D'ombre et de sable.

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Manhienna Valkaresh


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(vide)


Ils avaient tout ravagé.
En regardant devant elle, elle ne discernait rien d’autre que les Cocoricos qui devraient rebâtir ce qui avait été un refuge, des souvenirs. Il ne restait rien.
Ou presque.
Un pied devant l’autre, Manhienna avançait à travers les hécatombes du village. Ses yeux sévères se portaient de maison en maison, sans démontrer quoi que ce soit.
Des vestiges entourés de quelques voix qui montaient dans le crépuscule.
Elle erra. Erra quelques minutes ou quelques heures.
Si elle avait quitté la protection des murs du Château d’Hyrule, elle ne s’en faisait pas.
Elle ne s’en faisait plus.
Une cape aux épaules de fourrures rousses posée sur ses épaules, la Gerudo, méfiante, regrettait son choix d’être venue.
Ils avaient pillé. Détruit. Saccagé. Brisé. Violé.
Ils n’avaient vu qu’un village, une occasion d’attaquer la plèbe pour mieux conquérir.
Les civils ne devraient pas prendre parti dans un conflit comme le leur.
Alors pourquoi. Pourquoi avoir agi de la sorte si ce n’était que pour être craint ? Que pour leur révéler toute la puissance du Roi des Sables et de ses troupes ?

Les bijoux qu’elle portait flambaient sous le rouge du soleil couchant.
À travers les ruines, elle pouvait facilement être repérable.
Elle ne tentait pourtant ni de se cacher. On la haïrait pour appartenir au désert de toute manière.
Elle avait arrêté ses pas devant le puits où elle avait fini par s’asseoir, spectatrice d’une guerre imaginaire dont elle pouvait facilement recréer les évènements.
Elle était des leurs.
Elle était bien plus que ça : elle était son sang.
Elle retira son katana qu’elle déposa sur ses genoux, les deux mains posées sur le fourreau aux couleurs de sa porteuse.
Rouge et or.
Sang et sable.
La Vipère Rouge.

Devant cette mise en scène tragique, elle ferma les yeux un moment.
Elle respira le froid comme si, pour la toute première fois, il arrivait jusqu’à elle.
Ils reviendraient.
Ils reprendraient ce qu’ils voudraient.
Ces gens avaient besoin de protection.
Et en rouvrant ses grands iris d’été, elle retrouva l’hiver d’une réalité qui ne pouvait plus lui échapper : la guerre ne faisait que commencer.
Ils avaient été des dommages collatéraux.
Rien de moins.
Ils ne seraient pas les derniers ; ils n’avaient pas été les premiers.
On avait divisé les Gerudos, pris le désert, aboli les passages : Hyrule ne savait pas à quel ennemi ils avaient affaire.

Et en levant la tête une toute dernière fois vers le ciel qui se couvrait de nuit et la pluie, elle se leva.
S’apprêtant à partir, elle sentit rapidement les premières gouttelettes se mêler aux mèches de ses cheveux.
Il faudrait tout rebâtir après la guerre.
Tout.


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(vide)

Oh le joyeux massacre ! Un décor de théâtre sans ses héros ! Il n’y avait plus de cadavres dans ces rues froides, mais une odeur de mort continuait à flotter sur le village. Une belle action ! Un raid efficace ! Les troupes de Ganondorf avaient ravagé le village, ils avaient apporté la désolation, la mort, et, inévitablement, pour les survivants, le chagrin et la haine. Je pouvais apercevoir derrière quelques carreaux intacts les visages blêmes des riverains. Leurs contours étaient flous, ils me paraissaient fantomatiques. Comme s’ils étaient déjà partis. Comme s’ils étaient dans un entre-monde incertain, à attendre. Attendre quoi… Toujours cette inertie typique du peuple. Sans pouvoir fort et directif, le peuple ne ferait rien, il n’irait pas chercher vengeance. Ah, les doux crétins. A présent, ils se rendaient compte, ils ne croyaient plus que la couronne pouvait les protéger. Zelda avait failli. C’était une victoire sur le moral des Hyliens. Ganondorf avait le vent en poupe.

