Que la nuit chante pour moi. [Privé]

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Aedelrik


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(vide)

« Bonne nuit, monsieur. »

Il eut envie de la corriger, de lui interdire de l'appeler ainsi, mais elle sortit de la pièce en lui souriant, avant qu'il en ait eu le temps. Son dos retomba contre la paillasse et il soupira longuement, un long trait de fumée noire comme la suie expulsé de ses poumons. Il avait du mal à garder les yeux ouverts mais il refusait le sommeil. La prochaine bouffée d'Alkaz serait la dernière, car il avait utilisé ses derniers restes pour remplir la pipe qu'il tenait entre ses mains tremblantes. Il toussa, peu habitué à une telle merveille...Ou une telle horreur, selon les points de vues.

Aedelrik n'avait jamais consommé auparavant l'herbe connue dans son pays comme la Mort de l'Âme. Il en avait emporté un peu dans son exil, avec d'autres drogues, dans l'idée qu'il pourrait en vendre à prix d'or dans d'autres contrées, mais les Hyliens étaient peu consommateurs de produits aussi puissants. Alors, elle était restée là, au fond de son unique bagage, plus comme un souvenir qu'autre chose. Il avait même pensé à la jeter. C'eut été une grossière erreur, se dit il.
Le voleur mit la pipe à ses lèvres et inspira, attirant la fumée dans sa bouche, puis plus loin, dans ses poumons. Il en sentit aussitôt les effets et ils furent saisissants. Les lignes se troublèrent, le feu dans le coin de la pièce l'enveloppa d'une chaleur redoublée et il se sentit détendu, presque apaisé. Un instant, il essaya de se remémorer les raisons de sa présence en cet endroit, et n'y parvenant pas, il cessa d'y penser. L'Alkaz était décidément une véritable merveille.


« Toi et tes principes débiles... Tu n'aurais jamais dû te refuser un tel plaisir. »

Pendant un temps, il dériva entre l'éveil et les ténèbres reposantes, incapable de sentir le temps passer ou de se souvenir de ce qui l'avait poussé à une telle expérience. Et puis, les effets commencèrent à se dissiper. Les lignes reprirent peu à peu leur forme, le feu crépitait si fort que le bruit lui semblait assourdissant, la chaleur laissa la place à un froid glacial qui lui mordait également l'esprit. L'étranger porta machinalement la pipe à ses lèvres pour constater que les derniers restes de la drogue s'étaient consumés. Il était à court.

Rendu furieux par ce manque impromptu et frustrant, son attention se reporta sur la bouteille d'alcool qu'il avait abandonné pour la drogue peu auparavant. Avant que le voleur n'ait porté le goulot à ses lèvres, des bribes de souvenirs lui revinrent. La jeune fille était une donneuse de joie, et une bonne, car elle s'était montrée adorable alors même qui lui n'avait pas été capable de lui faire vraiment honneur. Rien de très honteux, mais rien de fameux non plus. Rageant à cette pensée humiliante, il pencha la tête en arrière et but longuement. Un véritable élixir de feu lui coula dans la gorge, le sortant pour de bon de sa torpeur.

D'un coup, Aedelrik se souvint.
La douleur venant des plaies fraîchement recousues fut comme si la foudre venait de lui tomber dessus. Il sut pourquoi il avait eu besoin de l'alcool, de la drogue, du corps d'une femme pour le réchauffer, et sa morosité le fit aussitôt se voûter sous son poids. Son regard vide se promena au hasard sur la pièce, pour venir se fixer sur le feu. Comme fasciné par la danse des flammes, il reprit une longue gorgée. L'alcool avait le goût de pisse et de bille. C'était un breuvage ignoble, pas digne d'un homme comme lui.
Ou peut être bien que si, justement. En tout cas, ça n'avait pas un goût aussi amer que la défaite, humiliante, écrasante, sans concession ni coups rendus. Battu à plates coutures par une femme.


« Qu'es-ce qui t'es arrivé, pauvre con ? Hier, tu faisais trembler le plus féroce des champions dans les arènes de Genua, et aujourd'hui, tu te fais envoyer hors du terrain par un tour de passe-passe. »

Mais elle avait triché. Pas selon les règles officielles, bien sur. Rien n'interdisait ce genre de sournoiseries, et il était bien placé pour le savoir. Mais elle avait usé de magie dans une arène. Pour un ancien gladiateur comme Aedelrik, c'était un blasphème, une hérésie impardonnable. Oui, c'était à cela qu'il devait sa défaite, à cela et aux maîtres du tournoi qui détestaient les étrangers. Le voleur en était persuadé, le simple fait de venir d'ailleurs lui avait été fatal. Autrement, on aurait déclaré le match nul et à recommencer. Un sort de vent...

« Nan, c'est de ta faute, connard. Tu n'as pas été capable de saisir ta victoire quand tu la tenais, et elle t'as échappé. Si tu n'avais pas voulu faire le fier devant la foule, tu n'en serais pas là. »

Les mots étaient sortis tout seuls, comme si la part sobre d'Aedelrik lui parlait. Et la part qui était de plus en plus saoul ne pouvait supporter ce ton moralisateur. De rage, le Renard envoya violemment la bouteille contre le sol, où elle explosa en un grand nombre de morceaux. Alors qu'il aurait dû se sentir soulagé, le voleur ne ressentit qu'une profonde lassitude. Après tout, il ne pouvait réfuter les arguments de sa raison. Cet échec n'était que le dernier d'une longue série. Echec à sauver son père adoptif, échec à sauver son maître, à sauvegarder sa première guilde, puis sa seconde.
Son regard se porta alors sur un grand éclat de la bouteille, au bord acéré. Sans vraiment réfléchir, il s'en empara et le porta devant ses yeux. Un instant immobile, le visage interdit, il se fit une légère entaille au doigt, qui se mit à saigner. Il soupira longuement, et, à gestes très lents, releva sa manche droite. De nombreuses cicatrices lui ceignaient déjà les bras, dont beaucoup qu'il s'était infligé enfant, pour supporter la douleur des premiers drames de sa vie.

Le verre rencontra la peau, et la sensation de froid le fit frissonner. Sans hésiter, Aedelrik trancha, une première fois, dans le sens de la largeur. Puis une seconde. Puis une troisième. La douleur fut immense et instantanée, mais elle parut chasser ses pensées noires, un instant. Il s'entailla presque vingt fois, sur toute la longueur, puis lâcha l'éclat de bouteille.
Enfant, il s'empressait de nettoyer les plaies et de les bander. Mais pas cette fois. Il comptait bien ne plus avoir à faire s'enfuir la douleur à nouveau. Cette nuit serait sa dernière, le numéro final du cirque qu'avait été sa vie. Le dernier acte de cette tragi-comédie absurde. Et sa scène serait la nuit, comme elle l'avait toujours été. Se relevant tant bien de mal, il sortit d'un pas chancelant et lourd.

