« Je viens de lui envoyer une missive. Je suis allé au pigeonnier de Cocorico ; je me suis permis de débourser deux cent rubis pour un oiseau de choix, un faucon aux plumes aussi noires que la nuit. C’était le seul rapace que possédait cette basse-cour en hauteur. Je me demande si elle le recevra, et dans cette hypothèse-ci, je me demande si elle viendra. Le temps avance et n’attend pas. J’ai recouvré une partie de mon pouvoir, de mon influence ; je secoue les fils de nombreux pantins pour arriver à mes fins. Il est loin le temps où mon arrogance suffisait à me hisser aux plus hauts sommets. Aujourd’hui, nous sommes dans un monde de magouilles, et je suis forcé d’agir comme un vaurien, à faire des demi-sourires aux uns, à me prostituer pour récupérer quelque pouvoir. Si mon honneur personnel –et non celui que j’affiche si ostensiblement sur mon visage- en prend un coup, c’est un mal nécessaire. J’assume très mal toutes ces combines de banquier, de crocheteurs de serrures… tisser les toiles, se faire stratège des ombres, cela ne me sied guère. Je suis un chevalier, j’aime attaquer de front. L’art de la rhétorique au service de la franchise m’est indispensable, et dès lors que je renonce à ce principe de vie, je renonce à ma fierté, à ma dignité.
Pourtant, j’ai la conviction certaine que ce sacrifice me mènera à nouveau vers une céleste place. Je spécule ; je parie une partie de mon honneur de manière à le récupérer avec les intérêts. Les enjeux sont trop gros pour ne pas saisir cette occasion. Il y a le risque que je le perde à jamais, que je sois noyé par mes propres actions. Ce sont des choses qui arrivent, je dois tout faire pour ne pas laisser cela arriver. Les immondices dont je me couvre sont temporaires ; dès que je serai redevenu moi-même, en mon intégralité, seigneur puissant, le cœur noir d’Hyrule, alors je pourrai me laver de tous scrupules. Pour le moment je n’en suis qu’à la deuxième phase, tremblotante. L’incertain est le seul horizon que je perçois… Je doute, en permanence je doute… Il me faut garder confiance, il me faut continuer à montrer ma force inépuisable et inébranlable pour que l’opinion générale voit en moi ce que j’aspire à être (ce que j’étais) : un roi dans l’âme.
“ Ma chère Tsubaki,
Je t’écris pour te dire à quel point l’affection que je te porte est infaillible. Malgré cette époque sinistre où les jours défilaient sous mes yeux sans la moindre étincelle de joie, malgré l’espoir disparu, malgré les échecs, les défaites successives, les trahisons, les coups bas, je suis à ton service à jamais, chevalier-lige lié à toi pour l’éternité.
Il m’est récemment venu en tête de reprendre fermement ce qui me revient de droit : le pouvoir. Je manigance, je trame, je me prends pour un obscur paladin au service de nobles causes. Suffisent les faux semblants : je désire rétablir la situation que j’avais avant la catastrophe, avant que je ne vous sois enlevé pour le pire comme pour le meilleur.
Tu fais partie de la guilde du Seigneur Ganondorf, ton allégeance pour lui semble indestructible. Tu es –de ce que j’ai entendu dire- sa dignité. Je ne me permettrai pas d’abuser de l’encre pour poser mes arguments, mais cette crapule ne te mérite pas.
Viens donc demain, à la mort du jour, au lieu de nos retrouvailles impromptues.
Mon éternelle amitié,
Astre”
Je conviais également Arkhams, dans une missive rapide, de nous rejoindre. Voilà que j’attends, la peau glacée et le cœur serré, la venue de mes deux plus chers amis. Il est temps de mettre au point certaines choses ; la volonté et la force seront de mise. »
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