J’ai toujours détesté le peuple. Imbécile, sans initiative, amolli, faible, abâtardi. Une race morne et sans esprit. Ils sont sinistres, ils sont là, toujours, à attendre. Ils ne maîtrisent pas leur destin, ils n’en veulent pas d’ailleurs, de ce destin ; ils attendent d’être guidés, et bien souvent, leur désir de confort étouffe rapidement leur bon sens populaire. Qu’ils attendent, qu’ils continuent leur médiocre vie, insipide, qu’ils patientent dans leur crasse et dans leur bêtise, ces veaux… ils me débectent, je les ai en horreur, ils sont fripons, voleurs, méchants, canailles, et quand le malheur leur tombe dessus, ils retombent dans leur torpeur, doublon de leur stupidité. Ils essuient quelques larmes, ils regardent le soleil, les yeux pleins de reproches, puis, attendent. Un responsable, très certainement. Quelqu’un qui saura les orienter, n’importe où, vers un point d’eau, pour boire, pour consommer, pour continuer à bouffer et à chier.

Le soleil se cachait derrière des nuages tous gris, misérables eux aussi ; il cachait sa honte du peuple, et sa colère aussi, lui qui les nourrissait de sa saine lumière, simplement pour que ces crétins ne se laissent tuer comme des porcs à l’abattoir. Les voici léthargiques mollassons, d’immondes gargouilles figées dans leur médiocre réalité. Le ciel devenait menaçant. Un peu d’eau nous tomba sur le crâne, et je sentis dans cette eau dense et huileuse une envie céleste de nettoyer la terre de sa mauvaise herbe. Déesses, je vous le dis, ce n’est pas avec un peu d’eau que vous parviendrez à vos fins. Le monde mérite les flammes de votre divine colère ! Mais vous aussi, vous êtes molles, le peuple est à votre image, fripon, crasseux, déjà mort. Pauvres idoles…

Dans le gris environnant, j’aperçus des éclairs rouges et dorés. Une silhouette sur le départ. Une statue d’or et de chair. Je la rejoignis, le pas vif, curieux, oui, de voir un signe de vie, de vie véritable je veux dire, pas de cette demi-vie de pauvre accablé par la guerre… une femme, une délicate, une mondaine chargée de dorures. Baroque, la demoiselle ! Je la fixai de mes yeux rouges ; mon vilain sourire lui souhaitait la bienvenue. Concert d’eau pour deux diablotins : l’averse était charmante et soulignait le contraste fort de nos deux âmes énergiques, entourées par une citadelle de mort. La grisaille du ciel valait mieux que celle spirituelle de tous ces péqueux rances qui moisissaient à vue d’œil dans leurs chaumières dévastées. Je leur souhaitais le pire…



Manhienna Valkaresh


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(vide)

Elle ne le vit pas tout de suite, elle ne fit que le sentir.
Un mouvement vif, la peine perceptible avant qu’elle ne lui faire volte-face.
Leurs regards s’entrechoquaient, se dardaient, s’épiaient.
Manhienna eut un sourire en coin, un amusement sérieux, ou à peine amical. Il y avait chez elle, une distance innée qui la séparait du monde ; une distance qui s’imposait, ni repoussante, ni accueillante.
Le sentiment d’être devant un être de marbre malgré la chair humaine.
L’averse commençait à noircir de plus en plus le paysage, et, pourtant, devant les lumières qui s’étiolaient les unes après les autres, ils devenaient ombres et contours d’or.
Les gens vivaient malgré ça, malgré tout.
Elle passait son attention aux fenêtres qui restaient difficilement en place, retenues par quelques briques ou un bout de bois.
Et elle revint sur lui, le décrivant des pieds à la tête.
Derrière sa prunelle d’été, elle ne mit guère longtemps a reconnaître les yeux sanguins d’un Sheikah.

