Un esprit sain dans un corps sain

FIN => Franc + Lenneth

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Astre


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Nous marchions côte à côte, maître et disciple pour d’affreux lendemains ; moi la claudiquante silhouette malvenue, lui le soleil pimpant des jeunes années. Nous étions ombre et lumière, les deux faces d’une même pièce. Alors que la rouille avait déjà commencé à me ronger, l’adolescent était en pleine ascension.  Beau matériau humain que la jeunesse, qui méritait un enseignement rigoureux et martial pour qu’elle puisse s’épanouir dans les meilleures conditions et servir des desseins qui l’honoreraient et qui honoreraient le monde dans lequel elle évoluait. Je me surpris à contempler sa figure nigaude, cette rondeur et cete fraîcheur typique des individus non terminés ; dans cette informité si naïve, il y avait tant de choses à faire. Il me fallait forger son caractère, l’effiler comme une épée, sculpter son corps amorphe, faire de sa chair un torrent de muscles chauds et travailleurs.

L’environnement s’urbanisait : çà et là quelques masures venaient égayer les horizons verdoyants d’une touche de gris qui brisait un peu l’uniformité épuisante de cette nature domptée. Je vis au loin les cheminées de Cocorico recracher leurs serpents de fumée, qui sillonnaient verticalement sur un sentier divin invisible à nos yeux d’humbles mortels.

Je m’arrêtai un instant, forçant vraisemblablement mon compagnon à ralentir sa marche. J’avais besoin de respirer, la chaleur appesantissait mes mouvements. Ce n’était pas une question de vieillesse, ni même de manque d’entraînement. Après tout, malgré mon allure vagabonde –je portai des vêtements qui avaient duré tout le voyage du retour, j’avais les joues avilies par une barbe crasseuse, mes cheveux étaient longs, et du reste je ne sentais pas très bon, j’avais conservé une belle forme. J’avais profité de Tolem pour me refaire une santé qui, hélas, ne présentait pas bonne figure après le voyage. Pourtant, un sentiment étrange m’oppressait la poitrine : j’avais à mes côtés un joyau d’une pureté infinie, pas encore altérée par ces temps décadents. Je pouvais le polir, en faire un vrai diamant ; à l’inverse, je pouvais le détruire, l’avilir, ruiner sa nature de bel enfant. Quelle responsabilité ! Nous vivions des heures sombres où les jeunes muscles partaient offrir leur force à une armée en déroute, à des champs en pagaille ; où la donzelle vendait ses fesses au premier venu parce que l’argent manquait ; où les gentilshommes juvéniles s’abrutissaient la raison à coups de  potion  magique. Nous vivions dans un monde d’hallucinations, un monde de ténèbres étouffantes, et j’avais à mes côtés un rescapé. Je levai les yeux au ciel, et alors que c’était une belle journée ensoleillée, je ne vis que de noirs présages. Une larme roula sur ma joue droite, pour mourir dans les poils drus. Plus j’y pensais et plus mon crâne me chauffait : moi qui me complaisais, fut-un temps, dans cette atmosphère mortifère, la voilà qui me prenait à la gorge et qui me dégoûtait. J’étais un paradoxe, mon âme était déchirée entre plusieurs drapeaux, et je ne parle pas de terres et de patrie, mais des allégeances du cœur. Quelle indicible souffrance, rance et puante comme un vieux morceau de fromage qu’on a laissé pourrir sur le coin de la table, près de la fenêtre…  

Nous arrivâmes au village. Cela faisait longtemps que je n’y avais pas posé les pieds. Dans ma bouche, je pouvais goûter la cendre ; d’ailleurs plusieurs bâtiments présentaient des traces de suie. Certains édifices s’étaient même effondrés, le village avait récemment dû subir une attaque. Des brigands peut-être, ou alors une charge dragmirienne, qui sait. Les visages que nous pouvions apercevoir dans la rue étaient lugubres ; ces masques hagards, blafards, me donnaient le cafard. Petit envolée poétique d’assez faible qualité qui témoignait de l'état lyrique de mon esprit volatile. Qu’allions-nous pouvoir faire ici ? Boire une bière chez NuttyK, ce fin de race dégoûtant, et comploter comme avant ? J’eus une pensée pour Arkhams, comme à chaque retour : j’entendis vibrer dans les tréfonds de mon âme les cordes de la mélancolie, et les repoussai mentalement avec ardeur. Ce tourne-casaques !, probablement en train de brûler dans les enfers les plus chauds du planisphère.
J’en viens à penser à demander au gamin ce qu’il voulait faire, avant de me rendre compte que c’était là une bien triste décision. On ne demande pas à son cadet ce qu’il veut faire, on lui impose une décision juste. J’avais grise allure, je voulais un bain, celui du guerrier, juste après son entraînement quotidien, celui du brave qui consent au repos mérité, qui laisse adoucir ses muscles endoloris par l’eau chaude parfumée d’huile, douce comme les mains d’une femme.


« Nous allons nous baigner. Tu es crasseux. »

Mes pas me dirigèrent naturellement vers l’auberge du village, quand soudain mon regard capta un établissement que je n’avais jamais vu auparavant : c’était en fait une petite maison à colombelles, dont le bois peint en bleu épousait le gris de la pierre avec un charme tout à fait champêtre. Une petite pancarte affichait à droite de la porte : « Hostellerie zora –avec bain. » Il me fallait avouer que ces humanoïdes visqueux, hommes-carpes, avaient un don inné pour l’art du bain. Après avoir convenu avec moi-même de pénétrer dans cette jolie auberge, ma main poussa le battant de la porte. A gauche, il y avait un comptoir en marbre blanc veiné de lapi-lazuli. Une grande fresque représentant une Zora au visage très charmeur nous accueillait dans ce hall au sol en mosaïque. Les effluves d’huiles essentielles accompagnèrent les vapeurs d’eau chaude pour nous souhaiter la bienvenue. J’avais le souffle coupé : comment, en ces temps de guerre, un tel établissement privé pouvait-il se maintenir ? J’aperçus dans un couloir que dévoilait une porte ouverte des Hyliens nus dont les muscles bronzés et tailladés de plaies encore rouges témoignaient d’un présent guerrier. J’en conclus que les soldats les plus malins venaient dépenser une partie de leur solde pour les services de cet établissement, au lieu de tout jeter en putains et en gnôle. Probablement des éminents du mercenariat, pour avoir un tel trait d’esprit !

