Posté le 10/01/2017 20:33
Ses doigts craquèrent dans un presque silence tandis que la jeune femme s'éloignait de lui pour gagner l'une des deux larges armoires qui meublait les murs de sa suite. Malgré la lumière de la lune, il peinait à en distinguer le bois sculpté, les motifs et les arabesques. Toute sa vie durant, il était resté admiratif de ces artisans, capables de créer de véritables merveilles à partir d'un bloc de glaise, d'une plaque de bois, d'un carré de roche. Ces ouvrages, il les respectait et les enviait souvent : lui savait manier l'épée, mais pas tanner et traiter le cuir. Il savait blesser, mais certainement pas soigner. Il savait combattre mais difficilement s'affranchir de l'acier pour mettre un terme aux fléaux qui rongeait le Royaume. Sans mauvais sentiment, il jalousait l'inventivité, la détermination et la créativité de ceux qui produisaient. Les artisans, certes, mais aussi les faiseurs de paix, ceux dont la flamme lui semblait ne pas vaciller, même au cœur de la guerre. Son regard revint doucement sur Zelda, épousant sa nuque et ses omoplates et il ne put masquer un demi sourire. Depuis tout jeune, la princesse avait cherché – comme lui, à plus d'un égard – à faire le bien autour d'elle. Jamais, lui semblait-il, elle n'avait eu besoin de recourir à ses méthodes et pour cela il l'admirait aussi. Timidement, conscient qu'il la fixait peut-être trop intensément, l'Enfant-des-Bois ramena ses yeux sur un pli de sa tunique qu'il entreprit d'effacer à mesure qu'elle récupérait de quoi se couvrir. Sans se retourner son amie accepta de lui narrer le récit qui l'avait fait rêver toute son enfance. Lui avait appris à se méfier des légendes ; à faire confiance à la longueur et à la force de son bras. Les mythes inspiraient peut être les hommes mais ne l'avaient jamais sauvé jusqu'à présent. Pour autant, et en dépit de petites incursions alors qu'ils étaient enfants, il n'avait jamais réussi à pénétrer le monde de la Princesse dont le dos avait su capter à nouveau les billes de givre de ses yeux. Elle lui offrait une occasion de découvrir sa vie, son univers, ses craintes et surtout ses espoirs, qu'il n'entendait pas refuser. Il la laissa commencer, l'avertissant quant à la portée historique du conte et il ne put s'empêcher une petite moue amusée. Sans faire partie du cercle fermé des lettrés et des alphabètes, il savait précisément la valeur de ces histoires. Imaginer Zelda y croire, même petite, avait quelque chose de naïf et d'absurde. Elle lui semblait toujours si sage qu'il oubliait parfois que le savoir ne lui était pas inné.
Les premiers mots de la souveraine le firent tiquer, mais il n'en dit rien tandis qu'elle déposait de nouvelles parures sur le lit. À son goût les plaines étaient déjà suffisamment dangereuses, même sans la rage des conflits – et toutes les espèces de nécrophages qu'ils attiraient. Les espèces hostiles, qu'il voyait finalement plus comme des créatures ou des animaux, n'étaient certainement pas les seuls monstres qui rodaient par delà les murs de la Citadelle ou les remparts du Castel. En vérité, il était persuadé que les créneaux imposants et les fines meurtrières ne protégeaient pas vraiment le monde de la monstruosité, de la cruauté ou de la ruse. Dun Loireag n'en était qu'un exemple parmi tant d'autres. Un des exemples les plus visibles, un peu comme une vilaine cicatrice en travers d'une gueule d'ange. D'autres attendaient probablement encore dans l'ombre. Le cuir de ses gantelets grinça tandis qu'il refermait le poing. Tout cela n'était, certes, que le récit d'un conte, mais il lui semblait qu'il minimisait les risques que prenaient les quelques uns qui se battaient pour tous les autres. Le Faux-Kokiri souffla doucement, baissant les yeux vers ses bottes dont le cuir usé par le temps se décolorait. Il savait à quel point les mondes pouvaient différer, d'un côté ou de l'autre du mur. Mais il ignorait quels bêtes Zelda avait à affronter. Du peu qu'il avait pu en voir, elle lui semblait probablement plus dangereuses que celles contre lesquelles il bataillait. Sans un mot, il laissa la jeune reine reprendre son récit, s'attardant sur un village en particulier. Son index et son majeur vinrent caresser l'olivier marqueté qui ornait une sorte de commode ou de bureau, couvert ça et là de chandeliers. Doucement, la narration progressa jusqu'au pouvoir des Déesses, le même que celui qui ornait le dos de sa main. A l'inverse de son amie, il n'y accorda pas le moindre coup d’œil, trop absorbé par les questions qui lui brûlaient les lèvres mais mourraient sur sa langue. Il n'avait jamais compris qui avait besoin d'une telle puissance, dans les faits, ni pour poursuivre quels objectifs. A ses yeux, laisser un tel pouvoir à portée de mains, accessible, constituait une erreur qui dépassait l'entendement. Néanmoins, il laissa la princesse poursuivre.