Tandis qu'il quittait le bordel, plusieurs filles écarquillèrent les yeux devant le spectacle de son bras mutilé mais il les ignora et sortit après avoir lâché sa dernière pièce d'argent sur le comptoir. L'air frais de la nuit lui fit du bien, le fit se sentir vivant. Une douce ironie, qu'il apprécia à sa juste valeur. L'alcool faisant alors pleinement effet, il ne put se hisser, comme il en avait le projet, sur un toit pour observer la lune. Le voleur se tenait péniblement aux murs pour avancer, un pas gourd après l'autre. Sa dignité ne lui manquait pas, pas plus que la voix de sa raison qui avait disparue. Puis, il se sentit incapable d'aller beaucoup plus loin. Derrière lui, les traces de sang avaient laissées un long chemin, comme un immense serpent rouge à même le sol de terre battue. Sa vue le trahissait, tout comme son sens de l'équilibre. Il avait envie dormir, mais il ne voulait pas qu'on puisse le trouver et lui enlever sa mort.
Alors, Aedelrik se traîna jusqu'à une cour ouverte, cerclée par plusieurs bâtiments d'où ne s'échappait aucune lumière, et il se laissa tomber sur un tas de paille. Une couche rêvée pour le roi des perdants.


« Adieux, saloperie de monde pourri. Tu ne me manqueras pas. »

Il partit d'un rire faible, éraillé, et attendit la fin. Il sentait le sommeil arriver quand un son étrange lui vint.

[Privé, avec Lanre, si vous voulez vraiment venir, mp moi]


Lanre


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(vide)

Il ne fut pas bien dur à pister. Pour quiconque avait fait un tant soit peu de chasse, la traînée de sang qui maculait toute l'allée était un indice plus clair encore q'une volée de corbeau. Même s'il ne brillait pas à la lueur de la lune. Même s'il menait vers une proie inconnue. Il n'était pas meilleure trace que celle laissée par le badaud qui s'était fait percer de toute évidence. Quant à savoir pourquoi il la suivait, c'était là quelque chose qui lui échappait. Peut être parce que pour une fois il n'avait plus le sentiment d'être traqué et que ce répit bienvenu avant la succession de combats qu'il aurait à mener. Le premier d'entre eux ne se tiendrait pas avant deux jours, au moins, aussi s'était-il accordé le luxe d'une sortie tardive. Il n'avait jamais été de ceux qui comptaient sur de longues nuits de sommeil avant la bataille. Sans doute parce qu'il n'avait jamais été capable de dormir si longtemps. Toujours levé avant que Krein n'allume les feu du ciel, toujours couché après Iilah les éteigne. C'est ainsi qu'il avait appris à vivre, chasser, combattre et sûrement mourir.

Il n'y avait pas que cela, évidemment. Même s'il n'avait pas encore mis le doigt dessus, c'était l'évidence. De petits frissons parcourait sa nuque tandis qu'il suivait les empreintes carmin, presque accroupi. La nuit le dissimulait aux yeux des rares flâneurs qui parcouraient encore les avenues à cette heure-ci. Il ne manqua la remarque d'un garde à un autre homme, moins discret qu'il ne l'était. « Ce sont les voleurs, les sorcières et les Dragmire qui se terrent dans l'ombre. Lequel d'entre eux es-tu ? » Avait craché l'homme dont le visage restait enfoui sous une épaisse barbe et sous une armature d'acier. En temps normal, un léger sourire lui aurait brûlé les lèvres. Mais en vérité c'étaient ses doigts qui le démangeaient. Ils caressèrent doucement le cuir qui bardait l'os de son coutelas, tandis qu'il se voyait déjà passer derrière le veilleur et lui ouvrir la gorge. Il n'avait passé que peu de temps sur ces terres mais c'était autrement suffisant pour juger les hommes et les femmes qui en battaient le pavé. Ils ne lui paraissaient pas être des hommes en vérité. Personne, chez lui, n'aurait toléré qu'on lui impose de cesser de boire à une heure donnée ou qu'on choisisse pour lui quand il devait rentrer. Aucun des siens n'aurait concédé la moindre autorité à un autre sous prétexte du port de l'armure. L'honneur, un des aspects primordiaux de la culture Ceald, sans aucun doute. La liberté plus encore. Il grinça des dents, constatant comment l'Hylien s'écrasait docilement face à son mettre clinquant et bruyant dans sa lâche carapace. La peste que ces hommes et ces femmes. Ils ne lui inspirait que dédain et dégoût.

Tandis que le soldat s'en prenait à l'ingénu, Lanre roula, passant sans mal l'intersection. Ni le garde ni son captif d'un soir ne remarquèrent quoique ce soit. Il se cacha tout de même dans l'obscurité d'un étal déserté le temps que le calme revienne. Bientôt les corbeaux eux même se turent et l'espace d'un instant il observa le silence qu'il parvint à ne pas rompre en reprenant sa chasse. La piste était fraîche, voyante et subtile à la fois. C'était une ligne pourpre, fine mais nette, qu'il aurait été aisé de manquer. Maintenant qu'il avait pris le parti de la suivre, il n'allait plus la lâcher. Et s'il tombait sur quelques fiers-à-bras, il pourrait se dérouiller avant d'affronter l'homme qu'Aedelrik lui avait décrit. Un type « avare en détails », d'après son ami et inconnu au bataillon. Drapé d'acier comme il était vêtu de cuir et de fourrure, large comme un bovin et sans doute à peine plus futé. Mais pas moins coriace. Cette fois-ci un demi-sourire se brossa sur son visage et il se retint de faire craquer ses phalanges. La liberté était la seule raison qui lui semblait légitime à appeler l'acier et la mort d'un homme, mais l'adrénaline et l'exaltation de la lutte était l'une des merveilles de la vie, au moins à ses yeux.

