Hyrule's Journey

La nuit était tombée sur la Place, limitant les déplacements de ses habituels usagers. Les marchands avaient déjà remballés leurs étals, les parents rappelaient leurs enfants, les quelques animaux rentraient chez leurs maîtres, quelques femmes se promenaient en riant, semant avec facilité les badauds saouls qui les poursuivait, allant clopin-clopant en suivant les silhouettes floues des demoiselles qui disparaissaient déjà au coin d'une rue... Mais Laurent, lui, n'en faisait rien. Il avait d'autres plans ce soir.

Car il n'avait pas pu résister.

Il n'avait pas pu résister à ces prunelles bleues si séduisantes qui le fixaient droit dans les siennes, à ces beaux cheveux violets qui ondulaient au rythme du vent, à cette silhouette si grande, si fine, et presque rassurante pour un gringalet comme le rouquin. Il n'avait pas pu résister à cette voix envoûtante qui lui avait demandé, avec douceur, un rendez-vous...

Tout d'un conte de fée, n'est-ce pas ?

Pas tout à fait. Car lesdites prunelles bleues, les cheveux ondulant et la silhouette avantageuse n'étaient autres que ceux de Negai, à savoir un suspect d'il ne savait trop quoi, mais il allait le découvrir, c'était certain. Et que le rendez-vous, c'était évidemment lui qui allait le payer... Puisque c'était un dîner dans une petite auberge sympathique de la ville.

Justement, le Mage était assis à une table, patientant sagement. Le violet n'était pas en retard, loin de là, mais c'était juste qu'il voulait arriver en avance, histoire d'avoir le temps de s'en remettre. Pourquoi avait-il accepté ? Il le connaissait à peine, enfin ! Ca ne lui ressemblait tellement pas que s'il s'était vu, il se serait collé des baffes à longueur de temps. Tant de niaiseries... Il aurait presque cru à un sortilège venu de nulle part, si seulement il n'avait pas assez de capacités magiques pour se rendre compte que ce n'était pas le cas. Dire qu'il s'était même mis sur son trente-et-un pour ce type ! Tenue blanche légèrement décorée, très finement cousue. Sa mère la lui avait faite et offerte pour son vingtième anniversaire, et il n'en était pas peu fier.

Et maintenant, il guettait chaque mouvement de la porte, attendant pour son rendez-vous...

Lorsque la porte découvrit finalement la tignasse violette de son rendez-vous, Laurent se leva, par habitude, par surplus de respect, surtout. Ce n'était pas parce que ce gars avait l'air louche qu'il fallait forcément être malpoli envers lui. Au contraire, autant la jouer fine : plus ils seraient proches, plus le rouquin en apprendrait plus sur les éventuelles activités interdites du garçon.

"- ... Quel humour." déclara-t-il de façon neutre tout en se rasseyant.

Sérieusement... C'était le genre de phrase qui lui donnait juste envie de prendre ses affaires et partir. Seulement, et malheureusement pour lui, on pouvait lui faire confiance ! Et donc, il resterait jusqu'au bout, quitte à endurer les pires répliques de la part du violet.

"- C'est plutôt calme, ce soir."

Oui, discuter de tout et de rien n'était pas forcément une évidence pour tout le monde dans ce genre de situation, mais pour lui, c'était une question de vie ou de mort mentale. Ses joues devenaient déjà toutes rouges, d'ailleurs !

Ce type était assez désespéré pour lui lancer un appel. Oui, oui, d'accord, il allait payer, enfin ! Pas la peine de ramener les taxes sur la table... Cela lui rappela seulement ses parents, son frère et sa soeur, tous deux plus jeunes. Les quatre Walder vivaient de leurs couture, bijoux, et de la moitié de la paye de leur deux aînés. Justement, le violet venait de lui parler de sa grande soeur.

"- Oui. Alma est un modèle pour moi." s'était-il senti obligé de préciser.

Ah, Alma... Elle était vraiment une femme forte. Normal, vu qu'elle avait connu la misère plus longtemps que les autres enfants de sa famille, et qu'elle avait en plus dû les protéger de tous les dangers. Et des dangers, à la campagne, il y en avait ! Plus qu'on ne le croyait, d'ailleurs.

Bon, il n'y avait pas de Negai, mais c'était dangereux quand même.

"- Et vous ? Vous avez de la famille ?" lança-t-il au hasard, rougissant adorablement.

La conversation n'était pas son fort...

Pas une enfance des plus faciles, donc. Ca faisait peut-être un point commun. Enfin... Quoiqu'il n'arrivait pas vraiment à voir les similitudes entre un manque d'argent flagrant et une vie familiale douloureuse et chaotique. C'était le genre de situations très sensible. La tension... Brr, elle lui glaçait le sang. Ou plutôt, le chauffait, en réalité.