Doucement mais sûrement, la petite fable prenait forme. Il ne l’interprétait probablement pas de la même façon que l’Élue de Nayru, mais ils avaient toujours eu une vision très différente de la spiritualité, des divinités, du destin. Il lui semblait qu'il s'était toujours, ou presque, dressé contre les Déesses. Il refusait tant que faire se pouvait le fardeau qu'elles tentaient de lui imposer. Souvent encore, il essayait de se convaincre qu'il ne levait pas l'épée pour servir l'histoire avec laquelle elles semblaient jouer mais bien pour servir ses propres intérêts : ceux qu'il estimait dignes d'un combat. La protection du Royaume de Belle – et plus encore Belle elle même – l'avait motivé avant même qu'il ne sache véritablement ce que représentaient les Trois. Et si le Fils-de-Personne se prenait parfois à les mépriser plus qu'à les détester, il savait l'importance qu'elles avaient pour sa Reine. Plus que jamais, il n'avait pas l'envie d'en débattre. Soupirant en silence, il s'approcha d'un pas avant de réaliser que la robe de nuit glissait sur ses hanches. C'est à peu près à ce moment qu'il commença à perdre le fil du récit. Il se mordit la lèvre soudainement, manquant de rappeler à Belle qu'elle n'était pas seule... ce qui revenait à concéder qu'il n'avait pas détourné les yeux. Une douce chaleur vint lui picoter les joues à mesure qu'il contemplait le dos de son amie, épris d'une espèce de plaisir coupable. Une fois de plus, il ne put s'empêcher de remarquer à quel point elle n'avait pas volé son surnom. Ce qu'il ne remarquait pas, en fait, c'était le petit sourire timide qui étirait ses lèvres.
Peu attentif à l'avancée du conte il finit toutefois par détourner le regard, mais trop tard pour ne pas attraper celui de la Princesse. « Belle, je... — », commença-t-il hésitant, cherchant comment se justifier. Elle ne lui en laissa pas l'occasion, enchaînant derechef sur comment le milicien et la jeune étrangère entamaient la vie en communauté, mais son esprit se focalisa davantage sur la mimique qu'elle arborait, visiblement amusée. Sans perdre davantage de temps, elle enfila une robe de plus par dessus celle qu'elle venait de mettre et le prit par la main pour arpenter les couloirs. En temps normal, tout cela ne l'aurait sans doute pas tant intimidé que ce n'était le cas à présent, mais la jeune femme avait quelque chose de spécial, qu'il peinait à cerner et qu'il n'était pas sûr de vouloir comprendre dans l'immédiat. Il avait déjà vu des femmes nues, des plus entreprenantes, et pourtant il lui semblait qu'avec Zelda, il redevenait celui qu'il était avant son premier baiser, sa première nuit. Un léger frisson secoua son échine tandis qu'il essayait de rester aussi neutre que possible, sans vraiment y parvenir. Les doigts de la jeune femme dans les siens, il la suivit au dehors. Après quelques pas, elle s'interrompit et s'excusa, sans qu'il ne réagisse. Brièvement, elle s'éloigna de lui pour gagner un garde avec qui elle échangea quelques phrases trop bas pour qu'il n'en saisisse le propos. En l'attendant, l'Hylien s'adossa contre le mur de pierre, écoutant distraitement la pluie marteler à nouveau les vitraux. La tranquillité des lieux l’apaisait, lui laissait le temps de réfléchir. Jamais il ne s'était senti aussi désarçonné que ça n'était le cas avec la souveraine. Il craignait déjà de savoir pourquoi mais refusait à faire lumière sur les détails. Elle le guida ensuite jusqu'aux cuisines, terminant peu à peu un conte dont, finalement, il ne savait trop quoi en penser. Plus d'un aspects soulignaient, à son sens, l'irresponsabilité de Déesses qu'il supportaient peu, pour ne pas dire pas, tandis que d'autres éveillaient indéniablement sa curiosité. Zelda s'avança vers quelques étagères à la recherche d'un peu de pitance et il s'aventura vers l'ouest de la pièce.
