Posté le 25/01/2011 09:04
Astre avait les yeux écarquillés, les narines dilatées qui ne présageaient rien de bon. Personne n’aurait été surpris de voir de la fumée s’enfuir hors de ce nez plissé. Sa pâleur avait atteint le degré ultime : s’il n’y avait pas eu ces deux néons pourpres écrasants de puissance, on l’aurait décrété mort. Droit comme un pique, il n’en croyait pas ses yeux. Inviter de hauts dignitaires, certes, les plus purulents, d’accord encore, mais pourquoi devrait-on supporter la présence de l’immonde éphèbe androgyne et de son double au féminin, si différence au niveau du sexe il y avait, bien sûr.
Les traits sur son visage ondulèrent, et il cracha par terre, exprimant son mépris à travers ce petit fluide visqueux et peu harmonieux. Au dehors, le soleil battait son plein et le ciel vibrait de joie avec un bleu qui regorgeait de force. La plupart des passants qui s’aventuraient devant le Temple pour jeter un coup d’œil partaient vite, mais les plus téméraires mettaient le pied à l’intérieur sous le regard flamboyant du Chancelier, qui avait adopté un visage impassible, sans sourire ni grimace. De toute façon, ces « courageux » finiraient bien par se rendre compte qu’ils auraient mieux faits de rentrer chez eux, tranquillement, en racontant comment ils n’étaient pas entrés dans le lieu de culte. Après tout, cette messe serait l’épitaphe la plus digne pour ces pouilleux. Ils ne regretteront rien s’ils ont au moins au seuil de la mort un peu de bon sens.
Les gens affluaient par dizaine et bientôt l’église serait pleine à craquer. Il vit son comparse Arkhams entrer dans l’édifice religieux d’un pas d’homme important avec l’air crispé qu’il avait lorsqu’il contenait sa joie, et celle-ci en ce jour doré avait atteint son summum. Astre resta dehors encore quelques instants, profitant de la douce lumière qui réchauffait aussi bien son corps que son âme. Il siffla entre les dents, entendant la voix du Chambellan porter jusqu’au dehors. « Populace, vous êtes invités au mariage du Seigneur et futur roi d’Hyrule. » Astre risqua un œil à l’intérieur et vit certaines mines peu prudentes sur lesquelles se peignaient une ironie violente vis-à-vis des mots « futur roi d’Hyrule ». Le Chancelier, de tout son orgueil, sourit lui aussi. Ils verraient bien assez tôt, lorsque leur sourire se transformerait en grimace de douleur. Plongeant une main sous sa tunique, Astre se gratta sans ménagements le dos. Quelque chose l’avait piqué, et le bouton irrité poussait déjà sous le soleil, le sénéchal le sentait grandir sous ses doigts fins. Il vit la coupable, une vilaine guêpe au blason or-ébène, et du pouce et de l’index il supprima l’insecte, lentement, le regard concentré.
Des trompettes sonnèrent, et d’une tape du doigt il se débarrassa de la saleté. N’avait-on pas vu plus belle cérémonie, plus belle audience ? Des godiches, des pervers, des damnés, des poivrots, des imbéciles, des naïfs, des putains. Cela l’énervait au plus haut point, lui qui avait le caractère puritain de ces inquisiteurs religieux qu’on trouvait parfois vers l’est du pays, à des milles et des milles d’ici, où les Hyliens n’avaient pas ces grandes oreilles et où seule cette race subsistait.
Astre joignit les jointures de ses dix doigts et fit craquer le tout avec un bruit de souche qu’on écrase de sa botte. Soulagé, il entra, apercevant plus de monde qu’il n’en avait vu entrer. Décidément, il aurait dû se reposer avant de venir. Il vit Withered proposer au blondinet Seldeus une petite place à côté de laquelle elle s’assit, il vit Faust parler avec Galastop, il vit Arkhams courir dans tous les sens, il vit Wakusei seule dans un coin et il se refusa intérieurement d’aller l’ennuyer, puisqu’au final cet ennui se retournerait contre lui. Il aperçut une espèce de démon répugnant qui appartenait à l’élite des gardes royaux et qui, selon Astre, n’était pas quelqu’un de très digne, puisqu’il avait abandonné son honneur au profit de l’argent, du luxe et surtout de la luxure. De toute façon, en ce jour-ci, juger ces gens ne serait point la meilleure chose faite, parce qu’il n’aurait point le droit d’abattre sa fureur purificatrice.
Que cette cérémonie commence, nom d’un chien ! Ah oui, il fallait attendre que le démoniaque Ganondorf se prépare. Au moins son maître avait-il l’agréable suffisance des rois que de donner cette attente si diffusée à la cour de la Princesse. Décidément, pensa Astre, le Seigneur du Malin était d’une ironie implacable. Il l’imaginait, se vêtant du plus beau tissu, avec un sourire en coin de bouche, le regard pétillant de méchanceté. Cette vision l’apaisa et il consentit à s’amuser un peu, à profiter de ces instants. Il se dirigea vers l’autel qui dominait l’assemblée fourmillante. Il se plaça derrière comme l’avait fait Arkhams, et le brouhaha s’intensifia. Que dire, que faire devant cet homme à la crinière de jais qui ressemblait étonnement à ses compères et commères des Profondes Ténèbres ? Rien, selon Astre. Lui les regardait simplement, l’œil mauvais, l’aura destructrice autour de son être prenant vie dans une couleur carnassière.
-Dieu ! Que vous êtes bruyants, marmonna-t-il. Pestilentielles créatures…
Si toutes les personnes présentes le regardaient, un seul mot leur viendrait à l’esprit : fou. En effet, il parlait tout seul, le regard fixe, le teint maladif, et sa main pianotait le bord de l’autel avec insistance, comme s’il voulait que des sons s’en échappent en une complainte funèbre. Il continua cette posture, ne se rendant point compte de la démence dont il était irradié. Il attendait son maître, il attendait la pucelle future Dame d’Hyrule. Il attendait l’union qui ferait chavirer le cœur d’Hyrule, une main s’enserrant autour du Royaume sans que personne ne puisse faire quoique ce soit. Astre entendait déjà les hurlements de terreur, les pleurs des enfants qu’on a laissés dans la maison, les hennissements des chevaux qui comprenaient plus vite que leurs maîtres, de même que les chiens avec leurs aboiements. Douce mélopée que d’entendre la misère d’Hyrule brûler. « Vive les Déesses… » A cette pensée, il éclata d’un rire froid, guttural, qui donnerait des frissons à n’importe quel être vivant.