« Messire, puis-je vous aider ? » demanda, tout droit sorti des affres embuées, une petite voix fluette aux accents maritimes.

Un vieux petit Zora tout ratatiné, sorte de sardine compressée et posée sur ses deux pattes, émergea de la fumée d’eau.


« Un bain pour tous deux » lui répondis-je d’une voix un peu bourrue. Ma rustrerie ne le froissa pas, il était habitué à ce genre de clientèle.

« Très bien, messire. Veuillez me suivre, si cela vous plaît. » Son attitude mielleuse m’exaspérait au plus haut point, mais je ne pouvais me permettre le luxe d’un conflit par pur jeu alors que j’étais sans-le-sou et malpropre. Le poisson-sur-pattes nous pointa du doigt le vestiaire, où nous pûmes nous dévêtir à l’ombre des regards indiscrets. Ici, point de honte, nous offrions notre nudité aux yeux les plus sains : à part pour quelques pédérastes qui guettaient la chair mâle avec un intérêt détraqué, il n’y avait pas à avoir de pudeur déplacée. Même en cette époque trouble, les mœurs restaient globalement cohérentes dans les milieux « populaires ».

Mon corps couturé était fort : l’ivoire crasseux de mon épiderme présentait bonne condition, je ne risquais pas d’altercation. Mon jeune disciple était probablement plus malingre et donc sujet à quolibets, mais il lui fallait apprendre la vie, à coups de ceinturons parfois… Il y avait deux bassins d’une taille assez respectable. De toute façon, nous étions en tout et pour tout six. Un client, ventripotent bourgeois, exhalait d’aise au milieu d’une vapeur bleuie par les sels et les huiles, dans le premier bain. Les trois autres hommes, de la graine de taureau, discutaient entre eux dans le deuxième bassin. J’optai pour le premier, pour éviter d’empiéter sur l’espace vital des guerriers. Nous nous glissâmes dans l’eau brûlante, c’était une belle sensation pour mon corps ankylosé. Le bain du guerrier… mes pensées tourbillonnèrent vers de vieux souvenirs de batailles.  


Franc


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Les panoramas, les fragrances, les sons s’accumulaient avec une telle richesse de détails dans ma mémoire qu’elle était tout simplement saturée.  Je me sentais petit chiot qui suivait sa mère. L’allégorie niait certes mon humanité, mais elle était cruellement exacte. Ce monde, je l’avais appréhendé sous la protection de mon hameau chaleureux, par le petit bout de la lorgnette dont la lentille fut censurée de toutes horreurs. L’univers était incroyable, mais point formidable. Le pendant des paysages idylliques traversés était la banale cruauté de la nature. La Terre était peu complexe, superbe mais dangereuse.

C’était donc ça, la vie ? J’étais complètement stupéfait.

Plaine venteuse et parfumée, village urbanisé, êtres vivants excentriquement fantasques, autant de souvenirs qui s’entassaient en moi. J’étais pris de vertige tellement je me sentais stupide. J’avais résumé l’existence à ma banlieue natale et assez médiocre car dépourvue de magie.

Alors que mes pensées se dissolvaient comme du sucre dans l’eau bouillante des bains publics, je soupirai à grand bruit. Au travers de l’écran de fumée aux senteurs d’épices, le visage tout en plis de gras du riche client dont nous partageâmes le bassin, me mit en garde d’un grognon lugubre. Il devait sans doute chasser de son esprit les problèmes quotidiens et ma jouissance de l’instant l’en empêchait. Je plongeai légèrement ma tête dans l’eau, jusque sous mes yeux.

Je n’en voulais pas à ma famille de m’avoir tenu à l’écart d’Hyrule, mais il me semblait cependant impossible de retourner à mon existence d’avant, si étriquée et si terne. En effet, j’étais totalement nu dans un étrange bain tenu par une bête tout droit sortie des légendes dans une ville à plusieurs heures de chez moi. J’étais submergé d’émotions. J’en fis d’ailleurs des bulles d’aise par la bouche, comme tout enfant dans une baignoire.  

Les héros que j’avais entrevus indiscrètement dans l’autre pièce thermale m’avaient fait forte impression. Leurs corps étaient torturés par les affres de conflits que je ne connaissais pas, mais leurs yeux taillés dans le silex chantaient à mon âme les complaintes de leurs aventures.

L’eau bouillante semblait cuire ma carapace innocente et je barbotais dans le brûlant liquide amniotique de ma nouvelle existence. Un rire impossible à réprimer, semblable à un haut-le-cœur joyeux, éclata à travers mes dents. Dans cette crise d’hystérie compulsive, je fixais le plafond. Le fin carrelage azur développait un ciel sans nuage d’une pureté indécente. Entouré de vapeur, j’étais dans l’étourdissement complet. Le temps n’avait plus prise sur moi et je me trouvais comme à la croisée des chemins dans ce non-lieu, sorte d’antichambre vers une autre existence.

Je cessai mon rire, me rendant compte de mon comportement inapproprié. L’ombre de mon compagnon, dont la fumée environnante gommait les défauts, exhibait une certaine puissance. Son aura jusqu’alors étouffée par la crasse et son habit miséreux, était en train d’éclore. Je me sentis petit à côté de cet homme. J’avais l’impression que c’était un héros au lendemain qui déchantait.

Les minutes ou les heures passèrent, je ne savais pas tellement. Les particules d’eau qui montait du bassin percutaient notre peau, nous étions sous une douce cascade qui montait vers les cieux. Groggy, je me laissais aller. Mes pensées moururent avant de naitre et le temps fila.


