Posté le 23/08/2014 07:26
Il porta sa main en visière, protégeant ses yeux d'un astre d'airain de feu et d'or. Sa lumière seule inondait le désert tandis qu'il dominait les dunes plus qu'aucun roi ou aucune reine qui prétendaient régner sur ces terres. Les peuples se succédaient, les monarques se suivaient et les forteresses tombaient, mais toujours il écrasait les ruines de l'ancien monde et balayait les cendres du nouveau. Il renifla, fronçant les sourcils. Au loin se dessinait la tour qu'avait évoqué le vieillard, dans la lueur éclatante du soleil. L'homme avait été clair : il était primordial — vital, même — de s'en tenir le plus éloigné possible. Le mal hantait ces lieux maudits. Et c'était précisément ce qu'il était venu chercher. Il tira une outre de cuir et de fourrure de la sacoche qui pendait dans son dos, tâchant d'estimer la distance qu'il lui fallait encore parcourir sous ce soleil de plomb. De toute évidence, il en aurait pour plusieurs heures de marche, si pas le reste de la journée.
C'est quand la gourde rencontra ses lèvres qu'il hésita. Il n'avait à peine de quoi remplir une écuelle d'eau clair et à peine plus de porc séché. Si, comme il l'espérait, il se retrouvait à devoir faire marche arrière avec un compagnon, il aurait besoin de tout ce qui lui restait. Vraisemblablement plus, en vérité. Doucement, il éloigna l'outre de sa bouche et la referma. S'il avait la gorge sèche son amie, elle, devrait être assoiffée. Rangeant le petit récipient, il se remit en marche, non sans pester intérieurement de ne pas avoir de cape. La dernière qu'il avait possédé avait disparu en même temps que ne tombait le Palais de Ganondorf. Réajustant son bonnet tant bien que mal pour se garder un minimum de la chaleur et de ses rayons sans doute plus mortels que le plus aiguisé des cimeterres. Et en dépit du sable qui s'insinuait dans les plis de ses vêtements, ou des flammes que l'étoile du jour (en fin de vie) lui jetait au visage, il progressait. Les buttes de sables se ressemblaient toutes mais, indéniablement, la largue structure de pierre se rapprochait, à mesure que le soleil ne tombait.
Du bout des doigts, il effleura les murs rongés par la poussière et balaya nonchalamment quelques unes des toiles qui tapissaient la roche, vestiges de bannières anciennes et jadis glorieuses. Tout lui semblait tomber en ruine, et les Skultullas elles-même avaient fui les lieux. Certaines des pierres qui avaient servi à bâtir le mirador s'effondraient à la moindre pression. D'autres n'avaient guère attendu : des trous béants s'ouvraient d'ores et déjà sur le désert devenu froid et sombre. Une fois encore il regretta de ne pas avoir la moindre cape, d'aucune sorte. Il frissonna en silence quand un courant d'air portant les relents glacés des dunes l'attaqua jusqu'au os. Du moins... Il espérait que ce ne fut que cela mais dans les faits il savait que l'ambiance des lieux lui pesait également. En un sens, il espérait presque s'être trompé, tant il souhaitait que son amie n'ai pas eu à vivre cela des semaines durant depuis la chute de la Forteresse. Ca et là, les crânes jonchaient le sol. Tantôt humains, tantôt ceux de rats visiblement difformes. Les viscères de certains animaux venaient combler les trous des dalles explosées par les âges. Il ferma les yeux et repensa à son amie. La peste qu'elle se soit fourrée jusqu'ici. Il jura, les lèvres pincées et les dents serrées, maudissant Ganondorf et ses sortilèges.
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Il s'avança précautionneusement, marche par marche. La pierre grinçait parfois, comme si elle eut été faite de bois. En vérité l'escalier tombait en lambeaux, comme le reste. Il savait pertinemment qu'à se précipiter il aurait tôt fait de tomber avec tout un pan de la tourelle. Et peut-être même finir enfoui sous les débris. Sa main monta jusqu'à un chandelier qui était resté indemne ou presque et qui, de toute évidence, avait été entretenu : la flamme continuait de briller au bout des bougies, neuves. Il arqua les sourcils — le maure l'avait assuré que tous les avant-postes des environs étaient abandonnés depuis des lustres. Il ne savait s'il pouvait se fier à lui. L'édifice avait l'air déserté, certes. De la même façon que le Prince avait eu l'air enlevé. Ses doigts emprisonnèrent plus fermement l'alliage rouillé de sa torche improvisée, tandis qu'il portait son flambeau au devant de son regard. La faible lueur des flammes l'éclairait assez pour qu'il voit jusque son pied, mais elle ne le protégeait pas du froid. De ses lèvres s'échappaient de petits nuages de vapeur, quand il ne grelottait pas.