Il avança, courbé, jusqu'à ce que les traces de sang le mènent plus encore vers les entrailles de la Citée taillée à même la pierre. Le peuple qui vivait ici était lâche, sans aucun doute, mais il était également le plus grand bâtisseur qu'il lui ait été donné de voir. Le Ceald restait perplexe autant qu'il n'était plongé dans l'incompréhension. Aucun des Clans Cealth n'avaient su soumettre la montagne comme les gens d'Hyrule l'avaient fait. Et c'était là le premier sujet de questionnement du paria : comment des hommes et des femmes capable de broyer les roches et les falaises pouvaient ainsi courber la nuque devant d'autres hommes ? Tout cela lui échappait. Des êtres pourtant à même de modeler les récifs se laissaient soumettre comme les premiers des barbares...? Il laissa ses doigts épouser les pierres grises qui venaient recouvrir la charpente d'un des bâtiments tout en en s'engageant dans une ruelle qui débouchait sur une cour intérieure, suivant le virage qu'avait pris sa "proie".

Là aussi le silence régnait et il réalisa à quel point ces hommes et ces femmes n'étaient pas festifs. Mais cette fois-ci, il ne put leur en vouloir : les quelques jours qu'il avait passé dans un village occupé par les troupes du Neìdr, bien peu nombreux étaient les skaalds qui avaient daigné joué ou chanter. Et ceux qui l'avait fait se balancèrent très vite au bout d'une corde. Vaal'an n'avait jamais été très porté sur la critique. On disait même qu'il avait brûlé le visage de sa promise parce qu'elle avait eu le culot de ne pas l'embrasser. Il serra le poing. Ses traits se durcirent, alors que sa mâchoire se faisait plus carrée. Sans céder à la colère, il continua sa route.

Le sang menait jusqu'à un tas de paille. Il ne tarda guère à couvrir son nez. Si le parfum de la ville ne l'avait jamais séduit, les relents qui pesaient sur l'air comme une véritable chape de plomb étaient à vomir. Le pauvre homme, sans doute la bedaine trop pleine d'un des alcools que buvaient les petites gens, étaient venu s'affaler au milieu de stalles pour jeunes hongres, malades à l'évidence. Il grogna, fronçant les sourcils. Le crottin et la fange pavaient presque plus le chemin que la terre battue. Glissant son nez dans le creux de son coude, il s'avança précautionneusement. Manifestement, la dépouille avachie dans le foin avait besoin d'aide. « Ruth..! » Maugréa-t-il, agacé, en rongeant la distance qui le séparait du soûlard.

Ce n'est qu'en s'approchant qu'il distingua la silhouette d'Aedelrik. Le bras du voleur était couvert de sang et d'entailles en tout genre. Il l'avait vu quelques heures plus tôt, à peine. Avant que l'homme n'entre en scène pour son premier duel. D'après ce qui lui avait été dit, il faisait face à une femme, favorite du tournois tout entier. Un certain Cygne Noir. Et s'il savait que le combat promettait d'être compliqué, il connaissait également les règles : la mise à mort était interdite. Les plaies qui courraient sur le bras du truand ne venaient pas de la joute qu'il avait mené. Elles étaient de toute façon bien trop droites et trop régulières pour avoir été infligées en combat. Ôtant le cuir de ses naseaux, il attrapa le rouquin par le col et le souleva sans un mot. Le vert-de-gris de ses yeux plongea au fond de ceux d'émeraudes du Goupil, comme la mer furieuse se jette à l'assaut du frêle-esquif. « Ce'laug. Pauvre abruti. » Cracha-t-il, en colère. Son ami semblait avoir perdu jusqu'à son esprit ou son âme. Il n'aurait su dire lequel des deux il avait troqué avec les puissances obscurs. La rage qu'il éprouvait à l'égard du Neìdr venait nourrir la fureur qu'Aedelrik avait réveillé quand bien même lui tâchait de la contenir.

Sans ménagement, il balança le voleur vers l'intérieur de la cour ouverte. Près de chaque stalle avait été disposé un abreuvoir. Alors que l'homme chancelait et ne restait debout qu'à cause de l'élan, il le poussa violemment dans le dos. Le renard ne tarda guère à perdre l'équilibre et s'étala à deux pas du baquet. Le paria s'avança vers lui, sans lui laisser de répit et le saisit par les épaules, plus brusquement que de coutume pour les blessés. Foxclaw puait l'alcool plus que les écuries ne puaient le fumier. « Puisque tu as si soif, bois donc ! » Vociféra le Skaald, avant de plonger la tête du vaurien dans l'auge. Sans le moindre égard, il appuya sur le crâne de son camarade, de la même façon que s'il avait voulu le noyer. Ca n'était pas son intention, mais il savait d'expérience qu'on bain froid pouvait réveiller les plus cossards. Après un instant, il tira Aedelrik hors de l'eau croupie qu'on servait aux bêtes. « Ast ! Assez bu maintenant ?! » Siffla-t-il tandis que l'autre toussotait à ses pieds.


Aedelrik


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« ...ug. P... uti. »

Aedelrik fut incapable de saisir les mots que l'on prononçait au dessus de lui, ni de reconnaître le visage qui se penchait sur lui. L'emprise du sommeil sur lui était plus forte à chaque seconde qui passait et ses sens s'engourdissaient déjà. Toute sensation avait disparue de son bras mutilé et seul un froid glacial lui venait de son épaule, et de ses pieds. Le voleur eut envie d'en rire, bien que sa langue ne lui obéisse plus vraiment. Toute sa vie, il s'était battu contre la mort. Il avait tué, manipulé, volé, ou fuit pour s'en prémunir. Toute sa longue et malheureuse vie, il s'était alarmé de la moindre blessure, de la moindre goutte de son sang versée, tant cela lui rappelait son père, assassiné, ses mains sanglantes tentant de le réconforter dans son dernier soupire. Et à présent, savoir que son sang abreuvait la terre le mettait en joie.
Une douce ironie, la dernière mais la plus belle...

