Llanistar avait vite compris que le secret d'Orpheos allait plus loin que ce qu'il avait pu imaginer. Plus loin qu'une simple tension entre eux, qu'une volonté de se détacher du chancelier ou qu'un autre motif plus léger encore. Son intuition le taraudait depuis qu'ils avaient quitté les jardins, vides de toute autre présence que les deux amants et pourtant trop risqués selon le Sheikah. Le silence du trajet s'était fait pesant, mais le nordique en avait profité pour mettre de l'ordre dans ses idées, et réfléchir à sa propre confession. Jusqu'à ce qu'ils soient tous deux installés dans le bureau, confortés par leur intimité, il n'y eut aucune parole. Llanistar, lui, se sentait dés lors prêt à entendre, et à parler sans mentir ni tronquer la vérité. Presque serein en somme.
Et pourtant, alors que le regard du chancelier brillait à la lumière des bougies, l'intuition du nordique revint le tourmenter. Rien cependant ne le préparait à ce que Orpheos lui révéla.
Ses justifications à propos de la bataille n'avaient rien d'anormal et Llanistar les comprenait assez bien. Il connaissait trop la fougue qui pousse à monter au combat, à affronter l'ennemi en face et à ne pas laisser d'autre se battre pour soi. Mais lorsque le Sheikah évoque le pouvoir qu'il avait acquit, son amant sut que quelque chose clochait. Une intonation dans la voix de celui qu'il aimait, un ride soucieuse sur son front, et quelque chose de fuyant dans ses yeux. Lorsqu'il évoqua son plus terrible combat, le général ne put se retenir de frémir, son imagination lui donnant aussitôt à voir un Orpheos meurtrit dans un affrontement sanglant. Mais il resta assis, sentant que le pire allait venir,
« Mais si je ne t’ai pas rejoint, c’est aussi parce qu’il y’avait une autre raison. Je ne t’ai pas rejoint parce que… Parce qu’avec ce pouvoir que je parviens difficilement à manier, je te mettrais en danger. Et je ne veux pas te voir mourir, ou même être blessé par ma faute. Cette idée m’est insupportable. »
Llanistar vit que son amour était aux bords des larmes et il n'eut envie que de se lever pour l'éteindre dans ses bras. Sa quête de vérité lui semblait bien égoïste, bien puérile, en voyant Orpheos souffrir de devoir se confesser ainsi. Le nordique se haït en cet instant, mais il sut que le chancelier voudrait aller jusqu'au bout, et il le laissa finir de parler, aussi difficile c'était alors de rester immobile.
« J’ai fait un pacte avec les ténèbres, Llanistar. J’ai lié un contrat avec les Ombres de Ganondorf lorsqu’elles se sont attaquées à nous, la première fois que nous nous sommes croisés toi et moi, lorsque nous combattions dans la salle du trône de la Citadelle noire. Je leur ai offert mon âme en échange d’une partie de leur pouvoir, et ce contrat met en danger n’importe qui se trouvant proche de moi. J’ai dissimulé cette nouvelle faculté à tout le monde, y compris Zelda. Tu sais comme la magie noire est dangereuse, et tu sais qu’on me condamnerait -à raison- pour son usage. Mais je l’ai fait pour notre princesse, pour être enfin capable de la protéger comme il le fallait, moi qui avait été absent si longtemps pour pouvoir endosser cette responsabilité. »
Le dernier des Rusadir encaissa le choc comme il le put, tant bien que mal. C'était effectivement pire qu'il ne l'avait imaginé, et plus surprenant que tout ce à quoi il s'attendait. Et pourtant, tout prenait sens à présent : la distance d'Orpheos, son ombre qui ne le suivait plus mais qui avait été capable d'aller lui porter la lyre du chancelier capturé, la bataille... C'était comme de savoir lire d'un coup, après avoir longtemps observé des pages entières sans comprendre.