L'Enfant-des-Bois progressait lentement — il ignorait tout de l'avancée du temps, mais il avait le sentiment de lutter contre la tour elle même pour gagner quelques millimètres à chaque fois. La dernière fois qu'il avait vu son amie elle était parée d'une carcasse de bronze, de cuir et d'acier. Elle devait peser, au bas-mot, le double de son poids si ce n'était plus. Il ignorait fondamentalement comment elle avait pu s'avancer dans les entrailles de la structure. Le cuir bouilli de sa botte gagna un nouveau palier qui donnait sur un mur fendu d'une meurtrière. Il s'approcha, jetant un œil à l'extérieur. S'il ne pouvait distinguer les hyènes qui l'avait suivi sans oser s'approcher du bâtiment, il ne pouvait pas non plus voir les étoiles de cette nuit sans lune.
En revanche, il disposait toujours de son oreille. Quand le donjon tout entier se mit à grogner, il eut tout juste le temps de bondir en arrière. Un pan entier du colimaçon chuta et manqua de l'emporter. La roche hurla une seconde fois, tandis qu'une nouvelle fois le mur se détachait de sa base, brisant son unique chemin vers le sommet du chemin de garde. D'une main, il se couvrit tant bien que mal le visage, en reculant aussi vite qu'il lui était possible dans les limites de la prudence, qu'il avait manifestement mal estimé : ses jambes se dérobèrent, ses genoux fauchés par un vieux tonneau qui dévalait les escaliers à une vitesse folle. Le chandelier lui échappa et il balança ses doigts au travers du créneau pour ne pas être écrasé ou jeté au bas de la tour. Aussi soudainement que s'était déclenché la tempête, le calme revint, dans la poussière. L'Hylien resta immobile un instant, tâchant de reprendre son souffle. Il se baissa pour récupérer la lampe qu'il avait perdu dans l'accident, et cracha le sang qui tentait sa bouche. « Tali ? » Lança-t-il, sans savoir s'il espérait une réponse. « Tali, c'est toi ? » Poursuivit-il en se lançant de nouveau dans l'ascension, les yeux rivés vers les cimes du mirador. Tout un ensemble de l'escalier en hélice manquait, mais cela ne l'arrêterait pas.
Il fit bientôt face au gouffre qui grimpait sur une vingtaine de pieds. Il recula, prit son élan et sauta, se hissant dans les airs, avant de se réceptionner sur l'une des rares marches toujours fixée au mur. Sans attendre il bondit de nouveau, la sentant craintive. Il lui restait une grosse dizaine de pieds à parcourir, et il sut qu'il serait juste aussi balança-t-il son bras droit. Sa paume rencontra la pierre avant de s'y agripper aussi fermement et durablement que le permettaient les replis et les aspérités. Les muscles de son bras le lançaient, mais il continua à tenir la position, tentant de se stabiliser en parallèle. Il pendait encore à plus d'une demi-douzaine de mètres dans le vide, quand il jeta enfin la chandelle de l'autre côté de la berge. Jouant de ses deux bras, il commença à s'élever à la force de ses épaules et de ses poignets. La sueur poissait son front quand il grognait et une chaleur lancinante parcourait ses membres. A force d'escalade, il avait compris qu'il valait mieux compter sur ses jambes pour grimper mais avait également appris à se tirer de situation où il ne pouvait compter que sur la partie haute de son tronc. Poussant un râle sous l'effort, il gagna le haut de l'escalier, en nage. Au moins ne craignait-il plus la morsure du froid.
"Funérailles...—" Souffla-t-il, encore sur les genoux. La sueur gouttait de son front et de ses tempes, venant humidifier la pierre sèche. Aride. Du bras droit, il s'épongea le front sans plus de considération pour l'étoffe qu'il portait alors que du gauche il récupérait une nouvelle fois le chandelier dont les bougies brûlaient encore. Il soupira, en s'appuyant au mur pour poursuivre sa montée, souhaitant de tout cœur qu'aucune nouvelle secousse n'ébranlerait les ruines jusqu'à son arrivée.
Il continua de monter, progressant tant bien que mal, jusqu'à découvrir l'ancien emplacement d'une trappe qui permettait jadis de rejoindre le chemin de ronde depuis le poste d'observation principal. Les sables, le chamsin, les âges et probablement les guerres n'avaient laissé qu'un trou béant qui laissait s'engouffrer un air frais et qu'il trouva vivifiant. Sa main libre épousa la déchirure et il se tira en haut pour mieux faire face à un Hache-Viande. D'instinct, il chercha la fusée de la lame qui pendait à sa ceinture, sans toutefois tirer le fer au clair. « Tali ? » Murmura-t-il à nouveau, s'approchant prudemment, mais tendant la main vers elle, comme pour l'inviter à le rejoindre. Pour avoir vaincu un nombre grandissant de ces créatures sans-vie, il savait que les armures n'abritaient rien d'autres qu'une sombre magie et du vent. La longue cascade sanguine qui courait de sous le casque jusqu'au bas du poitrail et la chair qui paraissait là ou mourrait l'alliage ne laissait pas de place au doute : il avait trouvé ce pourquoi il était venu. « On rentre à la maison. Tout est fini. — » Souffla-t-il, cherchant du regard les yeux de la créature. Conscient que le sortilège du Paria devait toujours être à l'oeuvre, il garda la main tendue pour l'inviter, mais se préparait déjà à une réaction agressive. Ses pieds s'ancrèrent dans le sol en silence, alors qu'il fortifiait ses appuis.