Eorah Vif-Argent


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(vide)

Elle sortit de sa maison en même temps que le soleil jaillit a l'horizon. Ses cheveux en bataille de sa nuit agitée, sa fille dans les bras et en train de se régaler a son sein, Lenneth s'assit sur le banc de pierre qui jouxtait sa maison. Personne ne venait l'enquiquiner aux jeunes heures du jour. Bientôt le marché régnerait a Cocorico et il lui faudrait se glisser parmi les badauds et les ignorants pour faire les pauvres courses dont elle avait bien besoin. Car si nourrir sa fille était simple, remplir son propre estomac se révélait un peu plus complexe. De même qu’éviter les gardes royaux lui semblait tout les jours un miracle. Depuis sa tentative avortée de tuer Zelda et son Général homosexuel (Len' ne le sait pas c'est moi qui l'ajoute comme ça on me comprend), Lenneth avait son visage placardé sur les affiches de recherche.

L'air frais de la matinée lui hérissa la peau en chair de poule et bientôt elle regagna la tranquillité de son foyer. Eorah retrouva le chemin de son lit, ou elle s'endormit pour quelques heures encore, tandis que sa mère faisait l'inventaire des ses possessions.
La maisonnette avait bien changé depuis la première fois qu'elle était venue ici en compagnie de son amant. Un mobilier confortable et sobre était disposé. Lenneth prit place dans un fauteuil, son enfant a portée de main. Elle n'osait plus vraiment s'en éloigner depuis l'autre nuit. Les doigts de la mère caressèrent la joue de la petite fille.


« Bientôt on va sortir. On va faire des courses et si on a le temps, on ira faire un tour aux bains. Tu veux ? »

L'Argentée n’était pas sure qu'on la laisse entrer avec la petite. Mais elle avait l'envie de tenter. Son corps portait assez de cicatrices pour qu'on reconnaisse son passif guerrier.

Quand le soleil fut a mi-course avant le zénith, la Sheikah quitta son foyer, le paquet Eorah dans les bras, un panier au creux du coude. Elle s'aventura dans les ruelles, le visage caché sous un châle léger, car l'air était lourd et on sentait que l'orage pointerait son nez avant la fin de la journée. Ainsi déguisée elle aurait put être n'importe quelle femme du village et les hommes d'armes royaux qui passèrent a coté d'elle ne furent pas prit de soupçons. Et pis on ignorait que Vif-Argent avait pondu.

Bientôt le panier fut plein, d’œufs, de légumes en tout genre. La Sheikah retourna a sa maison, déposa ses achats et referma la porte. Puis s'adressant au bébé elle lui murmura : « Viens on va se laver. » Puis elle reconsidéra sa fille. Eorah venait de fêter ses 14 mois et se tortillait pour échapper a sa mère. Aussi la jeune femme déposa l'enfant au sol et lui tint la main. Les pas maladroits de la petite la firent sourire.

Arrivées a la battisse recouverte de mosaïques bleues et blanches, Lenneth regarda par la fenêtre. Son cœur manqua un battement. Était ce possible ? Non ! L'apparition disparut mais la jeune femme en était presque sure : Astre se trouvait la dedans. Son corps se mit a trembler elle n’était plus très sure de vouloir y aller. Non pas qu'elle ai peur de lui. Enfin si un peu.  Mais ce ne pouvait pas être lui. L'homme était mort, enfin disparut. Il l'avait abandonnée tout comme son mari avant lui. Lenneth savait qu'elle n'avait pas de chance avec les hommes et cela l'attristait. Mais pourquoi craignait-elle un fantôme ?


« Allons Len' tu es ridicule ! » se reprocha-t-elle en poussant la porte de l’établissement.

Faire accepter Eorah ne fut pas une mince affaire et la mère y laissa quelques rubis supplémentaires au tarif habituel. Comprenez ma Dame, si elle n'est pas propre il faudra vidanger les bassins. Mais bon, le Zora fini par ceder et elles entrèrent dans les brumes vaporeuses. Une serviette enroulée autour de son corps couturé et mince, la jeune femme portait sur la hanche une enfant curieuse. La petite regardait tout ce monde répartit dans les bassins, ou hommes et femmes se mêlaient. Une pointe de nostalgie prit la jeune femme tandis que son regard surnaturel captait un couple en train de se caresser dans un coin, cachés par la brume.

Tout au fond, un gros homme et ses probables gardes du corps. Mais point d'Astre. Lenneth soupira et se détendit. Elle sut a cet instant qu'elle s’était trompée.  Ses pas le menèrent a l’étendue d'eau chaude qui voisinait le gros lard. Elle leur fit un salut de tête respectueux, a lui et ses gars,  avant de se plonger dans l'eau. La vapeur masquait les visages de ses gardes du corps. Elle ne put les dévisager. La nervosité lui revint car elle sentit les cheveux de sa nuque se hérisser. Descendant les yeux elle rencontra le regard lubrique du gros en train de détailler ses courbes masquées par la toile. Les yeux porcins scrutèrent même la petite juchée sur la hanche de Lenneth. Celle ci frissonna et cacha sa fille a cet homme horrible. Elle n'avait même plus envie de se dévêtir. Mais elle laissa tout de même la serviette quitter sa peau et fit mine de ne pas sentir le regard lourd qui s'attardait sur elle en entrant dans le bassin et se masquer a lui.


