Posté le 22/09/2012 20:20
Il n'avait guère le choix que de la suivre, mais gardait en tête l'idée qui lui effleurait l'esprit depuis qu'elle avait relâché son étreinte sur lui, bien plus tôt dans la journée. Elle le guidait dans un univers dont il ignorait tout, à commencer par ce qu'était réellement les femmes et quelle était leur place. Si jamais l'une des femmes du Désert s'était approchée pour l'aider, dans la même situation, une de ses soeurs n'aurait pas hésité à lui faire payer le prix de l'acier, avant de le pendre lui. Alors que...
Alors qu'ici, les femmes semblent vivre en harmonie complète et totale avec les hommes au point que voir une femme aider un homme paraisse normal. Il avait déjà vu des femmes, à la peau aussi brune que la sienne, et aux cheveux aussi rouges que ceux de SafiHooru-Sitųčol ou ceux de Joleën-Yva. Il avait vu ces femmes boire, chanter et danser avec des hommes librement. Oh.. Bien sur, lui avait été trop inquiet pour participer à ce rassemblement, et si méfiant qu'il avait refusé de suivre la moindre femme qui s'était approché de lui. Le blondin s'était alors infiltré dans la grande demeure de pierre – assez semblable à Al Alforf, quoique bien plus sombre – et y avait subtilisé un Oud.
Oud aujourd'hui brisé et qu'il n'avait pas eu le loisir d'emporter. Avec une seule main – et pas la bonne, en plus – il n'aurait pu l'emmener sans demander de l'aide ce qu'il se refusait à faire tant par défiance, orgueil (et même méfiance ; cette dernière était réellement omniprésente dans sa vision des femmes — associée à une colère sourde, et une crainte presque infinie) que par gêne. Il n'allait pas lui demander de l'aider plus encore que ce qu'elle avait déjà fait.
Il avait donc du laisser l'ensemble bien anorexique de ses possessions, lequel se résumait aujourd'hui à sa propre vie. Sans doute bien dérisoire aux yeux de beaucoup, mais il ne s'estimait à vrai dire pas dans le besoin. Il avait l'estomac vide, certes, mais il était libre. Libre, vivant, et propriétaire de cette vie. C'était déjà bien plus que ce qu'il n'avait jamais espérer pouvoir rêver.
Toutefois, il craignait à nouveau pour cette liberté chérie qu'il avait tant peiné à gagner. En un éclair lui revint le visage de la Sitųčol, et il manqua de défaillir à sa pensée. C'était si bref et si discret qu'elle ne remarqua rien, alors qu'elle l'emmenait jusqu'à un lieu qu'il n'aurait su définir, en lui tenant la main.
Il ouvrit grand les yeux, à mesure qu'ils pénétraient dans le village Cocorico tandis que les masures ne se teintaient d'une douce lueur orange et rouge. Umas s'en allait se coucher, et bientôt Falųme s'en irait prendre sa place. Le jeune garçon avait toujours préféré cette dernière. Elle était des deux soeurs la moins cruelle. La moins orgueilleuse aussi, mais pas la moins dangereuse pour autant. Il l'avait appris à ses dépends alors que l'on le punissait de sa première escapade. Toutefois, il avait aussi appris que là où la mer de sable prenait fin et où commençait cet océan vert-émeraude, les nuits étaient bien plus clémentes que par chez lui.
L'enfant du Désert restait ébahi devant cette construction pourtant aux yeux de tous si modeste. Mais il ne savait pas ce qu'était une maison, et tant de petites bâtisses de pierre le surprenait. Il avait l'habitude de Palais immenses, et de cages ridiculement minuscules et surpeuplé, mais jamais il n'aurait imaginé qu'il était possible d'habiter un endroit privé, là où lui même n'avait jamais été qu'une propriété privée dans un espace appartenant au Clan de Joleën-Yva, puis de la Sitųčol. A dire vrai, il ne l'imaginait toujours pas.
C'est pourquoi il se laissa guider sans mal jusqu'à l'une des baraques, où elle voulait l'emmener. Néanmoins, le garçon du Désert se braqua quand il lui fut donné de renifler l'odeur d'une nourriture qu'il ignorait — qui même si lui ouvrait sacrément l'appétit, indiquait sans conteste qu'il y avait de la vie par là.
"Nat.." Murmura-t-il d'une voix brisée par l'inquiétude et la peur. « Nat..! Nat ! » Reprit-il, plus fort, avec plus de fermeté dans la voix, en se débattant tant bien que mal. En aucun cas il n'entrerait dans ce qu'il avait compris être une habitation, en aucun cas. La dernière fois avait été claire : il avait du tuer pour en sortir, et quand bien même il ferait tout pour l'éviter il refusait de revivre la cavale qu'il avait eu, au loin, vers Va Garba.
