Posté le 06/08/2015 16:10
« Fermes donc ta putain de gueule, le gros. »
La phrase avait surgit instantanément de la bouche d'Eckard et donna lieu à un silence plombant. Ce silence dura, dura et devint très vite extrêmement gênant. Qu'allait penser l'homme sur son seuil ? Quelle allait être la réaction de Darunia ? Le nordique roula des yeux et perdit son regard sur tout et n'importe quoi avant d'éclater d'un rire tonitruant, explosif, qui aurait bien pu faire sursauter un rocher. Visiblement, le chasseur semblait satisfait de l'effet produit. « Ha ha ha ! Fais pas cette tête-là, l'ami ! Je n'en ai pas pour bien longtemps. Le voyageur redirigea son attention sur l'homme qui venait d'ouvrir sa porte. Bien le bonsoir ! Veuillez excuser mon rustre de compagnon. Sa bedaine est aussi grosse que votre maison, il fait peur, mais c'est un adorable chaton quand on le prend dans le sens du poil. Hein, le gros ? À ces mots, l'homme envoya une tape amicale dans le dos de l'homme-montagne et crut bien se briser le poignet. Il grimaça. Aïe... Mh. Messire. Me permettrez-vous que je visite un peu votre lieu de travail ? »
L'homme qui semblait être le propriétaire de la forge venait de refermer la porte et Eckard ne se fit pas prier pour se lancer plus avant vers le centre de la pièce. Ici se trouvait une énorme roue permettant de faire chauffer le four qui se trouvait à l'extérieur. Celle-ci semblait fonctionner avec un système de poids se lâchant en deçà de la roue afin de mettre en marche le four situé au dehors. Une idée ingénieuse qui était du goût de l'autre forgeron, qui n'avait pas exercé depuis de nombreux mois. Depuis qu'il était arrivé sur les terres d'Hyrule.
L'essentiel de la forge se trouvait en réalité à l'extérieur du bâtiment qui, à dire vrai, avait tout d'une simple et honnête résidence. Aux murs, on pouvait voir toutes sortes d'objets métalliques, créations artistiques des artisans de la forge. Parmi ces articles de premier choix figuraient divers ustensiles comme des fers à cheval et autres babioles, mais notamment, on pouvait y voir des armes. Glaives, stylets, bâtardes, couteaux, haches, machettes... la liste était longue. L'endroit rappelait beaucoup la vieille grange que le nordique avait, dans ses jeunes années, réaménagée en forge digne de ce nom. Il régnait ici une chaleur agréable, tout du moins pour le voyageur, qui s'y sentait à l'aise, presque comme chez lui.
D'autres choses trônaient dans la vacillante lueur de la pièce. Quelques fauteuils confortables et une petite bibliothèque bouffie d'ouvrages récents ou anciens contre un mur, en-dessous des belles pièces de métal exposées au mur.
Dès lors, le chasseur n'avait plus aucune pensée pour cette éventuelle excursion dans l'auberge du coin. Son estomac ne le torturait plus comme il y a quelques minutes, et tout son intérêt se dirigeait pour le lieu dans lequel il se trouvait et qui lui rappelait tant de souvenirs. Un frisson le parcourut alors même que son corps était également sujet à ces réminiscences. Une montée de chaleur raviva en lui les flammes de sa propre forge, sûrement la seule chaleur qu'il appréciait encore. L'enclume martelée sous la lame rouge, chauffée à blanc, et le son du métal froid sur le métal brûlant, sur le métal s'échauffant... La vapeur du baquet d'eau embaumant toute la pièce, le charbon pétillant dans le four, et les braises ardentes... La sueur sur son corps dénudé, dégoulinante et le rafraîchissant. Le poids du marteau dans sa main droite, il ne le sentait que trop clairement à présent ; ce n'était que la claque qu'il avait mise au dos de l'homme-de-pierre qui n'avait absolument pas bronché ; il se rendit compte que ce n'était pas un poids mais une douleur dans sa main qui subsistait, celle de la tape, et le manque. Il manquait un marteau dans sa main.
L'homme restait planté là, les yeux braqués sur les créations au mur, fiers trophées d'un artisan probablement fier, de même, pour les avoir ainsi mis en valeur sur cette cloison.
Il fut toutefois tiré de ses rêveries mélancoliques bien contre son gré. Il y avait une fin à tout instant de bonheur, et Eckard ne le savait que trop bien. Le bonheur... se dit-il en son for intérieur. On n'en a conscience qu'une fois qu'on l'a définitivement perdu. Mais il s'en sortirait, il trouverait un moyen de s'en aller d'ici pour rejoindre sa famille qui l'attendait sur les terres glaciales et immortelles de Fröstvalland. Bourgfroid est loin. Tu fantasmes au ressouvenir de ta vie passée, mais te voilà à présent bien loin de chez toi songea-t-il à nouveau, les yeux perdus dans le vague, en direction des étagères du meuble aux livres. Tu avais ta propre forge, de l'argent, ta famille, la plus belle femme et la plus belle fille du pays ; et maintenant tu n'es plus qu'un déserteur sans le sou, un blasphémateur et un assassin. Et tu erres en quête de rédemption ? Fou !
De nouveau, il se tira de lui-même de ses songes devenus torture. C'était ainsi à chaque occasion où il se souvenait de son propre bonheur, celui-là même qui finissait avec la saveur de la cendre dans sa bouche. Réprimant une nouvelle fois la moindre larme et avalant sa salive descendant dans son gosier lentement et difficilement comme un palefroi qui ne souhaitait guère s'avancer, il releva les yeux et sourit au propriétaire de la forge.
« Si je suis ici, c'est pour me renseigner brièvement à propos de vos techniques de travail, simple curiosité... commença-t-il avec hésitation. Je suis forgeron, moi aussi. »