Astre


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(vide)

L’eau chaude caressait ma peau et lui rendait couleur humaine. Il était vrai que dans les conditions où mon corps se trouvait, j’étais surpris de ne pas avoir été refusé à l’entrée. Il faut dire que la crasse était telle que le Zora n’aurait pas pu percevoir au-delà du film noir l’épiderme vampirique qui recouvrait mes muscles. Je rosissais donc dans l’eau bouillante, homard albinos, ma peau se fripant agréablement comme des draps propres dans lesquels on se plonge. Le gamin lui aussi semblait épanoui, il goûtait les plaisirs du bain avec cette ignorance imbécile : il n’avait jamais vécu ce moment que je lui offrais avec ses propres rubis. Je le voyais tourner la tête dans tous les sens, animal furtif, et pouvais deviner dans son excitation la faim de découvrir ce monde qu’il ne connaissait pas, ou plutôt qu’il connaissait, au travers des contes et légendes qu’on avait dû lui raconter dans sa prime enfance. Sans crier gare, l’éphèbe sembla atteint d’une folie légère, celle qu’on nomme avec indulgence euphorie : ce moinillon laïc laissa son rire aigu empoisonner l’air étouffant. Le chiot avait jappé, je me doutais que les guerriers allaient sous peu nous jeter une pluie d’œillades assassines, que le gros quant à lui allait se recroqueviller dans ses bourrelés.

Et en effet, les regards de travers s’abattirent sur nous comme un essaim d’abeilles. Heureusement, les trois musclors avaient l’air décidé à ne pas venir punir cette insolence ; ils préféraient garder le doute que nous nous soyons moqués d’eux plutôt que de sacrifier ce moment de paix si rare dans leur vie trépidante d’aventureux guerriers. D’une certaine manière, je respectais cette réserve et cette patience : moi-même aurais certainement attrapé le gamin par la peau fripée de ses petites boulettes pour en réduire la substantifique viande à l’état de tartare inutile, consommation exceptée pour les gourmets les plus fins. Ma main vint taper l’arrière de la tête du gosse, pour lui apprendre les bonnes manières. A nos côtés, le cétacé flottant, bouée de gras pleine de faux sourires, se gardait bien de nous regarder. Il préférait afficher sur sa large figure un sourire poli. J’eus une morbide pensée, celle qu’avec un coutelas de pêcheur j’aurais pu éviscérer ce gros lard pour le simple plaisir de voir l’eau devenir pourpre. Un bain de sang… ça y est, mes divagations prenaient vie dans les vaguelettes artificielles générées par le bourgeois énorme. Le volcan anal venait de s’exprimer, il crachait sa fumée mais celle-ci se perdait dans les affres aquatiques et donnait naissance à de petites bulles épaisses. Ma délicatesse naturelle me rendit nauséeux ; l’envie de le tuer me prenait la gorge, j’en avais des sueurs froides.  Ce gros dégueulasse, ce misérable riche… A l’instant où je décidai de l’aider à faire plus ample connaissance avec ses flatulences, mon regard capta le sien qui n’était pas connecté à ma personne. Il semblait déguster du regard un plat visuel dont les yeux n’étaient pas les seuls intéressés. Je visualisais son petit boudin tenter une traction volontaire infructueuse, écrasé par le poids de sa panse. Quelle immonde raclure !

Je me retournai donc, pour élucider le mystère. Mes yeux de braise vinrent se poser sur la silhouette mordorée qui se découpait dans la brume chaude. De longs cheveux venaient disparaître derrière le rebord en pierre, et devaient probablement se prolonger sous l’eau. Elle semblait tenir dans ses bras un paquet ; de légers babillages en émergeaient. Un enfant ? J’étais à la fois stupéfait et charmé par cette vue, si noble, si agréable, celle d’une femme dénudée plongée dans l’eau jusqu’au ventre, portant à son sein l’enfant sacré. Cette nymphe avait quelque chose de déstabilisant : mon regard s’adoucissait à sa vue, le rouge de mes pupilles prenait une teinte moins ensanglantée. Je sentis une étrange mélancolie m’envelopper tendrement les sentiments, dans un édredon aigre-doux qui me rendit un peu triste. Les trois mercenaires, devant l’apparition divine, saluèrent la jeune femme, mais à mes yeux, ils se signaient religieusement. Ils sortirent d’un même pas du bain pour laisser cette sirène à son doux plaisir et devoir maternel. Moi qui ne vivais que dans la violence perpétuelle, j’étais tenu en respect par cette attitude débonnaire, serviable, admirable, cette courtoisie sans précédent, quasi-magique ! Que des tueurs sans scrupules se soient ainsi maîtrisés, pire encore effacés, devant une femme, cela me clouait le bec. Il aurait été plus naturel de les voir sauter sur la Vénus, de la violer sans retenue et de fracasser le crâne de l’enfant sur la pierre du bassin. D’un coup, la contrepartie de mon silence dévot vint réclamer son tribut de haine. Que ce gros bourgeois, devant une telle scène, si raffinée, si majestueuse, si évangélique, fasse fi de toute convention et reluquât cette femme, cela me remplit d’un dégoût instantané. Si le gamin s'était mis à guetter les vertus physiques de cette naïade, cela ne m’aurait pas offusqué parce qu’après tout, le concept de beauté humaine n’avait pas le même poids dans son tendre esprit. Par contre, je ne pouvais permettre tel débordement de la part de ce "gentilhomme". Je fis quelques brassées dans l’eau pour atteindre ce salaud, et lui engouffrai deux doigts dans le larynx. Il se mit à tousser, à cracher, à s’étouffer, se congestionnant comme le dégoûtant qu’il était. Je retirai mon emprise de sa gorge et le giflai bien proprement, le laissant déguerpir en hâte.


« Tu vois, gamin, lui non plus n’en a pas fini d’être éduqué… »

Je me sentis un peu fébrile, de m’être ainsi emporté pour si peu, moi qui d’habitude ne me gênais pas pour couvrir de mes yeux libidineux la silhouette d’une femme très belle. Pourtant, c’était quelque chose de plus solennel, de plus grave, lourd de significations, cette parabole que la trinité me laissait contempler. Il y avait quelque chose de si familier chez cette femme. Et si c’était Nayru ? Je balayai de la main cette idée stupide, en ricanant sèchement pour reprendre contenance. Cela ne m’était pas habituel, d’être si superstitieux, si bigot, si naïf et crétin.