Soudain, il se sentit soulevé de terre, arraché brusquement au confort de la paille. Sans pouvoir s'en défendre, le renard menacé par des mains hostiles s'efforça de tenir debout, la vue toujours embrumée mais son sens de l'équilibre encore en état de lui éviter une chute dans la boue. Mais un nouveau choc qu'il n'avait su voir l'envoya au sol. L'estomac soulevé par les deux impacts, Aedelrik n'eut le temps que se relever sur les coudes pour éviter de rendre son déjeuner sur son propre visage. A présent terrifié par l'idée d'être encore plus malmené, il s'efforça de crier mais tout ce qui sortit de sa bouche n'était qu'un gémissement où perçait sa peur,


« Pitié... Laissez... laissez moi ! »

Mais la même voix que qu'auparavant lui répondit, forte et mauvaise, presque hurlante à ses oreilles rendues fragiles par la drogue,

« Puisque tu as si soif, bois donc ! »

Le Voleur était certain de la connaître, mais il y voyait toujours trop peu et trop flou pour identifier le visage de son agresseur. Une masse rouge, c'était là tout ce qu'il pouvait distinguer. Un rouquin ? Une cagoule rouge ? Ca ne voulait rien dire. Il y avait bien cette manière étrange de prononcer les "s", mais Aedelrilk ne parvenait pas à faire le lien avec un souvenir précis.
Alors, il se sentit soulevé de terre, par les épaules, et il assista impuissant au nouveau tourment que l'on prévoyait pour lui. Ses yeux s'ouvrirent grand quand il vit la surface de l'eau foncer vers lui mais ses gestes imprécis ne purent en rien l'aider. Fermement maintenu par la poigne de fer de l'inconnu, il s'agita comme l'aurait fait un chiot, incapable de maintenir sa respiration, avalant des gorgées d'eau qui manquaient de l'étouffer à chaque fois. Un instant, il se prêt de la mort, et il se sentit prêt à l'accepter. Qu'il trépasse des mains d'un autre, même aussi brutalement. Ca n'était que justice après tout.

Mais soudain, son agresseur inversa sa poigne et le tira brusquement de l'abreuvoir.
Aedelrik fut renversé en arrière, tombant lourdement sur le dos. L'eau qu'il avait avalé manqua à nouveau de l'étouffer et il se retourna par réflexe, tournant sa bouche vers le sol pour la recracher. Après plusieurs instants, il fut capable de penser et réalisa que les effets de la drogue avaient disparus.


« Ast ! Assez bu maintenant ?! »

Il ne fallut qu'un instant au Renard pour enfin reconnaître cette voix, son accent, son propriétaire. Le regard empli d'incrédulité, il observa Lanre qui le dominait de toute sa taille. Le visage du Ceald était empreint d'une sévérité et d'un mépris qui frappèrent le voleur comme un poing dans le ventre. Ses yeux se teintèrent d'incompréhension, puis de rage. La surprise laissa la place à une colère comme jamais Aedelrik ne crut en avoir connu.

« Pourquoi ? »

Sans même attendre une réponse, il se leva aussi vite qu'il le pouvait et envoya son poing cueillir la mâchoire du rouquin. Ce dernier en fut ébranlé mais le voleur ne lui laissa pas un instant pour récupérer. Avec un cri rageur, il se jeta sur lui, le plaquant au sol, un coude en travers de sa gorge, l'autre bras levé comme pour le frapper à nouveau. Il n'y avait plus la place pour l'ironie, le détachement, l'humour, dans l'esprit du Renard. Que son agresseur ait été un de ses ennemis, un détrousseur ou un sadique lui aurait bien convenu. Mais que celui qui lui avait volé sa mort douce soit un ami le déstabilisait profondément, décuplant sa colère. Alors il frappa, une fois, deux fois, et Lanre bloqua son poing et le repoussa, l'envoyant mordre la boue un peu plus loin. Son bras meurtri rencontra une pierre, qui l'érafla sur toute sa longueur. La douleur fut si intense que le voleur en hurla. Pendant plusieurs secondes, il ne put que hurler, de souffrance, de colère, de peine. Il ne comprenait pas le dessein des dieux, ni les raisons de leur haine à son égard. Lorsqu'il avait voulu vivre, le destin l'en avait empêché, et à présent qu'il souhaitait mourir, ce même dieu sadique lui envoyait un ami, le seul, pour le priver de la mort libératrice.
Aedelrik sut que Lanre s'était relevé. Il tenta de lui opposer son regard le plus noir mais il en fut incapable. Seule sa peine s'y lisait.


« Pourquoi me fais tu ça ? Pourquoi à moi ? »

La question était sincère, et la réponse n'allait pas de soi. Lanre n'était pas de ces sentimentaux stupides, ces égoïstes hypocrites qui ne pouvaient respecter les décisions des autres que lorsqu'elles ne les dérangeaient pas, eux. Il pouvait comprendre, il connaissait la souffrance et les tourments du destin. Alors pourquoi ne le laissait il pas en paix ? Sa colère fut ravivée à cette pensée. Il lui hurla à nouveau dessus,

« Je t'ai aidé à survivre ici ! Je t'ai appris l'Hylien, je t'ai donné à manger quand j'avais trop et toi trop peu ! Tu as une dette envers moi Lanre ! Alors laisse moi mourir comme je l'entends ! »

Avec toutes les peines du monde, Aedelrik se releva. Le sol tanguait toujours un peu sous ses pieds mais les effets de la drogue et de l'alcool semblaient se dissiper. Lentement, le regard mauvais, il s'approcha du Ceald. Puis, à un pas de lui, il fit semblant de lui porter un nouveau coup de poing au visage, tandis que son autre main allait sournoisement chercher la dague du rouquin à sa ceinture. D'un geste vif, il la tira de son fourreau et, s'étant écarté à nouveau de Lanre, la plaqua contre son coeur. Ses yeux semblaient n'exprimer qu'un air de défi.

« Je veux en finir... Sa voix se brisa, et une larme manqua de couler,... ce soir. »

Malgré toutes ses souffrances, à présent qu'il n'était plus aidé dans sa résolution par ses drogues, le contact glacé de la lame n'était plus aussi doux qu'auparavant. Son regard s'attarda sur sa main. Elle tremblait.


Lanre


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À l'évidence, Aedelrik avait repris du poil de la bête. Il rampait tant bien que mal, certes, mais quelque chose avait changé. Dans sa démarche, peut-être. Dans sa posture. Le voleur crachait et vomissait tout son saoul, et pourtant... Il avait l'air différent. L'Étranger n'avait rien du druide et il parvenait à le sentir. Quand la gorge du brigand s'était retrouvée entre ses doigts, un instant plus tôt, il faisait parti de ceux qui imploraient. De ceux qui mendiaient, qui quémandaient, qui suppliaient. Ses yeux étaient éteints quand ils n'étaient pas fuyant. Ses lèvres sèches, mais sa langue assez craintive pour le conjurer de ne pas le violenter. Sa gueule, déconfite. Son corps tout entier n'était que l'ombre de ce qu'il pouvait être. Rien de plus qu'une épave brisée, trop charriée par des flots bien trop enragés. Et si le renard continuait de recracher toute l'eau qu'il avait avalé, le maraudeur percevait le changement. Son épaule ne tremblait plus, ou du moins pas avec la même fébrilité. Son poing s'était refermé sur la fange, et ne l'embrassait plus. Enfin, ses mâchoires se délièrent en un mot, unique et lourd.

