Il grinça des dents tandis que le souffle gelé ondulait à quelques pouces de son faciès, là où il se tenait quelques secondes plutôt. Le froid qui cristallisait dans l'air aurait rongé ses os s'il n'avait pas eu le temps de jeter sa carcasse - maigre et noueuse - en arrière. Et désormais, c'était tant ses pieds que ses mains que l'Hiver attaquait avec une férocité nouvelle. Il manqua de grogner mais parvint à conserver le silence, alors que ses muscles bandés commençaient à le lancer. La peste que ces golems ! Une larme de sueur marquait son front, courrait sur sa tempe et poissait ses cheveux tandis que le souffle de la bête jamais ne faiblissait. L'homoncule de glace lui même ne semblait pas frémir ni faillir et l'aigreur du canal sur lequel il combattait lui brûlait les doigts mieux qu'aucune flamme n'avait jamais su le faire. Tout cela commençait à lui peser, plus lourdement qu'il ne l'aurait pensé. Sa respiration devenait plus difficile, à mesure que l'air ne se raréfiait autour de lui et s'il n'aurait pas donné cher de sa vieille peau, une fois prise dans l'haleine polaire de la créature, il lui tardait de pouvoir se relever.
L'Hylien l'entendit à peine, mais il laissa échapper un râle alors que le premier Veilleur de Verre s'effondrait dans un bruit cinglant. Accablée de projectiles que l'Enfant-des-Bois peinait à distinguer, la créature s'était tout simplement brisée, comme lorsqu'une bouteille roulait d'un comptoir et épousait la pierre une fois de trop. Et elle n'était pas la seule à glisser : le verglas du pont emportait doucement mais sûrement des talons qu'il ne parvenait pas à ancrer correctement dans le gel. Se sentant déraper, il inspira profondément alors que résonnait le claquement sec de la corde qui se détend. Jouant des bras, il gratta la glace pour pouvoir mieux enfoncer ses poings. Il lui semblait qu'un Enfer Polaire et vorace s'enflammait sous ses ongles, érodait ses doigts, dévorait ses bras et consumait son être. Ses lèvres se pinçaient et ses traits se durcissaient, à mesure qu'il n'arrachait au sol ses deux meilleurs appuis. Quand les projectiles percutèrent enfin le Soldat d'Hiver, ses propres pieds filaient droit vers ce qui faisait office de tronc à la sculpture de glace.
Le cristal ne tarda pas à se fendre sur toute la longueur, avant de se séparer. Ce qui faisait office de tête chuta, percée d'un trait enfoncé jusqu'à l'empennage. L'acier sacré perfora la surface du pont, tandis qu'il s'appuyait lourdement sur la hampe de sa lame pour se relever. D'un coup d'oeil, il remarqua la fracture à la mâchoire et le galet qui obstruait la gorge. Il s'accorda un soupir, tandis que ses jambes tremblaient plus que de raison, plus qu'il ne l'aurait souhaité. Cela faisait des années qu'il n'avait plus eu froid. Pas de la sorte, du moins. Depuis sa tendre enfance, il n'avait eu que les étoiles comme toiture, le vent et la pluie pour unique édredon. Il avait grelotté, souvent, mais jamais il n'avait eu à souffrir de la sorte d'un froid si... contre-nature. Tirant l'épée de la glace, il s'approcha du groupe, à petits pas, cherchant Flora du regard. S'il avait jadis été droit, il se sentait désormais frêle... et gelé. «
Corps-dieu...— » murmura-t-il en se remémorant quelques réflexes de survie, appris lors de ses passages par les Pics des Neiges et les Terres du Jarl. Sans se séparer de son arme, il ramena ses mains bleuies par l'Hiver jusqu'à ses lèvres, pratiquement scellées par le givre. Du mieux qu'il put, le va-nu-pied commença à souffler, dans l'espoir de réchauffer les doigts qu'il ne sentait plus.
Avant qu'il ne la remarque, la rouquine lui murmurait quelques mots doux à l'oreille. Ses mains avaient beau dissimuler ses joues, au moins en partie, elles ne s'en teintèrent pas moins d'un rouge chaud, aux reflets rosées. «
Je... C'est que... — », bredouilla-t-il maladroitement, d'une voix tout juste plus forte que celle de la jeune femme qui le devançait déjà. Instinctivement, sans doute puisqu'il ne s'en rendit pas compte immédiatement, son regard commença à suivre la chasseresse, puis à envelopper sa silhouette. Quand il réalisa que ses yeux suivaient presque le balancier qu'improvisaient les hanches de l'archère, les extrémités de ses esgourdes elles-même viraient au cramoisi. La chasseuse était déjà loin, en train d'échanger avec le reste de ses camarades d'infortune de sujets qu'il saisissait tout juste... Dieu qu'il avait froid. Lentement et sans un mot de plus, il se rapprocha. La Prêtresse parlait de graines comme de véritables porte-bonheur. En dépit du caractère dramatique de la situation, il ne put s'empêcher un léger sourire : des années plutôt, il avait cessé de compter sur les Déités et les légendes. Les combats et les jours sombres lui avaient appris à croire davantage en la force de son bras qu'en celle de héros de contes et de jadis. C'était l'un des aspects qu'il retrouvait et qu'il appréciait chez Llanistar.