Un instant, Llanistar ne sut pas comment réagir. En quelques instants, il fut partagé, confus. Il en voulut d'abord à son amant pour son silence, puis réalisa que cela serait injuste. Puis, il réalisa le risque et eut peur de ce que les ombres pouvaient faire, avant d'avoir envie de se gifler pour sa peur bestiale de la magie. Si le pouvoir d'Orpheos ne lui avait jamais fait de mal, il n'y avait pas de raison pour que cela commence ce soir là. Et puis, tout s'envola lorsque celui ci conclut, une infinie tristesse sur son sublime visage,
« Pardonne-moi de te l’avoir caché. Pardonne-moi, je n’ai voulu que maintenir votre sécurité. »
Llanistar, refrénant une larme soudaine, se leva et se jeta dans une étreinte avec son amant. Il ne ressentait plus que la profonde affection qui les liait et une profonde compassion pour Orpheos. Ses bras entourant le chancelier, il le pressa contre lui, avec fougue mais sans brutalité. Il ne sut combien de temps ils restèrent ainsi mais lorsque le nordique fut certain de ses mots, il déclara,
« Tu es mille fois pardonné, mon amour. Tu as fait ce qui te semblait juste, avec de nobles intentions, et personne sur terre ne peut te blâmer pour ça. »
Le général se détacha du Sheikah, sans froideur cette fois. Il lui offrait un sourire empreint d'une profonde émotion, et essuya une larme qui s'apprêtait à couler le long de sa joue. Contrairement à ce qu'Orpheos devait avoir imaginé, son amant ne l'avait jamais tant estimé qu'en cet instant. Se lier à une force comme ces ombres pour protéger un être cher, c'était là un courage rare, que Llanistar admirait. Habitué à se détester, le chancelier ne le voyait pas ainsi mais il avait tord.
« Ta bravoure surpasse de très loin la mienne, Orpheos. Ne sois pas dur avec toi même, tu es l'une des plus belles âmes que j'ai rencontré. Il passa délicatement sa main dans les cheveux du conseiller de Zelda, son émotion trahissant sa sincérité. Puis, son sourire disparu et ce fut son tour de baisser les yeux. Quand à moi, je n'ai pas d'excuses à te donner pour t'avoir cacher mon propre secret, excepté celle d'avoir craint que cela t'éloignerait. »
Et de fait, Orpheos ne risquait rien du don de Llanistar, mais à chaque fois que ce dernier avait révélé son secret, il n'avait provoqué que la peur et la méfiance. Et il n'y avait rien de surprenant à cela : qui resterait de marbre en apprenant qu'un ami, depuis la première rencontre, pouvait lire ses émotions, déceler un mensonge ou même manipuler légèrement ses pensées ? Personne de sensé. Mais à présent, le nordique ne pouvait se dérober. Pas après que le chancelier lui ait ainsi fait confiance. A lui d'accorder la sienne à son amant, à lui de se mettre à nu.
Dans un premier temps, Llanistar fit silence. Le calme l'envahit et il fit le vide. Bien vite, le bureau des arts, le fauteuil, les étagères, tout disparut de son état de conscience. Alors, il ouvrit en grande les portes de son esprit, laissant le don filer vers le monde et entrer en lui. Le monde s'imposa à lui et il s'imposa au monde. Et d'un coup, il vit au delà d'avec ses yeux. Alors, il déclara, neutre,
« Un livre va tomber du bureau. Une chouette va passer devant la fenêtre. Et je peux sentir ta culpabilité. »
Alors, en quelques instants, un épais volume chuta sur le sol, un prédateur nocturne volant fila dans la nuit, et Llanistar se referma à l'aura d'Orpheos. Le général ne savait comment le chancelier allait réagir mais il ne lui mentirait sur rien.
« J'ai ce don depuis des années. Si je veux, je peux entrer en communion avec ce qui m'entoure. Je peux lire les émotions des autres, et parfois influencer leurs esprits. Le poids du don était plus lourd à porter en cet instant que jamais, et pourtant il continua. Je ne l'ai jamais utilisé contre toi, ni pour te lire ni pour te manipuler, mais j'en suis capable. Si j'ai senti ta présence durant la bataille, c'est que j'ai reconnu ton aura. Et si je ne t'en avais jamais parlé... »
Il s'approcha de son amant au point de pouvoir presque l'embrasser. Sa voix était lourde de culpabilité et de honte.
« C'est que je suis un lâche qui n'osait pas te faire confiance. Pardonne moi. »
Llanistar eut envie de presser à nouveau ses lèvres contre celles d'Orpheos, mais il ne le fit pas. Ca n'était pas à lui de décider si il en avait le droit à présent. Seul son amant le pouvait.