Mon enfant dans la nuit.

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Franc


Inventaire

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(vide)

Depuis ce rêve lucide si étrange, je ne partageais plus la même existence que les personnes du commun. J'étais dépositaire de quelque chose, légataire d'une grandeur passée que je ne parvenais pas à définir. Mon destin n'était plus dicté par les caprices des Déesses, seulement par les aléas du hasard cruel. J'arpentais Hyrule au gré des faces d'un dé imaginaire, probablement pipé par je ne sais quelle méchante tricherie. Il me semblait que mes pensées ne m'appartenaient plus qu'à demi. Ma conscience, pourtant prolixe en réflexion, se taisait comme celle d'un vieil homme sage. Des impulsions, des remarques mentales se créent ex nihilo, comme tombaient du ciel. Elles n'étaient pas les miennes, mais celles de quelque chose d'autre. Loin de paniquer, j'étais étonnamment heureux d'être suspendu aux nylons d'un marionnettiste suprême. Ses erreurs ne seraient pas les miennes, mais je jouirai cependant de ses réussites. Au sortir de mon songe, je ne me souvenais de rien. Si ce n'est quelques bribes fantasques d'un univers débridé et inquiétant. Une résolution d'acier était en moi, je savais que je devais me battre pour une œuvre qui me dépassait. Mais laquelle ? Je suivais alors depuis un instinct inspiré par un être extérieur.

L'intuition étrangère qui me possédait m'emmena vers le Cimetière du Village Cocorico. Lieu du début de ma vie, fin de celle de tant d'autres. Le crépuscule avait déjà grignoté une partie du ciel. Il était peint d'un dégradé allant de l'orange violent vers un bleu nuit profond et calme. D'aventureuses étoiles développaient déjà leur étendard étincelant. Le monde terrestre n'était plus qu'ombres et formes douces. On devinait plus qu'on ne voyait, véritable délice pour un enfant comme moi que de métamorphoser ces silhouettes en d'incroyables objets imaginaires. Je me sentis cependant épuisé, fatigué au plus profond de mon âme, comme si cet univers de deuil aspirait mon énergie. Les vifs rechignent à visiter les morts, avatars du passé et symboles de souffrances. Le silence de milliers de dormeurs éternels m'écrasait. Les animaux eux-mêmes censuraient leurs couinements joyeux, devant les sourds râles des trépassés.



« Mon Fils. »


Une décharge parcourut mon échine, comme un serpent de fer déchirant mes nerfs. La voix était une mélodie brumeuse, chargée de soulagement et de mélancolie. Par un réflexe récemment acquis, la dague d'Astre se trouvait déjà dans ma main. Je la pointais avec maladresse, tenant en joug la nuit naissante, sans cible identifiée. Par petits pas je décrivis un cercle pour trouver l'origine de cette parole. J'étais pourtant seul.
Une porte claqua derrière moi. Je bondis vers le son, avant de voir apparaître le Fossoyeur. Détritus d'homme à la face de pomme de terre édentée. Ses yeux chassieux me fixaient avec surprise et reproche.



 « C'est pas un endroit pour les gamins.
-Je cherche quelqu'un, monsieur. » dis-je en pure improvisation.
 « Bon, je te ramène à la ville une fois mon tour fini, histoire de voir si rien à bougé » fit il avec espièglerie, essayant tant bien que mal de faire un clin d'oeil. Il clopina plus loin, sans plus de cérémonie.


Sa voix, lugubre et profonde, n'était pas celle que j'avais entendue. Le mystère me semblait moins effrayant maintenant qu'il y avait une présence humaine et vivante dans le cimetière. J'avais cependant l'horrible impression qu'elle s'était adressée directement à moi, chose impossible. Mais dans mon âme elle faisait écho, je me sentais vraiment comme le fils dont cette voix faisait mention.
Mes pas m'ayant mené dans ce lieu, il fallait donc tout logiquement que je l'explore dans l'espoir d'en découvrir la raison. Les astres de la nuit éclairaient faiblement les pierres tombales. Elles faisaient apparaître épitaphes poétiques et fissures du temps. Quelques lierres enlaçaient certaines pour une danse perpétuelle. Je fis des tours et des détours.
Au bout d'un moment je tombais nez à nez avec un grès grisâtre et lessivé par la pluie. Sa forme singulière attira mon attention. D'un doigt fébrile, je touchais ses gravures sans en comprendre les mots écrits. Tout avait était soigneusement poncé par le temps qui passe, sauf des lettres solitaires, de ci de là. J'étais pris d'une profonde pitié à l'adresse du mort dont plus personne ne pourrait honorer la disparition. Ma curiosité poussa ma main vers une exploration minutieuse de la pierre. Après un lot de minutes interminables, je pus identifier un unique mot entier. Je me déplaçais de côté afin que mon ombre ne puisse empêcher la faible lumière du ciel d'identifier ma découverte.



