L’établissement était crasseux ; cela puait la sueur rance, et tous ces clochards avinés qui se sustentaient de mets indélicats et de bière vaseuse ressemblaient à des épouvantails. Pour un peu, ils auraient effrayé Astre le banni. Après que la Sheikah eût convaincu physiquement l’aubergiste débordant de lard de répondre à leurs besoins, le couple se dirigea vers un lieu plus obscur où ils auraient loisir de tramer et de comploter contre le royaume. Astre sourit à cette pensée, se sentant l’âme d’un vilain mystificateur tout droit sorti d’une pièce de théâtre. Il ne lui manquait que la vilaine bouille : les dents longues, le nez camus et les petits yeux fourbes. Il balaya du regard les abrutis venus s’éclater la panse et le foie, ces visages hirsutes et barbares, cette plèbe dégoûtante qu’Hyrule écumait dans les lieux les plus sinistres, comme cette auberge très sale.
Tous deux assis, Lenneth sembla lui dire quelque chose, mais le brouhaha alentour occupait toute son attention, et la voix de la fille sonnait comme un appel lointain, un souvenir. Il haussa les sourcils, surpris par de telles pensées alors qu’il n’avait rien bu encore. Il secoua la tête, se résignant sûrement à subir la confusion de son esprit, avant de lever les yeux sur l’ancienne Phénix. Son regard se mit à dessiner le contour de la silhouette, puis à hachurer l’intérieur. Il se demanda ce qu’il faisait ici, en face d’elle, cette gueuse qu’il avait abattue férocement… et lui, que faisait-il en ce bas monde ? Etait-il une âme errante ? Sa bouche tiqua, ses lèvres se retroussèrent et le rouge de ses iris sembla vomir une vieille amertume quasi-millénaire. Lorsque la serveuse arriva avec sa figure débile, Astre se surprit à vouloir la gifler. Lenneth prit un verre de vinasse. L’autre guenon, avec son air ennuyé, attendait du Chevalier qu’il lui commande quelque chose. Il la toisa avec morgue jusqu’à ce qu’elle baisse le regard. « Une bière… et deux plats du jour. » La fille acquiesça et repartit le pas traînant vers le comptoir.
Astre, pour se ressaisir, réajusta sa chaise face à la table et redressa son dos meurtri. Il entrelaça ensuite ses deux mains et se pencha, sans sourire, vers Lenneth. Elle se prélassait sur sa chaise, cette petite garce, songea-t-il un instant. Il serra les dents pour repousser ces vilaines pensées qui s’accommodaient à l’environnement, et lui lança glacialement : « Que me veux-tu ? »