Posté le 26/08/2014 22:21
Abel en fut presque certain : il avait vu l’ombre d’un sourire sur le visage de Ganondorf. Etait-il en train de plaire au maître du désert ?
-Dis-moi, Abel, que désires-tu le plus au monde ? demanda Ganondorf avec un intérêt qu’il ne pouvait dissimuler dans sa puissante voix. Parle franchement. Je te donnerais tout ce que ton cœur peut espérer. Tout ce que tu désires.
Le noble aspirant tressaillit. Comment de tels mots, prononcés par une telle personne, n’auraient pu électriser l’ambitieux qu’il était ? Son cœur se mit à battre un peu plus fort, et la déclaration du seigneur noir provoqua en lui un sursaut d’adrénaline pratiquement semblable à celui qu’il avait eu pendant son premier combat.
-Je ne désire rien de plus que mener la vie que j’entends mener, répondit-il en maintenant ses yeux levés vers Ganondorf. Une vie dans laquelle aucun plaisir ne m’est interdit. Et il n’y a qu’une seule chose qui permette d’accéder à ce genre de vie : le pouvoir. Donnez-en-moi assez et je serai plus qu’heureux de vous jurer fidélité. Donnez-en-moi assez pour qu’une terre de votre royaume soit mienne, assez pour que ma bourse soit toujours pleine, assez pour m’abriter des lois humaines.
C’était bien cela ; Abel ne demandait rien d’autre qu’une vie simple où le plaisir seul comptait. Ganondorf comprendrait sans qu’il ait besoin de s’expliquer : l’abriter des lois humaines signifiait lui permettre de s’en détourner. En clair : Abel était en train de demander à son éventuel futur souverain qu’il lui donne le permis de tuer, sans avoir de compte à présenter. Les combats clandestins qu’il pratiquait autrefois, dans son pays, lui paraissaient bien peu comparés à ce que Ganondorf était capable de lui proposer.
Le seigneur du désert, d’ailleurs, avait silencieusement écouté Abel comme il l’avait toujours fait ce soir. L’œil calculateur et le sourire vicié, il sembla préférer ne rien répondre au noble pour le moment. Il continuait de l’analyser, Abel le savait.
-Ton épreuve continue, Abel, finit-il par annoncer. Que le ciel soit rouge !
Un tremblement faillit faire perdre son équilibre au noble Del Naja. Du sable blanc sortit soudainement une créature monstrueuse de trente mètres de haut, un géant dont l’énorme corps était majoritairement fait de rochers incassables.
-Vous ne faîtes pas dans la demi-mesure… déglutit Abel.
Il ne parvenait même pas à voir la tête, fut-elle humaine ou monstrueuse, de la créature gigantesque. Celle d’Abel n’atteignait même pas la taille de ses orteils rocailleux.
-Eh bien, il y’a du travail !
Aussi haut qu’il fût, le géant entendit l’exclamation ahurie d’Abel. La créature souleva alors un énorme pied au-dessus de sa tête, prêt à l’écraser dans le sable comme un humain se serait préparé à écraser un insecte. Courant à perdre haleine, Abel évita de justesse le pied du géant qui fit trembler la terre et s’envoler le sable. Englouti dans un océan de graviers blancs, Abel eut du mal à s’en extirper et à en retirer son épée. Les cadavres des chimères ayant disparu sous tout le sable soulevé, il lui serait impossible de retrouver la seconde ; Abel allait devoir se débrouiller contre le géant avec une lame unique. Mais comment s’y prendre ? Comment attaquer quelque chose que rien ne semblait pouvoir briser ou ne serait-ce que faire s’agenouiller ? Sa lame allait se briser à coup sûr contre son corps rocheux !
Un poing lourd se leva dans le ciel obscur et Abel faillit bien ne pas l’apercevoir. L’étranger noble courut à nouveau sur le côté pour esquiver la nouvelle attaque du géant, sauf que cette fois, il survola l’avalanche de sable provoquée par la secousse en se perchant sur un rocher. Le tremblement fut tel qu’il manqua de perdre l’équilibre.
Décidant de prendre le plus de recul possible pour avoir une vue d’ensemble de son adversaire, de ses pieds jusqu’à sa tête, Abel se faufila le plus rapidement et le plus discrètement possible loin de lui. Mais une fois qu’il vit vraiment ce qu’il devait affronter, son cœur tomba comme de la pierre dans son estomac.