Son visage sembla se tourner vers moi, et entre les vagues brouillardeuses qui serpentaient dans la grande pièce, je le reconnus : Lenneth. Estomaqué, je ne savais pas comment réagir. Cette femme, je ne l’avais pas vue depuis si longtemps, la dernière fois c'était lors d’une escapade incongrue, avant que je ne disparaisse dans la nuit et ses folies. Le hasard la replaçait à nouveau sur mon chemin, dans cet endroit si atypique. Elle avait mûri, elle semblait moins farouche. C’était probablement cette enfant sous le bras qu’elle trimballait. Cette enfant… la rage m’acidifia l’intérieur. Mon regard se figea. Cela ne se pouvait pas, non, je ne pouvais pas… c’était impossible. Mes traits se crispèrent, un masque de colère attristée, de tristesse coléreuse, je n’aurais pu choisir entre les deux, vint brouiller ma figure. J’avais les poings serrés sous l’eau, j’en avais mal aux jointures. Non ! Non ! Non ! Déesses ! Ne me faites pas cela, ne m’infligez pas cette souffrance supplémentaire ! Que vous aurais-je donc fait pour mériter tel sort du destin !? Je sentis mon cœur se briser. Les larmes coulèrent abondamment sur mes joues creusées.


« NON ! »

Dans un accès de rage incontrôlé, je sautai hors de l’eau, bousculai cette femme qui avait été mienne, lui arrachant des bras l’enfant et plongeant mon regard sang dans le sien, son regard miroir du mien. Les pleurs ne s’arrêtaient pas ; la môme, elle, n’avait même pas peur ; elle m’observait de ses grands yeux béants, avec les petites mèches argentées qui jaillissaient de son petit crâne. Sa face ronde, lunaire, toute sucrée d’enfance, ne bougeait pas d’un cil. Cette fille était adorable, mais je ne pouvais pas en être le père. Je ne voulais pas l’être. Mon sang était maudit, ce n’était pas responsable de laisser vivre la progéniture d’un démon… Je sanglotais toujours quand mes bras plongèrent la fillette sous l’eau. Etais-je en train de noyer ce chat malade, cette enfant non désirée ? Ce produit infâme, une bâtarde qui plus est… Je ne savais plus ce que je faisais moi-même… Etais-je vraiment un tueur d’enfants ?

Dans un éclair de raison, je ressortis l’enfant d’une mort certaine et ses petits poumons ployant sous l’eau s’exprimèrent avec rudesse dans cette grande pièce. Maintenant, les yeux de sang de la petite me fixaient durement, comme si ma haine était héréditaire, comme si elle projetait déjà de faire ce que moi j’avais fait.

« Grandes déesses… » soufflai-je dans un soupir, mes bras tenant toujours l’enfant devant moi, les larmes roulant toujours sur mon visage blafard.


Franc


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(vide)

Au sein de ces cieux brumeux, l’ombre d’un client nouveau navigua vers nos eaux. La taloche à l’arrière du crâne avait promptement mit fin à mon rêve, mon attention était focalisée sur l’arrivant. D’abord gêné par la présence du gros homme, cet invité impromptu m’agaça ensuite. J’avais grand soif de calme et de proximité avec mon compagnon de route. On disait toujours que les deux héros d’une aventure, dont le hasard en avait fait un couple hétéroclite,  était liés d’une amitié passionnée. Je comptais bien commencer la tâche ardue de me faire ce nouvel ami providenciel. Mais le manque de tranquillité malmenait mes plans. La jeunesse n’était qu’impatience.

Ma frustration commençait à bouillir aussi fortement que les eaux de source frémissantes des bains. J’accusais le nouvel arrivant d’un regard sanglant, ou tout du moins de toute la haine dont j’étais capable de réunir à l’encontre d’un être, ce qui était peu de chose. Simple colère boudeuse, pas plus.  La colère semblait cependant dissiper le mystère sur mon objet de hargne infantile.

Drapée des soies de la brume, la femme cachait sa nudité avec la pudeur d’un angelot. Je ne pus contrôler mon regard affamé de beauté. La rondeur de ses seins gorgés de laitage crayeux excita une malsaine curiosité en moi. Quelques mèches argentées, espiègles,  dérobaient jalousement de mes yeux le brun de ses tétons. Je me gourmandais à parcourir la vallée de ses courbes généreuses, tant de sentiers que mon adolescence naissante auraient aimés emprunter. Le bosquet de sa fleur m’était caché par la pudique rapidité de la femme à se plonger dans les eaux fumantes. Plus fumante encore était mon imagination à deviner sa peau surprise par la chaleur, ses fines cuisses rosir comme les feuilles à l’automne. Je nageais dans les cieux avec un ange. La proximité des corps nus me donna un tournis que je n’avais jamais ressenti auparavant. J’étais soudain fiévreux de mes émotions, et non pas par les thermes.  Le visage de cette femme de rêve avait les traits délicats d’un enfant, sculptait dans le marbre le plus pur, matériau du palais céleste des Déesses.

La réalité m’éclaboussa. Un gazouillis de nourrisson et le monde bascula. Mon compagnon de route sauta à la gorge du gras bourgeois, doigts inquisiteurs dans son larynx adipeux. Puis, sans logique apparente, la scène se changea en horreur. Possédé par quelque esprit maniaque, il chargea la pauvre petite chose qui semblait être la fille de ma nymphe des bains. Il plongea son corps vierge des affres du temps dans l’eau, comme on noie le chaton de trop d’une portée déjà nombreuse. La panique foudroya mes jambes cotonneuses, qui réussirent à me tracter hors du bassin, à faire quelques pas hésitants puis à glisser sur un carrelage humide.  Mes os tintèrent contre la pierre taillée à m’en révulser l’estomac. Sonné et apeuré, j’étais à demi conscient. Ma face contre le sol, j’imitai un objet inanimé et invisible. Mes yeux ne devaient pas être témoin de l’horreur d’un infanticide, mon âme être souillé d’un péché mortel. Mes oreilles captaient simplement de sordides clapotis, qui me tirèrent des larmes angoissées et acides.