« Nocturne ». Lisai-je.


Puis soudain.



« Oui, mon Fils. »


La voix retentit à mes oreilles, la peur cognant contre mon cœur paniqué. Elle résonna en moi avec violence, comme le tonnerre dans une vallée. Les mots tournoyaient dans mon esprit effrayé, déchirant les lambeaux de ma raison. Je m’effondrai à genou, comme brûlé de l’intérieur. Je me tins tout tremblant, pour ne pas m'affaler carrément, à la pierre tombale. Mon intellect aux aboies associa de lui-même, comme dans une révélation mystique, le mot ainsi lu et la parole ainsi dite. « Nocturne, oui mon Fils. »
Des éclats de mon rêve qui s'était produit dans ce même lieu avec Astre me frappèrent de leur terrifiante réalité. J'avais était aspergé d'un sang maudit, souillant l'agneau innocent que j'étais. Le liquide, serpent vivant, m'avait inoculé ses horribles intentions.
Pris de spasmes et de délires, je transpirais et pleurais à grandes eaux.



« Cherche la nuit. Cherche mon Fils. »


M'intima la  voix venue d'ailleurs, en un ultime coup de semonce à ma conscience. J'étais à deux doigts de perdre complètement l'esprit, torturé par cet ordre impérieux et quasi divin.


 « Hey, mon garçon ! Calme toi. Reprends toi. Hurler ainsi ne le ramènera pas. »


Fit la voix étonnamment douce du Fossoyeur.
Je crois que ce curieux personnage m'avait sauvé la vie, m'avait préservé de la folie. Sans cela, j'aurais sombré éternellement, broyé par les paroles tourbillonnantes qui s'était gravées au fer rouge en mon âme.



 « Pleure tout ton saoul, petit. Ca aide au deuil, crois moi. »


La suite ne fut qu'une succession d'images. Le brave homme m'amena au village, on pansa mes plaies psychologiques avec les blagues paillardes des clients du bar encore ouvert.
Le lendemain, je n'avais plus alors qu'une seule obsession : partir à la recherche de la nuit, à la recherche du fils.


Astre


Inventaire

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(vide)

J’ai abandonné mon héritier. Notre héritier à tous. Celui qui aurait pu restaurer l’ordre du Soleil noir, celui qui aurait dû réveiller les Profondes Ténèbres. J’ai laissé filer cette chance, cette occasion unique. A présent, je le devine perdu, l’âme fractionnée en deux. Moi qui étais censé le former à des desseins grandioses, j’ai avorté le processus de sa transformation et l’ai lâchement abandonné. Il doit être spirituellement confus. Pas terminé. Cassé. Psychologiquement instable. Peut-être mort, si ça se trouve. J’ai détruit son âme ; ai-je d’ailleurs jamais fait autre chose que détruire durant toutes ces années ? Je suis conscient que l’ordre établi, de corruption, ce tumulus de pourriture dont les racines sont si profondes, ne pourra être remplacé qu’après avoir été détruit. Il en reste que je n’ai probablement jamais pu aller au-delà du stade de destruction, parce que l’ennemi était finalement plus puissant. En définitif, je n’ai jamais pu rien construire. Mon arrogance m’a joué des tours… ma persistance aussi. Ah, j’ai certes fait don de ma personne à Hyrule, je ne peux pas non plus m’enlever ce mérite. Toute l’abnégation dont j’ai fait preuve… mais Hyrule m’a rejetée, elle a trahi tous mes efforts, elle m’a traité comme un bâtard indésirable. Je me suis sacrifié pour rien. Le néant pour seul retour. Une exténuation physique, un délabrement moral pour uniques récompenses. Je suis éteint. Je. Suis. Fini.

