Posté le 05/01/2013 16:09
Il n'arqua pas le sourcil, mais il n'en était pas moins intrigué. D'une part, le terme de pass lui était inconnu (bien qu'il en comprenne sans mal le sens, contraction évidente du « droit de passage »), mais d'autre part, il ignorait complètement ce qu'elle désignait comme son droit de passage. L'idée lui venait qu'il s'agisse du félin, mais au vu et au su du comportement d'Epona, il doutait sincèrement que cela soit suffisant.
Ses lèvres restèrent toutefois pincées. L'avertissement avait été donné, c'était à elle d'agir en conséquences. Combien d'avertissements n'avait-il lui même pas écouté ? La simple démarche de la jeune fille lui indiquait que ça n'était pas la première épreuve qu'elle rencontrait, ni le premier obstacle qu'elle avait eu à surmonter. Il espérait simplement qu'elle se soit préparée et agisse en connaissance de cause.
"Un proverbe Kokiri est clair sur le sort de ceux qui entrent, néanmoins. Un Hylien perdu dans la Forêt est un Hylien de moins." De vieux souvenirs lui revenaient en mémoire. Des images dont il n'aurait pas été capable de donner les origines, pour certaines. La seule certitude qu'il avait c'est que toutes étaient liées aux Bois Perdus. Toutes — sans la moindre exception. Quand il s'agissait d'un gamin anorexique, le fils de Mutoh, qui poussait des hurlements sauvages en voyant la chair quitter ses doigts, il savait. Quand le fils du charpentier était remplacé par l'Arbre Mojo, il savait encore. Mais quand celui là même laissait tomber de son feuillage un nombre incalculable d'êtres de bois, il ne savait plus. De même, quand la Forêt tout entière se retrouvait noyée sous un déluge torrentiel, et qu'une espèce de Serpent de Mer plus immense encore que le Doyen Sylvestre invoquait une pluie violente et – il lui semblait – purificatrice, il ignorait à nouveau.
Il ferma les yeux le temps de secouer la tête, comme on l'aurait fait en signe de négation. En l'instant il chassait des images venues d'autres temps plus qu'il ne niait quoique ce soit. Sa main se posa sur la table, rencontrant une fois de plus le papier ranci de la mappemonde. Inconsciemment, ses doigts s'étaient arrêtés sur la pointe Sud-Est du Royaume, celle-là même dont ils discutaient. « Au risque de passer pour un donneur de leçon ou un superstitieux, reprit l'Hylien, sois prudente. Ca n'est qu'un simple conseil. »
Link retira sa main de ce qu'il avait presque transformé en un plan de travail. Ses yeux cherchèrent ceux de la demoiselle au teint si métissé. En aucun cas il ne souhaitait la décourager, ou la pousser à abandonner — personne n'avait jamais su le faire à son sujet. Mais il refusait catégoriquement de l'envoyer à une mort certaine comme il l'avait déjà trop souvent fait.
Une voix, plus discrète, coupa net le regard qu'il partageait avec la jolie brune. Il se stoppa un instant, sans que ça ne soit visible pour quelconque être qui fut présent en la pièce. Navi elle même n'aurait sans doute rien décelé. Il se tourna alors, avec une lenteur qu'il n'avait ni voulu ni calculé vers Sen, un peu avant qu'elle ne récupère son argent pour la limonade que commandait l'autre dame.
"Ca n'est pas un héros. Lança l'autrefois Champion de Farore, désavoué à la suite du stratagème de deux félons et de deux princes. Son timbre de voix avait drastiquement chuté, tant et si bien qu'il ne parlait presque que pour lui même. Pas tout à fait, mais presque. Si ce fameux buveur de lait Lonlon, et cette chère amatrice de limonade tenait à entendre ses propos, il leur faudrait impérativement tendre l'oreille. « Ca n'est rien... » L'hésitation fit à nouveau trembler sa voix. « Rien qu'un gamin qui cherche à corriger ses erreurs. » Trancha le Faux-Kokiri finalement, avant de s'éloigner doucement.
"Il est temps pour moi de vous laisser. Passez une bone soirée." Lâcha-t-il, un peu sec, mais sans être désagréable, après s'être retourné. Sans plus un mot ni un regard, il abandonna la table, puis remercia le tenancier d'un bref geste de tête. Bientôt sa main rencontra à nouveau le fer bardé de cuir qui servait d'anse à la vieille porte du Nez-Rouge. C'est à peine si le grincement se fit entendre, dans une cacophonie ambiante pareille. La mi-nuit approchait bien plus vite, avec un coup dans les carreaux.
Alors qu'il s'apprêtait à sortir, un coup d'épaule l'envoya sur sa gauche. Perdant l'équilibre, il glissa sur un sol particulièrement alcoolisé, il envoya d'instinct son bras et sa main s'agripper au rebord d'une large table ronde sur laquelle trônaient un nombre incalculable de chopines pour trois hommes taillés comme de véritables ours, pilosité comprise.
"T'aimes-t'y pas bien être dans eul'passage toi." Cracha le soldat avec un regard aussi noir que la crasse de ses cheveux. « Aithne, faudrait-y pas vérifier c'que tu leur sert ? D'la pissaille à eul'Nutt'K ? 'Tiennent pas d'bout tes clients. 'Zont largement assez picolé, c'l'heure d'fermer. T'as dix minutes. Pas d'disccussion ou c't'eul sergent qui viendra. »
Le blond ne répliqua pas, massant simplement son épaule douloureuse. La ferraille qui recouvrait le corps de la garde avait percuté avec suffisamment de force ses os pour qu'il en tire une légère grimace. Toutefois, il ne manqua pas de rendre le regard a celui dont le torse était frappé de l'aigle doré de Belle, avant de s'engouffrer dans la brèche qu'il avait ouverte.
Le vent frais du soir caressa son visage, chassant les effluves du bar-auberge. Il huma l'air, appréciant ce que Nature savait offrir, avant de concentrer son regard sur l'extérieur.
La lune brillait déjà haut dans un ciel noir d'encre. Seule réelle lumière sur son chemin, pour dire vrai. Le cliquetis des mailles en disait long sur l'état de nuit : le couvre-feu était déjà tombé, les patrouilles avaient déjà commencé.
C'est discrètement, qu'il s'enfila dans une rue, puis s'engagea dans une nouvelle ruelle. Sans hésitation, néanmoins, il traversa une allée, qui de jour aurait été plus bruyante que toute une fanfare Goronne. Et petit à petit, en s'arrêtant, camouflé par l'ombre quand passaient des troupes marquées de l'Emblème Hylien, il rejoint le Pont-Levis. Fermé, bien évidement.
Dix mètres le séparaient de l'immense porte qui fermait désormais la cité aux voyageurs. Plus gênant, le poste de vigie, duquel il se cachait encore. Le Fils-de-Personne se faufila de cachette en cachette jusqu'aux forteresses de pierre grise. Ses doigts tapotèrent silencieusement contre l'énorme mur protecteur, et il souffla un bon coup, avant de ne se lancer à l'ascension des créneaux et des mâchicoulis. La montée fut éprouvante, mais se fit sans mal. Sans prendre le temps de patienter plus, une fois en haut (une autre patrouille pouvait encore passer), il plongea dans les douves. Quelques brasses le menèrent jusqu'à la terre ferme, et séchant son Ocarina, il entama un chant qui le liait depuis toujours à une fidèle amie.
Nabooru l'attendait.