Ses mains remballèrent son arme à son épaule pour la glisser à son dos.
Tout comme elle avait deviné ses origines, elle savait bien qu’il serait à même de deviner les siennes s’il avait été en rapport avec les Gerudos d’une manière ou d’une autre… Et si tel était le cas, elle pourrait en déterminer le camp.
Le sien ou celui du père.
Féline, elle brisa l’ambiance statique qui les confrontait un à l’autre.
Le bruit de ses bijoux étaient dissimulés par les gouttes de pluie qui tombaient de plus en plus fort sur et autour d’eux.
En se posant ainsi, elle remonta son capuchon sur sa tête. Cette pluie froide la faisait frémir de déplaisir. Hyrule n’avait en rien la chaleur et la froideur crue du désert. Sa cape sombre se resserra autour d’elle pour éloigner l’eau de son corps à moitié découvert, refusant de changer le moindre détail sur son apparence, exilée ou non.
Elle se mit à sa hauteur avant de lui murmurer de sa voix rauque et presque chaleureuse :


‘’ Que veux-tu, Sheikah ? ’’


Elle aurait bien évité la conversation. Si ce n’avait été lui qui était venu à elle.
À Cocorico, les races se mêlaient. Gorons, Hyliens, Sheikah : ils cohabitaient avec ou sans désharmonie.
Elle ne voulait pourtant rien.
Regarder les étendus des dégâts, calculer les morts, les pertes, voir.
Voir ce que son peuple avait fait sous un Roi qui salirait leur dignité et leur intégrité.
Les Gerudos ne méritaient pas de se faire salir les mains pour des desseins qui ne leur appartenaient pas.
Et lui, le Sheikah, avait-il vu son peuple rejoindre les rangs des Dragmire ?
Son nom à elle.
Un nom qu'elle salissait à son tour en passant l'arme à droite.
Contre les siens.
Contre ses rangs.
Contre sa race.
Contre son père.


Astre


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(vide)

A peine m’étais-je rapproché d’elle qu’elle se retourna brusquement. Je ne changeai pas d’attitude, je gardai ma morgue naturelle. Je n’allais pas ravaler ma rengaine comme un malheureux voleur de pommes surpris en plein forfait. Je cherchais à être vu, l’ambition était autre. Elle m’a reluquée de haut en bas, moi, l’épouvantail impromptu. Je ne bougeai pas d’un iota, je restais coi et souriant, j’étais le corbeau qui épiait les choses comme elles étaient, en se demandant si elles pouvaient me rapporter quelque chose. Ses cheveux étaient humides et luisaient étrangement sous le ciel glauque. Elle ajusta sa capuche sur sa tête parce que l’eau commençait à y ruisseler comme rivière.

C’était une Gérudo, personne n’aurait pu s’y tromper. Que pouvait bien manigancer une fille du désert ici ? Etait-elle une brigande en quête des miettes abandonnées par ses congénères ? La caporale d’un nouveau protectorat bâti sur les ruines de Cocorico ? Une promeneuse imbécile ? Une suicidaire qui n’arrivait pas à le faire soi-même ? Je n’arrivais pas à me décider, sur aucune de ces hypothèses, quant à la raison de sa présence sur cette terre moite et meurtrie. Elle brisa ma réflexion, d’une phrase banale et formelle.


"Que veux-tu, Sheikah ?"

N’avait-on pas le droit, en ces temps troublés, de se laisser guider par ses sentiments ? J’avais les humeurs changeantes et je me laissais bringuebaler par elles comme un fétu de paille porté par le vent. Je me reposais de mon destin par trop épuisant, pour me distraire un peu. Beaucoup trop, peut-être. Je pris mon temps pour répondre : après tout, je n’avais de comptes à rendre à personne, encore moins à une Gérudo, encore moins à une femme. Néanmoins, mon esprit délicat s’évertua à m’orienter sur la voie de la courtoisie.

