Les corbeaux volent par nuée

PV Luka/Jolan

Fin de l'hiver - 2 semaines 1 jour avant (voir la timeline)

Luka

Le Changelin

Inventaire

0,00


(vide)

La nuit était déjà bien avancée lorsque Luka termina sa dernière ballade. 

Alors que la dernière note s'éteignait doucement dans le creux de sa gorge, le brouhaha discontinu de la taverne reprit le dessus. Pendant quelques secondes de grâce, le Changelin se laissa bercer par les images qui lui étaient revenues en chantant. C'était les souvenirs d'une autre vie. L'artiste sourit pour lui-même avant de revenir à l'instant présent. Il quitta son tabouret, la mandoline fièrement dressée comme une complice, et il salua son public d'une courbette et d'un petit geste élégant de la main. Quelques applaudissements retentissaient, même si la plupart des gens étaient occupés à leurs propres affaires. Cela arrangeait le ménestrel, car celui-ci était fatigué. Il n'avait qu'une seule envie : rejoindre sa roulotte et se mettre au lit le plus vite possible.

Il saisit la pinte que lui avait gentiment laissé l'une des serveuses et il finit le fond de bière qu'il lui restait, avant d'adresser un petit geste de remerciement à la jeune femme actuellement en service, Béatrice. Il ne se produisait pas toujours dans les mêmes tavernes, mais il avait une longue histoire avec celle-ci. Avec le temps, il avait fini par connaître à peu près tous les membres du personnel. Aussi, il ne s'embarrassa pas de remerciements inutiles et se contenta de ranger sa mandoline dans son étui de toile. L'instrument soigneusement calé contre son dos, il ramassa son chapeau, que les maigres pièces n'avaient pas rendus plus avenant, et il se dirigea prudemment vers la porte d'entrée.

Se frayer un chemin parmi la foule pouvait être éprouvant en fin de journée, et c'est le souffle court qu'il parvint enfin à passer la porte de la taverne. Dehors, le temps s'était tant rafraichi qu'il sentit un frisson lui remonter le long de la nuque. Il soupira, et contempla sereinement la volute de fumée blanche qui monta de ses lèvres vers le ciel nocturne. Ce moment de solitude après une nuit chargée, c'était son moment préféré. Il n'y avait que lui et le silence.

Cet instant fut malheureusement perturbé par le passage de quelques gardes. Luka les repéra de loin au bruit de leurs pas lourds, si caractéristique des équipements qu'ils portaient. Agacé et terrifié tout à la fois, il se tassa contre la porte close de la taverne afin de ne pas se faire remarquer. Il n'y avait rien qu'il détestait plus que les groupes d'hommes armés. Et malheureusement, dans le cadre de son métier, il était forcé d'en côtoyer. Que ce soit dans les tavernes ou dans la rue, ces mecs étaient partout et ils prenaient toute la place.

Et évidemment, cela ne manqua pas. Trois gardes déjà passablement éméchés descendirent la rue en ricanant comme des hyènes. Luka s'attendait à ce qu'ils passent devant lui sans lui prêter la moindre attention, mais c'était sans compter sur le fait qu'ils se dirigeaient droit vers la taverne. Et le ménestrel leur bloquait le passage.

"Hé petit, bouge de là," aboya l'un des gardes dont le visage dodu était déjà rouge écrevisse. Luka leva les mains devant lui, comme en signe de reddition, et s'écarta sans faire de chichis. L'interaction aurait pu s'arrêter là, mais ce même garde plissa des yeux avant de se pencher vers l'artiste. Son haleine empestait l'alcool. "Mais attends voir. T'es pas le chanteur avec une voix de pucelle ? C'est quoi déjà ton p'tit nom ? Le Changeur ?"

"Le Changelin, m'sieur," répondit sobrement Luka. D'ordinaire, il aurait sans doute été en mesure de rebondir sur la situation. Leur décocher un sourire complice par exemple. Avoir l'air plus aimable. Mais il était si tard, et il était crevé. Il voulait juste rentrer chez lui.

"C'est ça." Le garde n'en avait visiblement rien à foutre. Il jeta un regard goguenard à ses collègues, qui contemplaient la scène avec suffisance. "Vous l'avez pas entendu, les gars, mais j'vous jure ! C'est qu'ça monte haut, avec sa p'tite voix de donzelle."  Comme si cela ne suffisait pas, il se rapprocha d'un pas de l'artiste. Celui-ci dû lutter contre son propre corps pour ne pas flancher face à cette proximité qui le répugnait jusqu'au plus profond de son être. "Vas-y, Changeur. Chante pour voir."

Le ménestrel demeura muet. Acculé, littéralement au pied du mur et entouré de ces trois gaillards armés jusqu'aux dents, il avait perdu toute répartie. Il se contenta de les fixer, de ses grands yeux bruns et terrifiés, presque stupéfait de ce qui lui arrivait. Par les Déesses, pensa-t-il très fort, lançant furieusement une prière aux quatre vents. Faites qu'une porte s'ouvre. Qu'une fenêtre claque. 
Quelque chose, n'importe quoi. Faites que quelque chose se passe.


1