Posté le 03/04/2016 19:56
Peu à peu, les hommes de foi s'éloignèrent. La procession regagnait les étages supérieurs – à moins qu'il ne s'agisse des étages inférieurs – de la Cathédrale. Soudainement, alors que les moines traversaient la nef comme autant de saumons qui remontent l'un des affluents de la rivière Zora, il fut pris par cette même curiosité qu'il avait éprouvé à bien des reprises. Celle-là même qui l'avait poussé à déterrer de vieilles légendes, des mythes oubliés ; mais aussi à gagner des jardins royaux alors qu'il savait tout juste parler l'Hylien. Quand le Kokiri persistait à lui venir plus naturellement. L'Enfant-des-Bois porta son regard sur les derniers prêtres, dont l'un – celui qui fermait la marche – balançait encore un calice d'encens en psalmodiant des mots, masqués par le battement de la pluie sur la pierre et sur les vitraux. « Merci... — », souffla-t-il simplement au sacerdoce qui lui offrait un peu de vin chaud. Il ne lui accorda pas le moindre regard, néanmoins, encore absorbé par le cortège qui disparaissait peu à peu dans l'ombre. « Ces gens-là ne sont pas bavards. Ce sont les rares survivants du Dernier Assaut. » Siffla le Père, captant le regard de l'Hylien et jetant lui même un œil vers les prêtres. « Chaque fois que la lune est pleine, ils pleurent les morts que le Seigneur du Malin nous a imposé. Que son Altesse n'a pas su protéger. » Le vieil homme haussa les épaules, poussant un profond soupir avant d'avaler une longue gorgée d'alcool. « Puisses les Dieux veiller leurs âmes. », reprit-il, non sans lorgner le vin qu'il avait offert aux demoiselles. « Puissent-ils, également, nous garder à l'avenir. Des dangers, quels qu'ils soient. » Le va-nu-pied arqua un sourcil, après avoir serré le poing. Son regard de givre perçait les yeux bruns du grand-père, sans malice mais sans complaisance. « De quoi parles-tu ? » S'enquit-il posément, laissant nonchalamment le petit godet de terre cuite sur l'un des bancs de prières installés face au Maître-Autel et la Porte du Temps.
Dans les yeux du vieil homme passa une lueur espiègle, de celle qu'on attendait davantage chez les jeunes enfants que chez leurs aïeuls. « Rien de très important. » Souligna-t-il, son regard revenant au Vitrail que l'Hylien observait plus tôt. « Elle est belle, n'est-ce pas ? » Du menton, le Père désigna la femme qui apparaissait sur l'ouvrage. Lorsque le Sans-Lignage laissa le regard du prêtre désigner le sien, il lui sembla voir – l'espace d'un court instant – une espèce de reflet étrange, silhouette noircie aux contours flous. « On l'appelle la Femme-aux-pleurs. Selon les rumeurs, l'artisan aurait réalisé un portrait imagé d'une grande reine de jadis... dont le nom m'échappe dans l'immédiat. » Le blond reporta son regard sur le vieillard, sa curiosité éveillée. Les questions lui brûlaient les lèvres, sans qu'il ne sache quoi dire précisément. Tant d'interrogations se bousculaient, derrière ses mâchoires scellées, toutes si différentes... il ne savait par où commencer, ni par où finir. « C'est un véritable chef-d'oeuvre en cela qu'elle change complètement d'humeur selon les saisons. » La pluie froide continuait à battre les carreaux avec une violence redoublée ; tant et si bien que le vagabond se forçait à tendre l'oreille pour saisir tout ce que pouvait dire son interlocuteur. « L'hiver venu, quand le ciel est gris et quand les nuages crachent leur mépris des petites-gens ; elle pleure tout son saoul. C'est le cas aujourd'hui. » Le sacerdoce repris une longue gorgée de vin chaud avant de soupirer, rêveur. « Grands-dieux, que l'été me manque ! Quand le soleil illumine son visage, on dirait qu'elle veille un amant endormi. Ce jeu de lumière qu'a su réaliser cet homme... C'est sans nul doute l'un des vitraux les plus impressionnants de toute la Cathédrale. » Non sans un petit sourire, il envoya une légère tape à l'ancien Champion-de-Farore, cherchant nonchalamment son épaule, comme le font d'anciens amis après une plaisanterie des plus amusantes.