« J’ai vu l’ombre d’une vie. Je me suis laissé tenter par la curiosité. » Je ne me départis pas de mon sourire, mais celui-ci devint un peu plus goguenard, un peu plus mauvais. Les traits fins de mon visage se plissaient comme un affreux masque oriental, lui qui, quelques secondes plutôt, présentait belle figure. On ne se refaisait pas, j’étais un vilain matou en quête de souris grasses. La taquinerie était l’un de mes vices, je le reconnais. Par extension, la cruauté l’était aussi. Je ne pouvais pas, de toutes les manières, lui laisser le monopole de l’interrogation et entrepris, moi aussi, de la questionner.

« Et toi, Gérudo ? Que fais-tu si loin des tiens ? Chercherais-tu querelle ? ». Car après tout, si l’un des habitants la voyait, son trop-plein d’affectivité viendrait déverser son acide sur cette jolie demoiselle. En moins de deux, elle se retrouverait la gueule dans la boue, les braies relevées, emmanchée jusqu’à l’estomac par quatre enragés successifs. Pas mus, d’ailleurs, par un quelconque désir charnel incontrôlable… mais plutôt par la haine et la vengeance. Leurs épouses, leurs enfants avaient peut-être péri. Pouvait-on réellement leur en vouloir ? Loi du Talion, loi de la guerre. Les Hyliens étaient scrupuleux lorsqu’il s’agissait de rééquilibrer les comptes.

Mes vêtements commençaient à peser sur moi, à cause de la pluie ; mon visage et mes cheveux dégoulinaient véritablement. Le poil noir n’en ressortait que plus vif, mon épiderme plus brillant. Je secouai la tête comme un cabot, pour me débarrasser d’une partie de la flotte, avant de reprendre l’air de rien mes yeux rieurs et le sourire éthéré.



Manhienna Valkaresh


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(vide)

La curiosité était un défaut soit d’imprudence, soit de puissance ; dans les deux cas, l’homme qui lui faisait face ne pouvait entrer dans la première catégorie.
Il parlait trop pour avoir peur d’elle ou s’en méfier : elle était, à son humble avis, loin d’être une menca.
Les Sheikah possédaient leur temple tout dans la ville : il devait nécessairement connaître le bourg par cœur.
Si il était là, à ce moment précis, et non pas pour la chasser, c’était pour admirer le carnage.
Comme elle le faisait en quelque sorte : admirer pour mieux connaître à qui Hyrule aurait bientôt affaire.
Dans sa cape, elle sentait le tissu s’imbibé au même rythme que la conversation lui inspirait médiance.
Elle ne se cachait pas d’être Gerudo.
Toutefois annoncer ses vrais motifs serait idiot.
D’autant plus que se faire voir pourrait lui coûter cher…
Même si au fond, le risque était à prendre et que les conséquences ne semblaient pas l’affecter.

Dans l’indifférence qu’elle portait autant aux hommes qu’aux femmes, Manhienna balaya sa remarque d’un geste de la main.
Elle avança une nouvelle fois de façon à ce qu’ils se retrouvent épaule à épaule.
Elle, prête à partir.
Elle ne souhaitait pas rester : elle avait recueilli tout ce dont elle avait besoin de savoir.
À son sourire mauvais, elle ne réagit pas.
Entrer dans son jeu l’ennuyait déjà.
Elle leva la tête vers lui, haussant le sourcil, une moue stoïque si ce n’était de son sourire en coin.
Indifférent lui aussi.
Elle était froide.
Calme.
Presque lointaine.


‘’ Les miens ne sont plus ce qu’ils ont été. ‘’

C’était une réponse simple.
Dans le clair-obscur des lanternes intérieures, elle arrivait à discerner ses traits.
Il lui rappelait un souvenir.
Vague, lointain, lui aussi.
Un murmure au milieu des sables.
Au milieu de son peuple.
Si près de son père.
Trop près, peut-être pour qu’elle ne veuille approfondir les circonstances.

