Oh le joyeux massacre ! Un décor de théâtre sans ses héros ! Il n’y avait plus de cadavres dans ces rues froides, mais une odeur de mort continuait à flotter sur le village. Une belle action ! Un raid efficace ! Les troupes de Ganondorf avaient ravagé le village, ils avaient apporté la désolation, la mort, et, inévitablement, pour les survivants, le chagrin et la haine. Je pouvais apercevoir derrière quelques carreaux intacts les visages blêmes des riverains. Leurs contours étaient flous, ils me paraissaient fantomatiques. Comme s’ils étaient déjà partis. Comme s’ils étaient dans un entre-monde incertain, à attendre. Attendre quoi… Toujours cette inertie typique du peuple. Sans pouvoir fort et directif, le peuple ne ferait rien, il n’irait pas chercher vengeance. Ah, les doux crétins. A présent, ils se rendaient compte, ils ne croyaient plus que la couronne pouvait les protéger. Zelda avait failli. C’était une victoire sur le moral des Hyliens. Ganondorf avait le vent en poupe.
J’ai toujours détesté le peuple. Imbécile, sans initiative, amolli, faible, abâtardi. Une race morne et sans esprit. Ils sont sinistres, ils sont là, toujours, à attendre. Ils ne maîtrisent pas leur destin, ils n’en veulent pas d’ailleurs, de ce destin ; ils attendent d’être guidés, et bien souvent, leur désir de confort étouffe rapidement leur bon sens populaire. Qu’ils attendent, qu’ils continuent leur médiocre vie, insipide, qu’ils patientent dans leur crasse et dans leur bêtise, ces veaux… ils me débectent, je les ai en horreur, ils sont fripons, voleurs, méchants, canailles, et quand le malheur leur tombe dessus, ils retombent dans leur torpeur, doublon de leur stupidité. Ils essuient quelques larmes, ils regardent le soleil, les yeux pleins de reproches, puis, attendent. Un responsable, très certainement. Quelqu’un qui saura les orienter, n’importe où, vers un point d’eau, pour boire, pour consommer, pour continuer à bouffer et à chier.
Le soleil se cachait derrière des nuages tous gris, misérables eux aussi ; il cachait sa honte du peuple, et sa colère aussi, lui qui les nourrissait de sa saine lumière, simplement pour que ces crétins ne se laissent tuer comme des porcs à l’abattoir. Les voici léthargiques mollassons, d’immondes gargouilles figées dans leur médiocre réalité. Le ciel devenait menaçant. Un peu d’eau nous tomba sur le crâne, et je sentis dans cette eau dense et huileuse une envie céleste de nettoyer la terre de sa mauvaise herbe. Déesses, je vous le dis, ce n’est pas avec un peu d’eau que vous parviendrez à vos fins. Le monde mérite les flammes de votre divine colère ! Mais vous aussi, vous êtes molles, le peuple est à votre image, fripon, crasseux, déjà mort. Pauvres idoles…
Dans le gris environnant, j’aperçus des éclairs rouges et dorés. Une silhouette sur le départ. Une statue d’or et de chair. Je la rejoignis, le pas vif, curieux, oui, de voir un signe de vie, de vie véritable je veux dire, pas de cette demi-vie de pauvre accablé par la guerre… une femme, une délicate, une mondaine chargée de dorures. Baroque, la demoiselle ! Je la fixai de mes yeux rouges ; mon vilain sourire lui souhaitait la bienvenue. Concert d’eau pour deux diablotins : l’averse était charmante et soulignait le contraste fort de nos deux âmes énergiques, entourées par une citadelle de mort. La grisaille du ciel valait mieux que celle spirituelle de tous ces péqueux rances qui moisissaient à vue d’œil dans leurs chaumières dévastées. Je leur souhaitais le pire…