Posté le 20/10/2023 00:38
Cela faisait quelques heures déjà que Luka avait lancé sa dernière activité. Autour de sa petite scène provisoire, il avait réussi à rassembler plusieurs femmes qui revenaient du lavoir, quelques étudiantes et étudiants qui flânaient par petits groupes non loin de la place du marché, et une à deux travailleuses du sexe qu'il connaissait déjà et dont il avait la chance d'être l'ami. Sur scène, avec lui, se trouvait une jeune femme timide, visiblement de bonne famille, dont la coiffe dissimulait les cheveux. Après l'avoir mise en confiance, le comédien avait réussi à lui faire confier ses craintes concernant son fiancé. A partir de cette discussion, ils s'étaient mis à faire ce que Luka avait nommé "le théâtre de l'émancipation", à savoir jouer une petite scène où il interprèterait ce fameux fiancé, et où sa cliente pourrait le confronter en toute confiance. Cela faisait déjà deux fois qu'ils rejouaient la scène, et le public était invité à participer pour donner des suggestions de formulation.
"Qu'est-ce que tu voulais me dire, Selma ?" Répéta Luka pour la seconde fois, d'un air encourageant.
"Vas-y ma belle," lui lança une jeune fille dans le public. "Tu peux lui dire !"
"J-Je voulais te dire que..." hésita la concernée. "Ca fait si longtemps qu'on est fiancés, et... Je suis plus très sûre que ce soit une bonne idée."
"Et voilà, tu te plains," la coupa tout de suite le comédien. Jouant le jeu, il la foudroya d'un regard méchant. Elle lui avait expliqué que son fiancé pouvait être un peu difficile. Ce qui suggérait qu'il était sans doute un peu un connard. "C'est toujours comme ça avec toi. T'es libre de faire tout ce que tu veux la journée pendant que moi, je trime au boulot comme une bête, et quand je rentre, tu râles. T'es jamais contente. On n'est même pas mariés je te signale, mais grâce à moi, t'as un toit sur la tête et de quoi te nourrir tous les jours. Tu devrais me remercier pour tout ce que je fais pour toi."
Evidemment, la jeune femme paniqua. "Mais je sais ! C'est très gentil de ta part, je te remercie. C'est juste..."
"Elle ne veut plus de toi, goujat !" S'exclama une dame d'un certain âge, depuis la dernière rangée.
Cela eut l'air de donner un peu de courage à la jeune femme, qui reprit avec plus d'assurance : "Ecoute, je t'ai jamais demandé de te tuer au travail. Je te suis reconnaissante pour tout ce que tu fais pour moi, mais moi, ça me va plus. Je te quitte, Roman."
Luka amorça un mouvement très lent pour pouvoir saisir le poignet de la jeune femme. Ils en avaient discuté auparavant, tout acte de violence serait joué au ralenti, afin de laisser le temps au public et à l'actrice d'agir selon qui leur paraissait être la meilleure solution. Et tandis que sa main se referma sur le bras de la participante, deux femmes montèrent sur l'estrade pour s'interposer entre eux deux. Elles repoussèrent Luka sans difficulté, et elles se placèrent en position de protection devant Selma, qui observait la scène avec un certain émoi.
Le comédien leur décocha un sourire lumineux. "Bah voilà, tu sais comment t'y prendre maintenant ! Et comme tu as pu le remarquer, il vaut mieux y aller accompagnée. Soit par tes amies, soit par ta famille. On ne sait jamais, Monsieur peut devenir dangereux. Les amies, c'était Selma, applaudissez-la bien fort !"
Selma le remercia profusément, et Luka la fit saluer avec lui tandis que son public restreint applaudissait généreusement la participation de la jeune femme. Elle retourna à son siège, un peu remuée par cet entraînement. D'un oeil aguerri par des années de pratique, le Changelin passa en revue la petite foule qui commençait à se rassembler autour de l'estrade.
En-dehors des quelques places assises qu'il avait installé, il y avait pas mal de badauds qui s'étaient arrêtés sur le côté, intrigués mais encore un peu timides à l'idée de s'approcher davantage. C'était eux qu'il voulait viser. Aussi, il scanna les visages jusqu'à croiser par inadvertance le regard de l'un d'entre eux.
Une paire d'yeux magnifiques, plissés comme ceux d'un chat, et d'un rouge-ocre profond. Il avait la peau basanée et une ravissante chevelure d'or. Un Sheikah ! C'était si rare d'en croiser un. Ravi de sa trouvaille, le comédien pointa du doigt l'inconnu qui se tenait un peu à l'écart de la foule, mais qui observait ce qui se passait avec curiosité. "Toi, là ! Le beau jeune homme aux yeux rouges. Oui, c'est de toi dont je parle. C'est ton tour, viens !"
Il saisit une chaise qui traînait dans le fond de l'estrade, pour pouvoir poser celle-ci en avant-scène. Il la tapota gentiment, comme pour proposer à son invité de s'y installer. "Bienvenue dans mon humble royaume. Installe-toi confortablement."
Un peu pris sur le fait, le jeune homme s'était avancé. Il n'était pas très grand et il gardait une partie de son visage dissimulé, mais il était encore plus beau garçon de près que ce que Luka avait imaginé. Très content d'avoir réussi à faire monter sur scène une telle beauté (ça va leur rameuter plus de public, c'est sûr), il lui expliqua sur un ton encourageant : "Ici, on vient parler de nos problèmes. Ca peut être n'importe quoi, une peine de coeur par exemple, une dispute avec un ami, une rupture avec un proche, des soucis avec ton argent. Tu peux nous partager ce que tu veux, avec des faux noms si tu préfères. Ensuite, on va pouvoir essayer de trouver une solution tous ensemble."
Il lui adressa un clin d'oeil complice. "Moi c'est Luka, enchanté de te rencontrer. Et toi, comment tu t'appelles ?"