Le golem invoqué par Ganondorf défiait tout simplement l’imaginaire. Pour ainsi dire, il dépassait de très haut tout ce que le plus fou des sorciers hyliens aurait pu créer. Pour la première fois, Abel commença à mesurer les formidables capacités magiques de Ganondorf. La mise en garde de ce dernier résonna dans son esprit :
-Ici, je pourrais te vouloir vieux et faible et tu ne pourrais que plier devant ma volonté. Je tiens ta vie entre mes mains, Abel.
C’était horriblement vrai… Abel le réalisait, ça aussi. Mais il était quand même hors de question pour lui de ployer le genou.
Ployer le genou…
-Ho, rebus de la Création ! cria Abel à l’attention du géant. Ouais toi ! Viens, je suis là !
Le géant poussa un gémissement profond qui fit vibrer les os d’Abel dans sa chair. S’approchant lentement et dangereusement de l’endroit où il avait couru, le géant ne parut guère prêter attention au petit manège d’Abel, qui partit se réfugier sur la pointe de l’un de ces rocs écarlates en forme de dents géantes. Chacun de ses pas provoqua une secousse qui rendit difficile le maintien d’Abel sur cette dent.
Enfin, lorsque le géant se fut suffisamment approché de lui, il leva comme prévu l’un de ses deux énormes poings pour écraser Abel, qui sauta de la dent pour s’éloigner au dernier moment. Courant le plus vite et le plus loin possible, il pria pour que son stratagème fonctionne et que sa théorie soit juste.
Le beuglement qui s’éleva dans l’immensité désertique le confirma.
Le géant était aussi fait de chair sous son armure de rochers et la pointe du roc s’était insinuée, comme une douloureuse épine, dans la jonction de ses deux plus grands doigts. Il avait maintenant le genou posé sur la dune et le poing toujours planté sur la dent géante. Une première ouverture !
Escaladant le poing du mastodonte et se hissant sur le dos de sa main, le noble Del Naja ne tarda pas à courir au plus vite sur son avant-bras difforme. Long à la détente, le géant ne remarqua que trop tard le petit humain qui remontait son bras, et son autre main ne parvint même pas à l’attraper. Abel atteint sans grand problème le creux de son cou, puis sa nuque, et enfin le haut de son crâne toujours composé de rochers discontinus. C’était sans compter sur la volonté de se relever du monstre.
Accroché à la surface irrégulière du crâne, Abel sentit tous ses organes se soulever de l’intérieur lorsqu’il vit se vit décoller du sol. Les dunes blanches s’éloignèrent de sous ses pieds, et il se retrouva très vite à trente mètres de hauteur, en train de lutter pour sa survie sur la tête d’un colosse pouvant raser les plus grandes cités en un instant. Qu’allait-il faire, maintenant ?!
Sa salive resta coincée dans sa gorge lorsqu’Abel vit l’énorme main du golem se lever dans le ciel d’encre. Il allait le balayer de son crâne comme un fétu de paille ! Abel devait trouver son point faible dans la seconde, mais il n’en avait perçu aucun sur le corps de cette monstruosité !
Poussé par l’énergie du désespoir, le cerveau d’Abel redoubla de vitesse dans sa réflexion, et ce fut à ce moment précis qu’il se souvint d’un détail : le joyau d’ambre que le monstre portait sur son front. Etait-ce possible que la magie du seigneur Gérudo passe par là… ?
C’était maintenant ou jamais.
Son épée toujours serrée au creux de sa main, l’étranger courut sur la large surface du crâne du golem, évita sa main in extremis, et se laissa glisser sur le front étrangement bombé de la créature jusqu’au joyau qu’elle portait sur le front. Ne pouvant y demeurer stable longtemps alors que se mouvait toujours le titan -il était comme sur un tout petit rempart en haut d’une falaise-, Abel n’hésita plus, et planta son épée dans l’ambre géante.
La créature hurla. Abel s’accrocha au joyau juste avant qu’il n’agite les bras, marche bruyamment à reculons, et tombe finalement à la renverse. La chute du colosse sur le sable aurait pu être audible d'un royaume entier, et faire tressauter des maisons entières. Une véritable tempête de sable souffla jusqu'à des dizaines de mètres de hauteur, et il dût falloir une minute entière à Ganondorf pour qu’il puisse enfin distinguer une ombre à travers ce brouillard sablonneux.
Alors que son arme s'était brisée en même temps que l'ambre, Abel se tenait sur le front du golem inerte. Droit, fier, les poings serrés, prêt à continuer.