Avant qu'il n'ai eu le temps de répondre, le regard jadis hagard du brigand plongea dans le sien. « Pourquoi ? » Soufflaient ses lèvres, quand ses yeux trahissaient toute sa haine. Le Ceald n'avait pas besoin d'être le plus fin des stratèges ou le plus avisé des conseillers pour comprendre que son ami – la loque qu'il avait ramassé quelques minutes auparavant – n'était rien de plus qu'une oreille sourde. Une oreille d'autant plus sourde que sa pipe et sa bouteille s'étaient vidées trop tôt. Le voleur ne le contempla pas bien longtemps. Sitôt qu'il fut sur pieds de nouveau, la flamme de sa rage et le fer de sa lance vinrent le cueillir au menton. Il grogna, saisissant le poignet ensanglanté du tire-laine, pour l'emmener avec lui dans la chute. Le lit de paille était loin et la boue trop peu épaisse pour que son dos n'épouse pas les roches qui pavaient le haras. Lanre poussa un râle lugubre alors que la pierre le mordait au flanc. Foxclaw leva le poing, pour mieux l'abattre vers son visage. Son autre bras écrasait son cou. Les traits du rouquin se durcirent, tandis qu'il joua du pied plus que des mains. Il dévia le coup, parant de son avant-bras, tandis qu'avec son genoux, il soulevait la jambe du bandit. Déséquilibré, Aedelrik frappa la pierre et hurla. Sans l'attendre, le Ceald se hissa sur ses deux pieds. Du sang tâchait ses lèvres et courrait sur son menton, teintant sa barbe de quelques d'un rouge plus éclatant. Il haletait. 

D'un geste du poignet, il épongea son visage maculé sur la fourrure de son gantelet rembourré d'acier. Le regard mauvais qu'il posa sur un Aedelrik peinant à se relever trahissait un courroux qu'il ne prétendait pas camoufler. « Recommence un peu, pour voir... ! — » Cracha-t-il dans un souffle. Il n'incitait pas son camarade à l'assaillir de nouveau, mais ils savaient dorénavant à quoi s'attendre. L'un comme l'autre. Le goupil avait beau être son ami, il ne se montrerait pas nécessairement plus clément. Sans rien ajouter, il fit jouer chacun de ses doigts, d'avantage par habitude et par nervosité que pour les préparer à un véritable assaut. Ses genoux n'en étaient pas moins fléchis et ses sens alerte. Il était prêt à bondir et n'hésiterait pas à le faire. S'il fallait qu'il assomme le voleur pour pouvoir le sauver, il cognerait son crâne contre les pavés aussi longtemps que la nécessité l'exigerait. Dans une situation pareille, ça n'était pas vraiment le genre d'hésitations dont il s'embarrassait.

Il laissa cependant tout loisir à son ami de se relever. L'homme chancelait encore un peu, mais sa voix l'accusa à nouveau. « Beiddgar' ! » S'énerva-t-il. Sans le moindre égard, il cracha, comme pour défier le truand que les Wyrms avaient fait son compagnon. La peste que les faibles et les lâches. La peste les prennent, tout ceux-là qui n'avaient pas le courage de vivre ! Son ami bouillonnait peut-être d'une fureur incontrôlée, la rancoeur du Ceald montait également. « Tu es le pire abruti que j'ai jamais croisé, Renard. » Asséna-t-il sans chercher à le ménager. Le vert-de-gris s'insinua dans l'émeraude du regard d'Aedelrik. « Il est des centaines... Non, des milliers de raisons qui peuvent mener à la mort. Certainement pas la honte. » Il sifflait tandis que dans ses yeux dansaient de funestes partenaires. Le malfrat hurla à nouveau et Lanre grinça des dents. Si Aedelrik pouvait être tout à fait mielleux au point que cela en devienne agaçant, il le préférait calme, capable de penser et doué de raison  plutôt qu'excité au point d'en oublier son bras déchiré et éraillé pour gueuler à tout va, comme le dernier des pourceaux à égorger. C'était à peine s'il écoutait le déchet qu'était devenu son ami. Pour autant, les reproches presque moralisateurs qu'il nourrissait vis-à-vis de lui lui montèrent à la tête vite. Bien trop.

Du droit, Lanre lança un crochet. Les barrettes de fer qu'il portait sous les couches de fourrures et de cuir écrasèrent bien vite la pommette du rouquin braillard. Le son sec et morbide brisa le silence qui était retombé quelques secondes plus tôt. « Tu va fermer ta grande gueule, oui ?! » Le Ceald fulminait plus que jamais. Il ne supportait pas ce manque de bravoure que le voleur tâchait de faire passer pour un choix, pour une liberté fondamentale, essentielle et primordiale à laquelle tous avaient droit. Dans un grognement sourd, il se recula de son ami, visiblement aussi surpris que choqué. « Tu n'es pas qu'un idiot, Aedelrik, tu es aussi un lâche. » Lança-t-il, cherchant son regard. Au lieu de quoi, il ne discerna qu'une gifle qui filait vers lui.

Ramenant son bras devant son visage, il bloqua l'assaut visant sa gueule. D'un pas chassé, il se mit hors de portée dans l'immédiat et balança son poing dans l'estomac du vaurien. Celui-ci recula, plié en deux mais une dague en main. « Aedelrik... — » Souffla-t-il, conscient que la situation venait de prendre une toute autre ampleur. Ses sourcils se froncèrent, à mesure qu'il ne devenait plus soucieux. Si le voleur le souhaitait, il pourrait le tuer. Son regard oscilla de la dague au faciès du resquilleur. S'il y avait quelque chose sur lequel il fallait rester concentré c'était plus sur la tête que sur bras. Le désarmer était possible mais trop illusoire et aléatoire. Pourtant, la lame attira à nouveau ses yeux, scintillant d'une aura glacée à la lueur de la Lune. C'est en s'y attardant qu'il compris. L'estoc était déjà appuyé sur le thorax du truand. « Rends moi ça. Immédiatement. » Cracha-t-il, sans appel.