D'un mouvement brusque résultant de l'inquiétude qui se lisant dans ses yeux, il tira son bras de la main de la jeune femme, prêt à partir dans le sens opposé comme une balle, avant que son poignet blessé ne percute (avant qu'elle ne puisse se retourner) la façade de briques rouges.
Si la porte ne s'était pas brusquement ouverte, il se serait plié en deux. Mais il parvint à se contenir, malgré les larmes de douleur, de peur et de tristesse qui perlaient au coin de ses yeux. Il ne voulait pas. Mais il ne devait en aucun cas se montrer faible devant ces dangers que formaient ses tortionnaires.
Tout recommençait : tout ce cycle infernal qu'il avait vécu pendant près de deux décennies redémarrait. Les « maîtres » qui parlaient cette langue étrangère entre eux sans qu'il ne puisse la comprendre, les souffrances, et tout le reste. Dans un geste désespéré, alors que la jeune femme était légèrement dans son dos, il rabattit sur son nez le chèche qu'il portait depuis sa fuite de l'ancienne demeure de la Sitųčol. Il ne tenait ni à ce que se voit cette marque qui trahissait tout ce qu'il était, ni à ce que ces gens puissent remarquer les larmes qui traçaient de nouveaux sillons sur ses joues.
Cheveux-de-Blé fut poussé à l'intérieur. Sa tenue ne laissait plus voir que ses yeux marrons teintés de reflets de sienne — des yeux d'esclave. Il n'avait pas été brutalisé physiquement, mais à la réalité, c'était tout comme. Le Peau-Brune entr'aperçu du coin de l'oeil cette grosse femme plantureuse qui préparait le repas pour ce petit homme qui les avait fait entrer. Qui était-il ? Il ne pouvait pas être un Sitųčol, ce rôle était exclusivement féminin, et le fait que cette femme soit occupée à la cuisine laissait planer le doute sur qui elle était. Puis, il se souvint. Il se souvint de cette autre femme derrière lui, et dès lors tout devint plus clair.
Elle l'avait volontairement fait tomber de l'arbre, pour l'emmener ici en trompant sa confiance. L'homme était un Kwotkaš, et la rousse était une soeur de moindre rang. Peut être une Sitųčol. Tout à fait logique qu'elle soit en cuisine : laisser cette tâche à un esclave pouvait s'avérer être mortel. A l'évidence, la blonde était la Latifa du Clan.
Il serra les dents, en proie à une rage à double tranchant, tant tournée contre lui même que contre cette fille qui l'avait piégé.
Il n'écoutait pas même ce qu'elle disait, quand elle le fit s'asseoir, s'obstinant simplement à donner l'image de ce que l'on voulait qu'il soit : docile, obéissant, inoffensif. Mais à la vérité, son regard s'était arrêté partout, sur chaque aspect, chaque aspérité, chaque objet compris dans cette demeure plus haute mais moins longue que les cages usuelles. Il n'y voyait pas la moindre chaîne, mais ne s'y fiait pas. Tout était si différent ici.
Elle s'en alla, et l'homme s'approcha de lui, passant une paire d'yeux transparents bien étranges devant les siens. Dès qu'il fut à porté, le garçon lui envoya son pied dans le ventre avec toutes les forces dont il disposait encore. L'homme se plia en deux, peinant à respirer, cherchant l'air. Cheveux-de-Blé s'arracha du tabouret, passant derrière. Il savait que sans sa main droite il ne serait pas des plus efficaces. Déjà, la Sitųčol se précipitait vers le vieillard. Le remords pinça le coeur du blond, alors qu'en tête lui revenait l'image de Vieux-Père. Il n'envoya pas moins son pied dans le tabouret, lequel vint frapper une nouvelle fois l'ancien, à la tête cette fois-ci, qui s'effondra. D'une plaie (bénigne mais impressionnante) s'enfuyait dans un spectacle carmin son sang.
Il s'élança, grimpant d'un bond sur la table ronde et de bois. La plantureuse rousse était accroupie auprès du Kwotkaš, et il fonça vers la cuisine, avant qu'elle ne se relève, vociférant des sons qu'il ne comprenait pas. Sur son visage, la colère s'était apposée comme un masque qui effraya sensiblement l'enfant de l'Ouest. Il savait ce qu'il coûtait de provoquer les maîtres ; et il savait qu'il ne le revivrait pas. De la main gauche, il empoigna une imposante lame de fer blanc – un hachoir – et le pointa sur la pauvre femme désarmée.
Elle hurla.
Dans un fracas assourdissant, le verre se brisa, et il se défenestrait protégeant du mieux qu'il pouvait son poignet blessé, hachoir toujours en main, ignorant aussi les nombreuses plaies qu'infligeaient les éclats sur ses bras nus en dessous du coude. Il roula sur le sol, laissant derrière lui une mégère en rogne et un doyen inconscient. Sans plus attendre, de peur que la grosse ne le rejoigne, il se mit à courir dans la petite ruelle, cherchant la sortie de ce ghetto, inquiet pour sa vie autant que pour sa liberté.