N’ai-je donc rien retenu de tous ces échecs ?

Tous disparus. Arkhams. Withered. Tsubaki. Même Lenneth, que j’ai si longtemps reléguée à un rang auxiliaire, est partie. Avec sa fille. Avec ma fille. Notre chair. L’unique création dont j’aurais dû me réjouir, parce que la vie apporte le renouveau cyclique, le remplacement générationnel, la perpétuation de la race… l’immortalité, en somme. J’ai refusé l’immortalité… parce que, si les déesses –ou d’où que vienne l’inspiration divine qui nous meut, nous simples mortels- m’ont rendu increvable, cette non-mort n’est pas une vie ; ce n’est pas la véritable immortalité. L’immortalité, c’est la transcendance de l’état terrien, c’est le nom et le sang qui subsistent en bas, l’être immatériel qui éclot là-haut. J’ai tout rejeté, en bloc, par peur, peut-être, de faire face à la vie ; par peur aussi de perpétuer un cycle dégénéré, car ma race maudite n’a jamais produit de bienfaits. Ni pour Hyrule, ni pour moi… Au fond de mon âme, j’espère humblement que Lenneth et ma fille finiront par vivre bien, loin de moi, en bonne santé. Qu’un homme sensé pourra combler le vide de mon absence. Qu’ils pourront se construire, loin de toute décadence.

Quant à Hyrule, elle n’a plus besoin de moi. Elle n’en a jamais eu besoin. L’ère des héros est terminée, c’est le règne du matériel, de la gloriole momentanée. Celui des égos surdimensionnés pour des prouesses réduites. Personne n’a marqué l’Histoire ces dernières années. Pas même nous, Profondes Ténèbres… nos noms ont été effacés par les nouveaux arrivants et leurs veuleries portées en triomphes. Ces parvenus qui s’auto-congratulent… comment peuvent-ils donc avoir autant d’orgueil, eux qui ne tirent leur fierté que de leur propre reflet ? Ils ne reçoivent pas d’acclamations populaires, aussi illégitimes puissent-elles être, encore moins un quelconque assentiment divin. Leur miroir est leur seul et unique admirateur. Ils vivent dans un château de glace… mais la glace fond, et ne subsiste alors que le néant. Ainsi que les larmes pour ultime onction.

Je me console avec l’idée que, si nous n’avons pas changé le monde, le monde ne nous a pas changés. L’Histoire est un cycle. Il suffit d’attendre. Si personne ne déloge les usurpateurs, ceux-ci finiront quand même par s’effacer. Le monde finit toujours par s’écrouler. De ses ruines surgit alors un nouveau monde, meilleur ou pire. Rien ne dure, tout est cyclique.

La vie est une lutte, pour autant. C’est le seul enseignement que je peux tirer de ma vie chaotique. Une lutte à mort. Et si mon parcours est seulement jalonné d’échecs, alors qu’ainsi soit-il : le combat ne doit pas être mené pour la victoire en tant que telle, mais pour ce qu’il est lui-même : une épreuve, des joies et des peines, la vie dans son absoluité.

La lune est dégagée ce soir. Elle est en croissant. Les déesses seraient-elles enfin en train de me sourire ? Ai-je finalement compris le fonctionnement de l’Univers ? l’Harmonie qui gouverne tout ?


« Franc, si tu es là, poursuivons nos rêves illusoires. »

Quant à vous, déesses, j’accepte, sur le tard, votre jugement brutal et vous promets qu’un jour, nous parviendrons à nous entendre. D’une certaine manière, n’ai-je pas été votre chevalier le plus dévoué ? Je continuerai Votre Œuvre, sachez-le. C’est vers vous que je lève mon triste visage ; c’est pour vous que je souris enfin. Même s’il est un peu artificiel, même s’il est un peu forcé. C’est un bon début, vous ne pensez-pas ?

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Et, sans raccrocher les gants, il se lève, sous le regard bienveillant de la Trinité, pour errer un peu plus dans la nuit.

« Mon enfant dans la nuit », semble chuchoter la Lune, qui continue d’éclairer ses pas, qui n’a jamais arrêté de l’accompagner dans ses tourmentes et dans ses doutes.


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