Posté le 17/01/2017 22:23
« Il n'y a rien de caché qui ne doive être découvert, ni de secret qui ne doive être connu. »
Une lumière douce perçant à travers le feuillage, la fraicheur à l’ombre des grands arbres, une lointaine chanson… et la silhouette évanescente d’une grande femme austère. Non, aucune âme à atteindre là-bas.
Un instant durant, l’enfant ouvrit les yeux : son regard tomba immédiatement sur la statuette disposée devant elle. Trois figures féminines, soigneusement ciselés dans un bois sombre, s’enchevêtrait dans une magnifique représentation appelant au respect. Elle focalisa son attention sur celle de droite dont le bas de la robe s’évanouissait en cascade ; le souvenir lointain de clapotis, de douceur, une jeune femme noyée dans la nuit… Non, elle ne pouvait rester ici. Inspirant doucement, elle darda ses yeux ambrés sur la figure du milieu et un sourire inconscient fendit ses lèvres.
« Mère… » Murmura-t-elle dans la solitude de sa prison. « Je ne puis rester ici. »
Elle devait partir. Voilà une chose, dont, fort heureusement, elle était sûre. Elle ne pouvait rester ici pour une raison aussi simple qu’elle semblait dure à mettre en œuvre : sa présence dans cette cellule sans lumière avec guère plus qu’un vulgaire lit –ce qui par ailleurs lui serrait amplement suffisant si elle était libre de ces mouvements, n’était d’aucune utilité aux déesses. Et voilà la seule vrai valeur de son existence.
L’enfant ne savait plus rien d’autre. Avait-elle jadis eut un nom ? Un foyer ? Ces choses là n’avaient plus d’importance. Elle s’était réveillée, après un long sommeil noir dans cette cellule vide, avec cette seule certitude : elle était la « prêtresse » de Din. Elle servait les Trois. Ses derniers souvenirs d’avant ce long sommeil, et pourquoi elle était ici, étaient confus, elle ne se souvenait que d’une grande douleur, insoutenable, puis la douce chaleur, et quelques mots, lointains et si proche à la fois, gravés dans son âme : « Oublie tout et souviens-toi.
Oublie tout. Je te protège. » Alors elle avait oublié.
Du royaume des trois, cependant, elle se souvenait encore fort bien : de son fonctionnement à ceux qui en tirait les ficelles, tout cela était d’une clarté d’acier dans son esprit. Elle se savait ainsi un chainon d’une grande horloge enrayée, grasse et dépassée qui avait bien besoin d’être secouée un peu. Beaucoup. Dans ce monde, elle était la prêtresse de Din. Din, sa mère… la déesse l’avait emmenée à ce destin –enfin, tant soit peut que les déesses se soucient vraiment d’eux- pour une raison : elle devait accomplir ce pourquoi la déesse l’avait crée, trouver sa place dans le cosmos en réalisant son destin. Elle ne pouvait le faire ici. Elle était prêtresse de Din et son rôle était de servir au bien des âmes, toutes les âmes, présentes et futures, du monde. Et ce monde-ci avait bien besoin d’un peu changement.
Pour réaliser ce pourquoi elle existait, la prêtresse ne pouvait rester en ce lieu. Expirant et inspirant doucement, l’enfant du feu ferma les yeux et ne se concentra que sur ce souffle qui la reliait directement à l’existence, au monde autour d’elle. Lentement, sa perception s’étendit au-delà des barrières visibles… elle sentit la présence des murs autour d’elle, des hommes devant la porte et tout autour. Ce n’était qu’un sentiment confus, lié à la certitude de leur présence et à une once d’imagination. C’était assez.
Depuis qu’elle était réveillée, elle n’avait pas une seule fois fait appel à la chaleur réconfortante que lui apportait l’invocation des flammes à la pointe de ses doigts ; elle n’en était pas digne. Cette capacité, qu’ils nommaient magie, lui semblait une part intégrante de son être. Elle était née avec une facilité pour cette compétence car cela devait servir à la déesse d’une certaine façon, mais ses capacités n’y étaient pas réduites, comme tous être vivant. Ce qu’ils appelaient différentes magies n’étaient après tout qu’un grand ensemble, part entière du cosmos et de tout être vivant…
Chaque être vivant avait ainsi une marque unique dans l’immatériel, une aura particulière. Depuis qu’elle était réveillée, tous les jours, elle n’avait entrainé son esprit qu’à une seule chose : percevoir ces auras autour d’elle et agrandir la sienne. L’idée lui était venue le deuxième jour où elle du assister à la messe en l’honneur des Trois. Tout comme elle ne prononçait nul mot, jamais elle ne bougeait une once pendant ces messes, semblant écouter avec attention ce qu’elle connaissait déjà par cœur. Doucement, son attention s’était déportée du prêtre d’un ennui mortel vers le vitrail peint à l’honneur des déesses, d’une taille importante, inondant la chapelle d’une lumière divin ; attirait les regards comme nul autre objet de la chapelle… il attirait l’attention.