Elle abaissa la tête en guise d’au revoir.
D’un pas qui se fit attendre, elle avait tourné la tête avant de continuer son chemin vers les palissades de la ville.
Le silence revenait avec la nuit, l’emportant avec elle.

Une porte s’ouvrit, fracassante.
On les avait observés, peut-être.
Quoi qu’il en soit, ils avaient reconnus l’héraldique de la jeune femme.
Elle ne les entendit ni crier, ni s’alarmer : déjà, elle avait pris les jambes à son cou pour grimper à sa monture aux portes de la ville.

Le destrier, énervé par les voix brisées, se braquait sur ses pattes arrière pendant que sa cavalière tenait les rênes bien serré contre elle.

Elle jeta un dernier coup d’œil au jeune homme, sous l’averse bavarde qui tombait sur toutes les surfaces en un harmonique désaccordé et l’apparition des Cocoricos.

Plus curieuse qu’autrement, elle resta figée sur le cheval agité qui ne demandait qu’à rentrer aux écuries d’Hyrule.


Astre


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(vide)

Elle me prenait de haut. Involontairement, sûrement. Elle semblait ailleurs, abandonnée à des pensées qu’elle connaissait trop bien pour les avoir remuées tellement de fois. Puis, elle s’était approchée. Nous étions côte-à-côte, sans vraiment nous regarder, deux êtres figés dans une réalité elle-même bien en mouvement. Comme deux fruits du passé qui n’avaient pas subi le joug du temps, qui n’avaient pas pourri. Etrange situation : je n’osais briser le silence qui s’installait, car il y avait dans son essence quelque chose de divin… disons plutôt que l’absence de mots était en réalité beaucoup plus parlante que ne l’eurent été les mots eux-mêmes. Pourtant, elle avait besoin de le dire, de cracher ce qui la tourmentait : je savais que ce silence n’était qu’un prélude.

"Les miens ne sont plus ce qu’ils ont été."

Il y eut comme un sourire sur son visage. Pourtant, je percevais une tristesse lourde qui en gâtait le caractère joyeux. Peut-être ma vue me faisait-elle défaut. Mes yeux pleuraient des larmes qui n’étaient pas les miennes. Les nuages m’utilisaient comme médiateur vivant pour transmettre le désarroi des cieux. Je m’apprêtai à lui dire que les Gérudos n’avaient jamais été ce qu’elle pensait qu’elles avaient été. Son peuple était anormal : un peuple de femmes pour un homme unique à leur tête. Cette hiérarchie, pouvant paraître normale dans la mesure où elle était naturelle –c’est-à-dire que le chef était choisi par ce qui le définissait, en l’occurrence une paire de couilles, était beaucoup moins complexe : un peuple hylianoïde capable de penser, de parler, d’écrire, empêtrée dans un schéma politique si animal. Le monde gérudo était, dans sa substance, terriblement bovin : le taureau et ses vaches laitières. Je n’en étais pas à contester la domination naturelle, dans le couple et dans le politique, de l’homme : l’homme et la femme, le vertical et l’horizontal, le ciel et la terre, le positif et le négatif, la lumière et l’obscurité, toutes ces valeurs sont intrinsèquement complémentaires (pas de bien, pas de mal). Ma réflexion fut interrompue par une porte ouverte à la volée. Une horde de petits bourgeois [à comprendre dans son sens premier, c’à’d habitants des villes] sortit en trombe, armée jusqu’aux dents de piques et de fourches. Ils étaient laids, les représentants fidèles de leur peuple aviné. Ah les horribles, les hideux… Ganondorf n’avait pas mal fait de les enquiquiner, il avait simplement joué avec des bouffons de cour. A peine me recentrai-je sur la jeune femme qu’elle avait disparu de mon champ de vision. Je la cherchai des yeux et la trouvai sur un bel étalon à la robe alezane.


