Posté le 01/04/2013 20:23
Il lui semblait qu'il n'avait pas joué de lyre depuis des siècles, si pas des millénaires. Aucune image ne lui venait en tête quand il fermait les yeux en se demandant quand avait été la dernière fois qu'il jouait de l'instrument. A peine le balancement d'un espèce de boulier tressé, devant un mur qui lui semblait familier, mais rongé par la végétation. Et pourtant... Ses doigts se souvenaient. Ils n'avaient rien oublié et se promenaient allègrement de corde en corde, comme s'il avait toujours su employer ce genre de cithare antique. Car ça n'était non pas un modèle médiéval qu'il avait su récupérer, mais bien un de ceux qui avait gardé l'esthétique des temps passés, avant les heures sombres.
Il laissa donc ses mains murmurer de simple mots doux aux filins argentés. Hommage aux Trois, épuré. Il n'avait pas d'autre vocation que celle d'accompagner les envolées de deux ocarinas, un luth (qui s'était tristement tût) et une voix qu'il commençait à connaître suffisamment pour pouvoir la reconnaitre avec une facilité peut être surprenante.
Les notes restaient suspendues et ses yeux fermés. Sa main cessa un instant de pincer les cordes tandis qu'il laissait au Seigneur-sur-la-Montagne le soin de marquer le temps de ses puissants pas de danse. Un temps. Deux temps. Trois temps. Une mesure. Il reprit, entonnant en choeur le chant de sa petite soeur — qu'il avait reconnu sans même la voir. La joie se diffusait au sein de la maigre caisse de résonance de la lyre, et semblait s'étendre sur la Grand-Place. Bientôt les danseurs ne furent plus que deux, mais dix, vingt, trop pour qu'il ne les dénombre, les yeux ainsi plongés dans l'obscurités de deux suaires de chair.
Il fut bousculé, et avant qu'il n'ouvre à nouveau les yeux et ne cherche son amie du regard, il avait été séparé de Flora. Avant, aussi, qu'il n'ai eu le temps de prononcer quoique ce soit, une petite voix flutée murmura doucement, mais avec un ton qui trahissait une bonne humeur – peut être un peu taquine ? – à son oreille. On se saisit de son bras et on l'entraina. L'Hylien lança un regard circulaire sans apercevoir la Prêtresse qui l'avait accompagné jusqu'à l'ors. Son poing se serra alors qu'il s'apprêtait à se dégager. Un coup d'épaule suffirait à le sauver de n'importe quelle poigne — à l'exception de celle de Darunia. Mais son plus vieux « Frère de Sang » dansait encore.
C'était, sans aucun doute possible, une femme qui s'était agrippée à lui. Il espera l'espace d'un instant qu'elle n'était pas de celles qui travaillaient tant bien que mal pour gagner quelques sous — il n'aurait voulu la blesser d'un mouvement ample des omoplates. Mais le Fils-de-Personne ne put amorcer aucun des déplacements qui lui aurait alloué la possibilité de s'extraire à l'emprise de la danseuse. Devant ses yeux passèrent soudainement un loup prisonnier d'un nénuphar, ainsi qu'un petit feu-follet aux reflets bleutés.
Alors que le Héros déchu aurait pu sans mal s'extirper, une violente faiblesse s'empara de lui, comme si on venait de le frapper en plein foie. Il était incomplet. Sans l'avoir véritablement oublié, il avait presque su mettre ça de côté. La réalité venait avec une vigueur qui le fit chanceler. La nausée le gagna, sans qu'il ne se laisse aller plus qu'il ne l'avait fait jusqu'à présent.
Elle l'avait emmené dans une petite ruelle, qu'il connaissait pour y avoir joué avec Malon, enfant. Il y avait aussi croisé une petite blonde qu'il n'avait plus jamais revu — lui semblait-il. C'était une triste et maigre avenue, qui n'avait comme seul et unique avantage que celui d'être tranquille et silencieuse. Bien connue des vieillards, moins des gens douteux.