Eorah Vif-Argent


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(vide)

L'Argentée s'assit dans le bassin. Une expression de surprise sur le visage. Elle ne souhaitait pas mettre a la porte les trois hommes avec qui elle partageait son eau brûlante. La jeune femme tournait le dos a Astre et Franc. Les poings d'Eorah lui saisirent les pouces tandis que la petite se hissait sur ses pieds et sautillait dans l'eau, en gazouillant joyeusement.

La Sheikah soupira et put se laisser aller a la détente. Entre les leçons pour Jade et la traque pour retrouver son fils, la métisse ne prenait pas souvent de temps pour elle. La petite dansais sur les genoux de sa mère, riant et sautillant, comme tout les enfants de son age.
Puis soudainement elle tendis l'index sur une destination dans le dos de Lenneth :
« Apopa ? »

Lenneth fronça les sourcils et allait se tourner, regarder ce que sa fille désignait sous le nom de 'papa'. Mais un NON, hurlé, désespéré, dégoutté lui coupa toute envie de regarder qui sa fille dévorait de son regard rouge et innocent.

Un grand bruit d'eau et a nouveau cette sensation horrible, terrible et insupportable. Voila qu'on lui arrachait a nouveau des bras le fruit de ses entrailles. Si la perte de son fils fut horrible, Lenneth eu l'impression qu'on la privait de raison en même temps que d'Eorah. Ce fut au tour de l'Argentée de hurler
« NON » et de sauter a la gorge de celui qui tenait sa fille. Mais elle ne put le faire en découvrant l'homme. Toute parole resta alors coincé dans sa gorge. Un hoquet de surprise et de peur lui coupa le souffle. Et quand elle put a nouveau prononcer un mot il fut ignoré, oublié, perdu dans un temps dangereux. « Astre ... » La Sheikah lisait le visage de son ancien compagnon. Avaler sa salive lui parut presque impossible. Elle tendit la main, en signe d’apaisement. Elle voulait lui parler, lui expliquer, lui raconter comment elle qui ne pouvait procréer avait put donner la vie. Lenneth pensait du fond de son cœur que seul son âme sœur avait put lui faire un tel cadeau. Les petits étaient clairement de cet homme par trop de fois perdu et retrouvé.

Mais ce moment si fragile fut rompu quand l'homme a demi fou plongea Eorah dans l'eau. Lenneth se mit a hurler d'horreur, bondissant sur Astre avec la ferme intention de lui mordre la gorge.
Pourquoi me fait il ça ? Je l'aime, je l'aimais … Je … Astre ne fait pas ça, ne fait pas quelque chose d'irrémédiable.

Le corps nu et rougit de la métisse jaillit de l'eau en même temps que le Sheikah retirait la petite de sa souffrance. Eorah se mit a hurler, appelant sa mère, exprimant une peur de cet inconnu. Vive comme un éclair, la mère arracha son enfant des mains du père.
« Grandes déesses… » Le corps des deux filles tremblaient. Lenneth posa son regard au sol, et vit le jeune homme dans les pommes, son souffle difficile a cause de la vapeur. Elle nota les larmes aux yeux de l'enfant, tandis qu'elle posait Eorah a quatre pattes prêt de lui. Une main passa sur le front du jeune inconnu. Astre semblait toujours a milles lieux de la. L'Argentée ne savait pas quoi faire. Disparaître a son tour d'Hyrule, fuir et revenir dans une décennie ? Ou affronter celui qui … vennait de tenter de tuer sa fille.

Se redressant, faisant fi de la pudeur et des convenances, Lenneth se posa dans une position de defit, Eorah au creux des bras. La petite se tortillait comme pour se mettre loin d'Astre. Mais la voix de Lenneth résonna claire dans le bain.
« Voici ta fille, Astre … »


Astre


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Lenneth me retira l’enfant des mains avec une brusque vivacité. Je devinais l’ombre de ses pensées, l’orage grondant qui avait menacé son cœur de rompre son équilibre, briser sa vie, la déconstruction d’un individu par le malheur. Quelle mère n’aurait eu ce réflexe défensif, ce courage intrinsèque à sa nature de génitrice ? Je pouvais sentir les pulsions de mort qui avaient agité la jeune femme et dont il ne restait à présent que des résidus gazeux, confondus avec la vapeur et les odeurs. Elle avait été prête à m’abattre pour sauver son enfant, et pourtant, oui, pourtant elle s’était refusée ce geste. Les êtres doués de conscience sont étranges, ils ne savent pas choisir dans les moments fatidiques. M’aurait-elle laissé tuer sa progéniture, même s’il aurait fallu par la suite effectivement m’abattre, dans un souci d’éthique et pour le salut de son âme ? Aurait-elle laissé ces mains blanches, cadavériques, plonger indéfiniment cette graine de sheikah dans les eaux savonneuses du bassin ? Je songeai alors à ce qui avait pu motiver son retrait, son attitude figée quand elle avait découvert qui était l’agresseur de sa fille. Comme si le destin s’était abattu sur elle en une pluie d’éclairs, comme si elle n’avait pu rien faire d’autre que de laisser la tragédie humaine s’accomplir. J’étais ailleurs, dans un monde d’abstractions de l’esprit, un monde où tout n’est qu’hypothèses, questions, déductions, rarement réponses, un monde de chiffres, d’équations sans solution et de portes sans clefs. Son amour pour moi était-il plus grand encore que pour sa fille ? Fallait-il y penser comme cela ? N’était-ce simplement qu’une question de préférences ?