« Elle s'enfuit ! Elle s'enfuit ! Graine maudite ! Sale engeance ! Attrapons-la ! »

Nos deux regards se croisèrent, moi, ricanant, elle prête à s’enfuir.


« Qu’est-ce qu’il fait au milieu celui-là ? c’est l’un des leurs ? » demanda un affreux rouquin au sourire édenté. Je le toisai avec suffisance. L’orgueilleux prince, condescendant, le sourcil relevé majestueusement pour former symboliquement dans cet arc esthétique une synthèse de tout mon mépris.

« Tu empestes, ma parole… » marmonnai-je. La fille restait là, charmante cavalière. « Eh, toi ! » l’interpellai-je avec moins de distance, plus cordial, « tu n’as quand même pas peur de ces cinq pochetrons ? ».

Je reçus en réponse un flot de grognements qui devaient passer, dans leur dialecte boueux, pour des insultes riches et savantes. Je n’avais pas sorti d’armes, je ne me sentais pas, étrangement, menacé du tout, par ces quelques revanchards sans imagination.

« Venez », leur fis-je, ma main droite les encourageant à venir me rejoindre. Leurs regards torves se firent plus hésitants, mais en serrant les dents, ils trouveraient rapidement le courage de sauter à cinq sur moi. Quant à la jolie princesse, je présumais qu’elle trouverait meilleur compte dans une fuite précipitée que dans un combat mené à contre-cœur contre des victimes de son peuple.


Manhienna Valkaresh


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(vide)

Elle était là. Immobile.
Muette.
La statuesque posture de la Gerudo s'innodait sous la pluie battante et les hurlements du bourg.
Elle semblait brûler la pluie qui s'évaporait des nasaux de la créature d'ébène où elle trônait.
Dans toute sa majesté, elle gardait une main libre.
L'élégance des guerriers du désert ne la quittait pas.
Et pourtant, si elle fuyait, elle perdrait sa fierté.
Elle le laisserait seul.
Et en y retournant, elle ne vaudrait pas mieux que les autres.
Elle était là en éclaireuse.
Pas en bouchère.
Elle l'avait regardé croiser les fers le premier.

En ces quelques secondes qui la séparaient de la scène, elle se sentit ailleurs.
Elle avait ferme les yeux, stoïque.
Elle était de retour dans le désert. Le désert qui lui manquait. Le désert qu'elle ne reverrait peut-être jamais.
Ses dents se serrèrent.
Elle n'acceptait pas son sort.
Ni celui des siennes.
Et quoi qu'il advienne, elle ne pouvait pas laisser les choses telles qu'elles étaient.
Ganondorf Dragmire avait créé le fléau de Cocorico, et à cause de lui, elle serait toujours une traitresse.
Elle serait vue comme une paria.
Une raflure.
Elle regrettait son nom.
Regrettait son régne.
Regrettait d'être Gerudo.

L'étalon prenait de plus en plus de fièvre. Sa toison sombre brillait sous les gouttes de pluie et elle, cavalière sauvage, elle talonna sa monture avec férocité.
Le fer de des sabots trouait l'herbe à chaque galop.
La bête respirait fort et la belle était silencieuse.
Les vapeurs d'eau commençaient à coller sur sa peau.
Ses cuisses se resserrèrent autour des reins de cheval qui hur la fureur muette de la guerrière qui s'interposa entre le Sheikah et le reste des villageois.
Le roux, l'hideux, celui qui avait sonné l'alarme.
D'un coup de pied au visage, elle l'envoya s'engluer au sol tandis qu'elle fit cambrer son destrier.
Une fois.
Deux fois.
Trois fois.
Il martelait le sol en les tenant à distance.

" Montez. "

Sa voix lui ordonnait d'agir.
Elle n'attendrait pas son autorisation avant de quitter Cocorico : il fallait s'éclipser.
Où? Comment? Qu'importe.
Il fallait seulement partir.
Le laisser quelque part à la limite, mais lui sauver la mise mise et la sienne.

