Posté le 03/09/2014 23:26
Sa main droite vint faire face à son nez, tandis que perlait la sueur sur son front. Son épaule s'écrasait, accompagnée de tout son flanc, sur la porte qui commençait à bouger. Une goutte se logea nonchalamment sur un sourcil, perlant au dessus du bleu verglacé de ses yeux. Ses lèvres s'étirèrent, comme si quelqu'un de tenter de les fendre, mais le silence demeura. Un instant, du moins. Lentement, à mesure que ne pivotait l'immense bloc de glace, il commença à pousser un râle sourd. Les muscles de son bras le brûlaient. Il tâcha d'ignorer la violente impression qu'on fermait un cerceau de fer à blanc sur son biceps, se concentrant sur l'effort qu'il lui restait à accomplir. Sur ses tempes poissées se collaient ses cheveux, et la fourrure qui lui dévorait le visage commençait à s'humidifier. Il inspira, et frappa de nouveau. La neige sous leurs pieds freinait sa progression : elle entravait le mouvement qu'il imprimait tant bien que mal. Mais il parvenait à avancer. Il ne gagnait que centimètre par centimètre, certes, ce qui représentait déjà une petite victoire en soi. Il n'ouvrirait de toute façon pas la porte en entier : dès que le plus volumineux de ses compagnons pourrait passer, il mettrait fin à son calvaire. Mais pour l'heure... Un second râle s'échappa de ses lèvres gercées.
Un vent froid — gelé, le gifla avec une force qui aurait pu être celle d'une houle de mauvais temps. Il grinça des dents, en s'arrachant à la paroi verglacée, espérant secrètement que la rafale qu'il avait accusé de plein fouet ne présageait rien de mauvais. S'il avait encore été un enfant, sans doute aurait-il cru que le Géant d'Hiver lui même venait de souffler du givre sur les yeux, pour lui dérober la vue. Il y avait bien longtemps qu'il ne croyait plus à ces contes légendes Hyliennes, mais il n'aurait guère été surpris de se retrouver avec tout un pan de la gueule cristallisé sous une fiche couche de glace. Secouant la tête, il se débarrassa des frimas qui parsemaient les pointes de sa crinière, avant de ramener sa main jusque son épaule, lourde, douloureuse et engourdie à la fois. Sous son passe-montagne il grimaçait. Le chape de glace qui surplombait tout le Domaine n'avait rien de normal, définitivement. Et pas uniquement parce que l'intégralité du Royaume connaissait un été verdoyant.
Tout en se massant la cime du bras, il laissa son regard vagabonder vers la porte et le gouffre qu'il avait su ouvrir, à la sueur de son front. Un frisson remonta le long de son échine, il ne tarda pas à ramener le blizzard qu'était le sien sur la Compagnie réunie par Flora. « Ca va. Ne t'inquiète pas. » Glissa-t-il doucement à son attention, non sans remarquer le malaise de son amie. De toute évidence, il l'avait froissée, bien qu'il ignorait ce qui avait pu attiser son courroux. Il soupira en silence... Les femmes restaient de complètes énigmes à ses yeux. Plus encore, sans doute, quand elles avançaient avec l'attitude de la rouquine qui lui avait fourni de quoi allumer sa torche. « Je... Euh... » Grommela-t-il, content que son cache-nez masque son visage, et les rougeurs qu'il avait du prendre. « Merci... je suppose ? » Lâcha-t-il simplement, un brin hésitant.