Mais Aedelrik envisageait une fin bien différente qu'il présenta brièvement au va-nu-pieds. Tout finirait ici et maintenant, s'il le souhaitait. Il n'avait qu'à passer le Coutelas de Blanche au travers de son torse pour que le gel ne ronge ses poumons de l'intérieur. Le Ceald ignorait quel serait la mort de son compagnon s'il le laissait faire. Serait-ce le froid qui aurait raison de lui ? Ou bien finirait-il étouffé à mesure que le givre n'attaquerait son souffle..? Il ne comptait pas attendre de le savoir, quand il envoya son genou entre les jambes du rouquin. Son os gifla les seules armoiries du voleur, qui se plia en deux à nouveau. Frappant ensuite sa main, il récupéra sa lame sans se soucier du craquement qui secouait quelques-uns des doigts de son ami. « Pauvre con... » Cracha-t-il, avant de balancer son pied à l'assaut du Renard, retombé sur quatre pattes. Conservant la dague en main pour ne pas la perdre une seconde fois, il toisa Aedelrik de toute sa hauteur. « Tu veux savoir pourquoi je fais ça ?! » Reprit-il, furieux. Son genou appuyant désormais dans le dos de son ami pour le maintenir au sol. « La fuite n'est pas un choix. Tu ne fais que fuir, depuis des années. » D'un coup sec de la tranche, il découpa le tissu qui ceinturait les hanches d'Aedelrik. « C'est ta liberté qui fait de toi ce que tu es, et tu préfères reculer que de la défendre. Abandonner. » Le ton n'était plus si brutal. Il se saisit du bras mutilé et commença à nouer l'étoffe, cherchant à couvrir l'entaille la plus profonde et la plus dangereuse. S'il parvenait à réaliser un point de pression, son ami ne risquait pas de se vider de son sang. Pas dans l'immédiat, du moins.

"Bats toi." Poursuivit-il simplement, en nouant le foulard écarlate autour du bras d'Aedelrik. « Sois digne de ce que tu es. » Lentement, il releva le genou, libérant le voleur de son emprise. Ses doigts se refermèrent un peu plus sur le coutelas qu'il refusait de perdre à nouveau, tandis que son regard s'était fait plus conciliant. Il recula d'un pas, laissant assez d'espace à son ami pour se relever sans avoir à négocier une manoeuvre que son état pourrait rendre dangereuse.


Aedelrik


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« Aedelrik... »

Le voleur souffrit d'entendre son nom ainsi prononcé.
Son nom. Mais l'était ce vraiment ? Lorsqu'il était enfant, chez son père adoptif, ce dernier l'appelait... Keïr. Ou Feïr. Il ne savait plus exactement. Sa mémoire lui faisait défaut. Tout ce dont il parvenait à se souvenir, c'était de la beauté des montagnes, couverte d'un chale blanc annonciateur d'hiver, le jour où tout s'était achevé. Le jour où des hommes avait tué son unique parent, l'avaient emmenés, lui avaient donné ce nom. Il le haïssait, mais n'avait jamais pris la peine d'en changer, de retrouver celui que le vieil homme lui avait donné. Feïr était mort avec lui, et Aedelrik n'avait jamais connu ce bonheur simple dont il ne restait depuis que quelques bribes de souvenirs...


« Rends moi ça. Immédiatement. »

Il fut aussitôt ramené à la réalité, ce qui raviva la douleur dans son bras et le fit presser la lame d'os contre sa poitrine, la pointe pénétrant alors la peau. Aedelrik frissonna mais ce ne fut pas par peur. Malgré le fait qu'il se tenait au bord du gouffre, sur le point de se jeter dans le vide infini, le voleur s'étonnait par sa sérénité intérieure. Comme si l'enfant qu'il avait été, en jaillissant de sa mémoire, avait fait s'envoler tous ses regrets. Alors débarrassé de ses craintes, le Renard voyait s'imposer une profonde vérité : sa vie n'avait eu aucun sens. Tout du long de ces trop courtes années, il n'était contenté de survivre, sans plus. Il n'y avait eu ni Dieu, ni Maître, ni Amour pour l'enchaîner, et Aedelrik s'en était souvent vanté. A présent, il comprenait l'absurdité de tout cela. La liberté ne se suffit pas à elle même.
Fermant les yeux, il appuya la dague contre sa poitrine.

La souffrance fut fulgurante, mais elle ne vint pas d'où il l'attendait. Le souffle violemment coupé, une intense et insupportable douleur à l'entre-jambe, Aedelrik ne put rien contre le second coup, qui fit horriblement craquer ses doigts et le força à ouvrir sa main. Il ne put tenir plus longtemps la position d'un homme et retomba sur ses genoux et ses coudes, le dos courbé par le tourment de sa virilité. Hurler aurait été un soulagement bienvenu mais l'impact et la surprise lui avaient ôté toute voix.


« Pauvre con... »

Le pied de Lanre revint le cueillir et l'envoya pour de bon dans la boue. Le voleur ne tenta même pas de relever son visage du sol humide. Mourir en bête ou un homme, vidé de son sang ou tabassé lui était dés lors égal, pourvu que la faucheuse arrive le plus tôt possible. Résister, c'était la repousser un peu plus, et il n'en avait ni la force, ni la volonté.

« Tu veux savoir pourquoi je fais ça ?! »

Le genoux du Ceald se posa sur son dos, sans ménagement, lui comprimant le thorax, rendant chaque inspiration douloureuse. En vérité, Aedelrik se foutait royalement des raisons de son "ami". Eut il les meilleures raisons du monde que cela ne changerait rien. Le voleur sentit la lame d'os effleurer ses hanches et crut que Lanre lui offrait ce qu'il désirait mais il comprit s'être trompé en sentant ses mains serrer le tissu en garrot autour de son bras mutilé.

« La fuite n'est pas un choix. Tu ne fais que fuir, depuis des années. C'est ta liberté qui fait de toi ce que tu es, et tu préfères reculer que de la défendre. Abandonner. »

La voix du Ceald n'était plus de glace, mais Aedelrik s'en moquait. Tout ce qu'il comprenait, c'était qu'un homme qu'il avait aidé se révélait, lui, incapable de lui rendre la pareille. Ou même simplement, de le comprendre. Las, sa tête retomba lourdement dans la boue et il se laissa faire. Même pour défendre son trépas, ses forces lui manquaient. Et pourtant le sommeil éternel attendu ne venait pas, comme si les dieux lui refusaient jusqu'à sa mort.

"Bats toi."

Les mots de son camarade furent comme un coup dans l'estomac.

« Je t'emmerde. » marmonna t'il, à moitié dans la boue.