Sur sa route, il récupéra une petite assiette de bois à fond creusé, ainsi que quelques tomates-cerises, une grappe de raisins verts ainsi qu'un peu de fromage de brebis, vraisemblablement réalisé en monastère ou en abbaye. Bien vite, le petit récipient fut trop plein pour accueillir davantage de mets et, se saisissant simplement d'un pichet dont il ignorait la contenance, l'Enfant-des-Bois se mit en route vers l'imposante table de bois à laquelle la princesse s'était installée. Déposant son du sur la table, il s'assit en face d'elle et récupéra le saucisson et la planche à découper qu'elle lui tendait. « Très bien... », glissa-t-il distraitement, le regard vissé sur son repas et les doigts occupés à séparer les fruits qu'il avait choisi. « Tu m'as fait une confession... A mon tour de te parler de ce que tu voudrais savoir. — » En son for intérieur, il savait qu'il allait regretter de s'avancer ainsi : s'il gardait ses aventures pour lui c'était autant parce qu'il n'aimait pas se dévoiler que parce qu'il craignait que cela les éloigne, souligne les différences de leurs univers respectifs ou ne l'inquiète. Pourtant, après le récit complet que venait de lui faire la demoiselle, il lui semblait qu'il lui devait au moins cela. Pour une fois. Pendant un temps, la souveraine resta silencieuse, visiblement pensive. Lui évitait son regard, glissant une tomate entre ses lèvres avant de s'attaquer à la pièce de charcuterie qu'elle lui avait apporté. Tirant le coutelas qu'il portait à la ceinture, il découpait sa troisième tranche quand elle reprit la parole. « Il est arrivé plusieurs fois que tu t'absentes et que je n'aie pas de tes nouvelles pendant... Vraiment longtemps, trop longtemps. Où est-ce que tu es allé ? J'ai parfois eu le sentiment que tu avais quitté Hyrule... Tu as vu beaucoup voyagé ? » s'enquit-elle doucement. S'arrêtant en plein geste, l'Hylien s'accorda une seconde pour rassembler ses pensées, ses souvenirs et tâcher de formuler une réponse intelligible. « Je... oui. Oui, assez. » Commença-t-il, prudemment, sans rentrer dans le détail de ce qu'il avait vécu. La question de son amie était à la fois précise – suffisamment pour qu'il apporte une réponse simple – et vague. Bien trop pour qu'un seul mot puisse fournir une réponse concrète. Lentement, il s'enferma dans le mutisme, coupant une nouvelle tranche de saucisson, puis une de fromage. La Suzeraine n'intervenant pas, il comprit qu'il n’échapperait pas à sa curiosité et qu'il devrait s'attarder un peu plus.