Un peu comme l'attitude du violet. Non mais eh ! Ils se donnaient rendez-vous, et il se permettait de regarder d'autres gens ? Quelle impolitesse ! Une honte, oui ! Une honte ! On n'avait plus de respect pour rien, par les temps qui couraient. Déjà que ça n'était pas une partie de plaisir pour lui qu'être là, si en plus l'autre s'accordait le loisir de détailler la foule, autant qu'il se lève et s'en aille tout de suite.

Mais les regards de certains de ladite foule le firent frissonner. Le genre de regard presque haineux qu'il avait l'habitude de croiser, mais auquel il n'arrivait pas à se faire. Le roux se recroquevilla légèrement, mal à l'aise. Et voilà... Ca recommençait.

"- Et... Que faites-vous dans la vie ? Comme travail, je veux dire..."

Il ne perdait pas de vue son but. Connaître d'éventuelles activités suspectes. Ses doigts, fins, pâles et féminins, tapotaient la table avec une certaine douceur. Cela le détendait, bizarrement.

Ah ! Voilà qu'on reparlait de Luka ! Il l'avait bien rencontré quelques temps auparavant, et l'avait apprécié. Son étrange et surprenante joie de vivre était tout aussi touchante que son léger mal-aise en la situation actuelle du pays. Et surtout, sa troupe de comédiens l'intéressait au plus au point. Un peu de culture dans ce monde de brutes ! Du coup, Negai gagnait en intérêt. Si ses dons d'acteurs lui avaient déjà été prouvés auparavant, savoir qu'il appartenait au groupement du brun lui donnait peut-être encore plus de charisme à ses yeux... Qu'il n'en avait déjà.

Il allait poursuivre la conversation sur le meneur de la bande, mais le violet le dépassa... Pour le complimenter. L'aspect extérieur du roux sembla toujours aussi neutre malgré un soudain et violent rougissement. En général, il était totalement imperméable à la flatterie... Mais là, dans cette situation - un dîner en tête à tête avec un homme charmant, qui en plus n'avait rien contre ses penchants, dont la proximité à l'heure actuelle était réduite -, c'était quasiment impossible.

"- J...Je vous remercie." souffla-t-il.

Le Mage retint un commentaire sur la tenue du violacé. Franchement, il aurait pu faire un effort, lui aussi ! Heureusement, une jeune femme s'approcha de la table, souriante.

"- Puis-je prendre votre commande ?"

Elle appuyait son regard - un peu crétin, pensa Laurent - sur l'homme à la crinière d'améthyste, visiblement sous le charme. Et le soldat avait tellement l'habitude qu'il ne releva pas, sur l'instant. Pourtant, son corps prit une chaleur soudaine et incontrôlée, amplifiant son rougissement. Redevenir aussi invisible à chaque fois lui était devenu normal, pourtant, cette fois, cela lui était impensable.

"- Une soupe de potiron, une salade de Farfales Kokiri, et une grosse part de tarte aux pommes, s'il vous plait."

Son regard s'était illuminé au mot "pommes". Il adorait les pommes. C'était son fruit préféré, un véritable péché mignon, une addiction ; lorsqu'il commençait à en manger, impossible de l'arrêter !

"- Oh, et aussi, une bouteille de votre alcool..."

Son regard se perdit sur Negai.

"- ... Le plus fort."

Même s'il n'aimait pas boire d'alcool en général, cette fois, il risquait d'en avoir besoin !

Sa confiance valsa à la seconde même où Negai posa sa main sur la sienne. Les regards autour de lui se posèrent aussitôt sur eux, certains choqués, outrés, d'autres énervés. Et le sourire du violet n'y fit rien. Il avait juste envie de s'enfuir, ou de devenir tout petit pour se cacher dans un trou de souris. C'était toujours à lui que ça arrivait... Certains n'acceptaient pas ses préférences. Et s'afficher comme ça n'était pas du tout son genre.

"- Je..."

Il garda cependant sa main sous celle de son vis-à-vis, sans oser la prendre. C'était un contact agréable. Et pour le moins rafraîchissant vu la température totalement opposée de leurs deux peaux. Est-ce que ce type voulait être gentil ? Impossible. Impensable.

"- Oui, cela fait deux ans. Presque trois." précisa-t-il après une pause.

Le roux releva timidement son regard de couleur jade la plus pure, et fixa son interlocuteur. Trouver quelque chose à dire, et vite.

"- Alors comme ça, vous... Vous êtes comédien ? Je connais Luka... Il m'a proposé de venir à l'une de ses représentations, mais j'avoue ne pas en avoir encore eu l'opportunité. Peut-être me donneriez-vous un aperçu ?"

Il parlait, bien évidemment, de lui parler des pièces, et pas de jouer la comédie devant lui comme dans Roméo et Juliette ou peu importe quoi ! ... Pourvu que cela ait bien été compris.