La pression du genoux contre son dos se dissipa, mais Aedelrik ne se releva pas. Face contre terre, au moins, il n'avait pas à subir ce regard insupportable que lui jetait Lanre. Ce regard de mépris et de condescendance mêlée. Alors, il prit une décision ; si il ne pouvait mourir ici, il irait chercher le repos ailleurs, là où personne ne pourrait l'en priver. Une forêt déserte pleine de branches capables de supporter le poids d'un pendu, un ravin assez profond pour qu'une chute y soit définitive, une mer assez large pour qu'on se perde à jamais dans ses courants. Il lui suffisait de donner le change à Lanre pour cette nuit, et de partir dés le lendemain. Rien de bien difficile, pour quelqu'un comme lui.

« Sois digne de ce que tu es. »

Si les précédents mots de Lanre l'avaient marqués, ceux là furent un poignard enfoncé entre ses côtes. Prit d'une fureur intense, cousine du désespoir le plus profond, Aedelrik se releva en grinçant sous la douleur qui persistait sous sa ceinture et dans son bras. Son regard plein de haine rencontra celui de l'autre étranger. Un instant, il fut immobile, tremblant de tous ses membres, les poings et la mâchoire crispés. Finalement, il lâcha, dans un souffle fielleux,

« Ferme ta putain de gueule. Et efface moi ce mépris de ton visage ! Cesse de me juger ! Tu ne sais rien de moi ! Tu entends ?! Rien ! »

Emporté par sa colère, sa voix était devenu cri. Le voleur s'était tant approché que son visage était très proche de celui de Lanre, toujours impassible et qui n'avait pas cédé un pouce sous l'assaut. Soudain, des volets s'ouvrirent à un bout de la cour, illuminant le lieu de la lueur d'une bougie, et révéla une silhouette qui brandit aussitôt un poing serré en beuglant,

« C'est pas bientôt fini ce vacarme ?! Dégagez de ma cour ou j'appelle la garde ! »

« Fais donc, tas de fumier, et je t'ouvre le bide pour te pendre avec tes tripes ! »

Et comme pour accompagner ses mots, dans la même énergie furieuse, Aedelrik se saisit d'une pierre et l'envoya dans la direction du dormeur réveillé. Le projectile ne s'en approcha même pas, retombant largement avant. Mais l'effet fut suffisant pour que les volets se referment et que l'obscurité envahisse à nouveau les lieux. Le voleur s'en sentit apaisé, mais un regard vers Lanre suffit redonner du souffle à sa colère, mieux contenue néanmoins. Le visage sévère, empreint de rancune, il lui déclara,

« Traite moi de lâche, d'imbécile, ou de fou, comme tu veux. Mais tu ignore tout de ce que j'ai vécu. Tout de mes souffrances. Je n'ai jamais aimé fuir, Lanre. Le destin m'y a toujours forcé, et j'y ai toujours perdu. Une situation, des richesses, des gens que j'aimaient. A chaque fois, je m'installais autre part, je bâtissais à nouveau en espérant ne plus revivre ça. Et à chaque fois, je finissais sur la route, tout ce que j'avais bâti détruit, consumé, envolé. Quand j'ai fuit, c'était toujours parce que je n'avais plus d'autre choix. Alors ne me parle pas de courage ou d'honneur : Ca n'est pas ce qui m'a permis de survivre. »

Profondément las, il s'écarta de son camarade et s'adossa à un mur afin de faire passer un léger vertige. Son regard se perdit dans l'examen d'une roue de carriole, seule, détachée du reste. Au fond, c'était là tout ce qu'il était depuis des années : une roue qui tournait dans le vide, sans raison, et qui ne pouvait s'arrêter sans risquer de chuter. Alors qu'il sentait sa fatigue grandir et que des points plus sombres que l'obscurité ambiante envahissaient son champ de vision, il reprit, sa voix toujours emplie de rancune et de colère,

« Ta liberté n'a aucun sens pour moi. Le destin a déjà choisit pour nous, bien avant que nous venions au monde. Ni toi ni moi ne pouvons nous opposer à lui. A chaque fois que je m'y suis risqué, je n'ai récolté que du malheur en abondance. Peut être est ce lui, encore, qui t'as fait venir ici ce soir, pour me retirer jusqu'à mon ultime choix, le dernier et peut être le seul qui ait de la valeur. Jusqu'au bout, il me tourmentera. »

Aedelrik se redressa. Son regard était devenu vitreux au fil de ses phrases et la simple position debout, sans mur pour le retenir, suffisait alors à le faire tituber. De la sueur perlait sur son front, comme un grand fiévreux. Pour la première fois depuis de longues minutes, il afficha un sourire, légèrement malsain, déformé, et rebondit d'une voix un peu trop joyeuse,

« Tu ne m'as pas répondu, quand je t'ai demandé pourquoi tu t'acharnais autant, mon petit Lanre. Je ne crois pas que ça soit par altruisme, sinon tu n'aurais pas été aussi violent. Pas non plus par respect de la vie, tu sais tuer quand tu le veux. Alors quoi ? Tu as besoin de moi ? Je croyais que les Cealds savaient se débrouiller seuls ? Ou bien... »

Tremblant et la démarche peu assurée, Aedelrik s'était approché de son ami, son rictus ironique toujours inscrit sur le visage. Puis, soudainement, il poussa sur ses appuies et percuta violemment Lanre au point de l'envoyer au sol. Chutant avec lui, il se retrouva en position de force, dominant le Ceald tombé sur le dos. Son sourire s'accentua,

« Peut être que je te plais. Peut être que tu préfères mon contact vivant et chaud à mon cadavre froid. Tu ne serais pas le premier, mais je n'avais pas prévu ça tiens ! Et pourtant... je ne vois que ça de crédible... »

Une lueur vicieuse dans le regard, le Renard semblait prêt à aller plus loin lorsqu'il sentit la douleur s'accentuer dans son bras, subitement. Et dans l'instant, son état devint insupportable. Gémissant sous la souffrance, Aedelrik comprit qu'il avait trop exigé de son corps, et que celui ci entendait le lui rendre au centuple. Son souffle devint erratique, sa vue se troubla à nouveau et ses membres s'engourdirent rapidement. Alors qu'il commençait à tourner de l'oeil, le voleur prit conscience que son malaise venait de l'Alkaz, la Mort de l'Âme, cette drogue qu'il avait consommé et dont le contrecoup ne manquerait pas d'être dévastateur. Avant de tourner de l'oeil, il n'eut que le temps de murmurer,

« N..Non. Pas..comme..ça. Pu...rge. Vite. »

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Et, sombrant dans l'inconscience, il retomba lourdement sur Lanre, son âme aux portes des enfers.