Il laissa les deux femmes s'éloigner, encore un peu fiévreux de son effort. Désireux de goutter à un peu d'air frais, maintenant qu'il avait retrouvé un peu de solitude et d'intimité, il abaissa la fourrure qui lui dévorait le menton et les joues. Le vent caressait doucement sa peau, glacial mais vivifiant, quand Flora présentait les motivations de leur expéditions à deux inconnus. L'enfer polaire qui tournoyait au fond de ses yeux s'arrêta sur les deux individus. Flanqués de vêtements tantôt trop grand (de peu), tantôt un brin trop larges, ils avaient l'air de vagabonds. Une espèce dont il avait appris à se méfier, avec le temps. Certains n'étaient que d'honnêtes baroudeurs, mais il avait également l'habitude des maraudeurs, des bandits de grands chemins, des arrivistes ou des opportunistes. A la lueur de la torche qu'il tenait haute comme pour couper la déferlante de neige qui pleuvait sur eux, son visage restait sévère. Il n'était pas de ceux que l'on choisissait pour accueillir les délégations, fussent-elles princières en provenance des bas-fond d'Hyrule ou d'ailleurs. La jeune Zora les invita à entrer, et il jeta de nouveau sa pelisse sur son nez, tournant talon sans attendre que son nom soit donné. Sa main droite retournait à la rencontre de la roche-de-gel, tandis que la gauche faisait briller la glace. Il en arracha un morceau pour l'effriter entre ses doigts. Les Pics de Termina eux-mêmes lui semblaient plus naturels... Moins malsains. Il arqua le sourcil, loin d'être rassuré. Il n'était pas effrayé pour autant - les âges lui avaient appris à faire face à la quasi-totalité des situations - mais il ignorait ce qui se terrait dans l'Ombre.
L'Hylien ne leva pas les yeux au ciel quand le vent porta son nom à ses oreilles, mais il s'en fallut de peu. Il avait cessé de décliner son identité il y a si longtemps que cela lui semblait se compter en siècles plutôt qu'en décennies. En un sens, il était attaché à l'anonymat dont il se drapait le plus souvent, et à tout ce qu'il lui apportait. Flora se présenta devant lui, sans le voir. il tenta de jeter son bras sur le chemin de l'aveugle, pour mieux la guider, mais elle était comme absorbée par quelque chose qui lui échappait. « Milles épées brisées... ! » Jura-t-il tout bas, tandis que la jeune femme lui passait devant. Quelque chose les dépassait, là dedans, et il n'aimait pas ça. Vraiment pas. Pendant qu'il restait derrière à chercher à comprendre ce qui pouvait être à l'origine d'une glace si bleutée que certaines Zoras auraient pu tomber jalouse de son teint, les autres s'avancèrent dans la cavité. Il les laissa progresser jusqu'à entendre s'élever une voix de l'intérieur, sans parvenir à l'identifier. Les plus gros problèmes se rencontraient souvent à peine entré. Il ne put s'empêcher d'avoir une pensée pour une jeune monarque, avalée par un énorme poisson... Et se dépêcha de glisser le fragment de glace dans sa sacoche.
Il se glissa à l'intérieur, en courant presque, à mesure que les cris commençaient à percer dans l'obscurité. Ses dents grincèrent, alors qu'il regrettait déjà de s'être laissé distancer. S'il avait été présent, tant la torche qu'il portait que son acier auraient pu servir... Mais il avait beau avancer dans le long corridor, il ne trouvait aucun signe d'eux ou de leur passage. Les voix s'étaient éteintes aussi subitement qu'elles n'avaient osé monter. L'Enfant-des-Bois força l'allure, maudissant quelques excès de confiance qui avaient mis l'intégralité du groupe en danger. La peste prenne les Trois ! Il n'avait jamais aimé travailler en groupe et plus il s'y essayait, moins il parvenait à se faire à la nécessité de s'ouvrir à des compagnons. Seules ses bottes résonnaient encore contre les parois que la torche peinait dorénavant à illuminer. Il avait l'impression que le froid cristallisait tout autour de lui, alors qu'il balançait son regard à l'Est, persuadé d'entendre quelque chose. Son souffle se changeait en buée, ses jambes se figeaient comme s'il commençait à se transformer en une statue de glace pérenne. Au loin, devant lui, tout lui semblait plus noir encore. Et c'est d'urgence qu'il cessa de courir. Le verglas manqua de l'emporter, tandis qu'il dérapait tant bien que mal. Il glissa et le vide se substitua au sol. Le flambeau lui échappa des mains et la sueur perlait sur son front, alors que ses doigts à semi nus accrochaient durement la pierre givrée qu'il avait foulé du pied. Un masque d'effort et de douleur se brossait sur son visage alors qu'il débutait doucement la traction d'un seul bras. Dès qu'il lui fut possible de le faire, le second rejoint le premier et il se hissa sur le sol, avant de s'effondrer lourdement. Le souffle lui manquait.