Il hocha doucement la tête. Bien sûr, il viendrait les voir, si l'occasion se présentait. Mais entre ses rondes, ses gardes de nuits, et le peu de jours de repos disséminés à travers le mois... C'était difficile ! Le rouquin regrettait d'ailleurs qu'il n'y ait pas un jour de plus dans la semaine. Le "Laureni". Ca sonnait bien, non ?

"- Cela me donnera une occasion de vous revoir."

Le Mage se mit à rougir, plus encore qu'il ne le faisait déjà, évidemment. Est-ce qu'il était sérieux, où était-ce une sorte de tentative désespérée de le charmer une fois de plus pour il ne savait trop quelle raison ?! Enfin... Même si c'était une espèce de parade nuptiale - oui, pour lui, ce n'était pas loin du comportement animal -, c'était toujours agréable... Et ça lui changeait. D'habitude, on le repoussait de façon assez automatique. Alors... Désirer sa compagnie... Même pour de faux...

"- Je... Je viendrai, oui. Nous nous reverrons, si vous le voulez...!"

Il s'apprêtait à continuer, mais la serveuse revint avec leurs entrées, adressant encore un sourire au violet, et un beaucoup plus professionnel à Laurent. Apparemment, elle devait être à demi poisson rouge, puisqu'elle avait dû oublier la leçon gestuelle que Negai lui avait donnée juste auparavant. De toute manière... Il n'était pas du genre rancunier sur ce genre de points. Quoique...

"- Voilà votre entrée ! Et votre vin !"

Le roux se jeta presque sur la bouteille, servant un petit verre à son vis-à-vis, mais un beaucoup plus rempli pour lui-même. Il fallait VITE qu'il se donne un moyen d'oublier si la soirée se passait mal.

"- Merci, ma demoiselle."

Remontant ses lunettes d'un geste de main assuré - même si dans son esprit, c'était une véritable rébellion contre le bon sens et la logique -, il siffla tout de suite après son premier verre - sans doute le premier d'une longue série, d'ailleurs -, le reposant sur la table de bois, avant de pousser un long soupire.

"- J'espère que je supporterai l'alcool, cette fois."

Ou pas, tout dépendait de la suite de la soirée.

Son regard vert pur se posa sur Negai. Non, il n'était pas habitué. Justement. La première fois qu'il avait goûté à de l'alcool - quelconque - remontait à ses seize ans. C'était l'anniversaire des vingt ans d'Alma, et celle-ci avait attrapé son petit frère avec une telle poigne qu'il avait été obligé de se soumettre à sa volonté. Une bière plus tard, et il se disait ne plus jamais - JAMAIS - boire autre chose que de l'eau et des jus de fruits. Autant pour le goût que pour la sécurité...

"- Disons que mon corps n'est pas entraîné à supporter... Même un seul verre."

Et c'était évidemment après coup que le rouquin en informait son rendez-vous. Après tout, c'étaient ses affaires s'il finissait à moitié nu ou dansant une fougueuse valse avec Negai, non ? ... Non. Il rougit, et baissa les yeux sur sa soupe, espérant qu'elle tapisserait assez son estomac pour ne pas qu'il se mette à chanter à tue-tête toute la soirée... Ou peu importe.

"- Eh bien, bon appétit, dans ce cas."

Tout en mangeant - avec une certaine classe, surprenant pour un garde, qui plus est provenant de la campagne profonde -, il jetait de petits coups d'oeil au violet. Toujours pas remis du choc. Se faire inviter par un type pareil, lui qui avait toujours été ignoré voire rabaissé pour son physique frêle et son esprit peut-être un peu trop développé pour la moyenne... Ah oui. Non. Il voyait maintenant.

C'était Laurent qui payait. Ceci expliquait forcément l'enjouement de Negai.

Son regard de jade pure se planta finalement sur le visage ô combien attirant du violet. Ses gestes l'avaient surpris, tout autant que l'expression qu'il arborait. Essayait-il de le rassurer...? C'était... Agréable, oui. Un peu étrange, mais tout à fait agréable. Il commençait presque à lui faire confiance, d'ailleurs. Il ne fallait pas baisser sa garde. Ce gars restait quand même complètement suspect, à la fin !

"- Euh... O...Oui, bien sûr... Euh enfin, je veux dire !"

Il se plaqua vivement une main sur la bouche. Merde ! Voilà qu'il parlait trop... Cela lui arrivait souvent. Depuis sa plus tendre enfance, en fait. Son tempérament de feu - c'est le cas de le dire - lui faisait parfois parler avant de réfléchir. Et en tant que garde comme en tant que coincé socialement, c'était mauvais. Très mauvais.

"- Oubliez cela." conclut-il, tout rouge, la tête basse sur son bol de soupe.