"J'ai quitté Hyrule pour la première fois après notre quête." Lança-t-il timidement avant d'avaler un peu de son souper. L'enfer polaire de ses yeux remonta jusqu'à ceux de Zelda, cherchant son regard. « J'ignore si tu t'en souviens, mais à l'époque nous étions encore enfants », ajouta-t-il simplement, fixant toujours son amie. « Tu m'as alors fait cadeau de l'Ocarina de la famille royale, espérant qu'il me porte chance. » Il laissa un petit silence aérer ses précisions alors qu'il se servait un verre du breuvage qu'il avait choisi auparavant, du lait de chèvre agrémenté d'un peu de miel tiède. « A l'époque, je partais en recherche d'une vieille amie. » Il s'arrêta un instant, le regard perdu dans le vide, les pensées revenant à Navi et au service qu'elle rendait à présent à Flora del Carmen. C'est à ce moment qu'il réalisa qu'il n'avait pas revu la Prêtresse depuis l'instant où il l'avait laissée à Cocorico, aux mains des infirmiers royaux. Dès qu'il le pourrait, il lui rendrait visite. « Je ne l'ai pas retrouvée. » Conclut-il sobrement, bien qu'un peu triste, les yeux revenant à ceux de la jeune Nohansen. « Je ne sais pas vraiment ce que j'ai trouvé, en vérité... » Souffla-t-il, détournant le regard. Le voyage qu'il avait fait à Termina lui semblait tantôt court, tantôt interminable. Parfois, il se demandait même s'il n'avait pas rêvé l'ensemble de son aventure. Certains éléments corroboraient cette impression tandis que d'autres, au contraire, l'infirmaient. « Je suis parti par la Forêt, j'ai gagné les Bois Perdus. Je crois que je m'y suis égaré. » Sa voix trahissait les mauvais souvenirs qu'il conservait de ce pan de son enfance. A l'époque il n'était à la fois plus un môme, sans pour autant être l'adulte qu'il aurait pu être. Les manipulations temporelles, qu'elles soient liées à l'Ocarina ou à l’Épée de Légende l'avaient laissé perturbé. « J'ai fini par trouver une sortie, une sortie très étrange. Une altercation avec un Enfant-perdu s'est mal terminée. » Link décida de taire quelques détails, notamment ceux qui avaient attrait à la malédiction qu'il avait subi. Au lieu de quoi, il reprit un peu de fromage, de charcuterie et quelques tomates. Sans ressentir le véritable besoin d'en parler, il s'était engagé à le faire et tenait ses paroles. « Après avoir trouvé l'aide dont j'avais besoin j'ai été guidé jusqu'à Bourg-Clocher, la plus grande ville des environs. Le pays dans lequel j'ai atterri n'avait ni Roi, ni prince, ni chef de guerre. Il était administré par différents gouverneurs et différents Bourgmestres. » La situation l'avait beaucoup surpris, au début. Et si l'Enfant-sans-Fée avait toujours essayé de se tenir loin de la politique, force était de reconnaître qu'il n'y arrivait finalement qu'à moitié. « Il n'y avait pas non plus de serfs, de chevaliers, de suzerains ou de vassaux. Là-bas, les hommes et les femmes décidaient mutuellement de la politique de la Cité, organisaient de grands débats à l'issue duquel ils votaient pour désigner un dirigeant. Cet homme avait les clefs de la Cité pour un temps donné. » Plus il l'évoquait, plus le vagabond réalisait à quel point un tel système était porteur d'espoir. Lui, du moins, il l'inspirait. Plus qu'aucune monarchie, certainement. Et pourtant... quand bien même il lui semblait plus enviable qu'aucun autre régime, il doutait le voir un jour arriver à Hyrule. Il craignait qu'un tel bouleversement ne nécessite inévitablement le sang et les larmes. Il préféra ne pas insister plus avant sur ce point, ni sur ce qu'il en pensait à titre personnel.
"Je suis arrivé au pire des moments. L'ensemble de la ville était en proie à la panique, ainsi que tous les hameaux aux alentours. Les Gorons de la montagne, les Zoras, tapis sous l'océan, les Mojos dans leurs marais... Tous craignaient pour leurs vies." L'Hylien tâcha de rassembler ses souvenirs. Sous ses yeux défilaient les images de paysages à couper le souffle, qui n'avaient rien à envier aux plus belles vues d'Hyrule. « Ils étaient tous persuadés que la lune allait s'effondrer et anéantir tout ce qu'ils avaient bâti. » Il marqua un temps d'arrêt, réalisant qu'il préférait ne pas trop étayer cette dimension de son voyage. Le visage dont s'était paré l'astre ne l'avait que trop marqué pour qu'il le laisse resurgir. « Peu importe », souffla-t-il alors avant de partir à nouveau en recherche d'un peu de nourriture. Il s'empara de la grappe de raisins. « Tu as déjà vu la mer ? » S'enquit-il doucement, cherchant à nouveau le regard de la jeune femme. « C'était la première fois que je la voyais. » Siffla-t-il doucement avant de gober nonchalamment quelques grains, encore affamé. Il lui restait tant à dire, pour peu qu'il aille dans le détail de chacun de ses périples. La nuit s'annonçait longue.