Elle les vit s'approcher, les encercler, les cerner.
Ils ne les auraient pas vivants.
Ni lui. Ni elle.
Elle se mit alors à ricaner.
Les hommes étaient des idiots.
Sans avertir, elle se retourna une nouvelle fois vers le guerrier aux yeux sanguins :


" Ils ne sont pas de calibre, ce serait inutile.
Montez. "


La fierté des combats ne se prenait pas auprès de gens comme eux.
Ils étaient faibles.
Trop faibles.
Les abattre, à quoi bon?
Surtout sous de fausses accusations.
Elle ne perdrait pas de temps à discuter.
Ils ne voudraient que se faire justice.
Ils ne comprendraient jamais


Astre


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(vide)

Tchik ! Tchack ! Vlan ! Prenez-ça dans les dents, vermisseaux ! J’avais fini par sortir mon épée, je m'étais mis, sculpteur grossier, à tailler dans la toile usée et la chair molle. Je travaillais leurs corps avec beaucoup d’imagination : quand l’un d’eux tomba enfin, le nez défait et l’œil crevé, les quatre autres reculèrent d’effroi. Les pouilleux se rendaient compte que je n’étais pas un simple vagabond un peu taquin. Leurs méninges commençaient à s’activer, ils prenaient conscience que j’étais un ennemi, peut-être même un homme de Ganondorf. Mais voilà bien longtemps que j’avais arrêté de jouer les larbins pour le sieur Gérudo. J’étais un électron libre, certes dépossédé, amaigri de ses titres et de ses possessions, mais libre pardi ! Un vaurien drapé dans sa dignité d’ancien conquérant !

La roupaille s’avança courageusement. Stupidement mais courageusement. Alors que j’allais lui rectifier les traits de quelques coups d’épée bien placés, la Gérudo brisa mon élan guerrier en positionnant sa monture entre les vicieux et moi. Le roux fut repoussé d’un coup de botte dans la figure qui lui éclata le nez. Le cheval s’impatientait, ses naseaux sifflaient bruyamment. On le sentait frileux.


« Montez ! » m’exhorta-t-elle d’un ton qui ne souffrait aucune réplique. Je la toisai. Le bruit de la lutte avait attiré des spectateurs, et les cinq pochetrons de départ virent leurs rangs grossir de plusieurs têtes hargneuses… mais même dix d’entre eux n’auraient pu suffire à me vaincre. J’en aurais mis ma main à couper. Ma compagne de malheurs me jeta un nouveau regard, accompagné d’un rire aigrelet.

« Ils ne sont pas de calibre, ce serait inutile. Montez. »

Son orgueil me plut : dans un sens, elle avait raison. Je n’irais pas prouver mon talent en massacrant ces imbéciles sans force ni réputation. Il n’y aurait dans leur mort qu’une maigre consolation à l’ennui généralisé. D’un autre côté, ce serait toujours quelques piètres vies de volées au seigneur de la mort. Des soucis pour la garde royale ! et pour la monarchie ! Ah, que j’aimais à grossir chacune de mes actions… mais la vérité était nette : aussi laide et médiocre que ces personnages grossiers. Je n’étais pas un faiseur ou un défaiseur de roi, je n’étais plus un conquérant, j’étais l’Astre errant qui faisait luire ses rayons glauques sur quelques malchanceux. Mes yeux se levèrent à nouveau pour contempler la femelle : que préférais-je, à présent ? décrotter du bouseux, ou déchiffrer cette énigme ? Mon chemin semblait jonché de femmes éphémères, qui disparaissaient au gré de leurs propres mésaventures. Je mis le pied dans l’étrier libéré et montai sans trop de difficultés, malgré l’excitation de la monture. Après m’être confortablement calé derrière la Gérudo, collé à elle, je lui susurrai dans l’oreille :

« Où nous emmènes-tu ? »

J’éclatai alors de rire.


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