Lanre


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Le roux laissa son ami s'affaler lourdement, ne le retenant que de l'épaule et du bras. Si les derniers propos que le voleur avait pu tenir l'agaçaient profondément, il préféra ne pas en tenir en compte conscient que son camarade pourrait ne jamais se relever s'il n'agissait pas vite. Sans y avoir été confronté personnellement il savait à quel point les orgies à base de contrepoison ou de panacée pouvait être meurtrière. Près d'un homme sur deux et plus d'une femme sur trois en consommaient régulièrement avant de partir au combat, chez lui. Les Cealds ne craignaient pas la mort, ni la souffrance et par conséquent ne s'inquiétaient que rarement des mesures qu'avalaient leurs frères. Cependant, ils redoutaient tous la folie qui s'emparait parfois des druides et de certains Berserks, ou d'autres guerriers.

Souvent celle-ci s'accompagnait des symptômes que présentait Aedelrik. Le Ceald ne connaissait que peu de solutions et de toutes celles qu'il envisageait il était incapable. Il savait panser les plaies, connaissait les plantes qui aidaient à lutter contre la douleur et pouvait replacer certains des os qui avaient par trop voyagé. Mais il ignorait comment drainer le mal hors du corps du tire-laine. Lanre grogna, tant de colère que d'effort, tandis que sa main glissait sous la cuisse de sa compagnon et que, jouant des épaules, il hissait son guide sur son échine. Dans l'immédiat... Tout ce qu'il pouvait faire ne se résumait qu'à ralentir le processus et la peine du vaurien qu'il portait sur le dos. Doucement mais presque lourdement — il pesait le poids de deux hommes, après tout ! —, il s'avança jusqu'à la paille qui avait servi de lit de mort à Foxclaw. Son regard rencontra d'abord la chaume jaunâtre, avant de s'attarder sur quelques brins carmins. Il renifla, avant de cesser de tergiverser. Il n'en avait de toute façon pas le temps. Dans un râle, il laissa tomber la dépouille qu'il transportait, tout en la retenant pour que la chute ne soit pas des plus douloureuses.

Aussitôt qu'Aedelrik fut allongé, l'étranger chercha après une source de lumière et de chaleur. Sans trop de ménagement pour l'un des chandeliers accrochés au mur, il s'en saisit avant de tirer un coup sec. Le fer s'arracha à la pierre dans un bruit étouffé et il prit soin de disposer sa lanterne improvisée de façon à ce qu'elle ne puisse pas mettre le feu à la paillasse du malfrat. Sans un bruit, il délia le lacet maintenant une petite bourse à sa ceinture et ramena la poche de cuir au fond de sa main. Tachant de ne pas brusquer l'outre qu'il ouvrait, il partit à la recherche d'un met en particulier. Son camarade gémit, un peu plus loin, lui rappelant à quel point la situation pressait. Toujours en douceur, le paria s'activa plus encore, accélérant la cadence. Bientôt, ses doigts se refermaient sur l'objet de ses recherches : une petite fleur qu'on appelait chez lui « queue-de-loup », ou « gant-de-bergère ». L'herbacée était bien connue des druides... et des assassins. Elle ralentissait le cœur avec assez de force pour tuer un homme en quelques minutes, selon la façon dont le dosage avait été pensé. Huit grammes pouvaient renverser le plus valeureux des guerriers. Huit pauvre grammes étaient un tribut suffisant pour prétendre aux Portes d'Ifreànn.

Les mains de Lanre ne tremblaient pas mais il savait quel risque pesait sur lui et quel risque pesait sur son ami. Délicatement, il déchira la plante jusqu'à n'en garder que le cœur avant de maudire tous les dieux d'ici ou d'ailleurs : le seul couteau dont il disposait était ensorcelé et il craignait que le gel n'altère les vertus de sa plante. Il en restait encore bien trop pour qu'il puisse s'en servir en toute sécurité et trop peu pour qu'il puisse continuer à déchirer. Face à l'évidence, le Ceald glissa les trois-quarts du noyau entre ses lèvres. Ses dents se refermèrent sur la queue-de-loup, la coupure nette. Le quart qu'il avait conservé devrait lui permettre de négocier un répit pour le voleur, avant que ses propres Dieux ne réclament de nouveau âme. Sans un mot, il cracha en main ce qu'il gardait en bouche et le glissa dans sa bourse. Le goût acre et malsain lui restait sur la langue quand celle-ci accueillait le dosage qu'il espérait être le bon. Sans les outils de Brieg, il était aisé de se tromper et la moindre erreur pouvait les tuer tout deux.

L'espace d'un instant, il mastiqua, recueillant le suc de l'herbacée. Quand la sève rance envahi sa mâchoire, il s'approcha de son camarade, puis se pencha sur lui. D'une main il força Aedelrik à ouvrir la bouche, avant de l'embrasser. Profitant de l'ouverture, le Ceald laissa glisser le jus du gant-de-bergère de ses lèvres jusqu'à celles du Goupil. Cela ne le sauverait certainement pas, les tuerait peut-être, mais au moins il disposerait de temps. D'un peu de temps, pour tenter quelque chose. Après s'être assuré que le tire-laine avait avalé, il cracha le noyau et se releva en récupérant ses effets et ingrédients. Sans attendre, il hissa à nouveau un vaurien inconscient et gémissant parfois, sur son dos. C'est au pas de course qu'il quitta le haras.

"Cet homme est blessé.. !" Grogna-t-il, tandis que la vieille femme refermait sa porte. Coinçant son pied dans la fente avec le mur, il l'en empêcha. « Si tu ne fais rien, le poison qui le ronge le tuera, Vahraniik. » Souffla-t-il, mauvais. Celle qu'on appelait la Hongre entrepris d'ouvrir et de les laisser pénétrer dans son petit logis. « Z'avez d'quoi payer j'spère ! » Cracha la bonne femme, toute en rondeur. Nettement plus que les femmes de chez lui. « Evidemment. » Siffla-t-il, de plus en plus agacé. Le vert-de-gris de ses yeux suffit à faire taire la guérisseuse. En dépit de l'heure, elle se pencherait sur son ami. Sans un mot, il le déposa sur la table qu'elle débarrassait pour l'occasion.

Le silence fut long, et Lanre préféra rester et veiller son compagnon. A plusieurs reprises, la vieille femme notait les coups et blessures que portait Aedelrik et a chaque fois il s'enfonçait dans un mutisme presque habituel. La nuit promettait de les marquer.

Tous les deux.


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