Alors, voilà ce qu’elle fit. En plus d’essayer de garder son corps en tant soit peu en forme à travers des exercices assez limités, elle travaillait son esprit à rendre son aura plus intense, plus brillante… cela pour deux buts : entrainer son esprit tant que tout mouvement lui était impossible et provoquer de l’attention…. Pour l’instant, les résultats semblaient assez moyens mais elle s’interdisait tout doute. Non qu’elle s’attende à un résultat brillant cependant, après tout qui il n’y avait personne pour la chercher, n’est ce pas ? Mais il suffirait d’un mage –bien qu’ils soient assez peux nombreux- ou d’une personne avec une quelconque affinité à la magie pour que celle-ci remarque que dans ce couvent semblant sans intérêt, une chose d’étrange et de potentiellement puissant était caché. Elle ignorait cependant si une telle personne pouvait se trouver parmi les prêtres, moines et religieux… mais le jeu en valait la chandelle –du moins l’espérait-elle. De plus, à moins de ne la faire taire à jamais, ils n’avaient aucun moyen de lui fermer l’accès à ses propres pensés. Enfin, si cela ne menait à rien, c’est que ce n’était pas destiné à se passer et que sa mère avait dessiné une autre voie pour elle.
Doucement, elle naviguait dans les méandres de son esprit, à la fois présente dans cette réalité et une autre, quand le déclic caractéristique de la porte, qu’elle reconnut fort bien, retentit et que l’homme-sans visage entra. Etant occupé sur ce qu’elle percevait de l’étage au-dessus de la cellule, elle n’avait pas guère prêté attention à l’arrivé de « l’Innocent » qui entra dans sa prison d’un pas vif pour son inspection quotidienne.
L’enfant mit quelques longues secondes à s’arracher brutalement à sa semi-somnolence pour relever doucement la tête en n’entendant ainsi que partiellement ces mots… elle crut entendre une remarque sur les services de la maison, puis sur ses blessures ; cela avait bien peu d’importance. Seule la force de l’âme avait en tant soit peu d’importance.
L’homme-sans-visage inspectait la pièce, tout en délattant nombre de futilités qui ne lui était certainement d’aucun intérêt. Elle ne le suivit pas des yeux, ses pupilles ardentes fixée droit devant elle. Au fond d’elle, la vue de cet homme faisait s’aigrir la douleur encore bien présente dans sa chair, bien qu’elle fit au mieux pour l’ignorer. Il n’était qu’une âme, une âme parmi tant d’autre ; leur route s’était croisée d’une façon bien singulière, mais pour une raison précise. Elle se devait de le comprendre. Qui il était derrière ce masque, pourquoi il réalisait ces actes, ce qu’il attendait de la vie, les vagues qui certainement agitaient de l’intérieur une surface aussi froide et lisse… pour comprendre la voie qui était sienne et être sur qu’il l’emprunte pour trouver sa voie dans le cosmos.
Car il est certain qu’à l’avance les déesses avaient écrits les choses pour qu’elles soient au mieux pour tous. Mais encore laissaient-elles aux hommes le loisir de comprendre ou non leur place et de la réaliser.
Elle esquissa un vague geste de la main, invitant son tortionnaire à prendre place, sa voix, faible car elle n’avait prononcé que peu de mots depuis son réveil, prenant une inflexion neutre, elle précisa :
«Installez-vous… Excusez du peu. »
Sans accorder plus d’attention à ce qu’il faisait de son invitation, elle se tourna vers lui, sans toute fois se lever. L’observant sans continence et sans détourner le regard, elle finit par pencher légèrement la tête, un vague sourire se dessinant sur ses fines lèvres.
« Diantre… ma compagnie doit t’être bien agréable. Bien que mes mots n’ai rien à conter qui soit d’un quelconque intérêt pour toi ou ton institution…» Passant ainsi à des pronoms différents, elle continua sans se soucier de sa réaction, observant toujours l’être devant elle. « Rien que vous ne sachiez déjà. On se lasse vite d’entendre les mêmes morales divines… surtout de la bouche d’une enfant, non ? Personne ne confirait quelque chose de confidentiel et d’important à une enfant. » Lui indiquant ainsi tout ce qu’il avait besoin de savoir en donnant encore la même réponse, elle décida d’en venir directement au fait, se levant d’un coup et s’approchant rapidement de celui qui était bien plus grand qu’elle, elle dit de sa voix toujours aussi enraillée et faible : « Que cherche-tu vraiment sur cette terre, Robert dit l’Innocent ?»
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