Bientôt, Link se remis sur pied. De la manche, il épongea son front, craignant presque que la sueur qui avait perlé ne gèle sans autre forme de procès. Son regard plongea au plus profond du gouffre qu'il ne lui était possible de le faire, en l'absence de son unique source de lumière. Il ferma le poing, avant de laisser les ombres l'envahir, jetant deux suaires sur les fenêtres de son âme.
D'un bond, il s'enfonça vers les ténèbres.
La neige stoppa sa course. Elle ne tint pas son poids, néanmoins, et il fut rapidement enterré sous plusieurs décimètres de poudreuse. Luttant tant bien que mal, il parvint à s'arracher à la blanche nasse dans laquelle il s'était jeté. Ses dents claquaient, tandis qu'il gelait plus que jamais. S'il était une chose dont il fallait se méfier c'était bien de l'eau... Et il savait pertinemment que trempé comme il était il ne pourrait tenir longtemps avant de finir mort hypothermie. Il ne pria pas, mais espérait vivement que ses compagnons avaient survécu à la chute - les traces dans la neige étaient on ne peut plus claires - et qu'ils avaient pensé à allumer un feu pour se sécher d'avantage que pour se réchauffer. Au cours de ses pérégrinations il en avait croisé plus d'un qui, loin d'être frileux, avait succombé aux assauts conjugués du froid et de l'eau. Il grimaça en repensant au jeune fils de Jared.
Il avança tant bien que mal, ramenant ses bras contre son torse et soufflant bien vainement dessus, il manqua de chuter en marchant sur les restes de sa torche. Éteinte, mais intacte. « Louées soit les... Non. Certainement pas », pensa-t-il presque tout haut. Elles pouvaient bien aller se faire foutre qu'il ne les prierait pas, pas plus qu'il ne leur accorderait la paternité d'un des rares événements relevant un tant soit peu de la chance. Il se baissa pour ramasser l'objet mais alors qu'il s’apprêtait à le glisser dans son baluchon, il réalisa que la roche-de-givre qu'il avait ramassé un peu plus tôt brillait d'une lumière forte. « Funérailles... ! » Souffla-t-il, particulièrement surpris. Quand il avait arraché le petit morceau de porte, il n'avait pensé à quel utilité lui trouver. Et s'il n'avait besoin de lumière en l'immédiat, il était peu probable qu'il s'en retrouve privé désormais.
Doucement, il s'avança dans l'unique couloir qu'avaient pu emprunter ses compagnons d'infortune. Le froid l'assaillait toujours, mais au fond il doutait qu'il puisse y mettre fin autrement qu'en venant à bout de l'entité qui avait établi tanière dans ces cavernes reculées. Il grelottait et souhaitait retrouver un bon feu plus que tout, mais une certaine forme de pragmatisme peut être défaitiste l'invitait d'ores et déjà à ne pas se faire trop d'idée. La plus probable des situations qu'il pouvait envisager invoquait de tirer le fer et de rejoindre une bataille contre il-ne-savait-quel-genre-d'opposants qu'ils étaient susceptibles de croiser au détour des galeries. A nouveau il frissonna, tandis que ses pas l'emmenait jusqu'à une espèce de pièce ouverte. Au bruit, il imaginait déjà une énorme chute qui ne manquerait guère de le geler un peu plus sur place. L'air lui semblait déjà plus frais. Mais plus que le vacarme des chutes, ce qui attirait son attention, c'était le sifflement particulièrement virulent que l'écho portait jusqu'à lui. Son talon s'ancra dans le sol et il commença à courir.