Sans rendre son sourire à l'homme-de-foi, le Faux-Kokiri joua doucement avec chacun de ses doigts. Le vieil homme avait piqué sa curiosité à vif, sans qu'il ne sache réellement pourquoi. Bien sûr ; il avait toujours aimé déterrer de vieilles légendes et raviver les flammes éteintes de mythes anciens, mais le prêtre avait été clair : il s'agissait du portrait d'une parente de Belle – ce qui justifiait la ressemblance qui l'avait frappé un peu plus tôt – morte suffisamment longtemps auparavant pour que même les garants de l'Histoire eussent oublié son prénom. « Quel âge a ce vitrail ? » Se résolut-il finalement à demander, ramenant son regard sur l'oeuvre d'art, dont l'ombre semblait avoir disparu. Sans vraiment y prêter la moindre attention, le Garçon-sans-Fée réajusta la cape qu'il portait sur le bras, la balançant sur son épaule. « Je ne saurais le dire. Son auteur était contemporain de la Reine qu'il y a représenté, puisque c'est à cette époque que les Nohansen Hyrule ont commandé l'ouvrage. » Le bretteur renifla, passant son bras sous son nez comme par réflexe. Sans un mot de plus, songeur, il s'approcha du mur, dans lequel était encastrée la Femme-au-pleurs, dont il savait qu'il avait vu et vécu tant. Si l'Eglise et les Trois le révulsaient – pour tout un ensemble de raisons qu'il estimait plus que valables et qui ne manquaient pas de lui revenir, sitôt qu'il y repensait –, le Temple du Temps avait toujours exercé sur lui une fascination toute spécifique. Il aurait aimé avoir ses yeux, sa mémoire. A plus d'une reprise, il avait rêvé des lieux — de ce qu'ils avaient été. Il avait vu ici, un vallon, les ruines d'un Temple, un... « Vous partez ? » S'enquit le vieil homme, l'air passablement inquiet ; comme s'il n'aimait pas l'idée de rester seul avec les deux femmes. « Non. » Le rassura-t-il du tac au tac, peut-être un peu abruptement. « Tant mieux..., persifla le prêtre, il me reste encore de nombreux galettes de miel et de viande séchée... — » L'Hylien le coupa, plus soudainement encore. Bien que la faim le tenaillait effectivement, sa soif de savoir était plus forte. « Quel était le nom de l'auteur ? Que sait-on de lui ? »
Le silence, bien que court, fut dur à accepter. Le Fils-de-Personne mourrait d'envie d'en apprendre plus, comme attiré par une force dont il ignorait tout. La même qui l'avait poussé, finalement, à accepter l'invitation du vieil homme et à rejoindre le Temple. « Le nom de l'artisan, si je ne me trompe pas, ressemblait à Herald. J'ignore qui il fut où s'il mena d'autres travaux similaires, puisque le Cloître n'en a pas commandé à ma connaissance. » Commença le Père. Fronçant les sourcils, comme pour mieux réfléchir et perdre son air bon-enfant, il finit par reprendre. « J'ai du mal à me souvenir, le ventre vide. Venez donc avec moi, et ramenons ces quelques galettes... Elles sont exquises ! » Link soupira avant d’acquiescer. A l'évidence, le gros moine ne parlait qu'une fois ivre, ou le ventre plein. « L'une d'entre vous d'eux en veux ? » La langue déliée par l'alcool, il sembla à l'Hylien que le prêtre abordait les deux demoiselles d'un ton tantôt plus mielleux, tantôt plus grivois. Mettant cela sur le compte de la fatigue et de son imagination – la sexualité des prêtres ne l'intriguant que bien peu –, il entreprit de suivre le prêtre jusqu'à la petite pièce, dénuée de la moindre fenêtre ou de la moindre glace, dans laquelle demeuraient entreposées les réserves de nourriture du Temple. Acceptant celle que lui proposa le vieil homme, il ne put s'empêcher de la trouver à la fois trop sucrée et trop salée ; presque trop raffinée de par ses mélanges. Mais par politesse, il s'efforça à terminer le plat. « Je crois savoir, croassa-t-il entre deux bouchées aussi impressionnantes que celle d'un homme qu'on aurait restreint des semaines durant, qu'il venait de la Province du Pont-de-Pierre. Il parlait notre langue et devisait avec les mêmes monnaies qu'ici. Cela ne doit donc pas être très loin, bien que j'ignore où cela puisse être plus précisément. » Les lèvres du vieil homme brillaient d'un miel gluant, quand il ne lui coulait pas sur le menton. « Grand-dieux que tout cela est bon ! » L'Hylien soupira, avant de refermer la cape qu'il avait précédemment réajusté. Ramenant la capuche sur son visage, s'apprêtant à sortir, il lança un dernier regard au vieillard gourmand, dont il savait qu'il ne tirerait plus rien. « Déjà ? Vous partez ? Savez-vous que l'abbatiale ne ferme pas de la nuit ? » Son débit de parole s'était fait plus rapide. Et s'il ignorait fondamentalement ce qui l'inquiétait à la simple idée qu'il s'éloigne, l'Hylien décida de ne pas poursuivre. « Cette fois, oui. » Grommela-t-il, glissant une épingle en guise de fermoir. « Merci de votre hospitalité... mon père. » Son propre respect des règles spirituelles l'étonnait et il en conclut qu'il avait d'ores et déjà passé trop de temps en ces lieux. L'esprit encore pleins de questions, il quitta les lieux à la hâte.