L’enfant hurlait comme si elle venait de naître, et d’une certaine manière c’était le cas : je venais de la baptiser sous les augures de la violence maîtresse. Mon gamin indiscipliné s’était laissé aller à des états d’âme que je ne pouvais lui reprocher, moi-même étant dans une position indélicate dans cette affaire-là. Il rayonnait de jeunesse, affalé sur le sol, ce gisant-paysan, auréolé par les lauriers de la juvénile peur. Ce froussard n’avait pas fui, il s’était seulement contraint à l’aveuglement. Etrange bonhomme lui aussi. Quelle histoire de fous…


« Voici ta fille, Astre … »

Elle troubla mon introspection. Lenneth se tenait là, droite et fière, nue et superbe, une belle et farouche amazone. Elle faisait fi de l’incident, elle ravalait sa rengaine comme par respect pour mon désespoir. Je pris conscience que je tremblais un peu, toujours à moitié plongé dans le bassin. L’eau chaude avait tiédi, ou était-ce moi qui m’étais refroidi ? Etais-je devenu un glaçon, aux sentiments givrés ? J’aperçus au loin, dans l’encadrement de l’une des portes, le zora chétif qui nous guettait de ses yeux chafouins, le nez camus et vibrant de mucus. Lorsque ses petits yeux noirs, brillants comme deux scarabées, prirent conscience qu’ils venaient d’être surpris, il s’en retourna s’affairer ailleurs.

Astre, ex-chancelier des Propagandes du Sieur Ganondorf, ex-rédacteur-en-chef du torchon d’Hyrule, pamphlétaire à ses heures perdues, ancien banni du Royaume des Triplettes… fallait-il ajouter la mention « père » dorénavant, lorsque le héraut me présenterait à la cour des Grands ? Mes yeux s’adoucirent d’une tendresse un peu triste. Je ne suis plus ex- du tout. Il semblerait que je ne sois qu’un vagabond, bientôt traîne-marmots. Le fils de potier-herboriste n’avait-il été qu’un signe annonciateur du divin pour anticiper cette nouvelle ? Avait-il été placé sur ma route pour préparer cet instant ? Mes joues s’empourprèrent de colère : les petites garces… j’étais superstitieux mais non croyant. La différence est mince, pourtant.

Je contemplai alors le fruit de mes entrailles, cette petite boule de nerfs qui s’agitait dans les bras dorés et musclés de sa mère. Quelle bizarre chose que l’enfant ! l’avenir de ma race ? J’étouffai un rire ; mon humeur lunatique seyait parfaitement à mon apparence de gredin hémophile. Je ne savais pas trop quoi dire, pas trop quoi faire non plus. Me fallait-il élever cette enfant, me fallait-il au contraire la fuir et mettre mille lieues entre nous ? Je serrai les dents, sortis hors de l’eau pour aller réveiller le gamin de sa torpeur.


« Lève-toi, morveux, la scène « violente » est terminée, tu peux rouvrir les yeux ! ». Je me demandai alors ce qu’avait dû penser le tenancier lorsqu’il nous avait vus, nous, la famille déchirée, dans cette nudité attendrie, bouillonnante de rage et de désespoir ? C’aurait pu être le thème d’une vieille fresque dans le palais antique d’un quelconque prince insulaire ! Je me tournai vers Lenneth et lui dis :

« Qu’attends-tu de moi ? »

Sans attendre de réponse, je leur tournai le dos à tous pour aller me revêtir. Il en fallait de peu pour que cette nudité ne devienne ridicule.


Franc


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Mon esprit taquin aimait à se jouer de moi, il répétait sans cesse dans ma tête le bruit du choc vibrant dans mon squelette. Mon crâne lui-même raisonnait des échos fantômes de ma chute sur le carrelage. Le monde extérieur entra au bout d’une éternité dans mon univers de sidération et de douleurs.

Impitoyable, mon mentor me disait alors de me lever et de partir à sa suite. Je ne lui reprochai pas sa dureté. J’étais un enfant, un caillou mal taillé pour Hyrule. Or, tout le monde sait qu’on ne taille pas une pierre en silex brillant à coups de caresses. Et en terme de câlins, j’en avais eu mon content durant mon enfance. Je n’étais même plus à satiété de tendresse, j’étais libéralement obèse de douceur …

Obéissant et croyant fermement que l’homme voulait mon bien, je me remis sur pied. La sonate du traumatisme raisonna en moi et une nausée insoutenable m’envahit. Je vomis bile et boyaux sur le carrelage bleuté.

Nu et honteux, je tournai une dernière fois mon regard en arrière. Le gros homme, emprisonné dans sa chair molle, semblait pétrifié. Vision plus agréable, celle de la femme que je dévisageai avidement. Rose, le regard de braise, c’était Din incarnée. Malgré sa nudité mal séante d’ordinaire, elle avait un port de reine, habillée de fumée et de grâce. L’autre, attifé de gras, gâchait le tableau. Je vouais alors du ressentiment pour cet homme que je ne connaissais ni de Nayru ni de Farore. Je n’avais jamais été en colère auparavant, ou en tout cas pas ainsi. Je n’étais d’habitude en colère que contre l’injustice et la pauvreté mais jamais contre un homme inconnu. De la colère gratuite était charriée dans mon corps choqué, j’avais le dégout de moi. Je me jurai que le lendemain je me repentirai sous la relique des Déesses.

Je souhaitai également le faire pour ma concupiscence nouvelle envers la femme nue. Superbe, me détacher de son image était une torture. Je tentai de graver cette vision de rêve dans ma mémoire, avec autant de détails que de coups de burin d’un sculpteur dans son marbre. Ma virilité naissante s’affirma avec exubérance, j’eus honte et je déguerpis de la salle d’eau en maintes glissades infantiles.

J’espérai ardemment que l’inconnue n’avait pas vu mon envie d’elle se congestionner sous ses yeux. Et c’est rouge pivoine, non pas en raison de la chaleur, que j’attendais nu dans l’antichambre des bains la suite de mon aventure. Je ne pouvais pas dire à cet instant si ces péripéties furent bénéfiques ou non, tant les émotions et les apprentissages furent nombreux.