Excalibur s'illumina d'une douce lueur bleutée quand les arrêtes de glaces brillantes renvoyèrent les reflets de la cascade sur sa lame, lui conférant une aura presque surnaturelle. L'Hylien continuait de courir, cherchant après les golems de glaces qu'il ne connaissait que trop bien. « Flora ! » Cria-t-il, espérant un retour, autre que l'écho qui lui revenait. Si ces couloirs ne ressemblaient pas encore à un véritable dédale, il ne pouvait pas encore percevoir ses camarades. Le verglas manqua de le jeter au sol, mais il persista. Bientôt, après un virage un peu serré, il regagna la troupe. « Flora ? » S'enquit-il, encore éloigné du reste du groupe. La jeune femme demeurait en arrière. Il s'arrêta quelques secondes pour prendre le temps de souffler et surtout de se renseigner sur la situation. Les Golems barraient la seule route que la Prêtresse avait pu trouver. L'un deux avait d'ores et déjà perdu ce qu'il avait désigné comme étant leurs oreilles, enfant. La glace avait été fissurée de façon nette. « Flora, tu va bien ? » Reprit-il, une fois près d'elle. Le bourgeon de femme tremblait comme rarement, et il remarqua qu'elle avait perdu gants et bottes depuis la dernière fois qu'il l'avait vu. « Ne bouge pas... D'accord ? » Lâcha-t-il alors, retirant d'abord la fourrure qu'il passa à la demoiselle de foi comme une écharpe. Après quoi, il se défaussa de la paire de gantelets de cuir qu'il gardait depuis des années, puis, après un instant d'hésitation, de ses bottes. Tout cela serait sans doute trop grand pour son amie, mais au moins elle ne tomberait pas de froid. Du moins... Il l'espérait.
Il planta son regard dans le sien, même si elle ne le voyait pas, sans rien ajouter. Le sifflement des Golems continuait de faire rage, tandis que la rousse encochait un nouveau trait. Il tourna la tête, laissant la boucle de Zelda briller de milles feu, pendue à son oreille. Il s'éloigna alors de la Dame Bleue et s'avança à petits pas sur le pont de givre. La glace épousa la plante de ses pieds, mais il retint ses frissons tandis que le froid brûlait ses chaires nues. Il grimaça. Ses doigts serrèrent l'Epée de Légende plus fort encore, comme si la pression qu'il imposait à la fusée de la lame était proportionnelle à la froideur qui le prenait d'assaut. Lentement mais sûrement, il approchait les êtres-miroirs cracheurs d'un feu gelé. Il plia les genoux, encore hors de portée, et grinça des dents. Empoignant son arme un peu plus, le Fils-de-Personne poussa un profond soupir, cherchant à se vider de tout l'air qu'il avait gardé jusqu'à lors, avant de sauter droit sur l'un des Golems et leurs souffles mortels. De sa main d'épée, il balaya ce qui lui faisait front, brisant le feu de glace de son adversaire. La glace sembla s'enrouler autour de sa lame, d'abord intangible, pour ensuite se fixer, durcir. Solide et létale. Retombant sur ses pieds, le Héros déchu se saisit d'Excalibur à deux mains. Le froid qui le reprenait le cloua presque sur place et son visage se fendit d'une moue qui trahissait son mal. Il oublia bien vite ses jambes, comprenant qu'il ne pourrait pas compter dessus tant qu'il n'aurait trouvé de quoi se chausser, pestant silencieusement contre tout ce qui lui venait à l'esprit. Jouant des épaules et des hanches, il asséna un violent coup de taille à la bête, tâchant de la fendre sur ce qui ressemblait le plus à un flanc. L'épée s'enfonça profondément, brisant presque entièrement l'armature de la créature. Tant et si bien qu'il dut s'y reprendre à deux reprises pour délivrer l'alliage céleste, avant que le Golem ne contre-attaque. Il grogna, jetant son dos en arrière, à la manière de certains athlètes tâchant de changer leur abdomen en pont. Il grimaça, cherchant à se soutenir de ses mains. A quelques centimètres de son nez, le souffle avait repris.