et mousselines légères pour seuls apparats ? Avait-elle joué les aventurières sous le « rouge, blanc et bleu, tambour et soleil* », couleurs d’une obscure organisation antiroyaliste qui combattait l’administration à l’extrême-est du royaume, là où les femmes portent leurs cheveux noirs et soyeux jusque la taille comme une cape d’hiver, avec ces grands yeux de chat qui vous dévisagent avec une curiosité malicieuse ? Quelle avait été sa vie des dernières années, c’était une question dont je n’aurais probablement jamais la réponse.
« Je crois qu’il est temps pour moi de récupérer un trésor qui reste depuis trop longtemps inutilisé. »
Ses yeux laissaient brûler en leur pupille un foyer puissant et paranormal. L’on sentait en son sein palpiter le cœur ardent d’une jeunesse réveillée, une jeunesse qui pompe et qui crache comme un poumon de nourrisson qu’on vient tout juste de gonfler d’air.
« Je veux récupérer les fragments de triforce. Ainsi, votre future épouse n’en sera que plus calme, et nous pourrons ensemble nous dresser face au château. »
Rien que cela ! elle voyait les choses grandes, comme un théâtre, ce monde hors de portée, des rêves à n’en plus finir, une cascade miroitante de désirs inassouvis et inachevables. Quelle belle carrière, quelle grandeur d’âme ! Elle si pudique, elle si consciente, si rationnelle, que du bon sens, toujours du bon sens ! et la voilà qui me contait des rêves enracinés de jeune héros, un feu ardent qui ne s’éteint pas, sauf à la mort, sauf à la fin. La fin de quoi ? La fin d’une vie, le début d’une autre, un nouveau cycle qui la fait tourner une fois de plus, jamais de trop, une fois et deux, puis trois puis quatre, et pour toujours ! une histoire sans fin ! Ah, comme je me sentais revigoré par sa faim démentielle, démesurée, cet appétit géant, dont elle devait inévitablement connaître l’issue négative, l’impossibilité catégorique ; mais comme tous les géants, elle n’en tenait pas cure, elle gardait son cap, bien droit vers le récif, prête à déchirer la poupe de son navire et à couler; à sombrer dans l’insondable rêve, mourir pour celui-ci, un avenir noir et chaotique, du romantisme à l’état pur.
« Nous partageons bien des folies, Withered. Allons fomenter nos vilains projets, à peine conçus que déjà avortés ! mais nous sommes les enfants d’une race aujourd’hui morte, celle des diables héroïques qui cabotinent avec la réalité jusqu’à leur ultime souffle ! »
*https://www.youtube.com/watch?v=dFg0bqvNZnY