Eorah Vif-Argent


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Eorah se tortilla a nouveau dans ses bras, ses petits poing cherchant les cheveux de sa mère pour s'y cacher, se dérober a cet homme qui lui avait fait mal. Son Esprit de bébé partait a la rencontre de celui qu'elle décrétait mauvais. Lenneth sentit cette tentative d'intrusion et l’empêcha tandis que son ancien amant se penchait sur le garçon étendu au sol. La métisse eu un élan de pitié pour cette âme blanche, choisie pour remplacer un compagnon de galère et misère. Elle se souvenait de l'ancien Kokiri prématurément vieilli puis rajeuni. Avait il brûlé a son tour dans les flammes maudites des Mères de Ganondorf ?

La métisse tendit sa main libre au garçon. A ce moment une phrase :
Qu’attends-tu de moi ?
Et le temps de relever la tête, de chercher et peser ses paroles, … La place de l'homme de ses nuits face a elle était vide.
Surprise, Lenneth marqua un temps d’arrêt. Qu'attendait-elle ? La même chose que toutes les autres fois : rien. Rien du tout. C'est le destin, cruel et amer qui l'avait placée sur cette plaine en compagnie de monstres, qui l'avait guidée vers la cahute qu'elle occupait comme maison, et bien d'autres choses.

Pour le coup, Lenneth ne savait plus trop ce qu'elle ressentait. Elle mourrait d'envie de tendre son Don, et ses bras, vers cet homme qui faisait battre un peu plus vite son cœur, de tenter de lire ses sentiments tout en décodant les siens propres. Elle ne savait plus ce qu'elle ressentait pour Astre. Mais entre son cœur déchiré par l'abandon et la résurrection de Nerezzo, la suspicion qu'il fréquentait la jeune fille a qui Lenneth apprenait le maniement des armes … La métisse ne rêvait que de retrouver une paire de bras aimante pour s'y blottir et égoïstement libérer tous ces sentiments contraires et ses états d’âmes. Elle n'aimait plus son ancien mari, mais elle ne pouvait pas en dire autant pour le père de ses enfants.

La main de la jeune femme se posa sur l'épaule de Franc, dont elle ne connaissait pas le nom. Était-ce important de connaître le patronyme d'un garçon qu'elle aurait sans doute d'ici quelques semaines a la pointe de son épée ? D'autant plus que lui même, le pauvre était en ce moment même au garde a vous. Faisant mine de ne pas l'avoir vu, la Sheikah secoua la tête et dit au garçon :
« Si ton maître le souhaite, ma maison est toujours au même endroit que la première fois … Passez prendre un verre ce soir, nous auront peut être d'ici la, tous mis un peu d'ordres dans nos sentiments. »


Astre


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Je n’arrivais toujours pas à concevoir que cet être miniature qui se tortillait sous mes yeux comme un petit félin était ma progéniture. Je n’arrivais pas à penser le mot « enfant », « fille » ; ou plutôt ces deux mots étaient omniprésents dans ma cervelle et hantaient mon âme comme d’affreux fantômes. J’avais, malgré moi et sans le désir précis de concevoir, perpétué ma race. Dans un cadre contextuel tout autre, j’aurais sûrement eu une réaction tout autre mais hélas, avec les conditions qui étaient ce qu’elles étaient, je ne pouvais me réjouir de cette naissance. Je n’arrivais pas à sentir ne serait-ce qu’une effusion effacée de bonheur. Une sorte de sourire de l’esprit qui viendrait se réconcilier avec l’amertume qui m’avait submergé auparavant. Non, je ne pouvais pas me prêter à de tels égarements spirituels. Moi, aux discours d’habitude si motivés, si absolus, si solides, je me sentais irrésolu à accepter cette enfant comme providence. Autant, j’aurais pu tolérer de garder sous mon aile de corbeau le jeune blondinet pour qu’il me servît de rédemption ; qu’il tentât du moins : il serait devenu dans le pire des cas un dommage collatéral. J’aurais accepté que les malheurs le réduisent à néant, lui qui n’est pas ma chair, lui qui n’a pas mon sang, avec peut-être un lâche regret en guise d’hommage. Mais cette fillette et tout ce que sa naissance impliquait, je ne pouvais pas l’accepter. Ce n’était pas ma race que je perpétuais, c’était la malédiction qui avait rongé les miens dès le jour où ma mère m’avait donné vie. Je les voyais déjà, les affreux fantômes, tous blafards, ces gyrophares ectoplasmiques, de grosses tâches blanches dans l’air transparent. D’abord ma sœur, ma jumelle de vie, celle qui n’avait pas pu voir le jour, celle qui était sortie toute bleue, ma première victime. Ce cadavre de nourrisson, le sceau de l’infamie pour des années à venir… Il y avait ensuite eu le suicide d’Aline, qui ne s’était pas résolue dans l’âme à trahir son démon de petit frère. Et tous les autres avaient suivi, par ma main ou par celle du destin. Je les voyais dorénavant réunis sous mes yeux fous, ils flottaient sinistrement comme des pendus sans corde. Allez-vous en ! Partez ! Retournez dans vos enfers, j’aurais bien le temps de vous rejoindre ! La détresse s’instillait dans mon cœur comme un glaçon qui aurait fondu ; j’étais gelé, mes dents claquaient avec une rigueur militaire, je sentais la sueur perler sur mon front car le froid brûlant de la fièvre venait de s’emparer de mon âme. J’étais un pauvre diable, un pauvre diable tourmenté…

« Peut-être viendrais-je… nous verrons… ». Ma réponse n’amenait à rien, d’ailleurs ma voix avait semblé n’être qu’un écho lointain de ce qu’elle était d’habitude, comme un hoquet. Je jetai un coup d’œil au bébé ; j’assistais à mon propre enterrement, cette enfant n’était pas ma rédemption. C’était la mort qui vient enfin récupérer son dû, ma vie, celle que je lui ai par tant d’occasions volée.

« Partons… » lâchai-je d’une voix qui contenait ce chagrin millénaire, un condensé de tristesse antédiluvienne, une infinitude de larmes dans quelques notes rauques.