"Uh..." Soupira-t-il, une fois qu'ils furent arrivés. Le simple fait qu'elle l'ai guidé jusqu'ici posait un terme à toutes les conclusions qu'il avait pu tirer plutôt. Si quand il s'agissait de jouer de la lyre aucune image n'avait su lui revenir, il ne manquait pas cette fois-ci d'être assailli par celles qu'il avait déjà vu en rêve. Celles qui l'avaient poussé à plonger du haut des Gorges de Gérudo.
C'est à peine s'il fut surpris de la voir se dévêtir partiellement. Tout aussi jolie que pouvait être la demoiselle, il était ailleurs. Les courbes que la nature lui avait offerte n'aurait su le tirer de cette transe qui par deux fois déjà s'était saisie de lui. Il savait, sans avoir à écouter la belle-enfant, ce qu'elle avait pour lui.
Elle dénuda son bras, l'or attrapa ses yeux mieux qu'aucune femme n'aurait pu le faire.
"Mer..." Commença-t-il, soufflé. Le Bracelet avait sur lui cette attirance qu'il n'avait jamais retrouvé ailleurs qu'en ce Loup gigantesque et ce minuscule Esprit-des-Bois. C'était viscéral. Il avait l'impression de glisser jusqu'au bijou que lui tendait la jeune femme. « Merci. » Glissa-t-il en remontant enfin et seulement son regard boréal jusqu'aux yeux verts de la Gérudo.
Ses doigts se refermèrent sur le cercle d'or fin. Tout devint flou autour de lui, le monde se mit à tourner avec la brise qui composait la bulle dans laquelle on l'enfermait. Link se retrouva seul, le bracelet entre les doigts, dans un monde tout autre. Les sons de la fête ne lui parvenait plus, pas plus que les odeurs, ou les sensations qu'importe les quelles. Il était dans un univers immense avec pour seules frontières une horizon infinie. Des lieux au dessus d'une mer de nuage, le Voyageur de Temps flottait au milieu de nuées bleues qu'il rêvait de découvrir. Il avait vu les abysses, les profondeurs des forêts comme celles des terres, connu la splendeur des monts, mais n'avais jamais pénétré les cieux.
Un cri retentit au dessus de lui, et il renversa aussitôt son crâne. Un immense aigle Vermeil glatissait en investissant l'espace infinie. A l'Ouest, un hurlement tinta à son oreille pointue. Et quand il se retourna, un immense loup blanc lui passa devant, le contraignant à se déporter sur la droite. C'est alors qu'une petite fée se mit à tournoyer tout autour de lui, partant du bas pour finir au dessus de son crâne. Sans véritablement comprendre ce qui lui arrivait, il pinça à nouveau les cordes. Sonate ancienne et mystique chez les Mojos puis triste lamentation initialement interprétée à l'orgue. Chant sombre et méconnu de tous les peuples, mais ô combien apaisant. Un commerçant itinérant au grand sourire lui avait enseigné, des années auparavant.
Les Trois êtres reprirent leur course céleste. Le Vermeil, le Loup et la Fée s'allièrent et convergèrent trop loin pour qu'il ne puisse encore les voir. « Tranche », murmura une voix qu'il connaissait sans l'avoir entendu pour vrai. Link, Fils-de-Personne, élu de l'Épée de Légende tira l'acier au clair. La lame brillait d'une intensité nouvelle. Les Trois se jetèrent sur lui — il les perça d'un estoc. Autour du fer sacré, le Vermeil – sceau céleste –, le Loup – sceau de vie –, et l'Esprit – sceau de mémoire et de pensée – se mirent à danser. Quand le ballet les mena enfin jusqu'à la garde, Excalibur naquit à nouveau. La lame purificatrice.
Ce monde de bleu et de blanc dans lequel il évoluait se dissipa petit à petit, et il revint progressivement sur la place du marché. La tête lui tournait, il eut besoin de s'appuyer contre un mur de sa main droite. Et dans sans main gauche, Excalibur s'illuminait plus que jamais. Entourée par trois flammes purificatrices, chacune parée d'une couleur propre à une Déesse, l'Épée de Maître le consacrait à nouveau Héros du Temps.