"
Si tu y tiens." Souffla-t-il doucement à l'attention de la Dame Bleue, tant en récupérant ses bottes qu'en attrapant une des petites graines. Sa bourse restait bien trop vide pour qu'il puisse de toute façon protester. «
Je doute que cela serve beaucoup, mais si cela peut te faire plaisir ~ », lui glissa-t-il en privé, un ton taquin dans la voix. Derrière lui, des groupes s'organisaient et décidaient des directions dans lesquelles s'aventurer. «
Puisque nous devons nous séparer... » Commença-t-il, à l'adresse de la jeune
femme de foi, ramenant son regard à la hauteur du sien. Ses mains partirent à la recherche de sa sacoche et ses doigts se refermèrent sur l'aiguille de glace qu'il avait su arracher à la porte. «
Prends-ça. » Fit-il, lui glissant l'objet entre les mains. Il n'était pas très long, fin et pointu. Froid également. Et s'il n'avait rien d'une arme, peut-être pourrait-il représenter une forme de présence, ou bien la magie de Flora del Carmen saurait le transformer. «
Courage. Et Sagesse. Reste prudente. » Conclua-t-il, refermant les mains de l’ecclésiaste sur cette presque-dague qu'il lui offrait.
Se retournant après avoir enfilé ses bottes, il jeta un regard sur l'intégralité de l'assemblée. Il croisa celui de Keith, de Perla mais aussi celui des comédiens. «
Je prendrais au nord. » Lança-t-il après un temps de silence. L'air grave qu'il arborait dorénavant tranchait résolument avec celui presque taquin qu'il avait un peu plus tôt. «
Qu'un d'entre vous m'accompagne. Le reste suivra le chemin de Flora. » Lâcha l'Oublié de Farore, avant de s'élancer vers le sentier étriqué qu'il avait choisi d'emprunter. Il ignorait qui s'était désigné pour partager sa route, et s'inquiétait davantage de qui choisirait de guider son amie, en vérité.
Sa main vint s'appuyer sur la glace qui recouvrait la paroi, tandis qu'il se baissait pour pouvoir entrer. «
La peste... ! — » Siffla-t-il, agacé, quand son front épousait un insolent stalactite. Il lui avait pourtant semblé que la traverse dans laquelle il s'était engouffré était vide une seconde auparavant. Un étrange pressentiment serra sa gorge, au fur et à mesure qu'il ne progressait. Sans en être véritablement sur, il avait l'impression que petit à petit les murs se rapprochaient et que l'Hiver menait le givre vers eux, comme les Bois savaient étouffer et pendre ces fameux « Hyliens de trop ». Il ne déglutit pas quand le froid commença à grimper le cuir de ses bottes, mais sa main gagna la hampe de l'épée qu'il avait attaché à sa ceinture avant de pénétrer. «
Tu t'en so... — » Commença-t-il, à l'attention de celui ou celle qui s'était décidé à l'accompagner avant que ne croassent les premiers corbeaux. La paume de sa main s'écrasa contre la cloison, gelée. Le ramage des oiseaux et le bruissement du Noroît composaient une litanie sinistre, mortelle. Il frissonna alors qu'un étrange verglas semblait mordre jusqu'à ses os, s'infiltrer à l'intérieur de ses chaires et de son être.
Son camarade le heurta et il réalisa seulement qu'il s'était immobilisé. Anticipant une remarque ou une question, il plaqua sa main gauche - celle qui tenait la fusée de sa lame - sur la bouche de son compagnon. «
Pas un mot. » Intima-t-il en chuchotant. Plus ils s'enfonçaient dans les entrailles de cette caverne, plus il lui semblait que la neige et la glace blanche de jadis se teintait d'un rouge sang noirci par les âges. Faisant preuve d'une précaution rare, il hissa le pied gauche et l'avança dans un silence presque total, avant de le reposer, débutant une marche plus furtive et plus complexe que jamais. Un aventurier qui ne témoignait pas d'une certaine vivacité d'esprit aurait tôt fait de finir enfoui sous la calotte polaire qui leur servait de sentier. Le chemin bifurqua une fois, après près de cinquante pas. Toujours accroupi, le Héros déchu grinça des dents. Lentement mais sûrement, ce pas de loup et cet aplomb de vieillard l'usait.
Le sentier s'arrêta, soudainement. Il ne le comprit que quand son pied s'enfonça dans le vide. Le vent continuait de souffler, fort, tandis que les corbeaux piaillaient encore. Sur la Caverne de Glace était tombé un noir de nuit. Ses doigts lui sauvèrent sans doute la vie, quand ils se refermèrent sur le rebord de givre. Il grogna en se cognant contre la falaise de glace. Aussitôt, deux loups jappèrent, puis hurlèrent. «
Funérailles..— » Grommela-t-il, avant de se laisser tomber de la petite fenêtre. Ses bottes s'enfonçaient dans la poudreuse quand il tira son épée, brillant et scintillant de reflets bleutés. Deux torches, puis quatre, aux flammes azurs s'allumaient, dévoilant la dépouille d'un boucanier trop sûr de lui, mort de froid. Ca et là, son armure fissurée avait laissé le gel remplacer les protections. Et lentement, dans un faisceau de lumière cobalt, les morts se relevèrent, prêts à marcher de nouveau. Les corbeaux croassèrent, avant de se nicher sur les épaules du cadavre. Son regard sans vie, fixé sur l'intrus, il articula, bougeant tant bien que mal la mâchoire, sans qu'aucun son ne passe ses dents salies et rongées.
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